La rubrique qui s’intitule «Lu et approuvé» du dernier IPNS m’a fait une drôle d’impression. J’ai lu et n’ai pas approuvé.
Michel Pinton, maire de Felletin, écrit : «Face à l’Etat envahissant, les citoyens sont très faibles par eux-mêmes. Ils tombent dans l’impuissance et le désintérêt s’ils n’apprennent pas à s’aider librement.» Ce n’est évidemment pas d’une critique anarchiste ou libertaire de l’Etat qu’il s’agit, mais d’une critique libérale : il y a trop d’Etat, trop d’Etat social, trop d’assistanat et les individus deviennent des assistés incapables.
«L’accueil des touristes aussi bien que l’aide aux personnes âgées, les loisirs offerts aux enfants et les randonnées pédestres ne sont pas, chez nous, assurés par la mairie. Des bénévoles en ont pris la responsabilité» Pourquoi pas ? dira-t-on. Certes, mais on peut penser aussi que des services publics doivent exister, notamment à l’égard des enfants et des personnes âgées, qu’il s’agit de droits sociaux et non d’actes bénévoles plus ou moins caritatifs et aléatoires. Remettre en cause nos modes de vie ne passe pas forcément par la suppression de ces droits et services sociaux.
D’autant que le maire de Felletin ajoute : «Il ne suffit pas, pour nous, que les individus se regroupent pour pratiquer ensemble un sport ou une occupation utiles à eux-mêmes. Nous voulons en plus que les citoyens manifestent leur solidarité avec ceux qui en ont besoin. La municipalité veille à faire naître et encourager les initiatives de cette nature.» Monsieur le maire décide donc de ce qui est bien et moins bien. Il «encourage» ou pas les initiatives selon son jugement. N’est-ce pas là le retour par la petite porte d’un petit «Etat envahissant» ? On est également à la limite de la légalité qui implique une égalité de traitement entre tous les citoyens.
Monsieur le maire enchaîne : «Mais ce qui est naturel à d’autres sociétés, comme celle des Etats-Unis, ne va pas de soi chez nous.» Tiens donc ! Le modèle américain ! Il est sûr qu’on ne s’y embarrasse pas de droits sociaux et que l’Etat n’y est pas envahissant (quoique… ça dépend pour quoi). On notera aussi le fonctionnement «naturel» des sociétés. Tout un programme. «Notre classe dirigeante est chargée d’une lourde hérédité. La liberté d’association fut absente de la déclaration des droits de l’homme de 1789. Elle fut réprimée par le Code civil de 1805. Au XIXe siècle, tout groupe organisé fut suspect à l’Etat.» Une telle lecture de l’histoire laisse pantelant. Si la liberté d’association est absente de la Révolution, c’est qu’il s’agissait d’abolir toutes les institutions d’Ancien régime et notamment les corporations pour laisser se développer la liberté du commerce sans entraves. Si au XIXe, tout groupe fut suspect à l’Etat, c’est que tout groupe voulait dire tout groupe ouvrier, et que tout groupe ouvrier était suspect aux patrons bien plus encore qu’à l’Etat (que d’aucun n’analyserait que comme leur représentant). D’ailleurs, tout groupe, à condition qu’il soit bien pensant, n’était pas suspect. C’était le cas des sociétés de secours mutuel, à condition qu’elles se limitent bien à une entraide matérielle et le plus souvent encadrées par les pouvoirs publics. Et c’était encore plus le cas des congrégations catholiques que notre bon maire va maintenant évoquer.
«En 1901, enfin, la loi reconnaît la liberté d’association, mais la limite aussitôt par des restrictions partisanes destinées à briser l’élan des congrégations religieuses.» Ben oui, elle a même été presque uniquement faite pour ça (voir Madeleine Rebérioux). Notre bon maire se livre là à une attaque en règle contre la laïcité comme l’épiscopat français ne songe plus à le faire depuis longtemps. Il est vrai que ce dernier a compris tous les avantages qu’il pouvait tirer d’un pays laïc.
«Un siècle plus tard, les textes n’ont guère changé.» Et c’est heureux ! Ce qui reste de la loi de 1901, une fois le contexte de lutte contre le cléricalisme enlevé, c’est une loi fondamentale de liberté : vous avez le droit de vous associer ; sans conditions ; sans règles préétablies ; et personne n’a à venir voir ce que vous faites ; pas même ce fameux Etat envahissant. Que demande de plus le maire de Felletin ? D’autant plus que, telle la constitution américaine, cette loi fondamentale n’a pas besoin d’être changée tout le temps comme ces hideuses constitutions de l’Etat français. «Notre classe dirigeante ne s’y intéresse pas. Elle a tort. Notre époque à des aspirations, des besoins dont les ancêtres n’avaient même pas l’idée.» On aimerait savoir lesquels, sur l’essentiel. Culture, défense des droits, loisirs, action sociale, solidarité, sport… rien de bien nouveau en un siècle. «Le cadre légal dans lequel les associations doivent entrer est devenu à la fois désuet et vague. Il brime un élan citoyen sans lequel l’Etat ne fera pas bouger la société française.» Sur le principe, le cadre légal n’est ni désuet ni vague, il est inexistant.
Encore une fois, il s’agit simplement d’une loi qui énonce un droit et une liberté absolus. C’est tout. Et la meilleure preuve qu’il ne brime en rien un élan citoyen, c’est qu’il se crée plus de 60 000 associations par an et qu’elles sont plus d’un million. Une quinzaine de millions de bénévoles s'y investissent. Elles ont su à tout moment de notre histoire depuis un siècle prendre en charge tous les domaines qui s’offraient à elles et innover (mouvements de jeunesse, de loisirs, de culture, de pensée, prise en main de l’action sanitaire et sociale - en partie pour la déconfessionnalisée et c’est tant mieux). L’Etat a légiféré sur les activités qui avaient besoin d’être encadrées (jeunesse, action sanitaire et sociale, etc.) pour des raisons de sécurité, d’éthique, etc. et a mené une politique d’agréments sans intervenir sur le fonctionnement des associations, et il a fort bien fait.
Mais voilà ce qui gêne le maire de Felletin. «Toutes les associations ne sont pas également utiles. Toutes ne méritent pas le même soutien des pouvoirs publics.» C’est bien possible, mais qui le décide ? Qui dit le bien et le moins bien ? Bon Dieu mais c’est bien sûr, c’est le maire de Felletin ! «Le critère qui guide la sollicitude des élus, c’est leur efficacité concrète dans l’action sociale.» On notera au passage dans quelle logique, dans quel univers se situe le maire de Felletin : celui de la «sollicitude». Alors qu’il gère simplement les impôts de ses concitoyens et qu’on ne lui demande aucune «sollicitude», mais l’application de règles de droit, de justice et de raison.
«Nous avons une résistance instinctive [on notera la vision toujours «naturelle» du maire] à subventionner les grandes organisations nationales, même si l’Etat leur a accordé la qualité d’utilité publique, parce qu’elles sont souvent entraînées à devenir à son image, c’est-à-dire lourdement bureaucratique, plus enclines à attendre qu’on aille les solliciter qu’à venir au devant des hommes.» Les éventuelles sections locales de l’Armée du salut, des Éclaireuses Éclaireurs de France, des Parents d'enfants aveugles, des Familles de France, des associations familiales catholiques, des Familles rurales, de la Fondation Nicolas Hulot, des Francas, de France Alzheimer, de la Ligue pour la protection des oiseaux, des Parents d’élèves (les deux tendances), des Restos du cœur, des Scouts, du Secours catholique, du Secours populaire, de la SPA, etc. toutes reconnues d’utilité publique apprécieront.
«Nos clubs sportifs, les regroupements de personnes âgées, les réunions d’anciens combattants ne soulèvent pas d’hésitations.» On croit rêver sur le choix des exemples ! Et bien sûr, toujours l’appel à l’évidence, au naturel, «pas d’hésitations» ! «Ils sont animés par des bénévoles que chacun connaît et apprécie. Ils ont une vocation simple et claire dont l’utilité sociale est évidente » Toujours l’évidence. Mais si ce n’était pas si évident ? Et si ce bénévole n’est pas «connu» ou «apprécié», par monsieur le maire ou par son opposant d’ailleurs ? Il semble bien que ce soit «l’évidence» de monsieur le maire qui compte. N’est-il pas élu ? Certes, mais n’est-ce pas alors à nouveau l’Etat envahissant, même aux petits pieds ?
«Ils s’abritent sous des fédérations nationales qui garantissent leur sérieux.» Mais de qui parle alors monsieur le maire précédemment à propos des grandes organisations nationales d’utilité publique bureaucratisées et éloignées du terrain ? Pour la plus grande part, les organisations nationales reconnues d’utilité publique sont ces fédérations. Les autres (il y en a environ 2 000 en tout et la liste est accessible sur le site du ministère de l’Intérieur) peuvent souvent surprendre (l’Institut de la Maison de Bourbon, l’Ecole de la cause freudienne, la société d’Histoire de la révolution de 1848…), mais ne doivent pas représenter un bien grand danger.
En résumé, monsieur le maire déteste l’Etat et les services publics, aime les associations «évidentes» comme les clubs du troisième âge et les anciens combattants… et semble ne rien connaître à l’histoire ni aux réalités actuelles du monde associatif.
Christian Vaillant