Cette loi introduit plusieurs évolutions majeures concernant le Revenu de Solidarité Active (RSA). Les allocataires du RSA, devront désormais être inscrits obligatoirement, eux et leurs conjoints, à France Travail, le nouveau nom de Pôle Emploi, qui devient le guichet unique d’inscription pour toutes les personnes dites sans activité (chômeurs, jeunes non-étudiants, personnes en situation de handicap, etc). Cette mesure présentée comme une simplification des démarches cache en réalité la volonté de contrôler plus drastiquement les personnes au RSA.
En effet, derrière ce changement, d’apparence administratif, se cache un présupposé :le RSA enferme dans la pauvreté et l’inactivité. L’objectif premier fixé pour les bénéficiaires du RSA sera dorénavant de se réinsérer par le travail et de retourner sur le marché de l’emploi le plus rapidement possible. Et pour cela, la nouvelle loi impose le conditionnement du RSA à une durée hebdomadaire minimale d’activité en lien direct avec ce retour à l’emploi. La suspicion envers les allocataires ne date pas d’hier et avait déjà conduit à une intensification de leur surveillance et à l’encadrement de leurs démarches d’insertion professionnelle et sociale. En contrepartie de leurs droits, les allocataires avaient déjà des devoirs qui se matérialisaient parfois par la signature d’un projet personnalisé, puis par la participation à des démarches d’insertion (sociale ou professionnelle). Désormais, sauf exceptions liées à des problèmes de santé ou des contraintes familiales précises, tous les allocataires du RSA seront soumis à une durée minimale de 15 heures d’accompagnement « vers l’accès ou le retour à l’emploi » ou la création d’entreprise. Cette durée minimale sera inscrite explicitement dans leur contrat d’engagement de RSA. Le champ des activités concernées reste encore flou et non défini clairement. Dans les dix-huit territoires où a été expérimentée la réforme, de nombreuses activités étaient concernées. De l’élaboration d’un CV à des rendez-vous médicaux, les démarches personnelles pouvaient être comptées en heures d’activité tant qu’elles étaient perçues comme liées à la recherche d’un emploi. Les formations et immersion en entreprises font aussi évidemment partie de ces activités éligibles. En revanche, certaines activités semblent de facto exclues. Par exemple, si des allocataires ont déjà une activité bénévole, même si elle leur apporte du sens et une sociabilité, elles ne seront pas comptées dans les 15 heures d’activité. En effet celles-ci doivent être en lien avec le parcours de retour vers l’emploi et elles ne peuvent pas être effectuées pendant plus d’un mois dans la même structure.
L’autre mesure phare et décriée de la réforme du RSA, est l’instauration d’un nouveau régime de sanctions pour les bénéficiaires du RSA. Désormais, ils pourront subir la « suspension-remobilisation » qui correspond à la suspension temporaire et automatique de tout ou partie de l’allocation en cas de manquement constaté au contrat d’engagement. Si l’allocataire, à la suite à cette sanction, respecte ses engagements, il pourra de nouveau toucher ses aides. L’idée est de fonctionner par la contrainte et suppose que toute faute de la part du bénéficiaire serait liée à un manque de volonté de sa part. L’allocataire pourra aussi subir une radiation de la liste des demandeurs d’emploi et la suppression de l’allocation s’il « refuse à deux reprises, sans motif légitime, une offre raisonnable d’emploi ». Plus inquiétant encore, ces sanctions seront déclenchées par la personne en charge de l’accompagnement. Au-delà de l’arbitraire que cela peut induire en l’absence de possibilité de contradictoire pour le bénéficiaire, on imagine bien que la confiance entre l’allocataire et son conseiller, préalable à toute démarche constructive, sera difficile à établir.
Ce renforcement des sanctions permet de nous poser légitimement la question des motivations réelles de cette réforme du RSA. On le sait, le Gouvernement considère que les minimas sociaux coûtent « un pognon de dingue ». Dans un contexte d’augmentation constante du nombre de personnes au RSA du fait d’une précarisation généralisée de la population, on devine que cette réforme peut permettre aux pouvoirs publics de réduire les dépenses liées aux minimas sociaux et ce, par plusieurs mécanismes. Premièrement, l’accompagnement renforcé centré sur le retour à l’emploi et les sanctions automatiques provoqueront probablement l’augmentation du non-recours, déjà massif, au RSA pour les ayant-droit. D’une manière générale, les travailleurs sociaux reconnaissent eux-mêmes que le contrôle et la sanction sont inefficaces voire contre-productifs, car ils génèrent un mal-être supplémentaire pour des personnes déjà en difficulté. Les premiers témoignages des personnes ayant expérimenté ce nouveau dispositif dans les 18 départements volontaires (dont la Creuse), font part d’une pression psychologique. Les bénéficiaires rapportent notamment des appels téléphoniques incessants du conseiller, même en période d’arrêt maladie ou de formation, avec un rappel perpétuel de l’objectif de retour à l’emploi et une pression liée à la peur de ne pas remplir ses obligations d’activités hebdomadaires soumises, on le rappelle, à des contours flous. De plus, les opposants à cette réforme soulignent l’absence de garanties sur le financement de ces activités d’accompagnement hebdomadaires. Or, avec actuellement 2 millions de bénéficiaires du RSA, la Fondation Jean Jaurès a calculé qu’il faudrait débourser la somme de 10 milliards d’euros par an pour pouvoir parvenir à cet objectif de 15 heures d’activité professionnelle par semaine pour chaque allocataire. En l’absence de financement précis pour les départements déjà en manque de moyens pour l’accompagnement actuel des bénéficiaires du RSA, on se demande comment les organismes de ce dispositif vont pouvoir proposer des activités à tout le monde. On peut imaginer que cela exposera de nombreux allocataires aux sanctions pour non-respect de ses activités obligatoires et donc in fine à la radiation. Encore une source de diminution des dépenses.
La réforme du RSA va mettre à mal cet outil de lutte contre la pauvreté, une des bases de notre protection sociale, pour en faire un outil quasi exclusivement tourné vers le retour à l’emploi.Avec le système de sanction et d’heures obligatoires, les allocataires seront fortement incités à accepter des offres de formations qui ne correspondent pas à leurs besoins et aspirations et seront davantage forcés d’accepter des offres d’emploi précaire pour sortir de leur situation administrative oppressante. Ce mécanisme, de toute évidence, servira l’objectif suprême martelé par Macron et son Gouvernement : le plein emploi. Car, comme l’a rappelé Gabriel Attal lors d’un déplacement le vendredi 1er mars, on ne peut pas continuer « d’acheter la paix sociale à coups d’aides sociales », et il faut que notre modèle social « incite toujours davantage au travail ». On l’aura compris, le gouvernement actuel continuera d’avoir la main ferme avec les pauvres qu’il ne cesse de stigmatiser. Surtout, avec cette réforme, il évite les véritables enjeux posés par la situation économique et écologique actuelle : comment repenser le travail pour en faire une activité porteuse de sens et non destructrice de nos corps et de nos territoires ?