mémoire

  • 1936 Le Front Populaire en Limousin

    1936 Le Front Populaire ardents editeursLes Ardents Editeurs (Limoges) ont publié les travaux du collectif d'historien(e)s réunis dans l'association “Mémoire Ouvrière en Limousin“. L'ouvrage dresse un tableau très complet de cette année cruciale de notre histoire nationale. 12 auteurs se sont attelés à la tâche, pour un résultat étonnant. Tout le champ de la recherche historique est parcouru ; la Corrèze n'est pas oubliée, la Creuse restant cependant le parent pauvre. Parmi les plumes - qui respectent très exactement la parité - nous retrouvons des auteurs dont nous avons déjà publié des articles : Dominique Danthieux, le coordinateur (5 chapitres à lui seul!), Tiphaine Catalan, Eva Léger, Michel Patinaud. Ainsi qu'Anne Manigaud, dont le dernier ouvrage a été présenté dans le n° 60 (Marcel Body). Historiens connus aussi pour leur participation aux Bistrots d'Hiver (sans oublier Annette Marsac). Que trouve-t-on dans ces 220 pages abondamment illustrées ? Le volet politique est bien entendu un morceau de choix : 8 articles y sont consacrés, que ce soit les aspects électoraux (où l'on retrouve bien sûr “notre“ Marius Vazeilles, par Gilbert Beaubatie, les autres députés limousins, le commentaire des élections du printemps 36).

    Vient ensuite la question des luttes (Socialistes et Communistes, Le peuple dans la rue, Gauche et pacifisme, par Annette Marsac). Les exemples locaux ne sont pas oubliés, que ce soit Saint Junien (Nicolas Lestieux) ou Eymoutiers (Michel Patinaud). Les questions économiques tiennent aussi une large place : des mouvements ouvriers, à la question du chômage ou la crise des campagnes (Philippe Grandcoing) , l'activité de la Maison du Peuple à Limoges (Anne Manigaud), le survol est (presque) complet. Les thèmes de société sont enfin abordés à travers “le temps des loisirs“ et “les femmes en 1936“ (Sylvette Néguiral) la place des étrangers en Limousin (notamment les réfugiés espagnols, voir IPNS n° 57) enfin la question de la consommation (N'achetez pas le lundi, Clotilde Druel-Korn). Un sujet très original évoque les “caricatures et dessins de presse“ (Vincent Brousse). Un très vaste panorama donc, qui n'oublie pas le contexte plus général des “années trente“, à savoir ce qui conduit à … ou ce qui est la conséquence de.... Des passerelles sont tendues vers les questions internationales : montée du fascisme, guerre d'Espagne,progrès du pacifisme... Le pacifisme : grand sujet. On croisera par exemple deux ministres de Léon Blum (Charles Spinasse, cf. IPNS n° 59, et Paul Faure, ancien directeur du Populaire du Centre).

    Avec ces deux futurs soutiens du pétainisme, on pourra s'interroger : le pacifisme mène-t-il à tout ? Un petite réserve enfin, concerne le graphisme : un peu trop de rouge – mais est-ce un hasard ? - et une couverture pas très attirante, même si elle est parfaitement symbolique (elle évoque l'apparition des congés payés). On attend donc avec impatience les prochaines publications de l'association. Ses recherches en cours portent sur mai 1968 et son héritage, toujours en Limousin, et l'histoire de la Porcelaine. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler.

    http://www.lesardentsediteurs.com/?1936-le-Front-populaire-en 

  • Alain Mimoun : un olympien sur la Montagne limousine

    Alain Mimoun est un grand sportif français, champion olympique du marathon en 1956. Ses liens avec la Montagne limousine remontent loin, précisément à son mariage avec une Corrézienne originaire de Bugeat. C’est par elle qu’il adopta la Corrèze, et inversement. Aujourdhui, ils reposent  tous les deux dans le cimetière de Bugeat où le centre sportif d’entraînement porte son nom. Voici une rapide biographie qui montre toute l’originalité d’une vie rythmée par la guerre, le sport, la France.

     

    Ali Mimoun Ould Kacha est né le 1er janvier 1921 dans la région d’Oran, en Algérie, alors sous domination française. Il a très jeune une volonté farouche de s’intégrer à la société française. « Indigène », fils d’un ouvrier agricole et d’une tisserande, ce bon élève (« Certif » avec mention bien) ne peut accéder à l’École normale, réservée aux enfants de colons. Ne pouvant devenir instituteur comme l’aurait souhaité sa mère, il lui reste l’armée qui accueille plus facilement les jeunes Algériens que l’administration coloniale. « Je rêvais de la France devant des cartes de géographie… Je voulais la connaître comme on a le désir d’une belle fille. Ses couleurs inspiraient chacune de mes actions. Le seul moyen de la rejoindre, c’était l’armée. »

     

    Schade Mimoun Zatopek 1952

     

    La guerre

    Dès 1939, à 18 ans, il s’engage dans un régiment de tirailleurs algériens. Il participe aux combats sur le front belge en 1939-1940, en première ligne et dans des conditions terribles, comme c’est le cas pour beaucoup de coloniaux. Après la débâcle, il intègre comme démineur le 19e régiment du génie d’Alger. Il participe aux effroyables combats de l’hiver 1942-1943 contre l’Afrika Korps de Rommel, notamment à la bataille d’El Guettar : « Nous étions équipés comme des loqueteux. Le froid, le froid… On couchait dans des tranchées, on se grattait et on était envahi de scorpions. On s’équipait avec ce qu’on prenait sur les Allemands. Ce n’est pas connu ce qu’on a fait là-bas ! » Il montre un courage et une volonté d’acier. Il participe aux combats d’Italie de 1943, sous les ordres de Juin : « Là, j’ai vu l’enfer. » Blessé au pied à Monte Cassino, un chirurgien de l’hôpital (dévasté) de Naples le sauve de l’amputation. Il participe encore au débarquement de Provence en 1944, Marseille, les Vosges, le Rhin et l’Allemagne où il prendra part à la dislocation des dernières unités de l’Axe. 

    Ce qui l’a marqué, c’est le sort des hommes, des « troufions », des petits. Quatre soldats font exploser une mine lors d’un bivouac : « Quatre petits Français qui étaient allés se battre pour la France, qui étaient passés par l’Espagne, par l’Afrique du Nord, par l’Italie, pour débarquer sur une plage de Provence et mourir là, en réchauffant leur gamelle… J’en pleure. » Mais chez lui, nulle haine de l’autre : « Sur le Rhin, à Spire, il y avait des prisonniers allemands qu’on ramenait dans des barges… Ce n’était pas des SS… Ils n’avaient pas de gilet de sauvetage et les barges, prises dans le courant, ont chaviré… Tous noyés… Ça m’a marqué, ces pauvres soldats alors que pour eux la guerre était finie. »

    Il sera démobilisé en 1946. Mais l’armée française n’est guère reconnaissante avec ses « enfants » des colonies. Alors qu’il aurait pu prétendre à être officier s’il avait été « français », il n’obtiendra que le grade de caporal. Il s’installera à Paris, avenue Simon Bolivar (XIXe), dans un modeste deux pièces. Il sera plus de dix ans garçon de café. C’est pour lui, déjà, « une chance», lui qui n’est encore pour beaucoup qu’un « bicot ». Il fait franciser son prénom en Alain. Sa brutale carrière militaire ne lui aura apporté que douleurs et blessures. Cependant, elle lui fit découvrir ce qui sera le cœur de sa vie : le sport, et en particulier la course à pied.

     

    Le sport

    chirc mimoun poulidorIl découvre l’athlétisme dès 1939, à Bourg-en-Bresse où le président du club local, Henri Villard, lui conseille le demi-fond. Il remporte l’année même le titre de champion départemental de l’Ain sur 1 500 m, inaugurant ainsi un palmarès encore à ce jour inégalé.  Il se met également au cross-country, dont il remporte le championnat d’Afrique du nord en 1942. Sa volonté farouche l’entraîne vers les distances longues, 5 000 et 10 000 m principalement. 

    Pour lui, jamais de repos. Ce sont les chemins boueux des cross l’hiver, les routes des courses de village et la cendrée des pistes l’été. Mimoun allait dominer le fond français pendant deux décennies, mais il tomba vite sur un « couac » au niveau international. Dès 1947, il rencontre le coureur tchèque Emile Zatopek, un athlète surdoué. Aux JO, aux championnats d’Europe, il fut un éternel et glorieux second. Il cumule tout de même trois médailles d’argent en deux olympiades (1948 et 1952). Ces courses deviennent vite des duels, toujours à l’avantage du Tchèque, qu’il ne battit qu’une fois, à Melbourne. Il parlera d’« une bataille de dix ans », de « combats de titans », « Dieu me l’a donné celui là », « il m’a fabriqué », « personne ne peut battre Zatopek, il est trop fort pour nous ». Ils se bagarraient littéralement en course, jusqu’aux coups de coudes, mais tombaient immanquablement dans les bras l’un de l’autre une fois la ligne franchie. 

    Au strict niveau athlétique, Mimoun n’est pas, contrairement à Zatopek, un coureur élégant. Son style est rugueux, chaotique, sa foulée courte. Il court le bassin très bas et son visage est souvent déformé  par l’effort. Son endurance, sa capacité à tenir des trains redoutables et son obstination paient et paieront longtemps. Le 1er décembre 1956, Mimoun devient champion olympique du marathon sous le soleil de plomb de Melbourne (plus de 35 °C à l’ombre, c'est-à-dire près de 50 en plein soleil !). Il succède, à 35 ans, à son ami Emile Zatopek, vainqueur en 1952, et à son compatriote Ahmed Boughéra El Ouafi, premier athlète africain à remporter ce titre en 1928, à Amsterdam et qu’il fit réhabiliter. Cette course est un moment d’histoire de l’athlétisme. À une époque où le sport est encore peu médiatisé, ses contemporains seront marqués par son foulard et son dossard n°13. À mi-course il est en tête, Zatopek est en méforme, ses adversaires exténués. Personne ne prendra plus le relais. Il termine seul les vingt derniers kilomètres et s’adjuge le titre dans le temps de 2 h 25. Malgré son âge il défendra son titre à Rome en 1960, où il a vu avec bonheur gagner Abebe Bikila, qu’il admirait. Il a été titré 32 fois champion de France (record toujours valide) du 5 000 et du 10 000 m, du marathon et de cross-country. Il continua la compétition au niveau national très tard, à plus de 50 ans.  Malgré sa longévité, il ne fit jamais pâle figure même face à des athlètes bien plus jeunes (il détient encore les records vétérans des 5 000 et 10000 m). En 1979, à 59 ans, il s’aligne encore au marathon de Paris, qu’il termine vaillamment.

     

    La France

    L’amitié qui unit Mimoun et Zatopek est si l’on peut dire une des plus belles images de la Guerre Froide, de celles qui sont mises en avant. Deux fils « de peu », deux militaires (mais Zatopek était colonel). Zatopek le communiste et Mimoun le gaulliste. C’est d’ailleurs bien plus qu’une amitié ; Mimoun dira de lui qu’il était son « frère ». 

    Son titre olympique fait s’envoler sa notoriété. Il devient vite un homme respecté et admiré de tous. Quand les gens croisaient un coureur ou un cycliste, on entendait immanquablement un « Allez Mimoun ! », comme plus tard on criera des « Allez Poupou ! ». Un champion populaire, comme le sera Colette Besson, la « petite sœur des Français », qu’il adorait. Il détient un autre record, qui n’a rien de sportif celui-ci. Il a reçu les quatre ordres de la Légion d’honneur, de quatre présidents de la République différents : René Coty, Georges Pompidou, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.

    Depuis la fin de la guerre, Mimoun est un fervent gaulliste, même sous la IVe République, quand le Général n’a guère le vent en poupe. Il l’admira toujours et sans aucune hypocrisie ni carriérisme. Pour lui, de Gaulle, c’était la Libération et aussi, peut-être surtout, celui qui sut mettre fin à l’effroyable guerre d’Algérie, qui fut une guerre de libération mais aussi un combat fratricide. Puis ce fut Chirac, qu’il rencontra fréquemment en Corrèze. Mais, là encore, aucun sectarisme chez lui. En 1974, alors qu’il est en train de courir au parc de Vincennes avec une demi-douzaine d’athlètes, il aperçoit Georges Marchais qui promène son chien. Il trottine alors vers lui et se met au garde-à-vous : « Je me mets au garde-à-vous… C’est dans la peau ça… C’est du respect pour des personnages comme lui… » Marchais semble impressionné et flatté. « Je suis content de vous saluer monsieur Marchais ! Politiquement, on n’est pas du même bord, mais moi je vous aime bien ! » Mimoun était quelqu’un de très protocolaire, pour lui, Marchais, plus que le dirigeant du PCF, c’est le député, un représentant de la nation. Il lui dit alors : « Mais Mimoun, qu’importe que nous ne soyons pas du même bord ! C’est vous la France. » Pour lui c’était plus qu’un compliment, une reconnaissance de ce qu’il était, de cette vie qu’il s’est construite, par l’effort, par le courage, par la persévérance. 

    Il s’est toujours voulu français, a toujours voulu adhérer à la « Nation France » et il disait joliment : « la France, cette si belle fiancée. » Contemporain de la lutte des Algériens pour leur indépendance, il ne prit jamais parti. Il considérait l’Algérie comme sa patrie de cœur, même si ses positions politiques le rendirent persona non grata sur l’autre rive. Il était désolé de voir ses « frères » et les Français se déchirer. Une de ses sœurs était d’ailleurs mariée avec un virulent militant parisien du FLN. Il n'est revenu sur sa terre natale qu'une seule fois, en 1988, pour voir une dernière fois sa mère. Pour lui, l'attachement à la France prit plusieurs formes : son engagement comme soldat, sa fierté de porter le maillot de l’équipe de France (il fut 86 fois international, encore un record inégalé), sa conversion au catholicisme en 1955 qui était tout sauf hypocrite. Paradoxalement, il ne devint réellement Français qu’en 1963, ce fut son choix. Ses papiers portant jusqu’à cette date la mention : « ressortissant d’Algérie résidant en France ». Il aurait légalement pu être Algérien. Il devient Français par choix. 

    Sa notoriété lui permet de lancer la création d’un centre d’entraînement sportif national à Bugeat, remarquable équipement sportif pour la région avec une piste de 400 m en synthétique dans l’air pur et presque montagneux du Plateau (le stade se nomme maintenant : « Espace 1000 sources Alain Mimoun »). S’il choisit Bugeat c’est parce que sa femme en est originaire, mais aussi parce que l’air et le paysage lui rappellent la Finlande où il allait fréquemment s’entraîner. On ne compte plus les rues, les écoles et surtout les stades portant son nom (une centaine !). Décédé le 27 juin 2013, il a eu droit à un hommage national. Son cercueil fut exposé aux Invalides. Le président en exercice – corrézien d’adoption comme lui – fit un discours en l’honneur du « caporal Alain Mimoun », ce qu’il aurait aimé entendre. Il est inhumé dans une chapelle du cimetière de Bugeat où il repose au côté de sa femme.

     

    Franck Patinaud

    Références 
    Outre les fiches des différents sites consacrés à l’athlétisme, souvent très complètes pour sa carrière sportive, on peut lire ses interviews accordées à la presse. On a ici surtout utilisé celles accordées aux revues Famille chrétienne et Inflexions, et quelques archives de L’Équipe. On regardera, avec délectation, les archives de l’Ina (en particulier « Souvenirs d’Alain Mimoun »). S’y révèlent toute sa verve et son charisme. On peut voir quelques extraits de ses grandes courses olympiques (1948, 1952 et 1956) sur Youtube. Il faut aussi regarder le petit reportage que lui a consacré l’humoriste et comédien Thomas Ngigol, dans la série « Frères d’armes », consacrée aux Français originaires des colonies et à leur rôle dans l’histoire de France.
  • Capi, l'insoumis de Chamberet

    Il s’appelait Jean Chazelas, est né à Chamberet en 1882, est mort au même endroit en 1963. Entre-temps il est devenu Capi, a traversé deux fois l’océan atlantique, a bourlingué dans les mouvements anarchistes en Limousin, à Paris, mais aussi en Espagne et aux États-Unis. Sa figure est restée dans la mémoire de Chamberet. Il faut savoir gré à Gérard Monédiaire d’avoir pisté le personnage de la Corrèze à la Californie et réussi à rassembler quelques précieux indices qui confirment pour la plupart la mémoire locale. Le résultat : un beau livre de 300 pages qui se lit comme un roman.

     

    chamberet

     

    Tout commence pour Gérard Monédiaire par un souvenir d’enfance, lui qui est originaire de Chamberet. Il se rappelle, gamin, à la table familiale, les discussions des grands dans laquelle était évoquée avec une certaine aura, un fameux Capi qu’on disait « anarchiste ». Ce qu’il saisissait alors c’était que le Capi en question était un sacré personnage, un gars qui ne s’en laisse pas conter, qui sait ce qu’il veut et qui fait ce dont il a envie. Surtout qui ne fait pas ce dont il n’a pas envie. Or, Jean Chazelas, né de « pauvres gens d’un pays pauvre », ne veut pas en 1914 se joindre aux cohortes armées qui iront se faire tuer dans les tranchées de l’Est de la France. Il sera insoumis et quittera la France, via l’Espagne, pour les Amériques, afin d’échapper, d’abord au carnage auquel il ne veut pas contribuer, puis aux recherches de l’administration militaire qui jusqu’à l’âge de 53 ans le considère en état d’insoumission et donc condamnable.

     

    « Une bombe à Chamberet »

    le correzienGérard Monédiaire va s’efforcer de comprendre comment on devient anarchiste à Chamberet au tournant des XIXe et XXe siècles. Il réunit quelques traces ténues qui prouvent que Chazelas fréquente les milieux anarchistes limousins. En 1910 il verse 2 francs pour soutenir « l’hebdomadaire des révolutionnaires du Centre » L’Insurgé, édité à Limoges. Même lorsqu’il sera exilé en Californie, on retrouve son nom en 1922 sur une liste de souscripteurs du journal anarchiste L’En dehors.

    Comme quoi, même loin de France il entretient toujours des relations avec les milieux anarchistes, comme il le faisait sans doute à Paris où il est installé en 1907, comme il le fera certainement en Californie où se trouvent d’autres réfugiés anarchistes. Mais le coup d’éclat de Capi, il l’a fait beaucoup plus tôt, à Chamberet, en 1903 : avec quelques complices il lance un pétard dans l’église pendant une messe. Émoi, panique, la bande à Bonnot viendrait-elle jusque dans nos campagnes ? (Voir l’entrefilet du Corrézien : « une bombe à Chamberet »). Capi est dès lors catalogué dans le pays comme un rebelle, ce qui ne l’empêchera pas de faire son service militaire sans se faire remarquer. Entrisme ou conformisme ? On pencherait plutôt pour le premier terme au vu de son insoumission en 14.

    entrefilet1Toute la réussite du livre de Monédiaire est de parvenir à nous raconter une vie dont au final on ne sait pas beaucoup de choses. Capi, contrairement à beaucoup de libertaires n’a jamais rien écrit (par contre il a beaucoup lu et sa bibliothèque impressionnait les gamins qui dans les années 1950 ont pu rentrer chez lui, à Chamberet, où il était revenu en 1935 ses 53 ans salvateurs ayant sonné).

    On ne dispose même pas d’une photo du personnage ! Alors, à partir des indices retrouvés (la liste des passagers du bateau qu’il a pris pour se rendre aux États-Unis ou pour une excursion à Cuba, l’annuaire de Burlingame en Californie, ses états de service militaire avant 1914, quelques documents d’état civil, un vitrail mal réparé dans le chœur de l’église de Chamberet, etc.) et du peu de la mémoire locale qui subsiste encore, il reconstitue l’itinéraire de Capi en nous immergeant dans les différents univers qu’il traverse : le Limousin rural des années 1880-1910, les milieux anarchistes très vivants à l’époque y compris dans la région (« On voyait des anarchistes partout » colporte la mémoire locale), le monde des migrants qui découvrent l’Amérique, puis, après son retour en France, la guerre et la Résistance sur le Plateau à laquelle Capi, vu son âge, ne participa que comme point d’appui aux jeunes qui avaient pris le maquis, son « rigolo » (pistolet) néanmoins toujours chargé dans le tiroir de la table de sa cuisine.

    Suivre ainsi le fil Capi comme nous le propose cet ouvrage, c’est traverser un siècle sur les traces d’un homme qui « prend place dans une cohorte minuscule et silencieuse, qui regroupe ceux qui n’imaginent pas ne pas mettre leurs actes en cohérence avec leur pensée, quel qu’en soit le coût. » Et Gérard Monédiaire de commenter : « Cet impératif individuel éthique n’est jamais que l’équivalent de la formule limousine selon laquelle, en toute circonstance, ce qui importe, c’est de « se faire honneur », aux yeux des autres sans doute, mais avant tout à ses propres yeux. »

     

    Michel Lulek

     

    Plein chant, éditeur artisan et militant

    « Si j’ai édité ce livre chez Plein Chant, explique Gérard Monédiaire, c’est que l’histoire de Capi est en cohérence avec la ligne éditoriale et l’esprit même de cet éditeur. » Pas étonnant donc que le volume paraisse dans une collection intitulée « Précurseurs et militants ». Edmond Thomas, le fondateur et artisan des éditions, a également publié beaucoup d’auteurs issus de milieux populaires et de ce qu’il appelle la « littérature prolétarienne ». On trouvera au catalogue des livres signés Henry Poulaille, Flora Tristan, Ludovic Massé, Panaït Istrati ou Germaine et Céline Coupet,
    http://pleinchant.fr

     

    « Ni berger, ni troupeau »

    Il ne semble pas qu’à aucun moment Capi ait envisagé de s’installer définitivement en ville, là où pourtant il aurait eu de bien meilleures chances de fréquenter des compagnons libertaires. Il est bien possible que ce soit dans une sorte de culture « communaliste » ou « cantonaliste » qu’il se soit reconnu, dans un monde jaloux de son autonomie mais ouvert à toutes les altérités, et qu’il ait jugé que c’était dans ce cadre que les rapports humains qu’il désirait avaient le plus de chance de germer, tandis que les foules urbaines lui apparaissaient davantage comme un motif de crainte que d’espoir. Ce monde idéal qu’il avait en tête pourrait être résumé par la formule « ni berger, ni troupeau ».  La culture traditionnelle dont il était nécessairement l’incarnation s’était par alchimie conjuguée chez lui à des rêveries d’harmonie universelle qui laissaient sa place à la diversité, et cette fusion ne l’attirait guère vers le monde grégaire des masses métropolitaines et celui du travail dans les manufactures. C’est retrouver une illustration de la forte réticence de beaucoup de paysans et artisans limousins à la mise au travail industriel et à l’encasernement productif dans les usines, car si pauvres qu’ils aient été ils se regardaient libres et ne supportaient pas la subordination inhérente au contrat de travail garantie dans les faits par les contremaîtres et les contremaîtresses […]

    C’est là encore une originalité de la pensée libertaire qu’à sa manière exprime aussi le célèbre Mefia-te ! limousin, qui valait à l’égard des promesses du simili-dieu Progrès. Une certaine finesse de beaucoup de libertaires, animés par un esprit critique constitutif de leur identité, est décelable dans leurs positions parfois stigmatisées de « conservatrices », hostiles au « sens de l’Histoire » qui se vend aujourd’hui aux enseignes bariolées du « progrès », du « changement » ou de la « réforme ». En vérité ils surent souvent discerner par anticipation les pièges recelés par les séductions des propositions d’un avenir radieux donné pour inéluctable. 

    Les propos démiurgiques des lendemains qui chanteraient d’autant plus fort et mieux qu’on aurait fait passer par-dessus bord tout le passé ont dû laisser Capi sceptique : ce passé n’était certes pas à idéaliser, mais à transfigurer dans un arrangement qui respecterait la décence entre les hommes et la dignité de la civilisation des aïeux. Inutile d’insister : l’échec fut total, en témoigne l’ignominie des temps présents, valeureusement mais à peine atténuée par les entêtements de ceux qui aujourd’hui dans la Montagne limousine et ailleurs font sécession d’un monde contemporain qui a bien des traits d’une barbarie souriante. On en vient ainsi à penser que Capi, quelque part entre Armand, Zisly, et des figures de l’illégalisme qu’il avait pu croiser, picorant chez l’un les idées qui lui vont, grappillant chez l’autre les visions qu’il partage, butinant chez les derniers les fulgurances qui le séduisaient, avait une conception plénière et exigeante de la Liberté et de sa propre liberté, sans pour autant désirer s’isoler des hommes victimes de l’injustice, mais en les provoquant sans jamais désemparer par la parrêsia, le courage de tout dire en parlant vrai, et en agissant en conséquence. Et que le centre de gravité de son rapport au monde et aux autres qui illustre bien la devise « Ni dieu, ni maître » n’était pas très éloigné du « programme » d’Émile Pouget tel qu’il l’exprimait le 14 janvier 1900 dans son « Salut aux bons bougres », publié dans le Père peinard : « Le programme du vieux gniaff est aussi connu que la crapulerie des généraux ; il est plus bref que la Constitution de 1793 et a été formulé, il y a un peu plus d’un siècle, par l’Ancien, le Père Duchêne : « Je ne veux pas qu’on m’em…mielle ! » C’est franc. Ça sort sans qu’on le mâche ! » Si Capi était bien porteur d’un imaginaire de la société bonne telle qu’on vient de le suggérer, celui-ci était à conjuguer toujours avec l’article unique, bref et sans appel de sa propre Constitution, celui précisément du Père Duchêne opportunément rappelé par Pouget. »

    (Extrait de l’épilogue de Capi L’insoumis, éditions Plein Chant, 2019, 21 €).
    Gérard Monédiaire
  • De la ville noire à la ville rouge

    1905 le printempsAvec 1905, le printemps rouge de Limoges, trois jeunes historiens limougeauds déroulent le fil conducteur des évènements qui ont donné à Limoges son "image internationale de ville rouge". Entre histoire et mémoire l'ouvrage est construit comme une tragédie dramatique.

    En premier acte Dominique Danthieux décrit les bouleversements de la transformation industrielle de la ville.

    Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle la capitale limousine double sa population. Les 30 manufactures de porcelaine et les 19 usines de chaussure ont recomposé le paysage urbain. La rationalisation de la production industrielle introduit la déqualification de la main d'oeuvre, et le durcissement de l'autorité patronale. La réplique ouvrière s'organise en chambres syndicales où se diffusent les idées du socialisme. Elles s'incorporeront tout naturellement dans la CGT lorsqu'elle sera créée à Limoges en 1895. Au 1er janvier 1905 Limoges compte pas moins de 4 000 syndiqués.

    Dans l'acte 2 Philippe Grandcoing fait le récit des événements. Chez Haviland - le parangon de la réussite industrielle - des ouvriers se mettent en grève contre le pouvoir tyrannique et arbitraire d'un chef d'atelier. La solidarité ouvrière s'organise autour d'une souscription en faveur des victimes de tous les conflits d'autorité, alors nombreux dans les industries limougeaudes. Face à la mobilisation ouvrière le patronat s'organise et en appelle au lock out. Décrété le 13 avril, il met toute la ville en ébullition. Manifestations et défilés se succèdent autour des manufactures. De leur côté, socialistes révolutionnaires et anarchistes rameutent la vindicte populaire contre l'Armée et l'Eglise. Des barricades s'érigent pour faire obstacle aux charges de la cavalerie. L'émeute gronde. Des meneurs sont emprisonnés. Devant le refus de leur libération par le préfet les manifestants courent vers la prison. L'intervention massive et brutale de l'armée disperse la foule. La fusillade laisse un mort au jardin d'Orsay. Les funérailles de Camille Vardelle marqueront la fin du cycle de la porcelaine et de la combativité ouvrière à Limoges.

    Au dernier acte Vincent Brousse tempère cette affirmation. Il discerne quelques répliques sociales et surtout politiques des événements de 1905 dans l'histoire du socialisme au cours du premier tiers du vingtième siècle en Haute Vienne. Il évoque quelques conflits. Montrant combien ces événements ont façonné la culture politique locale. Elle se manifeste notamment à travers la figure emblématique de tel ou tel leader politique des cités industrielles de la vallée de la Vienne : Saint Junien, Saint Léonard de Noblat ou Eymoutiers. Les grèves insurrectionnelles et la mort de Camille Vardelle au printemps 1905 demeurent un marqueur indélébile dans la mémoire collective limougeaude. Aussi la fin annoncée des usines Haviland en ce printemps 2005 ravive la peur du déclin de l'activité porcelainière à Limoges.

    Sur le mode de la tragédie nos trois historiens dramaturges restituent la cohérence et la logique de ce scénario catastrophe. Avec les contributions des membres de l'Association Mémoire ouvrière en Limousin ils ont réalisé les 24 tableaux de la mise en scène de ce drame. Grâce au savoir faire de la remarquable collection (patrimoine en poche) ils en ont assuré tous les décors par une iconographie fascinante. Celle-ci de bien des manières témoigne de l'enracinement des événements dans la culture populaire. On retiendra les deux étonnantes séries de cartes postales “Les troubles et les grèves de Limoges”.

    Pour garder à cet ouvrage son caractère singulier, le prologue a été confié à un romancier dont l'ouvrage n'a pas été retenu dans la bibliographie. L'épilogue nous est contée en occitan, mais le lecteur demeure frustré de sa traduction.

     

    Alain Carof

    Vincent Brousse, Dominique Danthieux, Philippe Grancoing et les membres de l'association Mémoire ouvrière en Limousin. 1905 le printemps rouge de Limoges. Limoges, Culture et Patrimoine en Limousin, 2005. (19 €)
  • De Saint-Léonard-de-Noblat à Montparnasse - Nouvelles paysannes et Souvenirs d'enfance

    Nouvelles paysannes et Souvenirs d enfanceGermaine et Céline Coupet,  dans ce bel ouvrage nous livrent une véritable mémoire de la vie des petits métayers et ouvriers agricoles de la région de Saint Léonard de Noblat au tout début du XXème siècle. Ce tableau de la condition paysanne est d'autant plus étonnant qu'il nous est transmis à partir de l'expérience exceptionnelle que ces deux femmes ont vécue à Paris, où elles sont arrivées l'une et l'autre à l'âge de 17 ans. Germaine, l'aînée après cinq années de galère dans plusieurs places de bonne se décide à chercher meilleure fortune à Paris. Un mois après son arrivée elle se retrouve à la rue. Elle est recueillie par un inconnu qui la présente comme modèle chez une peintre célèbre. Pendant quatre ans elle mène une vie trépidante et joyeuse en posant comme modèle pour peintres et sculpteurs dans leurs ateliers prestigieux des quartiers de Montparnasse et Montmartre. Elle fait venir sa sœur Céline, plus fragile et plus éprouvée par la dureté des travaux qu'elle a endurés comme servante de fermes à partir de l'âge de 11 ans. Elle partagera aussi cette vie mouvementée de modèle avant de trouver son bonheur en épousant un sculpteur américain.

    Germaine, par delà cette vie frivole dans les milieux artistiques demeure très ancrée dans les souvenirs de sa vie familiale et de son enfance de villageoise limousine. A vingt ans elle revient à St Léonard. Elle se marie en 1912 et voyage en Egypte avec son mari. Celui-ci sera tué sur le front au deuxième mois de la guerre 14-18. Très vite elle retourne à Paris et reprend naturellement sa place dans le milieu des artistes. En 1926 elle épouse Maurice Taquoy un peintre reconnu de cette période faste. Elle passe alors de l'autre côté du chevalet et se lance dans la peinture. Sous le pseudonyme d'Existence elle expose avec succès des scènes de la vie villageoise dans des grandes galeries parisiennes. Ce qui fit dire à son mari "enfin je vais avoir fait un riche mariage et vivre de la peinture mais pas de la mienne!". Ils mèneront une vie simple dans leur atelier parisien ou plus souvent dans leur maison à l'orée de la forêt de Fontainebleau. Ils accueilleront de temps à autre la famille limousine désormais réunie dans la région parisienne. "Germaine, Céline et leur mère se retrouvaient comme en Limousin et le patois donnait l'étincelle à la conversation". Elles se remémoraient les veillées villageoises animées par leur père musicien et chanteur où leur mère excellait dans un répertoire d'histoires et de contes extraordinaires. C'est dans cette veine du conte que Germaine va puiser pour entrer en littérature.

    germaine coupetToujours sous ce pseudonyme d'Existence elle publie aux Oeuvres libres deux recueils de nouvelles : "Didi" en 1931 et "Village" en 1939. Laissons aux lecteurs le bonheur de trouver dans ces délicieuses saynètes une véritable chronique de la vie villageoise en Limousin au tout début du XXème siècle. Vous trouverez en dernière page de ce numéro d’IPNS une illustration significative de ces contes villageois. Avec une profonde délicatesse elle conte ses souvenirs du bonheur familial et les étapes joyeuses de la vie et des travaux champêtres malgré les avatars des pénibles conditions du métayage. Gratifiée d'une grande sensibilité et d'un esprit d'indépendance elle rapporte les querelles familiales et les haines accumulées entre les métayers et leurs petits propriétaires. Sous un ton humoristique et une moquerie décapante elle se rappelle de la méchanceté et de la violence "dans ces campagnes limousines sauvages et insociables". Grâce à la ténacité de Martine et Bertrand Willot de l'association "la vie d'artiste" les contes et récits d'Existence sont sortis de l'oubli où ils s'enfonçaient. Certes la qualité littéraire de "ces notations curieuses sur la vie populaire d'hier" n'avait pas échappé à Michel Ragon. Dans son Histoire de la littérature prolétarienne il avait classé l'énigmatique Existence parmi les écrivains paysans. Mais elle demeurait "une femme qui avait été modèle des peintres de Montparnasse en sa jeunesse, se mit à peindre sur le tard des tableaux charmants et naïfs. C'est sous ce même nom qu'elle publia des souvenirs de son enfance de petite villageoise en Limousin".

    Après deux années de prospection biographique autour de Saint Léonard et Montparnasse les Willot retrouvaient son identité et ses traces familiales dans les villages de Champnetery, Villemonteix et Puy-les- Vignes. Sa famille leur confiera alors le manuscrit des "Souvenirs d'enfance" de sa soeur Céline. Partie avec son mari à New York juste avant la guerre de 1939 elle ne parvient pas à s'intégrer à ce nouveau pays. Elle se dit malheureuse et signe les lettres qu'elle adresse à sa fille : La Limousine. En 1953, un an après la mort de Germaine pour conjurer l'ennui de leur exil new yorkais et la nostalgie de son enfance son mari la pousse à écrire sa vie. En quelques 150 pages Céline, en ressassant les contes d'Existence, entend rétablir sa vérité. "Je vais essayer de raconter tout ce qui m'est arrivé depuis l'âge de deux ans" (1896). En quelques 150 pages, d'une écriture souvent maladroite et dépourvue de tout artifice littéraire elle applique un copier-coller de la réalité sur les fantasmes de l'imaginaire des contes d'Existence. Une illustration sans concession de l'impitoyable dureté de la convivialité villageoise pour celles et ceux qui subissaient les déracinements continuels de l'instabilité du métayage. Le témoignage de deux caractères trempés dans l'âpreté d'une enfance marquée par la violence de la misère paysanne et dans l'ambiance primesautière et festive du monde artistique de Montparnasse.

     

    Alain Carof

    Germaine et Céline Coupet De Saint Léonard de Noblat à Montparnasse Nouvelles paysannes et Souvenirs d'enfance
    Présentés par Martine et Bertrand WILLOT, Association La vie d'artiste.
    Postfaces de Martine Tandeau de Marsac et et Yves Beneyton.
    Collection Voix d'en bas aux Editions Plein Chant, 2006, 334 pages

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  • Du Gers à Verdun, en passant par Saint-Martin-Château

    Parti de Mirande (Gers) au mois de mai, Marc Charlier a parcouru 3 600 kilomètres à pied pour rendre hommage à deux Poilus, disparus pendant la bataille de Verdun. Et il n’est pas tout seul, il est accompagné de son âne, Lucky. Mardi 15 octobre 2019, il faisait une halte à Saint-Martin-Château.

     

    marc charlierEn rentrant de Bourganeuf, je fus surprise par un spectacle inhabituel sur le bord de la route. Un piou-piou de 14/18 marchant avec son âne ! L’accompagnant un peu en chemin, il me relata rapidement son périple, pressé d’arriver à Saint-Martin pour une halte avant de repartir pour Mirande, en passant par Rocamadour.

    Marc Charlier, 66 ans, est un passionné de la Première Guerre mondiale. Il s’est glissé dans la peau d’un soldat avec son compagnon, l’âne Lucky. C’est le jeudi 2 mai 2019, entouré des arrières petites-filles, Joëlle Mouton-Castex et Noëlle et Marie-Laure Descadeillas, des capitaines Castex et Descadeillas, morts ensemble à 28 ans à Verdun, qu’il prenait le départ après un petit café et du tourteau pour Lucky. Marc et Lucky ne connaissent pas leur parcours exact. Quelques étapes sont cependant essentielles : les champs de bataille du Nord et la tombe du soldat inconnu à Paris. 

    Depuis le 1er mai 2019, ce tout jeune retraité entreprend ce périple sur les traces des poilus, ces soldats de la Première Guerre mondiale, en uniforme, afin de leur rendre hommage. Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale se sont achevées l’année dernière, mais le devoir de mémoire doit continuer. Pour Marc Charlier, rendre hommage et exprimer sa reconnaissance envers ceux qui ont combattus pour la France est un véritable objectif de vie, lui qui est un passionné depuis sa jeunesse. Et pour plus de difficultés encore, Marc fait le voyage dans l’uniforme de soldat de 1914. « Quand il y a du vent et de la pluie, j’ai froid, et quand il y a trop de soleil, j’ai chaud », raconte Marc. 

    Le but du voyage est de rendre hommage à deux officiers originaire de Mirande, tués en 1916 pendant la bataille de Verdun. Les corps d’Anatole Castex et Noël Descadeillas n’ont jamais été retrouvés. Marc transporte un peu de terre du sol natal que lui ont confiée les arrières petites-filles des deux Poilus dans deux sacs de jute pour l’enterrer au bois de Vaux-Chapitre, près de Verdun, à l’endroit où les soldats sont tombés.

     

    « Auprès de mon âne, je vivais heureux »

    C’est au lendemain de son départ en retraite que Marc a tout vendu et s’est équipé pour son expédition. Les deux camarades sont habillés en tenue d’époque, un uniforme avec képi et épaulettes pour le cavalier, une selle mise au point par la classe sellerie harnachement du lycée agricole Valentées pour l’âne. 

    Au cours de son périple, Marc est aidé par des gens qu’il rencontre au hasard, comme Jérémy et son père qui lui proposent de se mettre à l’abri pendant une averse. « C’est inhabituel de voir quelqu’un habillé en uniforme 14/18, avec un âne », dit Jérémy qui habite près de Verdun. Sur leur parcours, le duo compte sur l’hospitalité des fermes et des centres équestres pour passer la nuit.

    Samedi 10 août 2019, il était à Verdun et puis direction l’Alsace sur la piste des soldats du 88ème régiment d’infanterie auquel appartenaient les deux officiers disparus.

    Ce n’est pas la première aventure de ce genre pour Marc et Lucky. L’année dernière, ils étaient déjà partis sur les routes à travers le pays pour arriver à Verdun et faire quelques repérages. 

     

    Nicole Bernard

    Sources :
    https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est 
    https://www.francebleu.fr/infos/insolite/ 
  • En souvenir d’une « Juste »

    Mauricette Thiébaut nous a quittés le 30 mars 2021 emportée par un cancer implacable, haïssable. Elle avait 71 ans. Des amis témoignent de son parcours et de ses engagements.

     

    Mauricette thiebautMauricette était une femme exceptionnelle, intelligente, déterminée, puissante. Menant un travail sur le traumatisme de sa jeunesse, elle s’est pourtant ouverte aux autres, leur apportant un soutien   considérable ; elle était capable d’un attachement indéfectible poussé jusqu’à la limite du possible.

     

    Avec les migrants d’Eymoutiers

    Originaire des Vosges, les épisodes de sa vie et sa profession d’enseignante l’ont conduite à Paris puis à Bordeaux. De retour à Paris, pendant quatorze ans, elle enseigna le FLE (Français langue étrangère) pour des jeunes migrants. À la retraite, dans cette période heureuse de sa vie, elle vient vivre à Limoges avec son mari. Le hasard lui fit acquérir une maison sur le Plateau, en Creuse, à Lavaud sur la commune de la Nouaille, où elle venait le plus souvent possible avec un plaisir extrême. Cette maison était le lieu où elle réunissait son petit monde, son fils et ses nombreux petits-enfants.

    Elle se rapprocha des personnes du Centre d’accueil de demandeurs d’asile d’Eymoutiers. Avec elles, elle poursuivit son travail d’enseignante. Ce fut le cas pour celles qui sont devenues ses amies albanaises. Elle leur apprenait la langue française avec un plaisir tel qu’elle s’engagea à accueillir leurs enfants en cours d’études dans son appartement de Limoges. Elle les accompagnait également dans la rédaction de leurs dossiers de demande de titre de séjour. Partout où elle pouvait, souvent sur la route, elle apporta auprès d’hommes et de femmes une aide efficace et attentive.

    Son militantisme auprès des migrants est à l’origine des liens qui nous unissaient. Une amitié forte en découla au-delà des idéaux communs de solidarité et d’engagement. Avec les personnes que nous défendions, nous constituions une sorte de famille sans frontière avec qui nous avons partagé des fêtes pour l’obtention de cartes de séjour, pour des anniversaires ou les fêtes de fin d’année, des moments joyeux l’été au lac de Vassivière. La plupart aujourd’hui, après des années d’attente angoissée et d’endurance, sont régularisés et ont un emploi et un logement à Limoges.

     

    La mémoire des camps

    Mauricette allait toujours jusqu’au bout de ce qu’elle entreprenait. C’est ainsi que sur la trace de son jeune oncle Maurice, responsable résistant mort six mois après sa libération du camp d’Ebensee en Autriche, elle fit la connaissance d’Henri Ledroit, rescapé du camp de Mauthausen. Celui-ci consacrait ses dernières années à témoigner auprès des jeunes collégiens et lycéens. Souvent les forces lui manquaient et Mauricette, partageant ses larmes, lui tenait la main pour l’accompagner dans cette difficile mission. Avec la même opiniâtreté, elle l’aida à rédiger son livre de mémoire La graisse pas les os (ce livre est disponible auprès de l’Amicale de Mauthausen dont le président a écrit : « Mauricette a toujours suscité mon admiration et, oui peut-être, mon incrédulité, tant elle empruntait des chemins improbables, avec une incroyable assurance … elle m’apparaissait stupéfiante … »).

    Des amitiés, Mauricette en a eu beaucoup, tout au long de sa vie qu’elle a consacrée aux autres. Son courage, sa force, ses ressources, son empathie ont créé autour d’elle de nombreux liens. Mère attentionnée, dans toutes les étapes de sa vie, elle a été proche de son fils et, au fur et à mesure, de ses petits-enfants. L’éclat de son regard, son sourire bienveillant, son goût pour la vie témoignent de son rayonnement. La maladie l’avait considérablement affaiblie mais la pertinence de ses propos et son humour étaient intacts. Nous qui avons eu la chance de bien la connaître, nous pouvons lui reconnaître le qualificatif de « juste ».

     

    Via Sanchez et Jean-Paul Delanaud
  • Faux-tographies

    Françoise Romanet de Faux-la-Montagne a eu envie un jour de revisiter son village à l'aide de cartes postales anciennes. Avec son appareil photo elle est allée recadrer les mêmes vues qu'un siècle de distance a bien évidemment transformées.

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    Pourtant les bâtiments, les maisons, l'église, les rues sont toujours là et ce ne sont pas ici que les plus grands changements sont perceptibles. C'est davantage l'ambiance, l'atmosphère, la vie telle qu'elle s'exprimait alors (tant de gens dans la rue vers 1900 et plus personne cent ans plus tard !) qui frappent lorsqu'on confronte les images d'hier et celles d'aujourd'hui.

     

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    Il y a aussi tous ces fils électriques qui balafrent le ciel, l'horrible bâtiment de la poste qui défigure l'ancienne place si homogène au début du XXème siècle ou la petite fontaine remplacée par les poubelles homologuées et la cabine téléphonique…

    On ne résiste pas à une poussée de nostalgie…

     

    Les Gens de Viam

    Après Viam en Millevaches raconte son passé publié en 2004 et vendu à près de 800 exemplaires, l'association "Les Gens de Viam" poursuit son travail de mémoire individuelle et collective. Tout ce qui s'est passé dans le bourg et les villages de Viam mérite d'être raconté et publié et pour ce second ouvrage, 38 auteurs ont pris la plume afin que l'histoire de leur commune, de leurs villages et de leurs familles ne sombre pas dans l'oubli. Dans ce livre, la place d'honneur reviendra aux 52 morts de la guerre de 1914-1918. Des familles ayant vécu dans les villages de Plazanet, Monceaux, La Chapelle, La Voute, La Combeaujaux et Condeau se raconteront. On revivra les fêtes de Viam et d'autres événements marquants, joyeux ou plus sombres comme la tempête de décembre 1999. Ce livre de 320 pages avec plus de 300 photos, Histoire et histoires de Viam, paraîtra en avril 2006 et sera vendu au prix de 20 euros. On peut souscrire dès maintenant pour le réserver au prix de 17 euros pour le recevoir chez soi si l'on habite le canton de Bugeat, ou au prix de 20 euros si l'on habite plus loin (frais de port inclus dans ce prix).

    Envoyer votre souscription et votre chèque à l'association "Les Gens de Viam", le bourg, 19 170 Viam.
  • Histoire et mémoire de la Seconde Guerre mondiale

    Martial Roche, journaliste et cinéaste, intervient dans deux collèges de la région, à Eymoutiers et à Châteauneuf-la-Forêt, en proposant des ateliers aux élèves. Ce projet, intitulé « Sur les traces du passé », débouchera cet été sur une exposition au musée de la Résistance de Peyrat-le-Château.

     

    Classe Chateauneuf Chere Famille

     

    affiche sur les traces du passeIPNS : Peux-tu nous présenter les différentes facettes de ton travail dans les collèges de la région ? Et pourquoi avoir privilégié le thème de la Seconde Guerre mondiale ?

    Martial Roche : Mon travail tourne autour de la mémoire de la deuxième guerre mondiale. Résumer cette période et sa mémoire aux batailles et lignes de front me paraît très réducteur. C’est un événement global. Il a laissé une mémoire civile et non-combattante. Je m’intéresse à comment les événements d’alors se nourrissent des mémoires des décennies précédentes et résonnent dans les décennies qui suivent. C’est une continuité temporelle. Cette période a toujours suscité mon intérêt. Mes grands-parents m’y rattachent. Et je vois cet épisode historique comme une fondation du monde dans lequel nous vivons. J’essaie d’en décortiquer les représentations ou les résonances dans notre présent. Je pourrais faire ça sur des décennies sans épuiser le sujet.
    Je me suis intéressé à la figure de Georges Guingouin dont on parlait dans ma famille. Il illustre bien cette continuité historique : son action est ancrée dans des références historiques, notamment les soldats de l’an II, et résonne dans notre passé proche ou notre présent. Et puis c’est un héros limousin. Enfin, il s’inscrit dans une mémoire qui se réclame d’une gauche anti-autoritaire, dans laquelle je me reconnais.
    L’idée de départ était de faire un documentaire (voir IPNS n° 67). Son écriture, encore en cours, est assez exigeante. Ma crainte est de tomber dans le folklore simpliste alors que la guerre en Limousin est d’une grande complexité. C’est pourquoi le sujet de mon film s’est peu à peu transformé et est devenu le « phénomène mémoire Guingouin », plutôt que le personnage Guingouin. Entretemps, j’ai tâtonné sur un site consacré à mon travail sur le sujet (unpassetrespresent.com).
    La DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) a souhaité m’aider dans une sorte de résidence. J’ai alors commencé à travailler avec ma compagne photographe sur un projet d’exposition autour de lettres trouvées à Peyrat-le-Château, traces de l’exil des Alsaciens de Niederbronn dans le secteur d’Eymoutiers, entre 1939 et 1946, et à préparer des interventions en milieu scolaire. Au printemps 2021, j’ai commencé par des ateliers d’éducation aux médias et à l’information dans les collèges de Châteauneuf-la-Forêt et Eymoutiers. Avec la professeure documentaliste de ces établissements, nous avons commencé à travailler avec les élèves de 4e. Je les ai retrouvés à l’automne en 3e. Le projet s’appelait « Sur les traces du passé » et consistait à réaliser un court-métrage documentaire avec eux. La suite a eu lieu en décembre 2022, dans la continuité. Nous avons envoyé les 3e de cette année sur les traces des réfugiés de 39-45 sur les secteurs de leurs collèges avec l’objectif de leur faire réaliser une exposition pour l’été 2023 au musée de la Résistance de Peyrat-le-Château. Il va falloir qu’ils réfléchissent sur la collecte des traces de ce passé, sur la mise en forme de leur collecte, sur ce qu’est un musée de la Résistance 80 ans après la guerre. Et puis, bien sûr, qu’ils découvrent et fassent redécouvrir cette histoire : à la fin de l’été 1940, il y a quelque chose comme 1500 Alsaciennes et Alsaciens sur le canton d’Eymoutiers. Des personnes que certains traitent de boches, qui ne parlent pas tous français, arrivent d’une région plus industrialisée et plus développée et se sentent « au moyen-âge », et qui sont aussi bien plus assidus à l’église ou au temple que les locaux.
    L’exposition sera inaugurée le 9 juin au musée de Peyrat-le-Château.

     

    lettre rocheIPNS : Peux-tu nous parler de ton intérêt pour ce qui se passe sur le Plateau ou à son voisinage ?

    M. R. : Né à Limoges d’une maman corrézienne et d’un papa originaire de l’est haut-viennois, j’ai passé en Limousin les 23 premières années de ma vie. Puis, comme d’autres, j’ai pris le chemin de grandes villes, Paris et Lyon. Dans le même temps, un ami proche suivait un voyage inverse : de Limoges vers le pays de Crocq. C’est ainsi que j’ai fait régulièrement l’aller-retour entre deux extrêmes de l’urbanité et de la ruralité. Je continue aujourd’hui entre Villeurbanne, 150 000 habitants, dans une métropole d’un million de personnes, et Peyrat-le-Château, 1000 habitants dans une communauté de communes de moins de 6 000 habitants. Et puis, je m’intéresse à la vie militante de la Montagne limousine. Nous avons tenté, avec l’ami néo-creusois, de faire un documentaire ensemble sur la néo-ruralité. Ce film n’a (encore) jamais vu le jour, mais il se retrouve en partie dans mon projet sur la mémoire. Une partie se penche aussi sur les mémoires entrant en jeu dans divers événements locaux : l’affaire de Tarnac ou celle, plus récente, des antennes de téléphonie ou les mobilisations notamment pour les migrants.

     

    IPNS : Comment t’est venue l’idée de proposer ces activités à des collégiens ?

    M. R. : Travaillant sur la mémoire, l’école était un partenaire évident : c’est au collège que j’avais rencontré Thérèse Menot, ancienne résistante, visité Oradour ou les Archives départementales. J’ai proposé ce qui était dans mes compétences : fouiller dans les archives et les analyser, en particulier les images. Mme Bourgnon, la professeure-documentaliste d’Eymoutiers et Châteauneuf a saisi la balle au bond.
    Les élèves vivent un moment intéressant, à bonne distance avec les événements : ni complètement étranger ni trop le nez dessus. C’est sans doute aussi le temps présent qui l’exige. Je préfère leur donner les bons outils, les bonnes pratiques et les bonnes références que de les laisser démunis face, par exemple, aux comparaisons douteuses entre pandémie et Shoah, aux discours négationnistes de Zemmour ou à ce qui peut sortir aujourd’hui de la guerre en Ukraine. Un des enfants interviewés fin 2021 avait fait un bout de scolarité en Russie et nous a raconté le récit de la Grande Guerre Patriotique qui lui avait été servi à l’école de Poutine. Monter son interview alors que, nourris de ce discours mémoriel identitaire, des jeunes Russes pas tellement plus âgés commettaient des massacres en Ukraine, c’était particulier. Pouvoir pointer les dévoiements de la mémoire à ces futurs citoyens, ça me paraît nécessaire.

     

    IPNS : Quel est l’objectif poursuivi avec les élèves ?

    M. R. : Je voulais voir comment la génération née dans les années 2000 se saisirait de cette mémoire. J’ai eu des succès divers. Certains avaient une connaissance assez vague des événements dont ils parlaient, ce qui est normal pour leur âge, d’autant que je les ai vus avant que ce soit le moment de l’année consacré à la période. D’autres avaient une approche très originale. Les traces qu’ils avaient choisi d’évoquer reflétaient leurs centres d’intérêt : les mangas, les comics ou l’impact environnemental de la guerre...
    Il reste toujours un objectif d’éducation aux médias et à l’information. De ce point de vue, j’ai été agréablement surpris. Ils semblent avoir quelques réflexes de tri des informations qu’ils voient passer, notamment sur les réseaux sociaux. Du coup, j’ai plus axé mon travail sur des archives : comment exploiter au mieux les informations qu’elles nous donnent, notamment quand on les source. L’auteur de l’archive a un point de vue. Si l’archive a nécessité une ressource rare pour l’époque, ça nous renseigne sur sa valeur pour l’auteur et le ou les destinataires.
    Enfin, il y a l’exercice de l’interview filmé. Notre époque est « gavée » de vidéo. Le format d’un narrateur seul face à la caméra devient même très (trop) présent. Je voulais que les élèves voient comment se fait une interview filmée pour se rendre compte de l’effet faussement direct que peuvent avoir les vidéos auxquelles ils ont accès. Se retrouver face à la caméra leur permettait de se rendre compte qu’il ne suffit pas de se placer devant l’objectif et de se mettre à parler. Tout ce qu’ils voient est plus ou moins préparé et monté. Et puis, être interviewé demande des efforts : vaincre sa timidité, canaliser son discours. Être intervieweur aussi. Il faut savoir quelles questions poser, mais aussi savoir écouter, quelle attitude adopter. Certains élèves m’ont étonné, tant en intervieweur qu’en interviewé.

     

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    3 images successives du film Sur les traces du passé - Après l’interview de cet élève témoin de l’école russe, une mise en contexte était nécessaire. Image : M.Roche

     

    prisonnierIPNS : Comment as-tu géré les contacts, l’organisation, les relations avec l’Education nationale et les financeurs ?

    M. R. : Pour parler franchement, nous nous sommes parfois sentis un peu seuls. Je ne sais pas si c’est du désintérêt de l’institution ou un manque de moyens. Et puis toujours des lourdeurs administratives et des services qui se coordonnent mal. On a gaspillé notre énergie en tracas administratifs qui auraient pu être évités plus vite et sereinement, alors qu’il fallait aussi préparer les séances avec les élèves.
    Enfin, il aurait été intéressant que les élèves puissent travailler des aspects de leur intervention avec leurs autres enseignants : histoire-géographie, c’est une évidence, mais aussi lettres pour le travail sur l’écriture, sciences pour celles et ceux qui voulaient aborder un sujet s’y rapportant. Le projet « Sur les traces du passé » aurait pu être plus transverse.
    Je crois que nous nous sommes aussi heurtés à une certaine défiance de la part de certains parents. Plusieurs ont refusé de signer les droits à l’image autorisant leur enfant à s’exprimer devant la caméra. Nous en étions assez surpris. Nous n’avons pas eu de possibilité de communiquer avec eux sur ce projet. C’est dommage. Un élève était même partant pour parler d’un résistant de sa famille mais n’y a pas été autorisé.

     

    IPNS : Une telle démarche n’est pas nouvelle, et pourtant elle reste « révolutionnaire ». Qu’en penses-tu ?

    M. R. : Il serait présomptueux de ma part de vouloir révolutionner la pédagogie, n’étant que de passage dans l’éducation après avoir soigneusement évité une carrière de professeur. Néanmoins, quand j’étais moi-même élève, je me souviens avoir savouré particulièrement les occasions de sortir de la routine : rencontrer Thérèse Menot, visiter Oradour, travailler sur la guerre 14-18 en créant une pièce de théâtre à base de poèmes et de lettres de poilus, travailler sur la presse de la Première Guerre mondiale ou sur la guerre du Vietnam au cinéma (déjà un travail sur les représentations...).
    Je ne sais pas si c’est révolutionnaire. Ça peut apporter une autre approche à des élèves ne se retrouvant pas forcément au mieux dans le cadre classique de transmission de connaissance. Mais il ne faut pas se faire trop d’illusions : ce genre d’atelier ne renverse pas les situations entre élèves en « réussite » et élèves en « échec ». Ceux qui « réussissent » sont aussi ceux ayant un meilleur accès à la culture légitime. Je crains que les observations de Bourdieu ne s’effacent pas comme ça. Révolutionnaire, ce peut-être que nous devons tellement lutter pour apporter aux enfants ce complément formateur, un moyen de mettre en application ce qu’ils acquièrent.
    En revanche, j’ai l’impression, de mon modeste point de vue, que de moins en moins de moyens sont donnés aux équipes enseignantes pour permettre ce complément. Depuis quelques années, il me semble que l’institution, sans doute par économie, pousse dans le sens d’une restriction de sa mission à la transmission de connaissances dans les seules heures de cours. J’ai écho d’équipes enseignantes se battant chaque année pour leur dotation horaire, pour disposer de temps pédagogique sans avoir à fournir un travail bénévole.

     

    Propos recueillis par Michel Patinaud.
  • Il y a 50 ans… Quand les rappelés résistaient en Creuse

    guerreLes lecteurs d'IPNS connaissent l'histoire de cette "résistance inaperçue", celle des "Réfractaires de La Villedieu" de 1956 (Cf. IPNS n°1). Rappelons brièvement les faits.

    Le 7 mai 1956, un camion de l'armée avec à son bord des réservistes rappelés, se rend à La Courtine, centre de regroupement avant le départ pour l'Algérie. Il se trouve bloqué à La Villedieu en Creuse où la population apporte son soutien aux rappelés qui refusent de partir aux cris de "Paix en Algérie" et "Non à la guerre !". Pour leur participation à cette manifestation, trois hommes subiront des peines exemplaires : René Romanet, le maire de La Villedieu, Gaston Fanton, l'instituteur de Faux la Montagne et Antoine Meunier, un vétéran invalide de la guerre de 1939-1945.

    Depuis sa création en octobre 2001, l'association Mémoire à Vif se bat pour obtenir leur réhabilitation et celle de tous ceux qui ont été condamnés pour leur action en faveur de la paix en Algérie.

    Cinquante ans après, il lui semble que "le temps est venu de réfléchir sereinement au passé colonial français et de mener une véritable analyse critique de ce passé trop longtemps refoulé qui ressurgit aujourd'hui et avec lui, le racisme, la xénophobie, les discriminations".

    Parce qu'elles sont multiples, les blessures sont toujours à vif. Pour que ces mémoires plurielles deviennent mémoires partagées pour "aller plus loin que les frontières qui sont dans nos têtes", Mémoire à Vif propose les 5 et 6 mai prochains, à Limoges et à La Villedieu une série de manifestations :

    Vendredi 5 mai à Limoges, à 14h, au Conseil Régional, projection du film "Guerre et bâillon" qui raconte ce que furent les évènements de La Villedieu, suivie du témoignage de Gabrielle Meunier, témoin de l'époque, puis d'un débat auquel participeront Simone de Bollardière, André Bernard, Jean Jacques de Félice, Tramor Quemeneur et Pierre Sommermeyer, acteurs engagés des luttes anticolonialistes. (Entrée libre).

    A 20h15 au Cinéma Le Lido, projection de "La bataille d'Alger" de Gillo Pontecorvo, suivie d'un débat avec le critique de cinéma Michel Boujut. (Entrée : 4,5 euros).

    Samedi 6 mai à La Villedieu : à 11h, cérémonie officielle à la mairie de La Villedieu avec lecture d'un très beau texte de l'écrivain algérien Arezki Mellal : "Marcelle, Denise, un printemps à Limoges".

    A 13 h : couscous au Villard (Royère de Vassivière). Réservation obligatoire avant le 30 avril (20 euros par personne, 8 euros pour les moins de 14 ans et les demandeurs d'emploi). Animations musicales puis projection du film "Slimane Azem, une légende de l'exil" de Rachid Merabet.

     

    Renseignements et inscriptions : mémoire a vif, 05 55 30 85 25.
  • Jean-Henri Prébost, maçon creusois fusillé pour l’exemple

    L’association Eclats de Rives a consacré son exposition estivale à la vie de Jean-Henri Prébost, aux circonstances qui l’ont conduit devant le peloton d’exécution en avril 1915 à Flirey, en Lorraine, à côté de François Fontanaud, Antoine Morange et Félix Baudy. Ce dernier est bien connu localement car sa tombe se trouve à Royère avec une plaque du syndicat des maçons. La mémoire de Prébost s’est effacée sans doute parce qu’il vivait et a été enterré à Villeurbanne. Eclats de Rives a aussi obtenu de la municipalité de St-Martin-Château la pose d’une plaque dédiée à sa mémoire sur la place du bourg, à côté du monument aux morts.

     

    L’itinéraire d’un maçon creusois

    Jean-Henri Prébost est né au village du Mas-Faure en 1884 dans une famille d’agriculteurs et de maçons. Il a suivi le chemin de nombre de ces maçons creusois qui au début du XXé siècle quittèrent définitivement la région pour s’installer à la ville. Les flux migratoires du canton de Royère fournissaient en priorité la ville de Lyon en plein développement. Jean-Henri Prébost y a exercé les métiers de maçon et de plombier. Il était syndiqué à la fédération des maçons de la CGT. Agé de 30 ans à la déclaration de la guerre en août 1914, il était marié et père de deux enfants. Incorporé au 63éme RI de Limoges il a participé aux combats d’avril 1915 à Flirey au cours desquels son régiment a été décimé. Le 19 avril sa compagnie est restée l’arme au pied refusant d’être lancée une nouvelle fois dans un assaut inutile et meurtrier. Jean-Henri Prébost a fait partie des cinq soldats “tirés au sort“ pour être jugés le jour même par une cour martiale. Quatre d’entre eux ont été condamnés à mort et fusillés le lendemain pour servir d’exemple.

    acheminement d un canon Moulin de Laffauxblesse a Verdun 1916camp retranche Etang de Vaux 1

    L’affaire des fusillés de Flirey

    La 5e compagnie du 63e régiment d’infanterie est désignée en avril 1915, après avoir combattu sur le front de Champagne au début de l’année, pour attaquer en Lorraine dans le secteur de Regniéville. Les combats sont difficiles et les pertes élevées : les soldats se heurtent aux réseaux de barbelés allemands que l’artillerie française peine à détruire. Puis les hommes apprennent que la compagnie est associée au 31e corps d’armée pour mener une nouvelle attaque alors qu’ils pensaient pourvoir se reposer après les combats. Un tirage au sort est organisé pour désigner la compagnie qui doit sortir la première et attaquer en tête. Le sort désigne la 5e compagnie. Les hommes considérant que ce n’était pas leur tour, protestent et refusent de monter en ligne. Le 19 avril, à 6 heures du matin, une quarantaine d’hommes seulement sortent de la tranchée, parcourent quelques mètres avant d’être pris sous un feu nourri provoquant le repli immédiat des soldats : “Sur quinze hommes qui venaient de franchir le parapet, douze sont tués ou blessés et gisent devant les yeux de leurs camarades“. La réaction des officiers ne se fait pas attendre. Le général Delétoille, commandant le 31e corps d’armée, qui ne peut ignorer de pareils refus de marcher, menace de faire fusiller toute la compagnie à la mitrailleuse soit 250 hommes. 

    Cinq soldats sont tirés au sort : le caporal Antoine Morange est choisi au hasard dans le carnet du sergent Chaufriasse, François Fontanaud, quant à lui est désigné après que le lieutenant Mesnieux ait demandé à un soldat de dire un nombre. Il choisit le 17. François Fontanaud est le dix-septième nom de la liste. Ils sont donc jugés, condamnés et exécutés ainsi que deux autres de leurs camarades : les soldats Baudy et Prébost. L’historien Jean-Yves Le Naour précise, concernant Félix Baudy et Henri Prébost qu’ils auraient été choisis parce qu’ils étaient syndiqués à la CGT, ils étaient tous deux maçons dans le civil.

    Extrait du document CNDP (Centre National de Documentation Pédagogique)
    plaqueInauguration de la plaque commémorative à la mémoire de Jean-Henri Prébost le 28 juillet 2013 à St Martin-Château.
    Nous sommes réunis pour rendre hommage et raviver la mémoire de Jean-Henri Prébost fusillé pour l’exemple le 20 avril 1915 à Flirey en Lorraine en compagnie de François Fontanaud, Antoine Morange et Félix Baudy qui a sa tombe à Royère-de-Vassivière avec une plaque à sa mémoire.
    Je ne vais pas retracer la vie de Jean-Henri Prébost et les événements qui ont conduit à sa fin tragique et injuste, vous en découvrirez les détails en visitant l’exposition que lui consacre l’association Eclats de Rives à St Martin-Château. Je rappellerai simplement qu’ils furent tous les quatre fusillés pour l’exemple après que leur compagnie eût refusé de repartir à l’assaut le matin du 19 avril 1915. Leur régiment avait perdu plus de 600 hommes les jours précédents au cours d’une série d’offensives aussi infructueuses que meurtrières.
    Il faut souligner que ces attaques inutiles étaient commandées par des états-majors pour qui la vie ou plutôt la mort des hommes de troupe était le dernier des soucis, à l’image du tristement célèbre général Nivelle dont les offensives du Chemin des Dames ont coûté la vie à 160 000 poilus pour un résultat nul !
    Pour résumer, je dirai que Jean-Henri Prébost et tous ceux, si nombreux, dont les noms emplissent les monuments aux morts, ont été sacrifiés à un militarisme absurde et meurtrier.
    J’ajouterai que le sort particulièrement tragique des quatre fusillés de Flirey et de tous les autres fusillés pour l’exemple dénonce le caractère implacable et inhumain de la mécanique guerrière qui s’est installée au pouvoir en Europe au début du 20ème siècle. On sait quelles atrocités elle a ensuite généré, faisant de ce siècle le plus meurtrier de l’histoire des hommes. Nous savons tous aussi que les idéologies guerrières sont bien toujours présentes sous les formes les plus diverses et sont prêtes à se réactiver au moindre prétexte partout dans le monde. C’est pourquoi par cet hommage rendu à la mémoire de Jean-Henri Prébost notre démarche est avant tout pacifiste. A travers ce terrible passé de la première guerre mondiale c’est aussi à notre présent que nous nous intéressons.
    Je terminerai en rappelant que si Jean-Henri Prébost et ses compagnons ont bien été réhabilités en 1934, plus de 600 fusillés pour l’exemple ne le sont toujours pas…Le combat pour leur réhabilitation est toujours d’actualité, il est aussi important pour leur mémoire que pour nous-mêmes car leur réhabilitation marquera l’avancée de notre pacifisme et notre volonté de continuer à dire : “MAUDITE SOIT LA GUERRE“.
    Michel Lagoeyte
    Président d’Eclats de Rives.
    Aujourd’hui des associations comme la Ligue des Droits de l’Homme, la Libre Pensée, Le Mouvement de la Paix ou l’Association Républicaine des Anciens Combattants continuent à militer pour la réhabilitation des fusillés de la Grande Guerre. Les historiens estiment à environ 600 le nombre des fusillés pour l’exemple durant cette guerre. Selon le général Bach, ex-chef du service historique de l’armée de terre, une cinquantaine d’entre eux seulement ont été réhabilités, dont une trentaine en 1934.
  • La Courtine 1917 fait vivre la mémoire des mutins de 1917

    La plus grande mutinerie militaire de l’histoire contemporaine qui se déroula en Creuse, celle de milliers de soldats refusant après le carnage du Chemin des Dames en avril 1917 de continuer de servir de chair à canon, chassant leurs officiers, organisant l’élection de comités de soldats et un soviet... Cette histoire méritait bien qu’une association l’extirpe de l’oubli et la fasse connaître à un large public ! C’est la mission que s’est donnée l’association La Courtine 1917 qui présente ici ses travaux et ses projets.

     

    Fete de la Montagne debat avec LC1917

     

    IPNS : Comment et pourquoi est née l’association ?

    La Courtine 1917 : L’association est née il y a 8 ans par la décision commune de citoyens de la région mais pas seulement, de passionnés d’histoire, des pacifistes, des libres penseurs, des historiens, d’élus, dont le maire de La Courtine, et de descendants de soldats russes qui furent sur le front français en 1916-1917. 

    Les fondateurs de l’association furent une cinquantaine à se rassembler le 24 janvier 2014 à la salle polyvalente de La Courtine, tous animés par la volonté de soulever la chape de plomb reposant sur cette histoire singulière et incroyable et si méconnue : celle des 16 500 soldats russes qui étaient en Creuse à l’été 1917 et des 10 300 d’entre-deux qui se mutinèrent pendant 3 mois au camp militaire, pour être sauvagement réprimés, canonnés et mitraillés les 16, 17 et 18 septembre. 

    Lors de cette première assemblée, des statuts y furent longuement discutés et adoptés, un conseil d’administration et un président en la personne de Jean-Louis Bordier y furent également élus. Depuis, La Courtine 1917 est devenue une association d’éducation populaire, nationale, historique et mémorielle. Elle est reconnue par les pouvoirs publics comme Organisme d’Intérêt Général (OIG) à caractère culturel et scientifique. Elle a organisé en 8 ans, dans des dizaines de départements, près de 80 conférences, présentations, débats, expositions, projections de films. Elle a aussi organisé pendant 3 jours à La Courtine en septembre 2017 « Les Journées du centenaire » commémorant le centième anniversaire de la présence en Creuse des soldats russes et leur mutinerie. Toutes ces initiatives, qui ont rassemblé des milliers de personnes depuis 8 ans, témoignent de l’intérêt de celles-ci pour la transmission de l’histoire.

     

    fanfare russeIPNS : Parmi vos actions, vous éditez des Cahiers semestriels de près de 50 pages consacrés au corps expéditionnaire russe durant la première guerre mondiale et à la révolte de la Courtine en 1917. Le douzième vient de sortir. Mais y a-t-il encore des choses à découvrir sur ce sujet ?

    LC1917 : En toute franchise, sur cette histoire des soldats russes et de leur mutinerie, nous sommes nous-mêmes étonnés par la somme et la diversité des documents, photos, témoignages, récits de vie, etc. auxquels nous avons eu accès et que, pour certains, nous avons publiés au cours de ces 8 années dans notre revue. 

    Près de 400 de ces soldats qui ne rentrèrent pas en Russie en 1920, restèrent en France pour y travailler et fonder des familles. Une vingtaine de descendants, petits-fils, petites-filles qui sont membres de notre association, nous apportent régulièrement des récits et documents passionnants concernant leurs grands-pères. C’est encore le cas dans ce dernier numéro de mars 2022 avec le récit de l’épopée de Feodor Zholobov, un tailleur-couturier soldat de la 1re brigade qui était avec les mutins à La Courtine. 

    Également dans ce numéro, nous publions un article d’un historien et chercheur russe, Maxim Tchiniakov, spécialiste du corps expéditionnaire russe qui collabore régulièrement avec notre association. Dans cet article inédit, nous apprenons l’existence et le rôle de 4 associations et organisations de la société civile franco-russes qui se sont constituées entre 1916 et 1920 pour venir en aide aux soldats.

    Dans le numéro 8 des Cahiers, nous avons publié une interview parue en 1960 dans la revue Musica, celle de Paul Le Flem, compositeur de musique français, interprète auprès des brigades russes, qui dirigeait à La Courtine un orchestre de 80 soldats-musiciens-mutins !

    Dans les 2 prochains numéros des Cahiers, nous allons publier un document inconnu de la quasi-totalité de nos lecteurs, y compris de ceux qui s’intéressent de près à cette histoire des soldats russes en France. Il s’agit d’un feuilleton en 15 numéros paru fin 1934 début 1935 dans un hebdomadaire pacifiste de l’époque « La Patrie Humaine » sous la plume de Charles Steber. Ce dernier est venu à La Courtine au début des années 1930, il a enquêté auprès de la population, il a rencontré en URSS des soldats qui étaient à La Courtine et il a écrit ce feuilleton saisissant qui s’intitule « La Saint Barthélémy Anti-marxiste de 1917, récit des massacres organisés des contingents russes à Brimont et à La Courtine ». 

    Et nous avons encore beaucoup de pépites de ce type sous le coude…

     

    IPNS : A côté de cette publication, avez-vous d’autres actions ou projets ?

    LC1917 : Voici en résumé quatre de ces projets qui pour trois d’entre eux vont voir le jour en 2022.

     

    L’édition d’un livre « Mémoires de guerre »

    Cahier de La CourtineAprès avoir co-édité un premier livre en 2017 avec les Ardents Editeurs : « Le Limousin et la Révolution russe », nous publions au mois de mai prochain les mémoires d’un soldat russe, mutin de La Courtine. L’ouvrage publié en URSS en 1960, est traduit aujourd’hui pour la première fois par notre association. L’auteur, Dimitri Lissovenko, raconte en détail son parcours de soldat de la 1re brigade du corps expéditionnaire russe en France entre 1916 et 1918. Il dévoile avec précision l’organisation de la mutinerie de La Courtine à l’été 1917 et sa répression. Déserteur d’une compagnie de travailleurs à Besançon, emprisonné en Suisse, il est rapatrié en Russie en 1918. 

     

    Le Chemin de mémoire

    Le « Chemin de Mémoire » à La Courtine embarquera le visiteur sur la trace des mutins par une scénographie créative avec panneaux photos, textes, fresques, installations numériques et sonores… Ce sera un circuit pédestre accessible à tous. Ce projet est porté par la Communauté de communes Haute-Corrèze Communauté, soutenu par la commune de La Courtine, la Région Nouvelle-Aquitaine, les conseils départementaux de la Corrèze et de la Creuse, la DRAC, la DDCSPP. Avec l’association, nous en sommes les initiateurs, les conseillers scientifiques et co-animateurs du Comité de pilotage. La communauté de communes est maître d’œuvre de ce projet. Le Chemin de mémoire devrait voir le jour en 2023 avec une inauguration prévue pour juin 2023.

     

    Une pièce de théâtre « Les Mutins de La Courtine »

    Cette pièce qui retrace l’épopée des soldats russes est coproduite par La Courtine 1917 et « L’Atelier du Soir » de Limoges, association qui donne des cours de théâtre (https://www.atelier-du-soir.fr/).

    Le recrutement des 8 comédiens a été réalisé à Limoges, avec le concours de Frédéric Choffel, auteur et metteur en scène de la pièce. La première représentation aura lieu à Ussel le samedi 25 juin à 20h30 au Centre culturel Jean Ferrat, la seconde à La Courtine le 26 juin à 15h, jour de l’arrivée des mutins russes à La Courtine en 1917. La pièce est destinée à être jouée le plus possible en Limousin et ailleurs en France. Les lecteurs d’IPNS qui souhaiteraient faire venir la troupe dans leur commune peuvent contacter l’association.

     

    Un concours de nouvelles

    Il s’agit d’un concours d’écriture de nouvelles sur le thème « Les soldats russes à La Courtine en 1917 ». Il est lancé depuis la mi-janvier auprès des élèves de 1re des lycées du Limousin, de La Rochelle et de Rochefort. Le jury constitué nationalement, est composé d’enseignants, d’historiens, d’écrivaines, de représentants d’établissements culturels, de descendants des soldats russes, d’adhérents de La Courtine 1917, au total 12 personnes. Nous venons d’être contraints de reporter cette initiative en 2023 pour deux raisons : les retards et la désorganisation dans les programmes des lycées provoqués par la situation sanitaire et d’autre part la situation politique du moment avec la guerre et l’occupation de l’Ukraine. Force est de constater  que la situation en 1917 était l’inverse de celle d’aujourd’hui : les soldats russes sous la conduite d’un autocrate font la guerre et sèment la mort alors que les soldats russes à La Courtine il y a 105 ans  s’étaient révoltés pour ne plus faire la guerre et ont écrit ainsi avec leur mutinerie une des plus belle page du pacifisme.

  • La forêt paysanne de Vazeilles ou le meilleur des mondes...

    S’il fallait citer un nom, un seul, qui incarne le plateau de Millevaches, c’est bien évidemment celui de Marius Vazeilles qui assez vite s’imposerait. L’homme a considérablement marqué de son empreinte le territoire (par la forêt qu’il y a implantée, par l’identité historique qu’il y a mis en évidence, par le rôle politique qu’il y a joué). Dans l’ensemble que nous publions ici, c’est la figure du forestier que Tania Nasr met en évidence. Fabrice Nicolino se souvient pour sa part de sa rencontre émerveillée avec ce “grand homme barbu”. Enfin, nous terminons ce dossier par un texte de Vazeilles lui-même, un texte manuscrit extrait de ses archives, dans lequel il décrit le Millevaches métamorphosé par le “grand tournant” de 1914-1918.

     

    Avant l’arrivée de Marius Vazeilles sur le Plateau, les tenants du reboisement, essentiellement des notables étrangers au territoire, ne rencontrent que peu d’adhésion de la part des habitants...

     

    foretUn homme va tenter d’atténuer l’antagonisme créé entre les populations locales et les tenants du boisement en cherchant à intégrer la forêt au mode de vie local. Ce personnage, Marius Vazeilles, fait partie de l’administration forestière mais s’en distingue par son souci de rallier la population à la cause du boisement. Son action forestière ne peut pas être séparée de son action politique. La forestation a constitué la concrétisation de sa conception politique.

    Vazeilles, qui habitait le plateau sur lequel il a mené son action pendant près de 60 ans, a été détaché en 1913 au Service des Améliorations Agricoles pour la propagande et pour la direction des travaux de mise en valeur à entreprendre dans les landes du plateau, avec le grade de garde général. Mais il était également responsable de la fédération socialiste de la Corrèze. Sa volonté de mettre en place une forêt paysanne et un partage égal du communal est souvent présentée comme l’émergence du communisme rural corrézien. Dans son sillage, les cadres de la SFIO vont se dévouer à la cause paysanne et lutter contre ceux qui veulent un partage censitaire du communal (au prorata de l’impôt foncier) qui prolongerait l’inégalité de jouissance du communal instauré par la règle dite des “foins et pailles”.

    En 1921, Vazeilles est nommé secrétaire de la fédération communiste de Corrèze. L’année suivante, il crée la Fédération des travailleurs de la terre, qui réunit quinze syndicats d’ouvriers agricoles et forestiers et de petits paysans. L’action de ce syndicat sera très importante. C’est grâce à lui notamment que les paysans obtiendront la possibilité de réaliser, quand ils le souhaitent, un partage du communal en lots égaux, en pleine propriété.

    En 1936, il sera élu député communiste de la circonscription de Tulle. En 1939, il fait partie des 27 députés communistes qui s’opposeront à la décision prise par le comité central d’avaliser le pacte germano-soviétique

    Les ambitions que Vazeilles nourrit à l’égard du plateau sont rassemblées dans un ouvrage intitulé Mise en valeur du plateau de Millevaches, édité en 1917. Cet ouvrage, qui compte plus de deux cents pages, se propose de formuler le modèle d’un projet de transformation de la mise en valeur agricole, qui passe notamment par les éléments suivants :

    • Le partage des communaux,
    • Le défrichement et la mise en herbage des meilleurs parcelles de ces lots de communaux,
    • Le passage à la rotation continue par abandon de la jachère et introduction de cultures fourragères,
    • Le développement d’un élevage bovin intensif,
    • Le développement d’une économie marchande liée à cet élevage (vente des veaux et de boeufs, et achat de la farine et biens alimentaires),
    • Le recours à la sylviculture pour valoriser des parcelles autrement peu exploitables.

    Bien qu’étant forestier, Vazeilles ne concevait le reboisement que dans le cadre d’une réforme profonde du système agraire. L’ouvrage ne se contente donc pas de promouvoir la forêt, mais encourage la mise en place d’un nouvel équilibre agro-sylvo-pastoral. Plus encore, la forêt doit seulement constituer un des maillons qui permettent la mise en place de ce nouvel équilibre ; en ce sens, elle n’est qu’un complément aux mesures essentielles touchant le partage des communaux ou le développement d’un élevage bovin intensif.

    Néanmoins, le parcours de Vazeilles explique l’attention accordée au volet sylvicole dans la Mise en valeur du plateau de Millevaches. A plus d’un titre, l’ouvrage se présente comme une sorte de guide raisonné de la plantation à l’attention de paysans peu familiers de la sylviculture. Les différentes essences et la manière adéquate de les planter y sont décrites. Les paysans sont incités à planter de façon sélective : Vazeilles cible essentiellement les parcelles trop éloignées pour être cultivées avec profit ou carrément inaccessibles.

    Dans l’esprit de Vazeilles, le boisement ne doit donc pas venir concurrencer l’activité agricole ; au contraire, il doit l’étayer en permettant aux paysans de se constituer un appoint complémentaire aux faibles rendements de l’agriculture. Vazeilles insiste sur le faible coût de la plantation puisque la main d’oeuvre sera fournie par les paysans eux-mêmes qui planteront à la morte-saison ; les plants seront fournis gratuitement, grâce aux subventions de l’Etat.

    L’originalité du projet de Vazeilles repose en partie sur les buts sylvicoles qu’il se propose d’atteindre. En effet, si la plantation de résineux, exclusivement des pins sylvestres, constitue seulement la première étape de l’opération, celle-ci n’est que transitoire et sera rentabilisée grâce à la demande pressante des houillères d’Auvergne en étais de mines. Au fil des ans, cette première plantation devra laisser la place à l’instauration d’une futaie jardinée de hêtres, chênes et conifères (sapins essentiellement) produisant du bois d’oeuvre de qualité. Mais, insistons encore une fois sur le fait que tous ces objectifs, pour précis qu’ils soient, doivent être replacés dans le cadre d’une tentative de mise en valeur du système agraire tout entier, et que, dans cette entreprise, la forêt, si nécessaire qu’elle soit, ne tient qu’un rôle secondaire.

    Vazeilles était un ruraliste avant la lettre dont le discours, contrairement à celui de l’administration forestière, ne va pas se modifier au cours du temps. Constamment, il envisagera le boisement comme un moyen pour les paysans du plateau de continuer à vivre dans leur pays et de connaître des conditions matérielles de vie plus douce. En un mot, la politique de Vazeilles est tournée vers l’homme autant que vers le territoire et, s’il prône le reboisement, c’est qu’il estime que celui-ci “peut conduire les travailleurs ruraux vers un peu plus de bien-être qu’en attendant ils vont chercher ailleurs, à la ville, dans le fonctionnariat”.

    Le discours tenu par Vazeilles reprend en partie celui des forestiers traditionnels quant aux bienfaits de la forêt sur la régulation du climat. Ainsi, en accord avec ses collègues, il hisse le reboisement au rang de devoir patriotique, mais cette fois fondé par un devoir de répartition égalitaire des biens de la nation. Il estime en effet que “les pays pauvres sont onéreux pour la nation par les subventions continuelles que l’Etat leur alloue pour les dépenses publiques”. Il convient donc de “féconder hardiment ces régions et ne pas les entretenir dans la misère”.

    Ce souci envers la répartition des ressources fonctionne à double sens. En effet, “les pays pauvres” sont peut-être onéreux au dépens des régions où sont créés des revenus, mais peuvent dans certains cas être, eux aussi à l’origine de certaines richesses. Ainsi Vazeilles souligne que de nombreuses rivières qui prennent leur source sur le plateau arrosent et rendent fertiles les terres des plaines environnantes. Boiser le plateau et retenir une partie de cette eau au bénéfice des paysans de la région reviendrait là aussi à procéder à une meilleure répartition des richesses nationales.

    Au-delà du caractère pratique et rationnel de son projet, qui était sans conteste novateur puisqu’il envisageait la revitalisation d’un pays en prenant en compte ses différentes composantes sociales et tablait sur la mise en valeur de ses atouts naturels, Vazeilles est fondamentalement imprégné d’une morale, à tendance progressiste. Ainsi la forêt selon ses dires devra assurer “par la suite [aux travailleurs] une santé plus robuste, de meilleures mœurs et plus de clairvoyance et de liberté pour lutter contre les forces qui les exploitent”.

    Ce projet prend même la forme d’un rêve utopiste dans lequel la volonté d’intégrer la population du plateau à la mise en valeur de son territoire est enseignée dès l’enfance. Même les plus petits doivent être sensibilisés à la question forestière. Ainsi, s’associant à un instituteur de la région, Vazeilles soutient la création de pépinières scolaires, dans lesquelles travaillent les écoliers en dehors des heures de classe, leur travail étant récompensé par un dédommagement qui prend le plus souvent la forme de plants gratuits. Par ailleurs, il présume que si le projet de plantation est mené correctement, la nature répondra enfin à des critères d’esthétique et de salubrité qui lui avaient fait défaut jusque-là. Dans cet ordre d’idées, Vazeilles promet que “la lande triste et monotone sera remplacée par la forêt riche et belle ; la tourbière marécageuse et déserte sera devenue l’herbage sain et abrité ; le troupeau maigre et perdu dans les bruyères à la recherche du gimbre ou de la fétuque, sera devenu beau et bien portant, à manger une herbe saine, plus abondante et plus riche en matières nutritives”. Cette “mise aux normes” de la nature influera finalement sur l’agencement du territoire dans son ensemble, puisque “le village mal désservi, aux rues remplies de fumier, sera devenu coquet parce que le climat sera plus doux, le pays plus beau”.

    Notons au passage que Vazeilles semble considérer le fumier comme le stigmate d’une société à l’agonie. Pourtant, celui-ci a longtemps possédé une toute autre signification sociale dans les campagnes, où il était considéré comme un signe extérieur de richesse. Ceux qui disposaient du fumier devant chez eux indiquaient par-là qu’ils possédaient du bétail et qu’ils faisaient partie d’une certaine classe sociale. Pour Vazeilles, au contraire, l’éradication du fumier dans les rues sonnera l’heure d’une ère nouvelle dans laquelle “les paysans seront plus heureux ; leur situation sera devenue plus aisée. Ils hésiteront moins à se lancer dans l’agriculture nouvelle parce qu’ils auront à leur disposition pour parer aux frais d’améliorations diverses une caisse solide et jamais vide : leurs bois”.

    Cette différence de point de vue sur un élément aussi banal que le fumier pourrait paraître anecdotique. A mon sens, elle est pourtant révélatrice de la nature des difficultés que peut rencontrer un projet s’appliquant à un groupe social mais qui lui est extérieur, quand bien même serait-il promu par un acteur aussi bienveillant et aussi bien intégré que l’était Marius Vazeilles.

     

    Tania Nasr

    Tania Nasr est l’auteure d’une thèse d’ethno-écologie sur le thème : Perception et appréciation du paysage forestier : le cas du plateau de Millevaches (Muséum National d’Histoire naturelle, 2005, 342 pages). Son texte sur Marius Vazeilles est extrait de ce travail.
  • Le regard clandestin de Roger Bichard

    Parmi l'heureuse diversité de ses activités, la médiathèque de Felletin présente tout au long de l'année de nombreuses et excellentes expositions. Du 13 septembre au 6 novembre 2019, l'une d'elles était consacrée à Roger Bichard. Sur toutes les cimaises disponibles de la médiathèque, le visiteur était invité à découvrir une prodigieuse et prolifique collection de dessins au crayon noir colorés à la gouache. Des dessins d'enfants, expression d'un art naïf, d'un art brut ou d'un art singulier ? Laissons ce débat aux spécialistes et dévoilons au travers de cette extraordinaire profusion de plus de 3 500 dessins, l'exceptionnel récit de la vie de Roger Bichard dans la seconde moitié du XXe siècle, un « simple » au pays d'Emile Guillaumin.

     

    bichard roger

     

    Le petit Kremlin

    Roger Bichard est né à Hérisson (Allier) en 1937, où ses parents se sont mariés en 1935. Son père, Octave Bichard, est né à Saint-Aubin-le-Monéal en 1896 dans une famille d'agriculteurs et il est puisatier. Son épouse, Louise Cognet, naît à Hérisson en 1908. Son père est entrepreneur de maçonnerie, elle est couturière. 

    C'est à Louroux-Bourbonnais, une petite commune rurale du Bourbonnais (aujourd'hui 230 habitants), que le couple s'établit, dans le hameau des Moullières où Octave acquiert une carrière créée en 1900 qu'il exploite comme artisan carrier-puisatier. Au pied de cette carrière, il construit au fil des ans une demeure atypique et hors du commun. Comme d'autres habitants de la commune et des environs, il est membre du parti communiste et sûrement militant, comme il le manifeste jusque dans la construction de sa maison. Celle-ci est entourée d'un muret en pierre qu'il surmonte d'une frise où il sculpte les emblèmes du marxisme-léninisme : la faucille et le marteau et l'étoile à cinq branches. Pour les habitants du village et pour ses clients, c'est le « petit Kremlin » ou « radio Moscou ». On est au cœur du Bourbonnais, ce territoire rural que le parti communiste a investi depuis 1925 jusqu'à aujourd'hui.

     

    Bibiche, carrier et dessinateur

    C'est dans ce cadre singulier que grandit Roger, entouré de l'affection de ses parents, diligence d'autant plus pressante qu'à sa naissance Roger est frappé par un grave handicap. Un bec-de-lièvre et un trou dans le palais le privent de moyen d'élocution et d'échange. L'attention prévenante et permanente de sa mère lui permet de cependant de prendre sa place dans la vie sociale du village. Il fréquentera un peu l'école mais, comme il est de constitution robuste, son père l'engage avec lui dans les travaux de sa carrière, dans ses activités de puisatier et sur divers chantiers sollicitant les engins mécaniques de la carrière.

     

    On peut suivre à travers les dessins de Roger Bichard les étapes de la mécanisation des travaux agricoles pendant les trente glorieuses

     

    bichard2Avec sa mère, Bibiche, tel était son surnom, fréquente aussi les très nombreuses manifestations communales : les innombrables fêtes, les meetings du parti, les voyages organisés par l'amicale laïque, etc. Lorsque son père prend sa retraite, il a le souci d'assurer la sécurité de Robert et fait toutes les démarches pour obtenir sa reconnaissance, en 1965, comme entrepreneur individuel et propriétaire du patrimoine de sa carrière de pierres ornementales pour la construction. Malgré son handicap, après la mort de son père, il sera fréquemment sollicité par les uns ou les autres pour divers dépannages avec les moyens de traction et de transport de son entreprise, des engins mécaniques qui le fascinent et qu'il manie avec compétence. En 1992, sa mère âgée est contrainte de trouver refuge à l'EHPAD de Cosne-d'Allier. Tributaire des dépendances de son infirmité, Roger est contraint de l'y rejoindre. Il bénéficie dans cet établissement d'un statut  particulier, y contribue aux tâches quotidiennes et consacre le reste de son temps à ses talents de dessinateur. La directrice de l'établissement a su reconnaître cette aptitude artistique et l'incite à la développer en décorant le hall de la maison de retraite. C'est la seule reconnaissance publique de son exceptionnel talent.

     

    Un témoignage sur le monde agricole

    L'année précédant son décès en 2006, François et Elisabeth Boissière, artistes parisiens, prennent possession de sa maison qu'ils lui ont achetée en 2005 sur un coup de cœur pour cette bâtisse hors du commun. Dans le désordre d'une propriété inhabitée depuis quinze ans, ils font la découverte exceptionnelle d'un nombre inimaginable de dessins rassemblés dans des « carnets de dessins Lavis » ou dans des cahiers ordinaires, voire sur des feuilles volantes, le tout entassé dans des coffres. Bon nombre d'entre eux sont datés et titrés, relatant quelque événement marquant de sa vie et de ses relations à partir d'un événement de la sociabilité villageoise à laquelle il a participé. Par l'étonnante qualité et précision de son dessin, il compense son infirmité et développe une stupéfiante capacité d'observation et de mémoire. Il y a les découvertes faites au cours des voyages organisés où, par exemple, il recopie des œuvres d'art d'un musée visité. Mais les plus intéressants relatent les différentes phases de l'exercice de son métier d'exploitant de carrière et ceux qui se rapportent à tel ou tel chantier pour lequel on sollicite ses moyens de traction et de transport, notamment chez ses voisins agriculteurs. Tant et si bien que l'on peut suivre à travers ses dessins les étapes de la mécanisation des travaux agricoles pendant les trente glorieuses.

     

    Figure du communisme rural

    L'engagement militant d'Octave et de sa famille au parti communiste se retrouve dans de nombreux  dessins attestant du rôle prépondérant du parti communiste dans la sociabilité bourbonnaise. Cette trace aujourd'hui oubliée nous est rappelée dans un numéro des études Rurales paru en 2006 où Rose-Marie Lagrave, directrice d'études à l'école des hautes études en sciences sociales, avec une cohorte d'historiens, sociologues et économistes, a présenté ce qu'étaient « les petites Russies dans les campagnes françaises » durant le XXe siècle. Le département de l'Allier y tient une place importante en raison du croisement de courants socialistes, tant chez les paysans que dans le monde ouvrier, dès les dernières décennies du XIXe siècle. C'est émile Guillaumin, le paysan écrivain, qui apporta son talent et son expérience à la révolte des petits métayers contre les grands propriétaires fonciers. En 1923, à la naissance du parti socialiste départemental, les trois-quarts des militants étaient des paysans. Pour la classe ouvrière en 1880, la ville de Commentry est la première ville européenne gérée par les socialistes. En 1885, Jean Dormoy le maire de Montluçon, la seconde ville industrielle du Bourbonnais, crée la fête chômée du premier mai pour célébrer le travail ouvrier. Pour autant, la revue présente aussi les nombreuses formes de ce communisme rural dans de nombreux cantons des trois départements du Limousin, en Dordogne et dans quelques départements de l'arrière pays méditerranéen.

     

    Alain Carof

     

    Art naïf à Vicq-sur-Breuilh

    Les dessins de Roger Bichard sont conservés au Musée et Jardins Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh, en Haute-Vienne. Ce musée présente la collection d'Henri de la Celle, un fonds d'œuvres naïves que le collectionneur et mécène originaire du Limousin avait constitué. Peintes par Cécile Sabourdy, qui habita toute sa vie à Saint-Priest-Ligoure (village situé à 9 km de Vicq), cet ensemble de toiles raconte la ruralité limousine. La collection naïve du musée dévoile aussi le talent d'autres peintres limousins : Existence, Robert Masduraud et Clarisse Roudaud, qui traduisent chacun une vision singulière de leur contrée natale, ses paysages et ses habitants.

     

    Vie et mort d'un maçon

    Roger Bichard a des racines creusoises. Sa grand-mère, Philomène Adeline Prady, lors de son mariage avec Pierre-Philippe Cognet à Hérisson, était domestique à Moulins mais native de Dontreix en Creuse, dans le village de Valleron où sa famille était enracinée depuis des lustres. Elle appartient à une fratrie de sept enfants. Son père est, au gré des dénombrements, tantôt cultivateur, tantôt maçon. Il est donc maçon migrant et c'est au cours de sa dernière migration, le 10 septembre 1897, qu'il meurt à Badevel dans le Doubs. Mort accidentelle ? C'est le directeur de l'usine Japy qui en fait la déclaration à la mairie et qui a constaté le décès en se rendant au domicile du maçon.
  • Le retour aux milles sources d’Armand Gatti

    Poète, résistant, journaliste, écrivain, homme de théâtre, penseur et homme d'action, Armand Gatti a une vie qui est un incroyable périple. Débarquant de son Italie natale sur le plateau de Millevaches en 1942 à 16 ans pour entrer en résistance aux côtés de Guingouin, il est arrêté et déporté dans un camp de concentration en Allemagne dont il s'évade en 1943 pour rejoindre à pied le plateau. Puis revenu de son maquis le jeune homme s'engagera comme parachutiste dans les SAS britanniques avec lesquels il finira la guerre.

    Ce fut ensuite le journalisme, le cinéma, la poésie engagée et surtout le théâtre d'abord aux côtés de Jean Vilar et du TNP. Ce sera ensuite la rencontre et le travail artistique avec les "loulous" des cités mais aussi l'utilisation des langages et théories de la science d'aujourd'hui avec ce qu'ils ouvrent comme champs de recherches et de créations.

    Le samedi 29 octobre le vieux lion était de nouveau sur le plateau, à Gentioux. Francis Juchereau nous raconte ce "retour au bercail, là où il naquit une seconde fois et où tout commença pour lui".

     

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    Depuis quelques temps déjà, Armand Gatti revient à la Montagne limousine, sur le plateau de Millevaches. Cet été 2005 encore, en début juillet, Gatti est venu, d'un saut, quelques heures à Tarnac rencontrer et sentir vibrer en lui la vie et la verticalité de "ses morts", de ses arbres….

    Il y retrouve une terre-famille, celle qui l'a accueilli, recueilli, planqué à dix huit ans, en 1942 au temps pionnier de la Résistance. Rude terre hospitalière, couvert de la forêt de la Berbeyrolle inspiratrice d'où il a été vite arraché par les forces vichystes ; puis la prison, la déportation…. Terre-famille à laquelle il ne peut que se reporter irrésistiblement, se reconnectant aux ombres intimes de l'inimaginable chemin vital du fugitif errant à pied depuis le nord de l'Allemagne. Longue marche de cet hiver 1944, pavée de mille peines, par laquelle Gatti, évadé de son camp de concentration, dans un effort inouï gagne une deuxième fois sa citadelle limousine.

    Et l'évadé trouve à nouveau Pierre Hélie et les siens, la Berbeyrolle, le Grand maquis, Guingouin-Raoul. Puis c'est l'envol, la Libération, les voyages dans les insurrections du monde, l'écriture d'une parole combattante et attentive sans promesse…

    Mais, toujours, le retour aux mille sources de la forêt et du plateau limousin : pays constitutif, lieu reconstituant, où l'Homme-paysan en Gatti rejoint familièrement l'Univers et ses forces indicibles, comme le suggère le dernier ouvrage d'Auguste Blanqui, L' Eternité par les astres. Automne 2005 : Hélène Châtelain reçoit à La Maison de l'Arbre à Montreuil trois animateur(e)s du cercle Gramsci de Limoges. L'idée vint alors de proposer à Gatti une lecture publique sur le plateau de Millevaches. Rejoint par Hélène dans la maison familiale piémontaise, Armand Gatti accepte avec joie l'invitation.

    A peine revenus d'Italie, voilà nos deux infatigables ami(e)s dans le train de Limoges. Nous sommes le 29 octobre, Guingouin est mort depuis quelques heures. Gatti l'apprend sur le quai de la gare des Bénédictins ; une émotion intense et discrète l'étreint. Mais nous prenons la route pour Gentioux, et voici la salle des fêtes où la "lecture"-repas auberge espagnole-veillée avec Gatti a été soigneusement arrangée par nos camarades du Plateau.

    Nous étions près de cent ce soir là pour un moment extraordinaire. Il fut question, pêle-mêle, de la Résistance, de Georges Guingouin/Raoul, de la Chine de la Longue Marche, de physique quantique... Gatti nous conta des malheurs que nous ne soupçonnions pas en nous : la violence et la séparation qui nous habite à cause de nos représentations du monde fondées sur une " connerie grecque ", la géométrie d'Euclide. Celle qui a inventé par commodité la droite (et la gauche !), cette figuration qui lacère comme un coup de couteau mais ne correspond à rien de vrai, de vivant : où est la courbure, alors ?

    Il est donc des représentations - des idéologies- qui mutilent en voulant à elles seules capturer le monde en totalité, à en réduire les dimensions, à en inscrire des limites au moyen d'axiomes. Elles s'appellent la géométrie, l'économie, la technoscience, la religion, les sigles… et coupent les humains de la (leur) nature, de l'Univers. Alors, attention ! Au commencement était le verbe et dans les sociétés humaines les paroles font révolution ou enfermement, selon leur caractère.

     

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    Car il est d'autres conceptions et cultures - avec leurs langages - issues de pratiques, plus concrètes (la récolte, les saisons..), plus imaginatives, plus relatives et faisant passerelle avec la nature, l'univers, qui nous permettent d'entretenir d'autres relations avec le temps, l'énergie, l'espace, soi-même, les autres... Gatti nous invite à les chercher, à les découvrir, à les apprendre, à les croiser, à traverser leurs langages. Il nous en envoie, à la volée, quelques belles illustrations. Ce sont : les groupes -mathématiques- d'Evariste Gallois, l'art des jardins zen ; les idéogrammes ; le cinquième point cardinal chinois - le milieu ; "la rencontre à un moment donné d'élément sonores et rythmés, donc la notion de musicalité telle que l'entendait Mallarmé" ; la physique quantique ("les incertitudes d'Heisenberg, ce qui me parait capital au sort du monde")…

    Puis d'un coup, après de longues digressions dont le secret est d'enrichir son discours sans jamais en perdre le fil, le poète nous invite à une ré(in)surrection passionnée de Roger Rouxel : Roger, son double, jeune résistant lyonnais du groupe Manouchian, fusillé, lui, à dix-neuf ans, dont la dernière lettre, à Mathilde, est une lettre d'amour admirée par Thomas Mann.

    Mais encore un fois, avant même de commencer sa lecture, Gatti bifurque. Il nous désigne une autre situation, emblématique de la condition humaine : la déportation, qui l'habite. Et il nous mène vers d'autres lieux, d'autres personnages majeurs sur la carte de sa propre aventure : le camp de Compiègne d'où partait tous les convois de déportés de France, Primo Lévi, Auschwitz, et même Nietzsche qui vécu des scènes de déportation en tant qu'infirmier dans un convoi de blessés durant la guerre de 1870.

    Gatti veut que l'humanité s'enrichisse en s'ouvrant délibérément aux damnés de la terre -condamnés, internés, déportés, relégués, loubards. Pour cela il faut forcer les barrières, trouver des voies leur permettant de participer à la création ; de contribuer à l'art. Il rappelle que même sous le nazisme il y eut, dans les prisons et les camps allemands, des créations artistiques - opéras, peintures… Cette matérialisation de la volonté d'arrachement au travail forcé, à l'asservissement, à l'enfermement, à l'idée d'une mort prochaine doit être considérée dans toute sa grandeur, c'est-à-dire comme proprement humaine.

    Hélène Châtelain intervient à son tour. Elle nous dit que (pour elle et Gatti) l'idée de revenir ici, en Limousin, sur le plateau de Millevaches, datait d'environ 10 ans, alors qu'ils étaient venus monter dans la région la pièce de Gatti L'Enfant Rat et avaient fait déjà à Tulle et à Limoges de belles rencontres. "Il fallait revenir ici, confie-elle, au 'trou de la Berbeyrolle', pour retrouver 'la conjugaison des mots de la Résistance' que la pratique à répétition des commémorations a pétrifiée.

    Pour cela nous avons le très profond désir de fonder ici un lieu de rencontres, d'échanges, de pensée, de création, de partage : un espace naturellement en lien avec les thèmes et questions qui fécondent l'écriture de Gatti, en particulier aujourd'hui. Bien entendu, ce projet ne peut exister que s'il s'appuie sur les désirs et la volonté des gens qui travaillent ici depuis des années, dans cet 'espèce d'humus historique' si particulier que nous cherchons à comprendre".

    Avant d'aborder un repas commun émaillé de mille discussions, dont les éléments apportés par chacun avaient été disposés sur une grande table, Gatti nous raconte l'histoire des Femmes en noir de Tarnac. Il s'agit pour lui d'un des plus grands moments de la Résistance.

    Cela s'est passé pendant la dernière guerre. Huit jeunes étudiants alsaciens réfugiés à Clermont-Ferrand étaient venus en gazogène, accompagnés de leur chien, rejoindre le maquis sur le plateau de Millevaches.

    Arrivés aux abords de Tarnac, il furent arrêtés et abattus par un groupe des forces de l'ordre de Vichy. Après avoir embarqué les corps, dont celui du chien, la troupe vichyste se rendit à la mairie de Tarnac. L'officier ordonna alors au maire de faire creuser huit trous dans le cimetière pour le lendemain matin. Le maire chercha tous les prétextes pour éviter la corvée, mais finit par obtempérer.

    Mais quelle ne fut pas la "surprise" des hommes de main de Pétain quand ils virent le lendemain, dressées derrière chacune des huit fosses, huit femmes entièrement revêtues de noir.

    En une nuit, malgré les graves restrictions et pénuries de l'époque, ces huit femmes de Tarnac avaient récupéré, habits, voiles et chaussures pour se draper de deuil.

    Devant ce spectacle les soudards s'enfuirent et allèrent plus loin dans un bois décharger les cadavres auxquels ils mirent le feu.

    Ainsi, sans arme, par la force de leur seule présence et de leur courage, huit femmes avec la complicité de tout le village ont mis en fuite un groupe armé assassin à la botte des nazis.

     

    Francis Juchereau

    Pour découvrir le parcours inouï de la vie d'Armand Gatti, lire : Armand Gatti Poète de Marc Kravetz, éditions Jean Michel Place 2003. Ce livre peut être emprunté gratuitement au Cercle Gramsci. En faire la demande au 31 rue du Clos Ste Marie 87000 Limoges. Par ailleurs une rencontre aura lieu à la Librairie Passe Temps d'Eymoutiers le samedi 4 février à 15h pour imaginer les suites possibles aux propositions faites par Armand Gatti et Hélène Châtelain. 
  • Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin

    L'hommage d'Armand Gatti à Georges Guingouin.

     

    armand gattiDans un tableau gigantesque intitulé "Le Cyclope", Paul Rebeyrolle avait rendu par la grâce de la peinture, un grandiose hommage à son ami Guingouin.

    Il manquait au "premier maquisard de France" un monument de la même trempe, tracé cette fois avec des mots, que seul un poète pouvait construire. C'est chose faite avec un poème fleuve de plus de 120 pages qu'Armand Gatti vient juste de terminer et qu'il a bien voulu nous confier pour que nous en publions ici un (court) extrait.

    Ce texte, fort, heurté, imprégné d'Histoire et de luttes, est scandé de mots qui reviennent régulièrement, et d'abord (d'où le titre de l'oeuvre) les cinq noms que porta Guingouin durant la Résistance : Lo Grand comme l'appelaient les gens du pays, Le Chêne qui disait sa puissance, L'Orage nom que lui donnèrent les déserteurs russes faits prisonniers après la bataille du Mont Gargan, Bootstrap nom de guerre que lui attribuèrent les parachutistes anglais du 3ème SAS, et Raoul, son nom de maquis. Gatti explique que ces cinq noms de Résistance furent "les clefs de gamme" de l'épopée de  Guingouin. Ce sont aussi les clefs de gamme de son hommage à la "Résistance guérillère" et à son héros. Les combats maquisards sont "comme notes de musique d'une symphonie à inventer" que Gatti, au fil des lignes invente, installe dans la puissance des mots, des phrases et de la mélodie qui rythme ce texte. On l'entend déjà, ce poème symphonique, dans le vent qui souffle l'hiver sur le plateau, dans le balancement des arbres de la forêt de la Berbeyrolle où Gatti rencontra pour la première fois Raoul-Le Chêne-L'Orage-Bootstrap-Lo Grand.

     

    Cinq fois Georges Guingouin

    Jaillissant

    comme un bouquet de fleurs roses de bruyère

    dit que les combats du maquis

    sont un parfum

    dont les arbres portent la verticalité

    Les mille sources du Plateau

    se mettent aussitôt à chanter

    La Corrèze

    La Creuse

    La Vézère

    et la Vienne en sont la portée

    avec comme clef :

    - les vieilles hêtraies, les futaies ouvertes

    - les couvertures des tourbières avec lesquelles s'abriter de l'intempérie

    - les châtaigniers qui avaient plus d'une fois sauvé des familles de paysans de la famine

    - la main de l'industrie qui se levait dans le paysage en signe de complicité

    - les gorges où les ruisseaux crient la solitude de la pierre

    - les traits d'eau dans les sous bois mousseux donnant naissance à des pactes secrets

    - deux mille excavations qui disent encore les mines d'or petits reliefs évocateurs des luttes des travailleurs que recouvrent maintenant des friches boisées.

    Les sources y sont tutoiement continu.

    Le Limousin restera-t-il

    la symétrie des pays de la Longue Marche

    dont les troubadours médiévaux disaient déjà

    qu'en lui

    le moindre jardin

    valait mieux que la richesse et l'argent

    sur une autre terre

    Ô Georges Guingouin

    Avec ton nom multiplié en Raoul, (lo) Grand,

    l'Orage, le Chêne, Bootstrap

    les acacias des quatre rivières

    élisent en quatre saisons ta présence

    Le vent dans les arbres n'est-il point l'univers

    qui parle ?

    Pour le maquisard

    le chêne de la Berbeyrolle était

    le psalmiste, en chants de la nature,

    dans lequel

    s'agrandissait

    une façon d'être sur terre

    Qu'est-ce qu'un maquisard ?

    une bouteille jetée à la mer

     

    Le poème de Gatti "Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin" sera publié à l'automne aux éditions Le Bruit des Autres à Limoges.
  • Marius Vazeilles, grand homme barbu

    Un matin du tout début juillet 1968, j’ai pris le train gare d’Austerlitz, et je n’étais pas seul. Nous étions toute une bande de jeunes échappés des banlieues, sous la garde de moniteurs désemparés par nos cris de hyènes et nos sauts de puces. J’avais un peu plus de douze ans, et j’allais rejoindre un camp de vacances de la Caisse d’allocations familiales (CAF) d’Ile-de-France, installé à Meymac (Corrèze).

    Tous les cas sociaux de la région parisienne étaient représentés. Il y avait parmi nous des orphelins, des excités qui jouaient du couteau jusque dans le couloir du train, des gentils, des abrutis, pas mal de paumés qui appelaient leur mère. Laquelle ne répondait pas, comme on s’en doute.

    Marius VazeillesÀ Limoges, nous prîmes un car, qui nous mena au terminus. En bas d’une colline se tenaient les bâtiments en dur, dont la cantine. Et sur les pentes était dressé un village de tentes où nous dormions, huit par huit. Je me souviens très bien des chasses au lézard et à la vipère : je participais volontiers aux premières, mais surtout pas aux secondes, qui me flanquaient la trouille. Un gars de plus de treize ans avait trouvé une combine avec un pharmacien de Meymac, qui lui achetait je crois le venin des serpents. Le gosse en profitait, il était riche.

    Pour ma part, j’étais triste, pour des raisons que je ne peux pas détailler ici. Mais triste. Sauf ce jour dingue où nous allâmes visiter le musée d’un certain Marius Vazeilles, dont je n’avais bien sûr jamais entendu parler. J’en ai gardé le souvenir que voici : des grandes salles, une lumière brune sur des vitrines où dormaient des épées romaines tombant en miettes. Peut-être ai-je rêvé. Je revois pourtant quantité de restes d’armées défuntes, ainsi que des morceaux de poteries, les traces d’un monde disparu. Et c’est alors que l’enchantement fut complet. Car je rencontrais ce même jour le créateur du musée, Marius Vazeilles soi-même, et je compris pour la première fois de ma vie, je veux dire concrètement, les liens qui unissent les hommes par-delà le temps. Vazeilles en personne, et nul autre, avait fouillé la terre avant d’en exhumer les trésors. Ici, alentour, dans les environs de Meymac, où je posais le pied, d’autres humains avaient vécu jadis. On peut, on doit même appeler cela une révélation.

    Mais j’ai également le souvenir physique de Marius. C’était, pour le gosse que j’étais en tout cas, un géant de légende, venu tout droit de l’Iliade et de l’Odyssée. Il me semble qu’il portait un béret, ou une casquette. À coup sûr, il avait une barbe fournie, jupitérienne. Et il parlait, figurez-vous, en français que je comprenais ! J’ai su ce même jour qu’il avait dirigé le reboisement du plateau de Millevaches. Mais je dois avouer que je n’ai pas compris l’ampleur de l’entreprise. Le plateau, pour moi, c’était une clairière dans laquelle j’allais me gorger de myrtilles, et dans mon souvenir toujours, ce plateau est pentu, il n’est nullement plat.

    Quelqu’un peut-il m’expliquer ?

    Pour clore cette journée folle, nous nous sommes retrouvés chez Marius, dans le parc qui entourait sa vaste maison. Où ? Je ne sais. Mais j’en fus marqué à tout jamais. Car le grand forestier avait planté là, côte à côte, des conifères venus du monde entier. Des lointaines Amériques, d’Asie centrale, du Chili, de Russie, de l’Atlas peut-être. Je venais de la banlieue parisienne, je n’avais rien vu de rien, j’étais d’une ignorance totale, et Marius m’offrait le monde et ses splendeurs, d’un seul coup d’oeil. Je me souviens des différences de taille entre ces arbres, de leurs couleurs si variées, de leur invraisemblable solidité. Et Marius parlait, parlait, parlait. J’ai sa voix dans mon oreille au moment où j’écris ces lignes. Il savait parler aux enfants. Il était grand.

     

    Fabrice Nicolino
    Fabrice Nicolino est journaliste spécialisé dans les questions d’environnement

     

    Note sur l’évolution de l’économie rurale en haute zone du Plateau de Millevaches - 750 mètres et plus

    1914-18 ! Période cruciale

    L’économie rurale va se transformer.

    Je viens d’être chargé de la propagande pour la mise en valeur des landes du Plateau de Millevaches, 80 communes, 15 000 hectares, de Meymac jusqu’à Bourganeuf et Felletin.

    Vont se terminer les travaux de moisson du seigle avec la faucille et la mise en gerbes, le battage au fléau durant tout l’hiver dans les granges, l’emploi de la faux dans les prés, le ramassage du foin avec fourches et râteaux et sa rentrée au fenil avec les charrettes tirées par les vaches.

    Abandonné le tombereau à fumier, remplacé bientôt par l’épandeur d’engrais.

    Pour les foires et marchés, le «charetou» à âne d’autrefois, parfois la voiture et le cheval peu employé dans le pays, vont être remplacés presque totalement par l’automobile ou la camionnette ou le tracteur, lequel sert maintenant à tout charroi, même celui des charrues diverses et des machines nouvelles.

    Devenue rare la préparation des repas dans la grande cheminée où marmites et «oulhes» pendaient aux crémaillères, où la poêle et la «daubière» avaient leur place sur le trépied au dessus des braises, près du toupi devant le feu, entre les chenets.

     

    Depuis l’après-guerre 14-18, la cuisinière à bois a commencé à trôner pour la paysanne avant d’être bientôt remplacée par le réchaud à gaz butane. Cà et là sont utilisés le précieux frigidaire et la vaillante machine à laver. A la même époque le laboureur a remplacé par la brabant double l’antique araire qui, depuis les temps néolithiques ne faisait que rayer la terre, alors que, en Gaule indépendante, dans les terres profondes, servait déjà la charrue munie de son coutre et de son avant train signalés par le grand historien Camille Jullian.

    Dans les mêmes temps, il y a une quarantaine d’années, les femmes et leurs fille ont cessé de filer la laine et le chanvre, et les hommes de cultiver cette plante dans le jardin réservé, l’«hort» du chanvre, la chènevière. Le chanvre occupait beaucoup dans le village avant de servir, accroché à la quenouille. Pour assurer le travail des fileuses, de toutes les femmes, jeunes ou vieilles, il fallait cultiver ainsi un ou deux ares de la meilleure terre. Après la récolte, il fallait faire rouir les tiges dans l’eau, puis, après séchage, «barguer» et peigner.

    Après la tonte des bêtes à laine il fallait nettoyer la laine, carder et filer.

    Pour les paysans, fini aussi de chauffer le four. Depuis peu ils ne font plus leur pain, ils s’en procurent chez le boulanger du bourg.

    Les maisons anciennes sans étages ont été de plus en plus remplacées par des bâtiments modernes à un étage et plusieurs pièces. Presque toutes pourvues de leur adduction d’eau potable et des contacts avec le réseau électrique pour la force et la lumière, voire même chauffées au mazout. A Meymac, un réseau d’égout fonctionne depuis longtemps.

     

    L’agronomie a fait de grands progrès avec l’emploi suffisant et judicieux des engrais chimiques et l’utilisation des machines agricoles de plus en plus en usage à la ferme. La prairie artificielle ignorée autrefois durant longtemps, est entrée enfin dans l’assolement. L’écobuage à feu courant et surtout celui à feu couvert qui appauvrissait gravement le sol est depuis longtemps abandonné. En matière d’élevage, le progrès a été très sérieux depuis 40 ou 50 ans. Autrefois, à l’époque où, entre les hameaux, la lande était dominante et parcourue sans discernement par les grands troupeaux ovins, l’élevage des bêtes à cornes était très infériorisé, malgré les comices agricoles et le zèle éclairé des Directeurs des services agricoles.

    Durant l’hiver, on donnait le meilleur foin aux brebis. Celles-ci pleuraient à l’automne jusqu’à la dernière pousse. Elles prenaient ce qu’on appelle la «darrère». Au printemps, c’était encore elles qui déprimaient les prés. Les bovins ont enfin repris la place qui est due aux animaux qui enrichissent la terre au lieu de l’appauvrir.

    Les grands espaces en nature de landes ou de friches, d’un hameau au suivant, sont en voie d’utilisation pour le labour, le gazon et aussi pour le boisement.

    Dès 1913, après ma désignation, j’ai procédé sans perdre de temps au démarrage de la plantation forestière. Dans certains quartiers de Meymac, la reforestation a atteint un taux convenable pour la ferme, la région et le climat, soit pour l’équilibre agro-sylvo-pastoral. C’est à cause de ces travaux que

    Meymac a été choisi pour l’emplacement de l’Ecole Forestière.

    Il y a quelques siècles seulement, des bois existaient sur le Plateau, mais le pâturage exagéré des ovins dans chaque ferme et sans jamais de limitations, a fait que le bûcheron n’a pas été suivi de près par le jeune plant naturel et le rejet de souche. Sans que les générations successives s’en soient rendu compte, la forêt a disparu faisant place peu à peu à la lande sans autres preuves que la présence de beaux troncs de chênes dans les tourbières et de nombreux lieux dits évoquant la forêt. Cette invasion de la lande est même parvenue à ne laisser des anciens chemins que des traces à peine marquées. Aussi l’établissement des chemins ruraux est rendu difficile pour les villages éloignés et les écarts où ils sont nécessaires.

     

    A la recherche du travail et de quelque fortune dans les villes, surtout à Paris, l’émigration continue à prélever une partie de notre jeunesse campagnarde. Mais trop peu de garçons et surtout de filles cherchent à s’orienter vers une situation agricoleA noter que le nombre de voyageurs de la région pour la vente des vins de Bordeaux continue à se maintenir, mais avec moins d’activités qu’autrefois. Après une longue période où le certificat d’études était très rare sur la Montagne, l’instruction populaire a fait beaucoup de progrès grâce à la qualité des maîtres et des élèves. Depuis quelques temps, elle progresse partout où se rencontrent les qualités naturelles des enfants et les moyens économiques des parents.

    L’émigration vers la ville, et par suite l’abandon des hameaux a abouti à des communes qui se dépeuplent, telle celle dite du Longeyroux qui occupait la parcelle cadastrale «A la chapelle». Le hameau voisin de celle qui se dépeuple à son tour a profité du premier abandon. Il a hérité de la petite cloche de l’église du groupement abandonné. Elle est suspendue aujourd’hui à une fourche d’un arbre du groupement nouveau.

     

    Marius Vazeilles
  • Meymac Derrière le « scoop », l'histoire instrumentalisée, oubliée ou malmenée

    Des soldats allemands exécutés sans autre forme de procès à la Libération par les maquisards dont on découvrait subitement les cadavres à Meymac ! Ce « scoop » a fait la une de l'actualité cet été. Gérard Monédiaire revient sur cet épisode... en le ramenant à de plus justes proportions et en le contextualisant.

     

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    Les bois aux alentours de Meymac ont retrouvé leur calme. Une sérénité troublée cet été par l’affaire des recherches visant à exhumer les restes de soldats allemands de la deuxième Guerre mondiale, au nombre d’une quarantaine, peut-être un peu plus, ainsi que d'une collaboratrice française, exécutés en 1944 par le maquis dans la période qui a suivi immédiatement la prise de Tulle en juin, puis la retraite des troupes essentiellement FTP confrontées à la division SS Das Reich dont l’armement était sans commune mesure avec celui de l’« armée des ombres ».

     

    Un événement déjà connu

    L’événement a fait retour dans l’actualité à raison de sa remémoration par un maquisard âgé, Edmond Réveil, dont la sincérité n’a pas à être mise en doute ni les motifs suspectés d’on ne sait quelle animosité à l’égard de qui que ce soit. Alors qu’immédiatement la chose fut présentée sous la forme d’un scoop par certains journalistes, il apparut très vite que la connaissance publique de l’événement était ancienne, celui-ci ayant été signalé explicitement en 1975 lors de la troisième édition de l’ouvrage collectif Maquis de Corrèze.
    Comme il est d’usage dans ce type d’occurrence, les institutions compétentes de la République française (Office national des combattants et des victimes de guerre - ONACVC) et de la République fédérale d’Allemagne (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge - VDK, traduction approximative : Service allemand de prise en charge des sépultures de guerre), ont mis en place un dispositif de recherche des restes humains des soldats de la Das Reich passés par les armes.
    Les recherches archéologiques conduites à Meymac au moyen de technologies avancées n’ont pas été couronnées de succès : seuls quelques artefacts (douilles, balles, identiques sans doute à celles que les adolescents des années cinquante et soixante du XXe siècle trouvaient à profusion dans bien des greniers corréziens, quelquefois assorties d’engins plus inquiétants oubliés par les adultes) ont été mis au jour, et un climat étrange d’inachevé a résulté de l’échec des fouilles.
    Reste que l’épisode peut justifier de brèves réflexions sur le sens, ou plutôt les sens, que l’affaire a pu revêtir, qui tantôt sont propres aux faits historiques en cause, tantôt témoignent d’un caractère plus large, voire universel. Un avertissement est nécessaire : les propos qui suivent ne sont pas essentiellement animés par une inspiration « normative » (ce qui devrait être) mais par une approche « clinique » (ce qui est, ou ce qui fut). Il s’agit de tenter de mieux comprendre pour ensuite laisser le temps du jugement à chaque liberté individuelle, supposée davantage édifiée.

     

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    La question de la guerre et des restes humains

    Si les différentes formes du pacifisme sont hautement recevables d’un point de vue moral, il n’en reste pas moins que la guerre, modalité collective de la violence, pour l’observateur rationnel, semble consubstantielle au genre humain.
    Certains ont pu même avancer l’idée que la matrice de tout droit était celui de la guerre, la guerre étant de ce fait « civilisée », un peu comme la boxe qui serait un « noble art », à la différence de la vulgaire rixe tout à fait dépourvue de règles. S’il peut avec raison être soutenu que la guerre est moralement indéfendable (ce qui invite à réfuter, mais peut-être pas à récuser la torrentielle littérature léguée par les siècles au sujet de la « guerre juste » et de ses critères), rien ne s’est jamais opposé à ce qu’elle soit dotée d’un droit, aujourd’hui celui des « conflits armés », regroupant les droits ad bellum, in bello, post bellum et humanitaire.
    Or, parmi les règles immémoriales de la guerre « civilisée », au moins dans le monde occidental, figure la question des dépouilles des combattants, qui ont vocation à être rendues à leur famille ou à leur cité. C’est dès la littérature homérique, faite de récits fondateurs, qu’apparaît avec force cette exigence à propos de l’attitude du « bouillant Achille » venant de triompher de son duel avec le Troyen Hector. La colère d’Achille est telle qu’il profane le corps de son ennemi défunt qui avait pourtant pris soin de lui demander de respecter son cadavre s’il devait succomber, et il refuse de le remettre à son père Priam, roi de Troie. C’est alors par l’intermédiaire de sa mère que les dieux, irrités, font savoir à Achille qu’ils désapprouvent absolument sa conduite, ce qui le conduit à remettre les restes d’Hector à Priam afin qu’une sépulture décente l’accueille. À ce titre donc, l’affaire de Meymac n’a rien de particulier, elle ne fait que s’inscrire dans une histoire de la très longue durée ayant quelque chose à voir avec le sacré autour de l’inviolabilité du cadavre, le droit positif le plus contemporain prévoyant pour sa part toute une série de peines sanctionnant les profanations de cadavres et de sépultures, la qualité du défunt étant sans incidence sur l’interdit acquis dès les Grecs.
    Au demeurant, ces exigences de dignité due aux morts ne sont pas polarisées politiquement, mais bien générales et absolues, et elles revêtent parfois une dimension de réparation et de rétablissement de la vérité historique par-delà la concurrence des mémoires et les vérités d’État. Refuser décence et dignité aux morts quels qu’ils soient, c’est, pour reprendre les catégories de pensée forgées dès l’Antiquité, abdiquer la civilisation et opter pour la barbarie. Pour toutes ces raisons donc, l’émotion locale à laquelle on a assisté autour de l'affaire de Meymac est sans doute compréhensible, mais l’opération de recherche de corps en vue de leur exhumation et leur transfert dans une nécropole n’a rien d’extraordinaire, elle est même souhaitable car c’est un acte de civilisation qui a une très longue histoire.

     

    Sensationnalisme, inculture et approximations

    Une autre approche de l’affaire de Meymac est davantage circonstanciée, elle se décompose en réalité en plusieurs aspects qui intéressent davantage l’histoire récente et les sociétés contemporaines. C’est tout d’abord faire référence à la façon dont les choses ont été répercutées par les médias, et on n’y fera nulle découverte particulière : ce sont les règles du champ journalistique qui ont trouvé à s’appliquer, entre spectacle du sensationnalisme, inculture et approximations. Il est ainsi question (Arte, qu’on a connue mieux inspirée) d’« aveux » : que l’on sache, ce sont les coupables qui avouent, et Edmond Réveil n’est à l’évidence coupable de rien. La Vie corrézienne du 1er septembre se charge quant à elle de restituer le climat qui, à l’entendre, prévalait à l’époque, afin que son lectorat soit édifié : « Les règlements de comptes remplacent les procès, la violence était sans pitié. C’était l’épuration. Les crânes rasés, les lynchages. » Que l’affaire de Meymac se situe avant la Libération ne semble pas troubler le rédacteur, qui reprend le marronnier de la sauvagerie de l’épuration dans le Limousin tout entier, qui n’épargna pas la Haute-Vienne en particulier à travers la figure de Georges Guingouin (« Le colonel communiste Guingouin : son « armée » fut responsable d’un millier d’exécutions dans la région de Limoges » Le Crapouillot, avril-mai 1985) ; alors qu’un petit ouvrage d’un avocat qui fait litière de ces allégations n’est jamais évoqué (Jean Meynier, ancien bâtonnier, La justice en Limousin au temps de la Libération. Les tribunaux d’exception, 1944-1948, Éd. René Dessagne, 63 p., pas de date indiquée, vraisemblablement 1985). Le quotidien Le Monde est davantage modéré, factuel (24 août 2023), et c’est avec surprise qu’on observe que M le magazine du Monde, son supplément hebdomadaire consacré essentiellement aux futilités les plus diverses et manifestement destiné aux salles d’attente, fait figurer sur sa couverture : « Le secret de Meymac » ! La contribution de quatre pages est assez solidement documentée, mais ce qui doit retenir l’attention dans un premier temps, c’est le recours à des substantifs propres à suggérer une atmosphère ténébreuse qui semble vouloir rivaliser avec l’affaire Dominici. Il est ainsi question de « fantômes allemands », de « terrible passé », d’une « assemblée muette de stupeur », de « rumeur (…) racontée à voix basse derrière les portes fermées », de « douleurs enfouies ». Décidément, la veine du lyrisme gore inaugurée par le député socialiste haut-viennois Jean Le Bail dans les années cinquante du XXe siècle est toujours fertile. Pour sa part, il avait intitulé « Limousin terre d’épouvante » le feuilleton qu’il rédigeait dans le Populaire du Centre aux fins de lapidation de Georges Guingouin.

    L’inculture se mesure, là comme ailleurs, à travers l’utilisation du mot « village » pour désigner Meymac, au mépris des apports de l’ethnologie rurale et du sens commun rural local : Meymac est une commune et comme toutes les communes limousines elle a un bourg d’une part et des villages d’autre part. Passons.
    Cependant, à la différence d’autres contributions, l’opinion des associations d’anciens combattants de la Résistance est exposée dans le texte, alors que dans La Vie corrézienne des propos sans aucun élément probant mais en forme d’argument d’autorité donné pour fondé à raison des professions de ceux qui l’expriment, stigmatisent une supposée volonté dissimulée des anciens du Maquis d’empêcher toute investigation sur l’affaire. Comme il est normal, les représentants de la mémoire de la Résistance signalent dans M le caractère public de l’information dès 1975 à l’occasion de la troisième édition de Maquis de Corrèze, il y a près de cinquante ans. Qu’il y ait eu lecture superficielle ou oubli est une autre histoire.

     

    Crime de guerre ?

    Enfin, plusieurs médias font référence à l’hypothèse du crime de guerre, divine surprise pour ceux qui veulent faire accroire qu’ils sont revenus de tout alors qu’ils n’ont jamais quitté le monde de la médiocrité. Passons sur l’effet de la prescription qui, si elle ne concerne pas le crime contre l’Humanité, s’applique au crime de guerre - même si on peut le regretter parfois -, pour en venir à l’essentiel s’agissant de cette incrimination. Quant à l’intention des juristes d’opérette se mêlant de droit de la guerre d’abord, elle est évidente : comme il est difficile d’effacer ou même de minorer le souvenir des massacres d’Ussel, de Tulle, d’Oradour-sur-Glane perpétrés par la Das Reich à la même période, sans préjudice des exécutions sommaires commises tout au long des itinéraires des détachements des troupes nazies, pouvoir exciper d’une identité de pratiques imputées à la Résistance est une bénédiction, une reproduction de la « divine surprise ». Exit la pertinence des motifs de lutte des uns et des autres, hors sujet la disproportion des forces en présence, reste l’invitation à l’égalité des valeurs, une barbarie répond à une autre, tout est dit, gémissons et détournons le regard. Analogie sportive : un à un, la balle au centre.

    Pour soutenir une telle position de sagesse apparente faite d’un stoïcisme ou d’un épicurisme pour les nuls, il faut prendre des libertés avec les choses, entre interprétations et falsifications. Négliger par exemple que la notion de crime de guerre a connu une genèse malheureusement longue en droit international humanitaire et qu’elle ne s’est stabilisée que tardivement, par le truchement des conférences de Genève de 1949, ce qui renvoie à la question de la non-rétroactivité.

    En outre il convient de prendre en considération que les maquis composés essentiellement de combattants volontaires n’étaient à aucun moment reconnus comme des troupes belligérantes « légitimes » par l’occupant et le régime de Vichy, alors que le crime de guerre ne peut être le fait que d’une armée régulière. Les Nazis et leurs supplétifs pétainistes n’ont jamais varié : ils avaient affaire à des « terroristes », fourriers de la guerre civile, organisés en « bandes » suffisamment nombreuses et efficaces pour engendrer dans la troupe allemande la définition du Limousin en qualité de « Kleine Russland » (Petite Russie). De cela témoignent les négociations pour la reddition allemande de la ville de Limoges lorsque le général Gleiniger écrit le 20 août 1944 pour récuser toute proposition de contact direct avec le colonel Georges Guingouin, alors chef départemental des FFI : « Le seul gouvernement légitime est celui de Vichy. Les FFI sont des troupes irrégulières qui ont déchaîné la guerre civile. Une capitulation sans condition devant les troupes soulevées contre le gouvernement de Vichy ne saurait être envisagée. » (Georges Guingouin, Quatre ans de lutte sur le sol limousin, Hachette, 1974, p. 207). Il y avait guerre, mais c’était une guerre irrégulière au sens du grand juriste allemand nazi Carl Schmitt, une guerre de partisans dont le but n’était pas un traité de paix mais l’anéantissement de l’ennemi. Est-il vraiment étonnant qu’à ce jour encore, l’ainsi-nommée communauté internationale ait toujours échoué à se donner une définition partagée, en droit international, du terrorisme ? En ces domaines, ce ne sont pas les professeurs de droit qui tranchent, mais l’Histoire, par-delà les mémoires sectorielles.

     

    Revenir aux faits et au contexte

    maquisÀ ce stade il est temps d’en revenir aux faits de juin 1944 à Tulle, pour essayer de rendre compte d’un enchaînement d’épisodes quasi-mécanique. Moment d’analyse délicat car il ne peut éviter l’évocation de controverses rugueuses qui ont vu le jour au sein même des résistants et maquisards. Pour dire vite : selon en particulier Georges Guingouin, libérateur de Limoges et Compagnon de la Libération, la décision de prendre Tulle de vive force le 7 juin fut inopportune (adjectif commode pour éviter de trancher entre erreur et faute), car occuper une ville-préfecture est une chose, valeureuse certainement, mais tenir le terrain conquis alors qu’il est de notoriété publique qu’une division SS rôde aux alentours en est une autre, bien différente. Pour argumenter sa position, le « Premier maquisard de France » (avril 1941, à Soudaine-Lavinadière en Corrèze) oppose la stratégie mise en œuvre à Limoges, où après son refus d’exécuter l’ordre de prendre la ville d’assaut, la reddition allemande fut obtenue sans combat au moyen de l’intercession du consul de Suisse, Jean d’Alby. Ainsi, les résistants emprisonnés à Limoges, promis à l’exécution par la Gestapo dès le début de toute attaque, furent sauvés. À cet égard il faut se souvenir que si près de 30 000 prisonniers-otages furent fusillés dans la France entière, dont 11 000 en région parisienne et 3 674 à Lyon, Limoges vient immédiatement après avec 2 863 fusillés. La capitulation allemande fut sans doute obtenue à raison des talents de diplomate du consul suisse, mais plus fondamentalement en considération de l’encerclement de la ville par les forces de la Résistance, oscillant entre 15 000 et 20 000 combattants après le ralliement tardif des forces de l’ordre. Guingouin est alors commandant militaire régional FFI et a pris le grade de colonel. Ceci étant, on aurait tort d’imaginer un Guingouin pusillanime, hésitant. Pour preuve, l’issue de la capture par le détachement du sergent Canou du Sturmmbahnführer SS Helmut Kempfe à proximité de Saint-Léonard-de-Noblat. Activement recherché par le commandement de la Das Reich, son sort est scellé après les pendaisons de Tulle et les massacres d’Oradour-sur-Glane. Le « Préfet du maquis » est laconique : « Les chefs qui commandent de tels crimes ne peuvent rester impunis (…) il ne saurait y avoir de clémence pour Kempfe. Ordre est donné de le passer par les armes. » (ouvrage précité, p. 184). Il en ira de même avec un collaborateur infiltré, le vicomte de R…, confondu près d’Eymoutiers : « Il fut immédiatement passé par les armes. » (ouvrage précité, pp. 193 et 197)

    Mais à Tulle, une fois la retraite à l’ordre du jour, les résistants sont confrontés à des choix cornéliens : libérer les prisonniers allemands, c’est-à-dire en faire cadeau à l’ennemi en leur permettant de l’informer sur la direction prise par les combattants et sur les aides de « légaux » dont ils ont pu bénéficier, ou s’assurer d’eux en les évacuant, c’est-à-dire en les transformant en charge insupportable alors qu’il s’agit de reprendre la tactique maquis dans des conditions périlleuses. Edmond Réveil le dit lui-même dans un entretien télévisé : « On n’avait pas de prison. » Dès lors une seule solution de fortune s’impose, les prisonniers ayant refusé de rejoindre les troupes du maquis sont passés par les armes, ainsi qu’une collaboratrice française, dans les bois près de Meymac. À propos de la collaboration et de la Milice, il faut là aussi se replacer dans le contexte en faisant référence à un mot de Pierrot Villachou, un des plus proches lieutenants de Guingouin, prononcé dans le documentaire de France 3 « Lo Grand » en 1984, où il précise que « sans les collaborateurs, les Allemands n’auraient pas fait le quart du mal qu’ils ont fait, c’est eux qui connaissaient le pays, les chemins, les gens, avec eux on a été impitoyables. » Ici, que chacun qui n’a pas vécu en personne de telles situations, prenne bien garde de ne pas juger hâtivement du haut de sa tour d’ivoire, distribuant arbitrairement bons et mauvais points. Car ceux qui n’ont alors pas renoncé à agir dans le monde ont éprouvé que de telles périodes réservent bien des surprises alors que ce qu’on risque est bien autre chose qu’un désaveu silencieux de voisins, l’affaiblissement de relations amicales ou un retard d’avancement professionnel. Soit à se souvenir par exemple, afin de tenter d’approcher ce qu’« éprouver » peut vouloir dire lorsque le désastre advient, du mot d’Hannah Arendt se remémorant la montée du nazisme en Allemagne : « Le problème, le problème personnel, n’était donc pas tant ce que pouvaient bien faire nos ennemis, mais ce que faisaient nos amis. » Elle en tire un verdict sévère à l’égard des « intellectuels », orfèvres en rhétorique exonératoire de tout engagement personnel résolu ; opinion partagée par Guingouin dans une confidence qui, « à partir de mon expérience », formule qui lui était chère, concluait en forme de diagnostic clinique à un manque de courage. On doit cependant à la vérité de dire qu’il y eu des exceptions (Cavaillès, Char, et quelques autres). Et il faut être attentif aux mots simples utilisés par ceux qui ont osé. Il vient d’être question de « courage », et Pierre Villachou déjà évoqué, interrogé sur le caractère groupusculaire de la Résistance initiale jusqu’en 1942-43, répondait avec un ton d’évidence : « La peur. Ce n’est pas difficile, c’était la peur. »

     

    Passé passé ?

    Pour clore sur une interrogation, il faut se résoudre à un constat : après une période estivale d’émotion où plusieurs ont décelé très vite le risque d’une énième opération de disqualification de la Résistance et des maquis limousins, la baudruche s’est dégonflée et, une information chassant l’autre, les faiseurs d’opinion sont passés à autre chose, l’actualité internationale y invite. Deux conclusions sont alors possibles. Les optimistes y verront une sorte de victoire, la rapidité et la fermeté des réactions tendant à replacer l’affaire dans une analyse contextuelle rationnelle ayant coupé l’herbe sous le pied de ceux qui ont pu un temps entrevoir une opportunité d’avilir les combats de la Résistance. Les pessimistes suggéreront que, le temps passant et le décervelage médiatique ayant partie liée avec l’affaiblissement de l’enseignement public, notamment de l’histoire, il ne pouvait guère en aller autrement. Toutes ces histoires, aujourd’hui, sinon tout le monde au moins les plus nombreux s’en moquent souverainement et les regardent comme largement marquées d’insignifiance. Tant il est vrai que beaucoup semblent convaincus que le passé étant par définition passé, sa connaissance et son évaluation ne sont pas porteuses de grand-chose (le fameux argument asséné sur un ton d’évidence : « Le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier ! », allégation pétrifiante de bêtise). Telle est la position commune de ceux qui le plus souvent implicitement considèrent que l’histoire de l’Humanité a commencé à la date à laquelle ils prétendent avoir eux-mêmes atteint l’âge de raison.

    Façon de suggérer que nous vivrions bien la fin de l’après-guerre, soit simultanément peut-être le début d’un avant-guerre ?

     

    Gérard Monédiaire

    Gérard Monédiaire, professeur émérite à l’Université de Limoges (droit), est l'auteur d'un des premiers ouvrages consacrés à Guingouin, en 1983 : Georges Guingouin, premier maquisard de France, éd. Souny, Limoges.
  • Quand il neigeait sur le Djebel Amour... 1959-1960

    Quand il neigeait sur le Djebel AmourPar René Knégévitch - Editions Amalthée, 2020. 

     

    Professeur de Lettres, né à La Courtine, René Knégévitch a été quelques années Principal du collège d’Eymoutiers. En 1959 et 1960, appelé sursitaire, il est affecté à un régiment d’artillerie au bourg d’Aflou, dans le Djebel Amour, massif de l’extrême sud-oranais. Militant de gauche, anticolonialiste, il part avec l’intention d’observer, de comprendre, en dépit de « l’étau militaire et [de] la perte de [sa] liberté d’expression ». 

    Le livre est fait d’une partie des notes, remaniées, extraites du carnet qu’il a tenu au jour le jour (et dissimulé sous son matelas), durant les 24 mois de son service en Algérie. Tel quel, il constitue un double témoignage historique : sur les faits et gestes de l’armée française et les souffrances endurées par le peuple algérien, d’une part, sur l’expérience traumatisante, jamais complètement guérie, qu’un jeune homme instruit a faite de ce qu’il appelle « la sauvagerie de l’Homme », d’autre part. En exergue du livre est placée une phrase de l’écrivain italien Curzio Malaparte : « Je ne savais pas qu’une guerre n’a jamais de fin pour ceux qui se sont battus. »

    L’auteur a pris soin d’introduire son récit par une quinzaine de pages qui rappellent avec précision le contexte historique et politique de l’époque, alors qu’officiellement on a parlé pendant un certain temps d’« événements » pour évoquer cette guerre. Il cite quelques chiffres glaçants : 24300 conscrits français tués, sans compter les invalides, blessés, traumatisés psychologiquement et jamais soignés ; un million de morts sur une population de 8 400 000 habitants arabes…

    Avec un arrière-plan psychologique d’ennui, de dégoût, de honte, de mauvaise conscience et d’interrogations sur le rôle qu’on l’oblige à tenir en dépit de ses convictions anticolonialistes, avec tout autant la peur quasi permanente de mourir avant d’être libéré de ses obligations militaires, René Knégévitch raconte la routine et l’inconfort du quotidien, le chaud, le froid (« quand il neigeait… »), les convois sur la piste avec la crainte toujours présente des embuscades, le « crapahut » épuisant dans la montagne, les gardes nocturnes angoissantes derrière les barbelés du poste, les accrochages avec les maquisards du FLN et leur cortège d’horreurs. Si le niveau d’instruction de l’auteur en fait un « intellectuel » mal vu de certains de ses supérieurs, il lui permet néanmoins d’assurer des tâches administratives : « Secrétaire de jour. Soldat de jour et de nuit ». C’est ainsi qu’il découvrira en s’occupant de la comptabilité de l’unité que plusieurs officiers et sous-officiers de carrière détournent à leur profit la paye de harkis fictifs, inventés pour les besoins de la cause…

    L’auteur, en dépit du réconfort trouvé auprès de quelques camarades partageant ses idées, est toujours guetté par le désespoir. Cependant, il garde la volonté de témoigner sur ce qu’il voit en Algérie, et qu’il énumère un jour où il répond à un sous-officier qui accusait les enseignants d’inciter les jeunes à détester l’Armée : « Ecoutez, mon adjudant, vous qui êtes chrétien, comment pouvez-vous approuver ce qui se passe ici : les corvées de bois [exécutions sommaires], les tortures, les représailles, les vols, les viols ? ».

     

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    L’humanisme de René Knégévitch le rend sensible aux souffrances de la population locale prise en étau entre l’armée française et la présence du FLN qui exige sous la menace aide et nourriture. Parmi les habitants avec lesquels il crée des liens figure le petit Djamel, l’enfant de la photo de couverture, à qui il offre des bonbons et qui pleurera en apprenant son départ.

    Ce livre a le mérite rare de rompre le silence dans lequel se sont enfermés depuis quarante ans la grande majorité des anciens appelés en Algérie, marqués par l’expérience  définitivement traumatisante qu’ils ont vécue là-bas. René Knégévitch conclut lucidement sur la nécessité que s’ouvrent aussi, de l’autre côté de la Méditerranée, les archives de cette guerre, à la faveur d’un renouveau démocratique. Il aspire à « la fraternité partagée afin de réparer les déchirures persistantes des hommes », il souhaite que puissent se « cicatriser les blessures des mémoires ».

     

    Daniel Couégnas

     

    Pourquoi si tard ? 

    Voici la réponse de René Knégévitch (3.12.2020)

    «J’ai passé, sans aucun regret, le plus clair de ma vie à assumer des charges politiques, syndicales et associatives. Alors, mon temps libre ! Je pensais que la plongée dans mon carnet de route, les diapos et documents de 1959 et 60 (échappés au contrôle) serait douloureuse. Je redoutais qu’une marée sans fin ne me ramenât sur ce coin  de terre algérienne que j’ai tant aimé, et où j’ai vu tant de violences.... (finalement) une confession à l’hiver de ma vie … curieusement, l’écriture du manuscrit n’a pas déclenché la souffrance envisagée. J’avais l’impression de ne plus être l’acteur des faits, mais un observateur à distance, échappant à la violence des affects d’alors ».
  • Quand on archivait en sous-sol

    recolte et travail du chanvreMai 1752 : la paroisse de Saint-Hilaire-les-Courbes était en émoi. Ou plutôt son curé, l’abbé Salaignac. Ce dernier voulait rentabiliser la place de l’église. Pour cela, il en fit murer une partie censée devenir une chènevière, nom qui désignait un champ de chanvre. On allait donc semer là des « chènevis », les graines de la plante.

    Des tiges du chanvre, on tirait la filasse, on appelait cette technique : carder, comme pour la laine. Tout le monde ou presque dans les campagnes savait carder, avec une sorte d’énorme peigne métallique, ou même à la main. Avec les fils ainsi obtenus, on fabriquait la plupart des vêtements, les draps, des sacs, et des cordes. Si le curé avait choisi de sacrifier une partie de son parvis, il devait bien y avoir une augmentation des besoins.

    Ce que ne nous dit pas le texte concerne une autre utilisation. On gardait une partie des graines pour les faire griller, comme le café, dans une poêle, puis on les mangeait. Vous comprendrez pourquoi quand vous connaîtrez le nom latin de la plante : cannabis sativa. Les gens de Saint-Hilaire – et d’ailleurs – avaient donc découvert les vertus du cannabis thérapeutique, bien avant certains. Car il ne fait aucun doute que ces graines soignaient bien des maux. Cette année-là, les braves gens n’étaient pas au bout de leurs surprises. Durant les travaux, il fallut déplacer deux croix. En creusant, on trouva quantité de tombes, dont « sept à huit servaient de fondement aux croix ». Les pierres servirent pour les murs.

    On s’aperçut aussi qu’il y avait là des crânes et un …cadavre ! Ce qui dénotait – dit le curé – « qu’anciennement sétait le cimetière ». De temps immémoriaux sans doute, puisque tout le monde l’avait oublié. Mais le « cadavre », était-il là depuis longtemps lui aussi ?

     

    Emile Vache
  • Que "Maudite soit la guerre" !

    maudite soit la guerreComme chaque 11 novembre depuis 1990 (à la veille de la première guerre du Golfe), à l’initiative du Comité laïque des Amis du Monument aux morts de Gentioux, il fut organisé un rassemblement devant ce fameux monument (plus ou moins unique en France) dont le petit écolier, le poing dressé, nous rappelle sans aucune ambiguïté que « Maudite soit la guerre ». Ce fut, encore une fois, l’occasion pour quelques centaines de pacifistes de tous horizons, Libre Pensée, Mouvement de la Paix, Fédération Anarchiste... de se retrouver et d’affirmer par différents discours leur dégoût de ces boucheries orchestrées par un ordre capitaliste dont l’avidité financière est sans limite.

     

    tardiLe rassemblement attire de plus en plus de personnes venant des différentes régions de France : il est devenu, au fil des ans, une sorte de symbole pour tous ceux qui ne se résignent pas à accepter une certaine « fatalité » guerrière. Il est suivi pour certains d’un dépôt de gerbe, à Royère-de-Vassivière, sur la tombe de Félix Baudy, « Fusillé pour l’exemple » en 1915 et d’un banquet. Pour d’autres dont les libertaires, c’est l’occasion d’organiser un « repas des partageux » au cours duquel, des liens anciens se renouent, de nouveaux se tissent, des projets s’élaborent...

     

    Francis Laveix

    A lire :
    Creuse 1917-1922, du Soviet de la Courtine au monument aux morts de Gentioux. (Fédération de la Creuse de la Libre Pensée – 1997).
    Histoire de Félix Baudy, maçon creusois syndicaliste – De Royère au peloton d’exécusion —.1880-1915. (Fédération de la Creuse de la Libre Pensée – 1999).
    Autour de monuments aux morts pacifistes en France (Fédération Nationale Laïque des Associations des Amis des Monuments Pacifistes, Républicains et Anticléricaux – 1999).

     

    La "fabrique" des fusillés

    Dans une conférence donnée à Guéret consacrée aux conséquences de la première guerre mondiale en Creuse, Jean-Luc Léger, professeur d'histoire à Guéret, est revenu sur le cas des deux soldats creusois fusillés pour l'exemple. Nous reproduisons ici cette partie de son intervention.

    soldatEn 1915, deux soldats creusois sont fusillés à Flirey pour refus d'obéissance face à l'ennemi. Il s'agit de Baudy et Prébost de Royère-de-Vassivière et Saint-Martin-Château. Que s'est-il passé à Flirey le 20 avril 1915 ? Si l'on se rend sur la tombe de F. Baudy à Royère, on peut lire sur une plaque : "les maçons et aides de Lyon et banlieue à leur ami Félix Baudy fusillé innocent le 30 avril 1915 à Flirey. Maudite soit la guerre. Maudits soient ses bourreaux. Félix Baudy n'est pas un lâche mais un martyr." Félix Baudy est né le 18 septembre 1881 à Royère, il est maçon à Lyon comme beaucoup de jeunes hommes du plateau quand la guerre éclate. Il est syndiqué à la CGT. Incorporé au 63ème R.I. en août 1914, il participe à plusieurs grandes batailles avant d'être affecté en Lorraine où l'Etat major veut réduire le saillant de Saint Mihiel. La 5ème Compagnie attaque les 4 et 5 avril subissant de lourdes pertes. Malgré la sanction contre les généraux ayant mal préparé l'offensive, le 19 avril, la 5ème Compagnie doit à nouveau passer à l'attaque au nord de Flirey. Les troupes protestent, des hommes refusent de partir à l'assaut clamant que ce n'est pas à leur tour d'attaquer encore et que l'artillerie française a mal réglé son tir. La hiérarchie militaire décide de punir ce refus d'obéissance.
    Chaque section de la 5ème Compagnie doit désigner deux soldats pour être jugés. Une section tire au sort F. Baudy, son lieutenant supplie qu'on l'épargne. Une autre section désigne Morange et Prébost, une autre Coulon et Fontareaud. La dernière refuse toute désignation.
    Un conseil de guerre spécial est mis en place (les conseils de guerre ont été créés par décret du 6 mars 1914. Trois juges seulement siègent. La procédure est accélérée. L'exécution de la peine doit intervenir au plus, 24 heures après la sentence. Aucun recours n'est possible. Seule peut intervenir la grâce présidentielle). Si Coulon est acquitté, les quatre autres soldats sont fusillés. L'émoi soulevé est si profond que quatre autres soldats déclarés coupables dans une autre compagnie obtiennent un sursis. F. Baudy et H. Prébost font partie des 600 fusillés pour l'exemple de la Grande Guerre. Le 21 avril 1921, une loi d'amnistie est votée. En 1922, le député Vallière de la Haute-Vienne obtient l'ouverture d'une enquête pour réunion du procès, en vain. En 1927, la justice confirme le jugement de 1915.
    En revanche, en 1934, le jugement est annulé grâce à la loi du 9 mars 1932 qui institue une Cour Spéciale de Justice Militaire qui peut réviser les jugements rendus par juridiction militaire pendant la guerre. Au-delà du cas Baudy et Prébost, le 63ème R.I. a peut-être souffert de sa réputation. Alain, dans ses souvenirs de guerre, faisait état d'une rumeur qui parlait du 63ème R.I. de Limoges comme un régiment "pourri de socialistes".
    Comme tous les fusillés de France leur sort a fait l'objet d'une intense activité mémorielle mais avec des temps d'oublis et d'autres périodes au contraire de retour dans la mémoire collective. Il y a eu en particulier deux moments forts durant lesquels les fusillés de la Grande Guerre, du moins certains, ont occupé une grande place dans les débats à l'échelle nationale ou locale : l'entre-deux guerres, période de réhabilitation progressive des fusillés, et les années 1990, en particulier après le discours du Premier Ministre en novembre 1998 lorsqu'il demande que les fusillés "réintègrent la mémoire collective nationale". Naît alors une mémoire officielle accompagnée d'un regain d'intérêt pour les fusillés, les mutins... comme le montre l'activité de la Libre pensée en Creuse autour du sort de Baudy et Prébost.
    Selon l'historien N. Offenstadt, "les fusillés acquièrent presque le statut de cause autonome (...) Leur mémoire semble se défendre pour elle-même sans se rattacher immédiatement à des enjeux majeurs du moment". En effet, "jusque là elle avait beaucoup servi la lutte pour la paix, les attaques contre la justice aux armées, contre l'ensemble des institutions militaires voire les sociétés bourgeoises et le système capitaliste". A. Brossat (qui analyse d'une certaine façon les confins de la mémoire, de l'histoire et de la repentance qui s'est emparée du pays depuis une dizaine d'années) conclut : "la politique mémorielle conserve une aura et une trompeuse apparence de neutralité, de désintéressement, de moralité qui en assure (provisoirement) l'efficacité. La mémoire institutionnalisée des crimes occupe, dans ces nouveaux dispositifs, une place de choix".

    Jean-Luc Léger
  • Silence d'usine, paroles d'ouvriers

    Wajdi Mouawadsilence d usine paroles d ouvriersLibanais par ses racines ; français par sa culture et québécois dans son engagement d'homme de théâtre, Wajdi Mouawad est devenu incontournable pour qui souhaite aujourd'hui comprendre le désastre de l'urbanisme industriel à Aubusson. Fréquemment invité comme créateur et metteur en scène dans le cadre du festival des francophonies il est connu et apprécié des spectateurs du Théâtre Jean Lurçat. Au cours de la saison 2003/2004 il est accueilli en résidence d'écriture par la Scène Nationale. Avec "Silence d'usine, paroles d'ouvriers" il donne la parole aux licenciés de Philips. Avec une intensité dramatique il fait remonter l'authenticité de leurs souvenirs à partir d'interviews d'une rare qualité émotionnelle. On ne quitte pas indemne cette blessure douloureuse de la mémoire ouvrière, réalisée dans un ancien atelier de l'usine. La représentation de ces entretiens a été programmée deux fois en 2005. Ils seront rassemblés dans un ouvrage à paraître prochainement avec des photographies réunies par l'association des anciens ouvriers de l'usine Philips. Wajdi Mouawad nous livre ici comment il a été saisi presque subrepticement, puis taraudé et submergé par le traumatisme du séisme qui a ébranlé la cité tranquille en 1987.

    Patrick Le Mauff, directeur du festival des francophonies s'est refait comédien pour restituer toute la charge émotive de ces interviews. Avec " La grosse pierre " il exprime tout le travail à entreprendre sur soi pour faire mémoire d'un événement douloureux dans une vie d'homme ou de femme. Il faut soulever la grosse pierre pour en saisir et en transmettre toute sa signification sociale.

     

    usineLa parole, unique outil

    La nature aime se cacher. Dans les interstices du visible, il y a les douleurs et les aventures vécues par les autres. La parole, en ce sens, devient par moment, l'unique outil, pince effrayante, pour ramener à la surface la douleur. Ainsi avec les anciens ouvriers de l'usine Philips d'Aubusson. Aujourd'hui fermée, cette explosion au centre de la ville a créé un cratère. Mais ce cratère est invisible pour le visiteur inattentif car trop occupé. Trois années durant je suis passé en coup de vent en cette ville pour y présenter des spectacles et jamais je ne l'avais aperçu ce trou. Il a fallu une rencontre, un hasard, un arrêt pour que cela me saute à la figure. Des gens, ici, ont perdu dignité et fierté. Ils ont longé les murs honteux et souffrant. Silencieux. Dans le silence terrifiant d'avoir raté sa vie. C'est comme si, en vous déplaçant d'un pas sur le côté, vous voyez le vrai paysage et alors, il ne vous reste plus aucun choix. Aller sonder le terrain pour comprendre pourquoi vous n'avez rien vu. Les entretiens ainsi menés avec une douzaine d'anciens ouvriers m'ont permis de me crever les yeux pour accéder à une nouvelle vision. Je les en remercie.

    Wajdi Mouawad

     


     

    debatLa grosse pierre

    Dans un pays lointain, où les villages se logent au creux des montagnes, d'éminents anthropologues assistent à un rituel : un homme ou une femme raconte une partie de sa vie à un autre homme. Ce dernier écrit l'histoire qui lui a été ainsi offerte. Il l'offre à son tour à une autre personne. Cette autre personne ne va pas l'écrire mais la dire à nouveau devant l'homme ou la femme qui a raconté sa vie.

    D'autres gens sont également conviés à cet étrange cercle d'histoires. Après de longues discussions avec les habitants de cette contrée, les anthropologues ont essayé de comprendre l'intérêt et la signification de cette cérémonie et surtout d'une phrase qui était lancée à l'interprète avant qu'il ne commence son récit : Parle, O parle, je suis si triste sans moi.

    Au début, ces savants croyaient avoir entendu : je suis si triste sans toi.

    Mais non, la phrase était bien : je suis si triste sans moi !

     

    Ces gens considèrent que le moi est une grosse pierre qui cache un feu où vivent ensemble la souffrance et la joie. Avec elle, ils doivent construire un temple où viendront chanter leur vie et leur mort. S'il ne la trouve pas, ils s'enfermeront dans la tristesse et la lamentation. La légende dit que leur corps se déforment et se couvrent de plaies s'ils ne peuvent construire ce temple. Et ce moi est toujours hors d'eux-mêmes. Cette cérémonie leur permet de le voir, de l'entendre. Certains pleurent quand il apparaît, d'autres rient ou se moquent.

    Les enfants ne participent pas à ce jeu, car les grands considèrent que leur pierre n'a pas encore de feu. Mais ces enfants ne sont pas convaincus par cette réponse et ils miment la même cérémonie à l'écart.

    Patrick le Mauff
  • Tracer un chemin de paix

    gentioux paixSoixante ans après le feu du cataclysme nucléaire qui a anéanti les villes d'Hiroshima et de Nagazaki, des hommes et des femmes refusent d'oublier. Le 6 août 2005 ils se sont mis en marche pour tracer un "chemin de paix". Guidés par le Mouvement de la Paix, le Comité laïque des amis du monument aux morts de Gentioux, la Ligue des Droits de l'homme et du citoyen et l'association des Maçons de la Creuse, quelques quatre vingt marcheurs sont partis de Royère de Vassivière pour rallier le "maudite soit la guerre" du monument de Gentioux. IPNS reproduit le discours prononcé par Stratos Kalaitzis le président du Comité laïque de Gentioux. Après son discours il n'a pas caché sa colère en apprenant que des citoyens à travers le monde et notamment au Japon oublient le sens de la mémoire de cette date. Elle marque l'entrée de l'arme nucléaire dans la panoplie de la violence guerrière des hommes. Une arrivée qu'Albert Camus avait alors dénoncer dans l'éditorial de Combat "la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques". Soixante ans après, force est de reconnaître qu'il n'a pas été entendu. Dans la cour des grandes puissances de ce monde, l'arme nucléaire tient lieu de justification au terrorisme d'Etat. Il reste à souhaiter qu'au 6 août 2006 on se retrouve encore plus nombreux pour baliser ce chemin de paix.

    6 Août 2005

    Chers amis, chers camarades,

    De la part du comité d'organisation je vous remercie de participer à la première marche pour la Paix et la Mémoire, qui devrait à partir de maintenant avoir lieu tous les ans.

    Cette manifestation n'a pas été décidée par hasard. Nous avons remarqué que chaque année le 6 Août date anniversaire de l'explosion de la bombe atomique à Hiroshima des pacifistes venaient se recueillir sur cette place pour rappeler un crime contre l'humanité qui n'a jamais été jugé.

    Souvenez-vous… il y a aujourd'hui 60 ans. Le 6 Août 1945 à 8 heures 15 du matin la première bombe nucléaire explosait sur une ville à peine réveillée de 500.000 habitants. Elle tua aveuglement 80.000 civils sur le coup et plus de 140.000 mourront par la suite sans compter les victimes de l'irradiation qui portent encore des blessures invisibles.

    Toutes ces victimes et encore autant trois jours après suite à l'explosion de la deuxième bombe à Nagasaki, ont été massacrées uniquement pour les besoins d'un terrorisme d'Etat au service de l'impérialisme étatsunien.

    Il fallait être idiot à ce moment là pour croire que ce massacre était nécessaire pour écourter la guerre. L'Allemagne avait déjà capitulé trois mois auparavant le 8 Mai 1945 et le Japon avec les deux tiers de ses villes détruites par les bombardements et des milliers de victimes grillées sous les bombes incendiaires, cherchait une voie diplomatique de capitulation depuis Mars 1945.

    Pour couronner cette ignominie le Président des Etats Unis s'est félicité lors d'une émission radio d'avoir tué un demi million de civils et remercia Dieu de l'avoir doté d'une telle arme.

    Chers camarades, depuis la deuxième guerre mondiale la guerre entre dans une autre dimension. Les soldats ne frappent plus sur leurs boucliers pour terroriser leurs adversaires. Les armées adverses bombardent les populations civiles pour terroriser et massacrer aveuglement plus de civils innocents que d'hommes en armes. Les guerres ne se livrent plus sur le champ de bataille, mais sur un écran d'ordinateur au fond d'un bunker ou encore sur un plateau de télévision à coups de fausses informations et de lavages de cerveaux par des experts en psychologie de masses. Seules les victimes ne changent pas. Ce sont toujours les classes laborieuses qui la plupart du temps n'ont rien demandé à part la paix et une place au soleil comme nous aujourd'hui.

    Chers camarades ne nous laissons pas entraîner par le faux patriotisme et le nationalisme. Aucune guerre actuellement ne correspond à une guerre de défense nationale. Toutes les guerres et depuis un bon moment sont livrées pour les intérêts uniquement des multinationales. La jeunesse des

    Etats Unis en Irak meurt aujourd'hui au sein d'une armée d'occupation pour défendre les intérêts des multinationales du pétrole. Il s'agit d'une guerre qui coûte 150 milliards de dollars par an. Avec cet argent on aurait pu :

    • nourrir la moitié des gens qui ont faim dans le monde, soutenir un programme complet de traitement du SIDA avec un programme de prévention,
    • fournir de l'eau potable à tous les pays en développement et vacciner tous les enfants du monde qui en ont besoin.

    Il est déconcertant de voir que certains pays occidentaux gaspillent les ressources naturelles de la planète pour livrer des guerres au profit d'une oligarchie qui entraîne la terre à sa destruction.

    Faut-il rappeler que lors du sommet de la terre en 1992 il a été admis que les deux tiers de la destruction de la couche d'ozone est due aux émanations toxiques des armées. Malgré cette constatation aucun progrès n'a été remarqué mais on continue de nous culpabiliser pour le fonctionnement de notre frigidaire ou la climatisation de notre véhicule.

    Chers camarades, nous sommes là aujourd'hui pour condamner les guerres quelle que soit leur origine, qui tuent des gens qui ne se connaissent pas au profit de gens qui se connaissent mais qui refusent de se battre.

    Nous sommes là pour faire la liaison entre les victimes des guerres en Asie et en Europe aujourd'hui, hier et demain.

    Restons mobilisés pour la Paix. Plus notre mouvement s'amplifiera plus l'éventualité d'une guerre s'éloignera.

    Refusons la guerre avant qu'il soit trop tard. Battons-nous pour la Paix avant que la guerre gagne nos capitales, comme à Londres et à Madrid.

    Enlevons le pouvoir à ceux qui pousse la société à l'exploitation, au meurtre, à la famine et au sous développement.

    Distribuons les ressources planétaires équitablement pour un monde rêvé de Paix et d'entente entre les peuples.

    MAUDITE SOIT LA GUERRE

    Une minute de silence en l'honneur des victimes de la guerre, de toutes les guerres.

     

    Stratos Kalaitzis
  • Tristes tropiques de la Creuse

    Tristes tropiques de la CreuseL'affaire des Réunionnais de la Creuse tient la vedette dans toutes les sphères médiatiques et dans la production éditoriale. En 2003 c'est la publication du livre "Une enfance volée" de Jean-Jacques Martial. "Il apporte un témoignage sur l'exil imposé à des enfants issus de milieux défavorisés, orphelins ou enlevés à leurs parents analphabètes. Ils sont plus de 1 500 à être déracinés dès leur plus jeune âge " comme le rapporte un universitaire dans la postface. Aujourd'hui Jean-Jacques Martial engage une procédure auprès du tribunal de Montpellier pour condamner l'Etat à lui verser un milliard d'euros pour "enlèvement et séquestration de mineur, rafle et déportation". En 2004, " l'association Réunionnais de la Creuse " sous l'égide d'un avocat dépose onze plaintes auprès du tribunal de grand instance de Paris. Dans l'attente de ces prochains procès les publications se multiplient. Toujours en 2004, deux romans, un mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine : "Le Déplacement des mineurs réunionnais vers la métropole, 1960-1975", un ouvrage de témoignages par la psychologue Elise Lemai : "La Déportation des Réunionnais de la Creuse", un téléfilm de Francis Girod sur FR 3 : "Le pays des enfants perdus" et enfin ces " Tristes tropiques de la Creuse ". Il s'agit cette fois d'une enquête scientifique menée par deux sociologues et une historienne ; tous les trois travaillent sur les problèmes d'immigration dans les sociétés de l'océan indien. Le premier intérêt de cet ouvrage c'est son caractère fortuit. Il ne répond à aucune commande officielle. Ces chercheurs se sont retrouvés en 2001 par le plus grand des hasards au premier festival organisé en Creuse par Kreuséol une association de Réunionnais. Piqués dans leur curiosité de spécialistes de la société réunionnaise et de la culture créole ils ont voulu en savoir davantage sur ce métissage de la culture créole au coeur d'un festival creusois ; ils y reviendront en 2002 et 2003. L'entreprise n'a pas été simple, et de toute évidence n'est pas close. Un autre intérêt de leur vaste enquête, au-delà des réactions émotionnelles et passionnelles, c'est de resituer cette "affaire des mineurs réunionnais" dans sa dimension historique, politique et sociologique. Et pour la conduire ils ne bénéficieront guère de l'aide publique. Toutes les archives leur seront systématiquement fermées, les privant des sources d'information administratives ou même statistiques.

     

    Une affaire d'état

    Très vite ils se sont heurtés à des résistances. Et en tout premier lieu sur la qualification à donner à ce "départ" de quelques 1 600 mineurs réunionnais vers la métropole entre 1964 et 1974. Dans l'effervescence médiatique et éditoriale tout aura été dit : enfants volés, perdus, exilés, traite et esclavage d'enfants, déportation. Nos auteurs opteront pour la notion quasi administrative de "transfert". Et toute leur démonstration s'efforcera de valider la neutralité de ce concept pour désigner clairement la responsabilité de l'appareil de l'Etat. Il a été l'ordonnateur et l'organisateur de cet épisode douloureux pour tous les ex-mineurs transférés qui ont "survécu". En deux chapitres clés ils resituent ce transfert dans le projet politique de Michel Debré. Après avoir été le père fondateur des institutions de la Vème république comme Premier ministre du général de Gaulle, il est élu député de La Réunion en 1963. Avec sa conception jacobine de l'Etatnation il met en oeuvre le rêve gaullien de la plus grande France des années 60, celle des "100 millions de français de Dunkerque à Tamanrasset". Dès son arrivée sur l'île il crée le BUMIDOM (bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d'outre mer). L'avenir économique et social de La Réunion se joue dans cette grande France. Alors pour mettre un frein à son surpeuplement, pourquoi ne pas la faire contribuer au peuplement du territoire rural déserté de la métropole? Le Bumidom transférera ainsi 1600 pupilles réunionnais dans les départements de la diagonale du vide, et la Creuse en accueillera 215. Cette hypothèse de la migration pour "peuplement" n'est pas validée par le rapport de l'inspection générale de l'action sociale (IGAS) diligentée en 2002 par le ministère de l'emploi et de la solidarité pour faire face à la pression médiatique. Les inspecteurs de l'IGAS se livrent à une expertise approfondie mais timorée sur l'effet des procédures de protection ou d'aide à l'enfance en Creuse et à La Réunion. La conclusion de leur rapport reste très prudente et quelque peu partisane en affirmant que la migration des pupilles réunionnaises avait respecté "globalement la législation en vigueur".

     

    Un travail de mémoire

    A partir des bonnes relations qu'ils ont établies avec les associations réunionnaises tant en Creuse qu'à La Réunion les chercheurs ont collecté une soixantaine d'entretiens auprès des ex-mineur(e)s. Ils se sont aussi entretenus avec sept familles de La Réunion qui avaient vu ou laissé partir leurs enfants pour la Creuse. Mais une question demeure : comment doiton croire ou comprendre la mémoire reconstruite de ces récits de vie après quarante ans ?

    Reconstitution d'autant plus délicate qu'après les épreuves d'une intégration institutionnelle et culturelle difficile et souvent traumatisante les repères identitaires se sont effacés ; selon la formule d'un Réunionnais de la Creuse : "on m'a effacé le disque dur". Ce travail de mémoire reste à faire. Et les associations anciennes ou nouvelles qui se sont constituées autour de l'affaire des Réunionnais n'ont pas la représentativité suffisante pour opérer ce travail de réconciliation ou de "résilience" collective. Il relève de la responsabilité politique de l'Etat. En attendant qu'elle se manifeste, en guise de conclusion les auteurs évoquent la mémoire des Réunionnais sous la forme mythique d'un conte de fées à la manière Perrault : "Comme dans la famille de Poucet et ses frères, ces enfants réunionnais sont trop nombreux. Trop de bouches à nourrir. On s'étonnera que le Bûcheron ait eu tant d'enfants en si peu de temps ; mais c'est que sa femme allait vite en besogne et n'en faisait pas moins que deux à la fois. Les pauvres parents bûcherons, quels que soient leur souffrance et leurs remords, sont obligés de se rendre à la raison : ils doivent s'en défaire. Malgré les protestations véhémentes de la mère. Ainsi durent se résigner bien des parents réunionnais. Avec moins de violence que la famille de Poucet puisque on n'envisageait pas de faire mourir leur progéniture et que l'on pouvait penser que c'était "pour leur bien". Leitmotiv d'à peu près tous les parents qui ont laissé partir ces enfants. Comme dans le Petit Poucet (cailloux blancs, puis miettes de pain), les efforts tentés parfois par les enfants transférés pour retrouver leurs famille n'ont pas été couronnés de beaucoup de succès. Les oiseaux ont mangé les miettes de pain, les courriers ont été souvent interceptés, dans un sens comme dans l'autre, quand courrier il y avait. La rupture a été organisée. Ainsi les pupilles n'avaient plus comme choix que d'affronter l'Ogre. Paradoxalement, c'est chez lui que Poucet et ses frères trouvent chaleur et nourriture, mais c'est chez lui que leur existence sera mise en danger. A La Réunion et en Creuse, l'Ogre est multiforme. On peut dire qu'il sera l'Etat dans tous ses états : les politiques, les administrations, les procédures, les dispositifs. Un monstre. En tout cas, on ne l'affronte pas facilement à mains nues. L'Ogre a une Ogresse qui lui obéit, collabore, mais fait également le peu qu'elle peut pour protéger ces enfants perdus. On peut y reconnaître, pour partie, le foyer de l'enfance, certains travailleurs sociaux, certaines familles d'accueil. Et puis bientôt le Petit Poucet ne peut plus compter que sur ses propres forces et sa ruse pour s'en sortir, sauver ses frères et tenter d'échapper à l'Ogre. Ils y parvinrent. Ils survécurent. Ainsi firent les Creuso-Réunionnais".

    Comme dans tous les contes il y a plusieurs fins possibles. Laissons à chaque lecteur la liberté de choisir la sienne.

     

    Alain Carof

    Gilles Ascaride, Corine Spagnoli, Philippe Vitale.

    "Tristes tropiques de la Creuse". Editions K'A, septembre 2004, 210 p., 20 €

  • Un passé très présent : encore un film sur Guingouin ?

    Le réalisateur Martial Roche, journaliste reporter, travaille depuis plusieurs mois sur un film documentaire dans lequel il s’interroge sur la persistance de la mémoire des actions de Résistance au régime de Vichy et à l’occupation allemande dans notre région. Il nous présente ici son projet et les principales idées qui le sous-tendent.

     

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    Au commencement de ce projet, il y a un tag apparu au printemps dernier sur le campus des Vanteaux de l’université de Limoges. Alors que la campagne électorale pour les présidentielles battait son plein, quelqu’un écrivit un slogan pour un “candidat“ dont les bulletins ne seraient pas présents dans les bureaux de vote : “Guingouin 2017“. Ce tag semblait faire écho à celui de la gare d’Eymoutiers de mars 2009 proclamant : “C’est pas Julien, c’est l’esprit de Guingouin qui arrête les trains.“

     

    Dis moi ta mémoire, je te dirai qui tu es

    La mémoire, ça ne va pas de soi. Pour passer de faits de Résistance en 1940-1944 à des tags à Eymoutiers en 2009 ou à Limoges en 2017, ou encore à la mention des Juifs pourchassés dans un communiqué sur les réfugiés, il y a plus de soixante-dix années de construction de mémoires collectives qui entrent en jeu, consciemment ou non. Chaque structure sociale – nation, communauté, commune, famille, association, entreprise ou groupe politique – dans la ou les unités de temps et de lieu considérées, puise dans son passé ce qu’elle pense correspondre à ses besoins du moment. La mémoire n’est jamais un acquis inerte, gravé dans le marbre, mais plutôt un nerf sensible.

    La mémoire, c’est une part importante du récit de soi par lequel on se présente au monde. Pour reprendre les mots du professeur Corcos, psychiatre, elle est “le terreau des créations futures“. Elle peut aussi devenir un “carcan“. Frein ou moteur, le passé influe toujours sur le présent mais les enjeux du présent aussi influencent la mémoire du passé. La mémoire d’un groupe humain est à l’image de la société que ce groupe constitue. Elle est très rarement monolithique et invariable. Pour un individu comme pour un groupe social, regarder son passé, c’est souvent se regarder soi. Ce regard est souvent conflictuel. La mémoire n’est pour cela pas monobloc. Difficile de se reconnaître héritier de certaines parts de notre passé. Pour parler de la Résistance, elle ne constitue pas un roman manichéen. Elle comporte ses personnages en nuances de gris, ses transfuges et ses opportunistes, comme elle comporte aussi ses authentiques héros. Les choix ou les non-choix devant lesquels se sont trouvés hommes et femmes en capacité d’agir à ce moment-là ont dû être cornéliens. Renoncer au pacifisme, par exemple. Mettre, par son action, des proches en danger. La justice de la cause ne garantit pas la gloire.

     

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    “Ça valait mieux comme ça“

    Une anecdote que m’a racontée Christian Pataud, maquisard à Eybouleuf, près de Saint-Léonard, peut illustrer cette idée. En 1943-1944, une masse de jeunes hommes sans formation militaire se sont retrouvés avec dans les mains les fameuses mitraillettes Sten. Armes rustiques, simples d’usage mais instables. Des accidents eurent lieu. C’est ainsi par exemple qu’a trouvé la mort un des enfants du commandant Pinte de l’Armée Secrète lors d’un parachutage d’armes à Aixe-sur-Vienne. “On a dit aux familles que les gars étaient morts au combat, et ça valait mieux comme ça“ m’a dit Christian Pataud. Il est bien normal d’avoir quelques égards pour les proches des disparus. Il faut toutefois que ces égards soient conscients pour ne pas nous donner une fausse idée du réel. Il y a autant d’écueils à vouloir voir la Résistance trop belle qu’à vouloir la voir trop prosaïque.

     

    Il y a autant d’écueils à vouloir voir la Résistance trop belle qu’à vouloir la voir trop prosaïque

     

    La mémoire est aussi le reflet de réalités géographiques. Hormis De Gaulle, Jean Moulin et peut-être Pierre Brossolette, peu de figures de la Résistance émergent dans la mémoire collective hors de leur région d’action. Tous les personnages de la Résistance sont portés par des mémoires de groupe. À Limoges, plusieurs artères principales de la ville portent des noms de résistants : Georges Dumas, François Perrin, Armand Dutreix... Pourtant, peu de limougeauds savent qui ils étaient. Guingouin a plus retenu l’attention et a été plus célébré dans les communes du sud-est de la Haute-Vienne. Ces particularités locales dénotent aussi des disparités de traitement selon les familles politiques. Le PC a toujours honoré ses morts de la Résistance – les 75 000 fusillés (en exagérant leur nombre au passage). Les vivants, en revanche, ont eu droit à un traitement plus ambigu. Les socialistes (SFIO), emmenés en Haute-Vienne par un Jean Le Bail qui n’y a pas participé, auront une attitude mémorielle plus réservée sur la Résistance. Tous, dans nos choix politiques, dans nos choix professionnels, sommes orientés par notre origine sociale et familiale, même quand on se construit en opposition.   

      

    Une figure paradoxale

    Le rôle de l’historien, par sa démarche et sa méthode, est d’aider ses contemporains à comprendre ce qu’ils exhument. Il se doit d’apporter, par la méthode scientifique, rationnelle, les outils nous aidant à maîtriser la part d’irrationnel dont il est difficile de se départir dans cet aspect de notre regard sur le monde. Une erreur à ne pas commettre, serait de croire que l’histoire détient la vérité. En réalité, l’historien, par son travail, définit la vérité la plus probable. 

    Guingouin est une figure paradoxale. C’est une figure locale. La promotion de son image qui aurait pu être portée par son parti, eu égard à l’exemplarité de son action, a été stoppée par son exclusion de 1952. Et bien que Compagnon de la Libération et “l’une des plus belles figures de la Résistance“, il n’est pas une figure pour les gaullistes, puisque communiste. Son image fut donc portée par des courants politiquement minoritaires ou marginaux. Et de fait, il n’est pas une figure connue du public en dehors des frontières limousines. Et pourtant...

    Pourtant, il n’est pas inconnu dans les milieux se réclamant du communisme anti-autoritaire, dans les milieux libertaires et autonomes. Et sur les flancs de la Montagne limousine, donc, où le parallèle entre Petite Russie hier et résistances au capitalisme aujourd’hui, maquis hier et ZAD aujourd’hui, est tentant.

     

    Que faire d’une figure idéale ? C’est peut-être le questionnement fondamental de ce projet

     

    Pourtant aussi, il est une figure qui a rencontré, inspiré les artistes. Et là, c’est un peu la question de l’œuf ou la poule. Est-ce que le personnage a inspiré les artistes ou sont-ce les artistes qui ont mythifié un personnage ? Les aléas de la guerre et de l’occupation ont amené à proximité des maquis de Guingouin deux hommes qui allaient devenir des artistes importants : Dante Gatti, venu prendre le maquis à Tarnac, et Izrael Bidermanas, réfugié à Ambazac. L’un deviendra le journaliste et dramaturge Armand Gatti, l’autre, sous le nom de Izis, un des photographes les plus renommés de la deuxième moitié du XXe siècle. Le second tire le portrait des libérateurs de Limoges en 1944. Le premier écrit un poème qui ressemble à une chanson de geste à la mort de Guingouin. Le titre de la série de portraits d’Izis, “Ceux de Grammont“, fait référence à un maquis qui n’était pas sous l’autorité de Guingouin. Izis, d’Ambazac, avait sans doute entendu parler de ce maquis de Saint-Sylvestre dont plusieurs hommes tombent début août 1944 dans un accrochage. Mais de ceux de Grammont, qui garde aujourd’hui la mémoire ? Ou celle des lycéens du 17e barreau, des réseaux Noyautage de l’Administration Publique, des réseaux des cheminots ? Sans que ce soit complètement de son fait, Guingouin aura mis dans son ombre bien d’autres acteurs de la Résistance. Leur expérience mérite pourtant autant d’intérêt.

     

    “J’avais pensé à Zapata“

    Gatti, dans sa maison de l’arbre de Montreuil, avait mis le portrait de Guingouin dans son panthéon, aux côtés de Mao et Makhno. Plus tard, d’autres artistes se sont saisis du personnage. Rebeyrolle à Eymoutiers, bien sûr. Mais aussi d’autres, ces dernières années. C’est le cas notamment d’un romancier, Jean-Pierre Le Dantec ou de l’illustrateur jeunesse Yann Fastier, qui recherchait un personnage de bandit d’honneur : “Dans un premier temps, j’avais pensé à Zapata“ Il faut dire que l’histoire de Guingouin aura contribué à le faire entrer dans la peau d’un personnage romanesque. Il y a son parcours de résistant de la première heure et ses coups d’éclats. Mais, surtout, les avanies qu’il vit après guerre ont un double effet. D’abord de souligner l’injustice du sort qui lui a été fait, et d’autre part, se retrouvant en marge, il a pu rester fixé dans l’image du résistant. Lui n’est devenu ni un professionnel de la politique, ni un apparatchik cautionnant les dérives du régime soviétique, ni un tortionnaire des guerres coloniales. En somme, il est la figure idéale de la Résistance.

    Que faire d’une figure idéale ? C’est peut-être le questionnement fondamental de ce projet. Si l’histoire doit nous permettre de tirer un enseignement, d’enrichir notre approche du monde, alors il faut la soumettre à un questionnement jamais arrêté. Le devoir de mémoire n’existe pas. Notre devoir, vis-à-vis de nos prédécesseurs, de nos successeurs et de nous-mêmes, est d’avoir sur notre héritage le regard le plus lucide. La même lucidité que nous devons avoir sur notre présent.

     

    Martial Roche

    https://www.youtube.com/watch?v=M22SJ5Y659Y