Martial Senisse, orphelin, avait commencé à “limousiner“ dès l'âge de 12 ans, depuis Sussac, où il était né en 1851. A 20 ans, il était à Paris, sur des chantiers du bâtiment. Déjà une longue expérience d'un labeur ingrat, et des longues marches, par les chemins, de Bourganeuf au Berry, puis Orléans. Contrairement à d'autres, plus nombreux, migrant vers Lyon, ceux de son village allaient vers la capitale. Le boulot n'y manquait pas. Son histoire, petite qui rejoint la grande, Martial l'a racontée. Retrouvée sur des carnets oubliés dans un grenier, sa lecture nous en fut proposée seulement en 1965 : “Les carnets d'un fédéré de la Commune“. Martial a vécu “ça“, participé, témoigné, dans une langue française parfaite. Son récit est passionnant, c'est même une leçon. Il y mêle bien sûr son histoire personnelle, sa vie familiale, sa romance avec Elise. Ses lignes sont un journal, extrêmement détaillé, où l'on voit défiler tous les personnages, tous les lieux et événements de la Commune, sans oublier les sentiments – parfois contradictoires – qui animaient les uns et les autres. Et l'on comprend TOUT ! Une leçon disais-je. Si vous voulez mieux connaître cette période, à la fois grandiose et tragique, lisez ce bouquin. L'éditeur a eu la bonne idée d'y inclure de courtes biographies à la fin de chaque chapitre. Une merveille ! Toutefois, ces lignes sont plus un roman qu'un livre d'histoire.
Lisez donc ceci : “Toutes ces années-là, j'ai fait mon apprentissage de compagnon. Chaque année, je suis revenu au pays, en octobre, et je me suis installé pour l'hiver dans la petite maison des Champs, que m'a laissée ma mère. Au dessus du hameau, il y a des bruyères et un petit bois. C'est là qu'un jour je veux ramener celle que j'aime ...“ Celle-ci, c'est justement Elise Masdoumier, originaire de Nedde. Elle aussi est à Paris, servante chez de grands-bourgeois, qui ont des biens - un château - à Faux-la-Montagne. Alors que Martial fréquente les cabarets où fermentent les idées socialistes et la Révolution, il rencontre nombre de ceux qui vont devenir les chefs de la Commune. Dont le célèbre écrivain Jules Vallès, Edouard Vaillant ou Eugène Varlin. Aux débuts des combats, le jeune maçon est volontaire. L'ennemi, ce ne sont plus vraiment les Prussiens, mais les “Versaillais“, du gouvernement défaitiste de Thiers.
Et dans Paris, il faut s'organiser, penser au ravitaillement et à l'organisation d'une société démocratique. Martial participe à tout : combats – il devient capitaine – réunions d'état-major, contacts avec la population. “Nous avons poursuivi vers le fort de Vanves. On entendait le canon distinctement. Donc les forts du sud tenaient toujours“. Il assure maintenant la liaison entre la Commission des Barricades et le ministère de l'Agriculture. Il se croit – ou se dit – dans le camp des purs, ceux des patrouilles, “qui ont pour mission d'exiger la fermeture des cafés trop bruyants le soir, des tavernes à filles, et chassent ceux qui festoient plus qu'ils ne se battent“. Mais, les événements ne durent que 2 mois et 10 jours, et se terminent dans l'horreur de la “semaine sanglante“. Martial est inquiet pour Elise, qui a disparu. Il apprend qu'elle est en prison, mais il lui faut se cacher et fuir la répression. Il croit Elise morte, réussit à regagner le Limousin, où il organise l'accueil d'autres proscrits, qui resteront plusieurs années dans les bois de Domps. Voilà résumée l'histoire d'un jeune limousin idéaliste. Elle finit bien, il retrouve Elise et ils se marient. Mais … car il y a un mais.
J'avais déjà été étonné, à la première lecture, par un style très littéraire pour un maçon, même lettré. Jean Chatelut nous dit que la carrière de Senisse est invraisemblable. Alors, je me mets à vérifier d'une autre façon. Un Martial Senisse était bien né à Sussac en 1851. Puis, aucune trace nulle part. Elise, inconnue à Nedde, et même ailleurs. Pas plus l'oncle Faucher, que le maçon Léonard Thoumieux de St Gilles-les-Forêts, ne semblent avoir existé. Il faut se rendre à l'évidence, celui qui a préfacé ces “Carnets“ a tout inventé. Il a utilisé des lieux, des noms, des traditions, des événements, et d'un puzzle dispersé, a fait un roman, sur fond d'histoire bien réelle. Mais qu'il soit un tissu de mensonges, ou de vérités, il vaut la peine.
Un témoin, un vrai, fut bien ce Pardoux Panteix, qui connut dans sa jeunesse les proscrits des monts de Domps. Lui aussi maçon, mort en 1937, sa tombe se trouve au pied du Mont Gargan: en l'observant, on comprend bien ce qu'a pu être l'idéal de fraternité de ces maçons révolutionnaires. Ceux qui disaient : “On m'a promis que le jour de la liberté du peuple, les ouvriers n'oublieront pas la misère des campagnes“. Un idée “en marche“ sans doute : dis, l'ami Martial, vrai ou faux, on n'est pas encore arrivé !
Michel Patinaud