Etienne est architecte. Il a 36 ans. Agnès est psychomotricienne. Ils ont trois enfants de 5 à 10 ans. Ils habitent Mulhouse et souhaitent venir vivre en Limousin : "Nous ne sommes pas à la recherche de ruralité dans le sens "exotique", mais tout simplement d'un lieu où nous pourrons réaliser le projet qui sera pour nous le plus source de vie et d'épanouissement". Ils ont pour objectif de créer un gîte d'enfants et d'accueil de familles, tout en exerçant toujours leurs métiers respectifs. Ils expliquent ici ce qui les attire vers le plateau.
C'est peut-être un pied de nez à une société polluée par sa surconsommation, allez savoir ! Ou une passion qui dure, un désir de réaliser ses rêves.
Pourquoi donc Brel a-t-il quitté son confort parisien pour partir vivre aux Marquises ?
En attendant, les idées voyagent entre le plateau de Millevaches et Mulhouse…
Le désir de vivre autrement dans un esprit d'ouverture et d'accueil, de créer un gîte d'enfants et une structure d'accueil pour familles, de rejoindre une centrale d'achat bio direct du producteur au consommateur; de trouver une manière rurale de vivre qui refuse de gaspiller les ressources naturelles, de breveter le vivant, de subventionner l'agriculture intensive, qui refuse encore le pillage systématique de la terre.
Ce qui nous plaît en Limousin et plus particulièrement sur le plateau, ce sont toutes ces initiatives et cette vitalité dont nous avons eu connaissance par divers biais :
Terre à terre sur France Culture le samedi matin, Village magazine, le journal du Conseil Régional, etc...
Et puis… on a envie de se planter, voilà tout ! S'installer ici, parce que c'est une région que l'on aime, où poussent bien les artistes et les résistants. On a envie tranquillement de regarder nos enfants grandir, en harmonie avec la nature, libres… De regarder la terre glaiseuse, le ciel immense et savoir que l'on est de ce pays puisqu'on l'a choisi.
J'ai un gros mythe. Evidemment que ce n'est pas ce que j'avais demandé au génie de la lampe, qu'est-ce que vous croyez ? N'empêche, maintenant il faut que je fasse avec. Depuis toutes ces années, on a fini par s'apprivoiser et même par s'aimer. Il me dit : "Auvergne, Creuse, Corrèze, Limousin… Par là, entre volcans, montagnes et résistance, c'est là qu'elle est ta vie, c'est là que tu vas la construire".
J'ai pourtant bien essayé de m'en défaire de ce mythe. Je l'ai tourné en dérision et j'avais même presque oublié son existence. Et puis le 21 avril 2002, v'là-t-y pas qu'y réapparaît ! Y m'dit : "Non mais t'as vu dans quelle région tu crèches ? 30% de votes pour le gros méchant, tu vas supporter ça encore longtemps ?
Quand est-ce que tu fais tes valises ?"
Y r'vient ces mauvais jours de mars 2003 où ma fille, sept ans, rentre de l'école terrorisée :
Qu'as tu appris à l'école ma fille aujourd'hui ?
Ben la maîtresse elle nous a montré tout ce qu'il faut faire quand il y aura une explosion ou une attaque terroriste à l'usine "Séveso" à côté de l'école…
Ah… Et qu'as tu appris à l'école ?
Ben aujourd'hui on a appris ce qu'il faudra faire en cas de tremblement de terre…
Ah… Et… Et qu'as tu appris ?
On a parlé de la pédophilie et des disparitions d'enfants.
Ah… Et… Et… Qu'as-tu… ?
Si il y a un avion qui bombarde l'école Maman, on l'a pas appris ça, qu'est-ce qu'il faut faire ?
Sans commentaire, mais véridique.
Etienne et Agnès Chauvin
Le choix du Limousin de parier sur l’accueil de nouveaux habitants et de nouvelles activités se veut réponse et remède à un mal qui, depuis des décennies, mine notre région : le déclin démographique et ses conséquences.
Réponse incontournable, dans la mesure où, victime d’un exode massif et d’un vieillissement de sa population, le Limousin glisse inexorablement sur la pente de la dépopulation et n’est tout simplement plus en mesure, de ce fait, de compter sur ses seules propres forces pour contrecarrer les corollaires de ce déclin. En somme, il s’agit de parier, en même temps que sur les ressources humaines locales, sur des ressources humaines extérieures, venant combler le vide créé par l’histoire.
Réponse circonstanciée, également, dans la mesure où elle s’inscrit en cohérence avec des mouvements profonds qui animent la société française contemporaine.
Longtemps "pompe aspirante" des campagnes, les grandes villes se voient en effet de plus en plus critiquées pour les conditions de vie qu’elles offrent, jusqu’à engendrer une forme de répulsion dont bénéficient, par contrecoup, des régions rurales et peu denses comme le Limousin.
Favorisé par le développement des transports et l’évolution des communications, ce phénomène se traduit de manière nette dans les statistiques : le Limousin s’avère gagnant au "jeu" de la migration depuis les années 1970. Aujourd’hui, ce sont environ 10 000 personnes qui arrivent chaque année dans la région, contre 8 500 qui en partent. Quant aux français, ils sont 44 % à déclarer vouloir vivre à la campagne dans les 10 prochaines années, selon un sondage IFOP datant de 2001.
Forte de ces constats, la Région Limousin s’est engagée politiquement en 1999 avec la création de la Direction de l’Accueil et de la Promotion et le lancement concomitant d’une politique migratoire, et plus particulièrement d’une politique d’accueil.
Visant explicitement à amplifier les flux d’arrivées constatés, celle-ci a pour ambition de faciliter la prospection, l’installation et l’intégration de nouveaux habitants et de nouvelles activités.
Elle s’articule autour de cinq axes majeurs :
La chaîne de l’installation, qui part des régions périphériques au Limousin ou de l’Ile de France pour arriver jusqu’au bourg, au village, en passant, éventuellement, par le service Accueil du Conseil régional, reste à ce jour incomplète ou, à tout le moins, présente des maillons insuffisamment consolidés.
Cette situation est d’autant plus préjudiciable que la politique d’accueil est une politique faite d’emboîtements successifs, où chaque échelon tient, dans une partition collective, un rôle plus particulier. A la Région Limousin, plutôt la communication vers l’extérieur, la conception et le développement d’outils structurants, la diffusion et la mutualisation de bonnes pratiques ; au local (pays et intercommunalités) l’identification et la qualification des offres d’activités (reprises d’entreprises, richesses locales à valoriser, etc.), des offres de logement ; au micro-local (communes) l’appui à l’intégration du nouvel arrivant.
En l’occurrence, les missions relevant du niveau local, qui supposent la mise en synergie de nombreux partenaires (chambres consulaires, associations, collectivités locales, …), sont actuellement insuffisamment remplies faute de temps, de savoir-faire, voire faute d’un volontarisme politique suffisant.
Si la politique régionale d’accueil ne peut répondre à chacun de ces obstacles, elle tente toutefois, par la mise en œuvre des "pôles locaux d’accueil", de remédier au manque constaté de moyens d’animation et d’action et à ses conséquences.
A l’instar des territoires, le public qui manifeste aujourd’hui l’intention de s’installer à la campagne présente fréquemment un certain nombre de fragilités :
Lorsqu’on sait l’importance de ce public pour des territoires ruraux partiellement anémiés, l’enjeu réside donc dans la capacité à l’épauler, lui mettre le pied à l’étrier pour convertir ce qui, souvent, se révèle une fuite, un rejet d’une situation vécue en un véritable projet d’installation.
Pas de recette miracle en la matière, si ce n’est l’écoute, la rencontre, la formation. Pas d’outils miracles non plus, mais des pistes intéressantes comme l’appui apporté localement par des acteurs associatifs du plateau de Millevaches ou comme la "session de regroupement" organisée conjointement, en 2002, par le Parc Naturel Régional Périgord-Limousin et le Pays d’ouest limousin avec l’appui du service Accueil du Conseil Régional.
Faire de la place sur le plan résidentiel, faire de la place sur le plan professionnel, épauler des porteurs d’idées ou de projet dans un parcours allant du désir à l’installation effective, tels sont donc les termes de la difficile équation de l’accueil que la Région Limousin, avec ses partenaires, doit s’efforcer de résoudre.
Faire de la place dans les têtes, pourrait-on ajouter en guise de conclusion. Car il n’est d’accueil possible que dans un territoire ouvert, acceptant de partager son espace, prêt, tout en se laissant influencer par "l’étranger", à lui offrir une part de soi. Prêt, en somme, à intégrer. Question de confiance en soi, probablement ; question éminemment politique, en tous cas.
Stephane Grasser
Des fleurs à l’entrée d’un village, d’une ville, n’est-ce pas le premier signe d’accueil qui nous incite à faire une halte et à flâner dans ce lieu, aller à sa découverte.
Utopie direz-vous ?
La Région Limousin a lancé il y a quelques années son slogan “Limousin terre d’accueil”. Vaste programme puisqu’il s’agit d’attirer vers nos contrées des artisans, des commerçants, de nouvelles industries et différentes entreprises liées au tourisme. Le retour ou la venue de jeunes retraités donnera du dynamisme à notre Limousin. A entendre certains médias beaucoup de citadins voudraient vivre à la campagne. Mais le travail, point capital et source de revenus, n’est pas toujours au rendez vous. Il nous faut donc retrousser nos manches, faire preuve d’imagination, valoriser nos réels atouts régionaux chacun à sa mesure, si modeste soit elle.
Le courant du tourisme vert est une amorce pour une offre de territoire, avec la redécouverte du calme, d’une nature authentique et généreuse, le désir de retrouver des nuits noires étoilées, loin des lumières de la ville.
A pied, à cheval, à vélo, la vogue des randonnées se multiplie. Elles sont une incitation pour les communes à s’investir dans la remise en état des sentiers ombragés, dans la restauration du patrimoine local. Elles participent à l’accueil du touriste, au plaisir du visiteur. Des associations ont su mettre à profit ce désir de parcourir la campagne pour organiser de animations conviviales. A Peyrat le Château ces randonnées sont devenues tout au long de l’année un lieu de rencontre et de partage amical. Chacun peut y participer au rythme de son avancée en âge. A l’occasion des périodes de vacances le groupe de randonneurs s’élargit aux touristes de passage ou en villégiature.
C’est en zappant sur les informations de la chaîne Demain que, de leur campagne champenoise Patrick et Dorothée sont arrivés en Limousin, avec le souhait de vivre à la campagne. D’abord dans les Monts d’Ambazac où, avec le soutien de la Chambre de Commerce et du Conseil régional, ils ont réfléchi à d’un premier projet de commerce, mais les comptes n’y étaient pas. «C’était le mois de juin. L’été arrivait et toujours rien ; on commençait à avoir le bourdon. Une nouvelle fois c’est l’opportunité de la Chaîne Demain qui nous a présenté le magasin d’alimentation générale à Peyrat. Toujours avec les mêmes appuis, l’étude de faisabilité se révélait compatible avec les moyens dont on disposait. Il n’était que temps. Puisqu’on démarrait en juillet en pleine saison estivale.
L’enseigne Proxi est attractive. Peyratois et touristes viennent nombreux. Mais on ne connaissait personne. Il n’est pas facile de prendre ses repères pour distinguer le client de passage du peyratois sédentaire à fidéliser. Juillet-août est une période chargée ; tout le monde est bousculé, aucun édile communal ou responsable associatif n’a trouvé le temps de venir nous accueillir. Mais au fil de la saison, les peyratois nous ont vite adoptés. Après le coup de feu de l’été on a trouvé le temps de prendre nos marques. La fidélité de la clientèle peyratoise s’est confirmée. A la période des vœux de nouvel an, on a bien apprécié le pot d’accueil des nouveaux arrivants offert par la mairie, l’office du tourisme et les associations locales. Notre intégration dans la vie peyratoise s’opère très naturellement, parce que nous avons été acceptés tels que nous sommes. Et nous apprécions aussi toutes les structures d’accueil culturelles ou de loisirs qu’offre la commune. Avec notre enfant nous prenons la mesure de toute sa diversité».
Les mots et les signes de l’accueil ne sont pas toujours perceptibles dans les arcanes de notre système administratif. Son approche est toujours plus redoutable pour l’étranger que pour l’autochtone. Toutefois on perçoit ici ou là que des consignes ont été données pour que les démarches soient plus aisées, ou plus affables entre l’administré et le guichetier. Il y a encore beaucoup à faire, mais peu à peu les mentalités changent face aux vulnérabilités des uns, aux fragilités des autres. Au cours d’une récente émission de la télévision, un fonctionnaire expliquait au journaliste qui l’interrogeait “on ne peut pas faire ce travail, si on n’aime pas les gens”. Tout n’est pas possible mais risquer un regard, un sourire, proposer un soutien et s’acharner à trouver une solution au problème exposé n’est ce pas à la portée de toute femme, de tout homme, même en situation d’autorité ?
Aujourd’hui avec les habitudes de mobilité beaucoup de nos concitoyens sont amenés à faire l’expérience d’un changement de domicile, soit pour une mutation professionnelle ou par choix personnel. Quelque soit la motivation, c’est toujours avec une certaine appréhension que l’on traverse cette étape : il y a les ruptures d’amitié, la perte des repères habituels, un nouvel environnement à apprivoiser. Face à cette nécessité, l’association Familles Rurales a pris l’initiative de créer un groupe d’accueil formé de quelques peyratois. Le groupe n’a pas d’autre but que de souhaiter la bienvenue à tout nouvel arrivant pour qu’il se sente bien accueilli dans notre petite bourgade. Une modeste brochure lui est alors remise pour l’informer des différents services qui sont à la disposition de tous sur le territoire de la commune. Tous les renseignements pratiques et administratifs y sont répertoriés pour lui permettre de s’approprier toute la diversité de notre patrimoine communal.
Depuis la naissance de ce groupe d’accueil, au début de chaque année, le Maire, l’Office de tourisme et les représentants des associations invitent tous les nouveaux arrivants à se rassembler autour d’un pot de l’amitié. Ils ont ainsi l’occasion de découvrir toutes les facettes de notre vie communale. Voilà un bon moyen de faire des connaissances, de nouer des liens d’amitié. Après, chacun selon ses désirs et ses choix pourra participer à l’une ou l’autre des associations peyratoises. Et pourquoi ne pas donner un peu de son temps et de ses compétences au service de l’une ou l’autre ?
Pour les peyraytois de souche, le pot d’accueil de 2003 a été la surprise. Ils ont mesuré combien l’arrivée de nouveaux commerçants a remodelé le cœur du bourg, ils sont jeunes et apportent de la nouveauté. Par la qualité de leurs services ils nous épargnent le gaspillage de la surconsommation du caddie dans les grandes surfaces environnantes.
L’accueil est à la portée de tous, il doit être l’affaire de tous les acteurs de la vie locale et de chaque habitant. Il est alors simple et chaleureux, plein de spontanéité et d’amitié. Il suffit d’un sourire, d’un bonjour, d’une attention au nouveau venu pour que ces gestes deviennent signes de reconnaissance et d’intégration.
Par nature, l’homme n’est pas appelé à vivre en solitaire. C’est dans la relation qu’il trouve l’épanouissement de sa quête de bonheur.
Marie-Hérèse Gueguen
Depuis des lustres les scouts de toutes espèces viennent nombreux en Limousin. La nature leur offre mille et une possibilités d’activités de plein air pour favoriser l’éducation à l’autonomie et à la responsabilité. Autour de Peyrat plus de 200 jeunes viendront cet été de toute la France.
Leur accueil est lié à l’activité d’un foyer relais, ancien du mouvement scout, où arrivent les demandes des groupes eux-mêmes, et toutes celles qui transitent par la mairie ou l’office de tourisme. Une aubaine et une coordination nécessaire pour aider à la constitution des dossiers administratifs de plus en plus épais et abscons.
Ils sont accueillis sur des terrains prêtés par la commune ou par des agriculteurs. Là où ils peuvent trouver l’eau et le bois, et en proximité du bourg avec tous ses services. Ils reviennent souvent étonnés de la confiance qui leur est faite chez les commerçants.
Un accueil ponctuel leur est offert par de nombreux professionnels : éleveurs, forestiers, artisans ou simples résidents ; ils permettent à ces jeunes citadins de découvrir la diversité des activités exercées dans l’espace rural et combien méconnues. En guise de remerciement les scouts accomplissent des actions de services qui leur sont proposées : restauration de fontaines, nettoyage de l’église, entretien de chemins, ou même des plantations d’arbres.
Tous ces groupes apprécient l’accueil qu’ils reçoivent, mais aussi les échanges avec les habitants qui les hébergent pour une nuit à l’occasion de leurs RED (Randonnée, Exploration, Découverte). Tant et si bien que de cinq en dix ans, on retrouve parmi l’encadrement de ces groupes, des adultes et des ménages qui ont gardé la trace des joies vécues et mémorisées au cours des camps de leur adolescence en Limousin. Ils reviennent pour faire partager aux plus jeunes cet apprentissage de la vie commune dans l’amitié et la solidarité forgées au contact de la nature. Et si demain dans ce vivier certains pouvaient planter leur tente définitivement en Limousin?
Michel Gueguen
Le CADA de Peyrelevade a ouvert ses portes en 2015 à l’initiative de son maire. L’enthousiasme était au rendez-vous, mais très vite des difficultés ont émergé entre les différents acteurs administratifs et associatifs sur les politiques d’accueil et de suivi à long terme des personnes accueillies. Dans le même temps, des habitants des villages alentours et certaines associations se sont engagés dans l’accueil. Le MAS (Montagne accueil solidarité) et la Cimade de Peyrelevade se sont affirmés dans leur mission de suivre les déboutés du droit d’asile et le réseau associatif local a hébergé d’anciens résidents du CADA dans différents villages du Plateau. Des échanges avec la mairie de Peyrelevade et les gérants du CADA ont été initiés, soit par des résidents du CADA, soit par des bénévoles associatifs, sans succès, pour trouver des solutions aux problématiques soulevées par les résidents (manque de transports ou absence de connexion internet par exemple), tant et si bien que les clivages entre les parties en présence n’ont fait que s’accentuer.
Le 10 Juillet 2019, une lettre des résidents, reprenant des demandes essentielles (plus d’équipement dans les cuisines, le wifi et la mise en place de transports), signée par l’ensemble des résidents (moins une personne), a été adressée à Forum Réfugiés qui gère le CADA, ainsi qu’en copie à la mairie. Une démarche qui a été très mal interprétée par le personnel du CADA. Le MAS et le Syndicat de la Montagne limousine ont eu vent de ce courrier et il en découla des échanges difficiles avec la mairie et la direction de Forum Réfugiés mais sans que le nœud du problème, qui reste la situation que vivent les résidents du CADA, ne soit traité. Si la tension est retombée ensuite, la situation n’a cessé de se dégrader, ce qui n’a pas facilité la tâche à la nouvelle directrice arrivée à cette période. Heureusement, le premier confinement s’est passé sans trop de problèmes. Sauf que cet été, le personnel du CADA, face à une invasion prononcée de cafards, a pris l’initiative de rentrer dans les espaces privés des résidents, en leur absence, pour retirer sans sommation meubles et appareils achetés par leurs propres moyens... pour justement pallier le déficit occasionné par la non prise en compte de leurs demandes. Comme le dit un ancien résident, cela a été « une énième humiliation », si l’on considère les propos désobligeants et intimidants tenus par certains membres du personnel à l’endroit des résidents.
Une deuxième lettre des résidents a été rédigée le 10 novembre 2020 comprenant 12 points pour l’amélioration des conditions de vie dans le centre. Suite à cette lettre, un contact téléphonique et un courrier de Forum Réfugiés démontraient un manque de volonté évident, y compris de reconnaître la situation réelle et de faire ne serait-ce qu’un pas dans le sens des revendications des résidents. Un courrier spécifique a été par ailleurs envoyé aux services de la Préfecture (DDCSPP) et à L’Agence régionale de santé (ARS) afin de signaler la situation alarmante des conditions de vie dans ce centre. Un appel à manifester devant le CADA a été lancé et a mobilisé une centaine de personnes le 21 novembre. Les prises de parole se sont succédées sans se concentrer sur les vrais problèmes. Le plus triste est que les concernés se sont enfermés dans leurs chambres par peur de représailles, même si quelques-uns ont brandi à travers leurs fenêtres des cartons reprenant leurs demandes. Le samedi 28 novembre, une commission de travail entre des membres du groupe exilés du Syndicat de la Montagne limousine, la mairie de Peyrelevade (et prochainement avec la direction de Forum Réfugiés) s’est réunie une première fois afin de tenter une ultime approche pragmatique. Cette commission devrait se réunir régulièrement afin de voir aboutir les demandes des résidents.
Contrechamps intitule son projet : “Construire ensemble une nouvelle ruralité”. Il s’agit d’inventer, de mettre en œuvre et de soutenir un développement local ancré dans un territoire rural en déprise et porté par ses habitants. Notre conviction est que conjointement à la dimension économique du développement (souvent confondu avec croissance) doivent co-exister une dimension sociale appropriée (reconnaissance, échange, partage, solidarité) et une dimension culturelle de qualité (diversité, accessibilité, participation, etc.). Ces trois dimensions sont indissociables et elles doivent s’interpénétrer pour se féconder mutuellement. Ainsi, dans la transversalité et le décloisonnement des activités, se construisent du sens et du lien entre les personnes.
Depuis le 1er janvier 2002, Contrechamps loue par bail emphytéotique à 99 ans, un ensemble de bâtiments situé à Trasrieux sur la commune de St Julien le Petit. Il s’agit d’une ferme fortifiée du 17ème avec granges, cour intérieure, et petit château qui vient de faire l’objet d’une demande de protection auprès de la commission régionale du patrimoine historique.
L’association souhaite sauvegarder l’ensemble de ce patrimoine architectural dans le respect de son caractère d’origine tout en lui donnant une destination conforme aux attentes d’une partie des habitants du territoire et aux objectifs de l’association.
L’idée maîtresse est de faire de ce site remarquable, un lieu d’accueil, de rencontre et d’expérience pour tous publics dans les domaines de l’animation pédagogique, de la formation et de l’expression artistique. Ces activités se développeront dans un rapport étroit avec le domaine agricole de Trasrieux (du GAEC Champs Libres) et la dynamique locale.
Parmi les aménagements, il est prévu de réaliser un hébergement collectif d’une capacité de 30 places, des salles d’activité, une salle d’expression artistique et de spectacles de 80 places et un ensemble de restauration.
Pour commencer tous ces travaux l’association organise cet été, du 2 au 18 août 2002, un chantier international de jeunes autour de la rénovation de la grange, pour en faire une salle de spectacles. Une vingtaine de jeunes de 18 à 30 ans sont attendus pour se rencontrer autour de quatre grands thèmes :
Philippe Simon
Le but : faire mieux connaître à ces candidats à l'installation en milieu rural, ce qu'est le Limousin, les possibilités qu'il peut leur offrir et leur permettre de valider leur idée d'activité et leurs motivations pour vivre à la campagne.
Cette initiative fait suite à plusieurs années d'expérience en matière d'accueil de nouveaux habitants dans notre région. En 2003 en effet, plus de trois années de contacts, d'orientation et d'accompagnement des candidats à l'installation en Limousin avaient permis à la Région Limousin de tracer un bilan sur les besoins de ce public et de tirer des enseignements sur les réponses apportées.
Il apparaissait que la demande d'installation en milieu rural se caractérisait de plusieurs manières.
En terme de création d'activité, on relevait souvent un manque de connaissance de la démarche de création d'activité et un comportement consommateur sans doute dû à la méconnaissance du parcours de création qui amenait les candidats à l'installation à rechercher des solutions "clés en main". Enfin, on constatait fréquemment une capacité à entreprendre aléatoire, la décision d'installation en milieu rural résultant parfois plus de la volonté de rompre avec une situation professionnelle ou personnelle insatisfaisante que d'un choix personnel réfléchi et validé.
En terme de vie en milieu rural, on trouvait une méconnaissance des conditions de vie à la campagne. Celles-ci étaient souvent plus imaginées que réellement appréhendées. Le milieu rural était perçu comme un espace où l'on peut retrouver les mêmes avantages que dans les grandes villes (même niveau de services) sans les inconvénients (moins de pollution, plus de sécurité, plus de contacts humains…). Cette méconnaissance représentait potentiellement une source d'échec.
Ce constat a été largement partagé par les acteurs techniques et territoriaux du Limousin, en particulier à l'occasion de plusieurs opérations comme "Projets en Campagne" (la foire à l'installation de Limoges) ou diverses sessions de regroupement. S'ils étaient outillés pour répondre aux besoins des créateurs dans la phase de réalisation effective de leur projet, les acteurs de l'accueil manquaient de réponses pour permettre aux candidats éloignés géographiquement et situés très en amont des parcours de création, d'entrer dans une dynamique de formalisation de projet.
Forte de ce constat la Région a décidé en 2003 de mettre en place de façon expérimentale un dispositif d'accompagnement pour les candidats à l'installation en Limousin porteurs d'une idée (voir IPNS n°5, l'article de Stéphane Grasser).
Ce dispositif dont la mise en place a été confiée à l'association Airelle Limousin proposait trois modules qui permettaient aux citadins désireux de venir s'installer à la campagne de travailler sur la construction de leur projet professionnel, la perspective d'une installation en Limousin et la découverte de l'entreprise. Si 16 personnes ont intégré ce dispositif, 9 l'ont suivi de bout en bout et parmi elles deux ont abandonné leur projet et décidé de se réorienter alors que sept au contraire ont validé leur idée et se sont engagées dans une démarche de création d'entreprise. Cependant ces projets ne se sont pas forcément concrétisés en Limousin dans la mesure où ce module d'accueil n'impliquait pas suffisamment les différents territoires du Limousin. Les candidats à l'installation ont donc privilégié dans leurs démarches des contacts qu'ils avaient déjà établis auparavant avec d'autres régions.
En conclusion, si le dispositif d'accompagnement avait prouvé son efficacité pour aider les personnes à passer du stade de l'idée au stade du projet, il apparaissait nécessaire de les confronter davantage, et dès le début de leur réflexion, à la réalité des territoires ruraux limousins et aux acteurs qui y interviennent pour augmenter leurs possibilités d'installation dans notre région.
C'est dans cette optique qu'a été conçue la nouvelle opération qui débutait le 8 septembre à Paris. Des rencontres avec des acteurs locaux et des représentants des différents "pôles locaux d'accueil" de la région, ainsi que deux séjours en Limousin devaient répondre au manque repéré dans le dispositif expérimental de 2003.
Du coup, les personnes présentes cette année dans ces sessions, sont parties avec l'idée de réaliser leur projet en Limousin. Plusieurs ont du reste témoigner de la qualité et de la rapidité des réponses qu'ils ont obtenues du service accueil de la Région. L'une d'elle avait pris contact par téléphone avec plusieurs régions et n'avait reçu que des commentaires évasifs et peu intéressés avant de tomber en Limousin sur des personnes compétentes et efficaces dans leur réponses. Du coup elle avait rejoint la session organisée à la maison du Limousin avec l'idée de venir plutôt s'installer chez nous !
Comme quoi l'accueil tient parfois à une disponibilité et à un contact humain direct et efficace.
Michel Lulek
En quittant la région parisienne, Léa et Mitia n’ont pas fait pour autant table rase de leurs expériences professionnelles en choisissant de s’implanter sur la Montagne limousine. Léa, anthropologue et psychologue clinicienne, exerçait en milieu carcéral. La voilà partageant son temps entre une activité libérale dans le quotidien de nos villages, un temps partiel à l’écoute des résidents d’un foyer occupationnel en Corrèze et un temps consacré à l’association. Mitia a dirigé pendant vingt-cinq ans l’agence qu’il a fondée en qualité de scénographe dans un cadre muséal. « J’avais besoin de prendre le large avec ce métier qui m’a passionné pendant de nombreuses années mais qui, à mon sens, perdait petit à petit son sens initial, la créativité au service d’un engagement ». Il se penche aujourd’hui sur les plans d’aménagements intérieurs et extérieurs des bâtiments et du terrain que le couple a acquis pour installer un projet ambitieux et novateur.
Léa et Mitia ont choisi le plateau de Millevaches pour l’engagement citoyen et politique et l’accueil chaleureux de ses habitants, pour ses paysages, mais aussi parce qu’une tradition de réflexion sur le soin en dehors des institutions (mais non pas contre) y est présente depuis de nombreuses années et a donné lieu à certaines expériences pérennes, tel le groupe d’entraide dit aussi groupe « psypsy »(voir IPNS n°71).
Les Maisons de Lagathe, lieu où se dérouleront la majorité des activités de La Broussaille, seront un « cocon » rassurant les hôtes venus pour des séjours au calme en même temps qu’un espace bouillonnant de la créativité des artistes en résidence.
Dans les bâtiments, les travaux sont rondement menés et déjà cette double identité est palpable. Lagathe se situe à flanc de côteau, sur les bords du plateau, dans un creux de verdure à la fois intime et ouvert sur le grand paysage creusois vers l’Ouest. En entrant dans la maison principale, le visiteur trouve ses repères traditionnels. Une ancienne cheminée, une grande table massive et centrale. Et puis l’œil s’arrête sur des détails qui interrogent. Un piano dans la salle à manger ? On prévoit que les repas pourront être accompagnés de chants festifs ou qu’un hôte entonne des mélodies plus douces en fin de soirée. Deux escaliers ? Ils desservent deux étages de chambres qui peuvent recevoir jusqu’à onze personnes pour des séjours de durées variables. Dans le salon, un canapé, des fauteuils, une bibliothèque et un écran qui peut être déplié pour des projections. La pièce vibre encore des récits de la première « résidence », celle de David et Martial venus d’Angoulême pour travailler à l’écriture d’une histoire à quatre mains.
De l’autre côté de la cour, un atelier dédié à l‘entretien des bâtiments et du terrain. Ce dernier, un temps délaissé, demande un travail de longue haleine. Les différents plans y dessinent des circulations douces, des enclaves intimes, des petits amphithéâtres de verdure. L’eau est présente et rythme ces espaces : une grande mare, une fontaine d’eau de source. Les aménagements extérieurs seront conçus avec les résidents successifs de Lagathe dans le respect de l’équilibre et des ressources du milieu.
Un peu plus haut, une grange sur deux niveaux de plain-pied a été réaménagée. Le premier ouvre sur un atelier qui va très prochainement accueillir un four à céramique, le second est entièrement consacré à une vaste salle qu’on devine celle de la recherche et de la création dans le champ du spectacle vivant, des arts graphiques, de la musique.
Enfin, surplombant le hameau, permettant à ceux qui le souhaitent de se tenir un peu à l’écart, le four à pain est un gîte pouvant loger deux personnes.
Le projet de La Broussaille s’oriente selon une perspective à deux dimensions.
La créativité d’abord. Le nom, La Broussaille, est le symbole d’une effervescence désirée, en dehors des sentiers battus. Ce n’est pas un lieu de villégiature mais bien de recherche et d’expression. À l’ombre des futaies de l’art académique, la végétation broussailleuse offre ses espaces moins exposés à une expression de vie foisonnante. C’est dans ces entrelacs qu’on trouve de belles mûres, des oiseaux farouches à notre bruit citadin, des fleurs qu’on ne peut pas cueillir tant elles sont protégées par des ronces. En ouvrant le gîte et les ateliers à des artistes « en résidence », les animateurs de La Broussaille proposent de créer les conditions favorables à l’expression individuelle et collective. Les hôtes y trouveront la sérénité nécessaire pour développer un projet graphique, plastique, corporel, théâtral… qui sera montré ou pas, selon les désirs de chacun.e.
La deuxième dimension du projet est celle de l’accueil de personnes en difficultés psychiques ou porteuses d’un handicap mental. Elles viendront seules ou en groupe, de leur propre initiative, dirigées par leur médecin traitant, suite à des discussions avec le groupe « psypsy » ou dans le cadre d’un séjour pris en charge par une institution, avec ou sans l’accompagnement qui les suit habituellement. La Broussaille ouvre une parenthèse privilégiée dans les aléas de la vie et dans le parcours de soins et un espace-temps différent pour les aidants. Elle est une maison où chacun.e prend part à l’organisation quotidienne, dans la mesure de ses possibilités, partage les espaces et les temps ordinaires ou s’isole si le besoin s’en fait sentir, participe à une balade dans le parc ou à un atelier sur un mode d’expression qui l’intéresse.
La Broussaille s’est donné pour objet de favoriser et d’accompagner les démarches créatives et les rencontres d’artistes, d’artisans, de personnes en souffrance psychique ou porteuses d’un handicap mental, y compris des artistes traversés par la question de la souffrance, qui peuvent ressentir le besoin d’un séjour de répit créatif pour poursuivre leur démarche artistique. En accueillant ces différentes personnes, La Broussaille cherche à renouveler le regard, à expérimenter de nouvelles façons de faire et à favoriser la réflexion.
Un tel projet nécessite un nombre important de partenaires. Se sont ainsi réunis physiquement à Lagathe des représentants d’institutions aux compétences variées. Ils ont marqué leur soutien à cette double identité du projet : culture, santé, jeunesse et cohésion sociale, secteur hospitalier et initiatives citoyennes en santé, développement économique et innovation sociale… et de toutes les couches du millefeuille de l’administration décentralisée de l’État, de la Région, du Département, de l’Intercommunalité et de la municipalité de Saint Martin-Château.
Le fil conducteur de La Broussaille pour quelques années à venir, c’est la rencontre. « La rencontre est une notion qui s’est imposée dès nos premiers échanges, se rappelle un membre de l’association. C’est d’abord la rencontre avec le territoire proche, ses habitants, son milieu. C’est aussi notre propre rencontre en tant que membres du collectif fondateur. Soignants, philosophe, artistes, enseignantes, artisan, cadre d’éducation populaire, psychologue, danseuse… nous venons d’univers différents, avec des mots, des représentations, des expériences professionnelles ou citoyennes variées. Partager un projet dans ces conditions demande beaucoup d’écoute, de vigilance. Et ce n’est pas toujours évident de se projeter ensemble dans une expérience dont nous ne mesurons pas d’emblée tous les contours ». Car l’enjeu pour la vie à venir de La Broussaille se situe là : comment artistes et résidents en séjour de répit vont-ils se côtoyer, cohabiter, partager les moments en commun ? Comment se perçoivent-ils mutuellement ? La bienveillance que les animateurs du lieu jugent primordiale est-elle suffisante ? Tous les résidents feront-ils en sorte de se rendre disponibles à une rencontre avec les autres, en leur ouvrant par exemple leur atelier, en menant avec eux des activités communes ? Une autre, membre de l’association, explique : « Lorsque nous présentons les fondements de La Broussaille, nous disons de la rencontre qu’elle est une dimension essentielle du projet, avant laquelle il n’y a rien d’autre que des personnes de bonne volonté, dans un cadre favorable et bienveillant. Tout le reste sera ce que les femmes et les hommes en feront. Rien n’est institué préalablement. »
Les rapports à soi, à son environnement, aux autres et plus globalement au monde peuvent s’avérer difficiles pour chacun d’entre nous, pour des temps plus ou moins longs, engendrant des troubles plus ou moins profonds, visibles ou non, diagnostiqués ou pas. Sans prétendre être elle-même un lieu de soin, La Broussaille conçoit et organise ses séjours comme des espaces et des temps où il est possible à chacun - accueillants, accueillis, accompagnants, artistes en résidence ou membres de groupes invités pour développer des projets créatifs - de vivre sereinement la rencontre « pensée comme une redécouverte de l’environnement immédiat et du monde, l’occasion d’une ouverture, d’une disponibilité à l’autre, à la création et à l’imagination» poursuit Léa. C’est la raison d’être du lieu et des séjours qui y sont organisés, inspirés par une philosophie et des méthodes éprouvées depuis plus de soixante-dix ans par les tenants de la psychothérapie institutionnelle.
Lorsque François Tosquelles - l’un des fondateurs de la psychothérapie institutionnelle - arrive à Saint-Alban-sur-Limagnole en 1940, il ouvre les portes de l’asile, pousse les patients en dehors des murs en les invitant à aller aux champs, au village. C’est également une forme de décloisonnement que propose La Broussaille. Décloisonner les gens, les milieux, les statuts, les préjugés. Questionner la liberté de faire ou ne pas faire, de dire ou ne pas dire, d’essayer, d’expérimenter.
Léa et Mitia ont visité des structures semblables à celle qu’ils veulent animer. Ils ont fait un tour en France et en Belgique et sont revenus en Creuse les yeux pétillants d’intérêt pour l’inventivité, l’attention portée aux autres et à l’environnement de chacun, les gestes observés à l’ESAT la Bulle bleue de Montpellier, au Cercle des oiseaux à Riez dans les Alpes de Haute-Provence, au 3bisF d’Aix-en-Provence, à La Source à Annonay. Et aussi en Belgique où il existe une longue tradition d’ateliers de pratiques artistiques au sein d’institutions médico-sociales et sanitaires. Des artistes travaillent à temps partiel dans des institutions où ils animent des ateliers fréquentés par des résidents et patients durant de nombreuses années.
Expositions, concerts, livres sortent de ces ateliers et voyagent à travers le monde. Toutes ces expériences se situent de près ou de loin dans une dynamique où le soin et la créativité sont intimement liés. Dans ces lieux, l’activité artistique n’est pas, comme dans de nombreuses démarches plus connues, une activité de loisirs, un prétexte socio-éducatif ou socio-culturel, une activité à des fins occupationnelles ou d’art-thérapie.
Les animateurs de La Broussaille ne portent aucun jugement négatif sur ces domaines, mais il s’agit ici d’une autre dimension, complémentaire à celles-là. Ils soutiennent que les pratiques créatrices ont des effets positifs sur la construction, l’émancipation, le bien-être et l’insertion des sujets dans la société. Léa poursuit : « on pourrait dire de la créativité comme de la rencontre qu’elle permet de recomposer, de réarticuler, de recréer des possibilités, de penser et d’être au monde ».
Ces expériences ont également en commun de n’être pas menées dans l’espace fermé d’un service de psychiatrie par exemple. Décloisonner c’est aussi affirmer que le thérapeutique – dans son sens étymologique de « prendre soin » - n’est pas et ne doit pas être cloisonné dans l’enceinte de l’hôpital et qu’il n’est pas réservé à des soignants. En ce sens, La Broussaille s’intéresse à tout ce qui se développe en dehors de l’hôpital : le groupe « psypsy », les groupes d’entraide mutuelle, le réseau des entendeurs de voix, le dialogue ouvert, les mouvements liés à l’antipsychiatrie, etc... Ces expériences sont ouvertes, en lien perméable avec le territoire dans lequel elles sont implantées, elles assurent une communication fréquente et réciproque avec ses habitants.
C’est dans le sillon de ces différentes expériences, locales ou plus lointaines que se situe La Broussaille. Léa et Mitia venaient chercher une mise en cohérence de leurs activités professionnelles et de leurs aspirations citoyennes. Les voilà insérés parmi les acteurs de la dynamique sociale de leur territoire.
François Hannoyer
Les personnes migrantes et étrangères en France sont bien plus nombreuses dans les grandes villes qu’ailleurs. Il ne faudrait pas le voir comme un choix de leur part. La migration des pays du Sud vers la France (puisque c’est de celle-ci que l’on discute) a historiquement servi à nourrir les usines et le secteur des services des grandes centres urbains européens. Pour la plupart déracinées et confrontées aux violences systémiques de l’État, la ville est pour les personnes migrantes le lieu où il est possible de trouver du travail, de retrouver des personnes de sa communauté pour s’entraider, de circuler avec moins de difficultés qu’ailleurs, de se fondre dans un certain anonymat permettant d’être moins exposé à un racisme quotidien. Pour beaucoup de personnes migrantes, il est quasiment inimaginable d’aller tenter sa chance à la campagne.
Pourtant, beaucoup de migrant.es ont un rapport sensible à la terre. Parmi les personnes qui s’exilent en France, on retrouve des familles paysannes qui ont donc directement vécu de la terre, parfois pendant des générations. Les phénomènes climatiques poussent de plus en plus d’habitant.es des pays du Sud à quitter leurs lieux de vie, quand ce n’est pas l’accaparement des terres communes par les impérialismes européens, étatsunien, chinois ou indien qui y œuvrent1. Le capitalisme, après avoir vidé les campagnes en Europe, continue sa course dans le sud global, accompagné cette fois du dérèglement climatique.
Comment faire du lien entre la ville et la campagne pour des personnes qui, pour des contraintes de papiers, ne trouvent d’autres boulots que dans le ménage, le bâtiment ou la sécurité ? Les entreprises en ville profitent d’une main d’œuvre vulnérabilisée, sans droit, qu’elles exploitent à merci. Dans ce genre de travail, il n’est nullement question de savoir-faire, de transmission, de soin. Ce n’est pourtant pas l’envie ou les capacités qui manquent à aller travailler la terre, mais l’accessibilité de ces métiers pour ces personnes sans lien avec les organisations paysannes françaises.
L’association A4 est née d’une rencontre entre des personnes exilées ayant vécu pendant plusieurs années dans le bocage nantais à Notre-Dame-des-Landes, et des personnes mobilisées autour de Paris et Saint-Denis dans des luttes liées à la régularisation et au logement. Elle est donc essentiellement composée de personnes exilées mais est ouverte à toutes et tous. Pour beaucoup de ceux et celles qui luttaient en ville, il était évident que la campagne ne leur était pas destinée. À l’été 2021, le mouvement Reprises de Terres a organisé des rencontres visant à s’organiser collectivement contre l’accaparement des terres et leur saccage par l’agro-industrie et l’urbanisation. C’est au sein de ces rencontres que des personnes de Saint-Denis ont été invitées, pendant que des exilées ayant vécu en milieu rural ont raconté leurs trajectoires depuis leur arrivée en Europe. L’idée de former une association qui ouvrirait des opportunités pour des personnes exilées en milieu rural est né à ce moment-là.
L’association a vocation à ne pas laisser des personnes partir seules. On le sait, des personnes migrantes isolées sont parfois considérées de façon indigne et se retrouvent ostracisées. Les expériences rurales des personnes sans papiers, surtout dans le Sud de l’Europe, sont essentiellement associés à du travail dans de la monoculture intensive où les cas d’abus et de maltraitance sont légion. En plus de cela, les personnes sans papiers pourraient être à la merci de contrôles de police, sans avoir la possibilité d’être soutenues et défendues. L’objectif de l’association A4 est en quelque sorte de préparer le terrain. Pour l’instant, A4 organise des voyages enquêtes, où il s’agit de constituer un réseau de fermes accueillantes. Des liens humains se nouent à chaque voyage et permettent d’envisager concrètement à quoi ressemblerait un accueil dans telle ou telle ferme. L’association A4 permet d’assurer un accès à des espaces paysans de bonne volonté, qui seront moins enclins à abuser de la vulnérabilité des personnes migrantes. L’hypothèse de A4 est aussi de montrer que la rencontre efface la crainte de l’étranger et des fantasmes construits autour des migrants, au profit d’une confiance et d’amitiés liées à de l’interconnaissance.
En février 2022, des membres de l’association A4 sont venus dans le Limousin pour leur premier voyage enquête. À la fête de la Montagne, l’association nous a présenté son film, D’égal à égal qui retrace leur semaine passée ici. Commencer à filmer ces voyages, c’était aussi une façon de montrer aux personnes migrantes coincées en ville que la campagne n’est pas réservée aux blancs et aux Français, et qu’il y existe des possibilités pour elles aussi. Le voyage a permis de voir qu’il existait déjà des initiatives proches d’A4, par exemple du Wwoofing France ou du JRS (Jesuit Refugee Service) qui proposent à des habitants de CADA des courts séjours dans des fermes en Limousin ou des possibilités de stages ou de travail pour se régulariser et intégrer des fermes. À la suite de ce premier voyage-enquête, un membre de l’association A4 est venu pendant trois semaines à Tarnac, pour participer à des cantines, faire du pain et du maraîchage.
Après le Limousin, A4 s’est rendu à Lannion en Bretagne. Là-bas, l’association a rencontré les résidents d’un CADA. Cette rencontre a donné lieu à la constitution d’un groupe local pour s’organiser en mobilisant paysans et artisans de la région pour accueillir à la fois les personnes du CADA et des personnes venues d’ailleurs désireuses de (re)nouer avec la terre.
Ces voyages permettent de définir ce que serait un territoire accueillant. Au-delà de l’activité paysanne et artisanale, un territoire accueillant serait aussi un territoire dense en associations et collectifs à même de fournir de l’aide administrative. Des personnes en difficultés administratives auront besoin d’aller à la préfecture, de faire des démarches pénibles et fastidieuses. Il faudrait aussi que toute cette charge ne pèse pas sur les paysans qui accueilleraient des personnes exilées, mais que soit mobilisé le tissu associatif qui habite ces mêmes territoires.
Le monde paysan est lui aussi en difficulté. L’association A4 œuvre à cerner ces difficultés et réfléchir aux bases depuis lesquels l’association et les paysans pourraient travailler ensemble. L’idée n’est pas simplement de venir « en aide à » mais de se tenir ensemble. La réalité est pourtant bien difficile à admettre : les structures paysannes peinent déjà à sortir un SMIC complet de leur exploitation. Faire le lien avec des organisations paysannes et ouvrir les fermes est aussi un moyen de les dynamiser et ne pas se laisser grappiller par l’agro-industrie et la monoculture intensive. La moitié du monde agricole va partir à la retraite dans les 10 prochaines années. Les terres existent, et si elles finissent par profiter à l’agro-industrie, les sols ne cesseront de s’épuiser et mettre en péril notre subsistance à long terme. Il se trouve aussi que des personnes qui viennent des pays du Sud ont des savoir-faire spécifiques, par exemple quand les sols s’assèchent et que l’eau devient moins abondante. La richesse du projet est ici : il n’y a pas des sachants et des non-sachants. Il y a des personnes qui ont différentes expériences et pratiques de l’agriculture.
Finalement, il s’agit de défaire le non-sens qui consiste à obliger les personnes sans papiers à ne rien faire du fait de leur « irrégularité ». Assignés à la ville ou confinés en CADA en milieu rural sans autre possibilité que celle d’attendre que l’État décide de leur sort, A4 offre des possibilités pour des personnes migrantes de se saisir de leurs existences sans attendre que les institutions décident !
Il ne faudrait pas oublier que les campagnes des pays du Sud sont dévitalisés du fait que des communautés sont dépossédés de leurs moyens de production par l’appropriation de leurs terres et par les effets de la dévastation écologique. Les flux migratoires alimentent ensuite l’économie des grandes villes européennes en profitant d’une main d’œuvre très bon marché. Il y a un véritable enjeu que les personnes soumises à ces dynamiques désertent, acquièrent de vrais savoir-faire, ou utilisent ceux qu’ils ont déjà, investissent les terres agricoles en France et puissent se préparer ou soutenir ceux et celles qui lutteront dans le Sud pour reprendre leurs terres.
Pourrions-nous, sur notre territoire, réfléchir à monter une antenne locale de l’association A4 ?
Aujourd’hui mercredi 16h, Gaspard dessine les animaux qu’il collera dans le livre pêle-mêle qu’il est en train de fabriquer, aidé de sa grand-mère et guidé par l’animatrice. Issa, lui, découpe et colle soigneusement les siens. Issa a terminé. Gaspard se lasse, il préfère jouer à un jeu de société, il finira le livre chez lui avec Mamie. Ici, à La Courte Échelle, pas d’obligation, c’est l’enfant qui décide ce qu’il veut faire ou ne pas faire.
L’odeur du pain d’épice commence à embaumer la pièce, c’est bientôt l’heure du goûter. Son travail administratif achevé, l’autre employée de l’association, vient en renfort. Elle se charge de l’accueil et de servir les boissons pendant que sa collègue range le matériel qui a servi pour l’atelier graphique. Une adhérente, venue seule, profite de la connexion Internet en buvant son café. Dehors, les plus grands apprennent joyeusement à utiliser les boomerangs qu’ils ont fabriqué tantôt avec Christo, animateur de l’association R 2 jeu, passé maître dans l’art de faire voler toute sorte d’objets identifiés. Deux enfants ont préféré rester bouquiner à l’étage, au calme.
Cette après-midi, il y a foule à La Courte Échelle, le café des enfants d’Eymoutiers, il faut dire que deux animations le même jour, ça fait venir du monde… Hier, mardi, en fin d’après-midi, des adhérent-e-s sont venu-e-s visionner un film documentaire qui s’est clôturé sur un débat. Demain matin, premier jeudi du mois, des familles d’enfants en bas âge ou non-scolarisés viendront profiter de la foire et des jeux de La Courte Échelle. Peut-être. En général, au cours de la semaine, la fréquentation est aléatoire, parfois c’est plein, parfois il n’y a personne pendant un moment, puis les adhérent-e-s viennent au compte-goutte. En revanche, le samedi matin, jour de marché, le local est toujours plein. Il y a bien sûr des familles qui viennent profiter des livres et des jeux, mais aussi beaucoup de personnes sans enfant qui viennent se retrouver autour d’un café ou manger un morceau car, ce jour-là, un plat simple et bon marché est proposé aux adhérent-e-s.
Face au constat qu’il n’existait que très peu d’endroit où les parents et leurs enfants peuvent passer du temps ensemble et faire des activités communes, Cadine, Isabelle, Frédérique et Florence ont eu envie de monter une structure dans laquelle une grande place serait faite aux enfants. Un lieu pour les familles, mais pas seulement, un lieu intergénérationnel ouvert à tou-te-s, même sans enfant. C’est ainsi qu’en 2011, l’association La Courte Échelle est née. Au cœur du projet, il y a avant tout l’épanouissement de l’enfant, le respect de sa personne et de ses droits, l’esprit de la convention des droits de l’enfant, citée en préambule des statuts, et la volonté de faire participer les enfants le plus possible à la vie de l’association.
D’abord itinérante, La Courte Échelle s’est ensuite installée deux ans à Peyrat-le-Château, sous le nom de Café des z’enfants. En 2013, elle a reçu l’agrément d’Espace de vie sociale par la Caisse d’allocations familiales de la Haute-Vienne - toujours en vigueur à ce jour - et a pu créer trois postes salariés : un emploi associatif en CDI et deux emplois aidés. En 2014, le Café des z’enfants a déménagé dans un petit local de la place Jean-Jaurès à Eymoutiers, élargi ses horaires d’ouverture à trois jours par semaine, développé des partenariats, mis en place de nouvelles actions et a vu le nombre de ses adhérent-e-s monter en flèche.
Depuis lors, La Courte Échelle a connu des périodes prospères et d’autres plus difficiles (baisse les subventions publiques, suppression des emplois aidés, manque de forces vives, etc.). Mais après dix ans d’existence, elle est toujours là et nécessaire, voire indispensable, pour nombre de ses adhérents. Ce qui plaît tant dans ce lieu est avant tout les liens sociaux qui s’y nouent assez facilement car La Courte Échelle est un lieu propice aux rencontres, aux échanges. C’est un endroit important pour les parents isolés, qui passent beaucoup de temps seuls avec leur-s enfant-s en bas âge, pour certaines personnes vivant seules venant simplement y passer un moment pour voir du monde ou proposer bénévolement une activité, pour les parents qui pratiquent l’instruction en famille ou encore pour les familles qui viennent de s’installer dans les environs et cherchent à lier connaissance. Outre sa fonction d’accueil et d’animation, l’association s’est aussi donné pour mission de soutenir la parentalité à travers des discussions entre parents (la mensuelle Parlotte des familles), des rencontres, des projections, des ateliers, la mise à disposition de livres et de revues… Autant d’actions qui permettent d’aider les familles qui en ont besoin.
Depuis 2019, le nom Café des z’enfants n’est plus utilisé et c’est désormais La Courte Échelle, le nom d’origine de l’association, moins restrictif, qui est mis en avant. Certes La Courte Échelle est toujours un café des enfant mais, dans un souci d’ouverture du lieu à tous les publics, et notamment aux adolescents, le nom a été changé. Toujours dans une volonté d’ouverture, l’association s’est récemment restructurée afin de faciliter l’implication bénévole. Chacun-e est invité-e à participer au projet en s’inscrivant dans la/les commissions de son choix : ressources humaines, local, animation, communication et finances.
En 2019 également, afin d’accueillir le public dans de meilleurs conditions, La Courte Échelle a quitté le local trop exigu qu’elle occupait depuis son installation à Eymoutiers et a emménagé dans un bâtiment plus spacieux, toujours sur la place Jean-Jaurès. Malheureusement, après s’être beaucoup investi dans l’aménagement de cette nouvelle maison, les membres de l’association ont appris que le propriétaire avait décidé de la mettre en vente. Pour que l’avenir de la structure ne soit pas mis en péril et que l’association puisse être sûre de rester dans ce local, l’idée d’acheter ledit local est née. La Courte Échelle n’ayant pas les moyens d’acquérir ce bien, elle a soumis ce projet à l’Arban, Société coopérative d’intérêt collectif basée à Faux-la-Montagne, qui mène une politique de remise en vie du bâti ancien au cœur des bourgs ruraux du plateau de Millevaches. Le projet ayant été estimé réalisable, une collecte de fonds a donc été lancée. Si cette campagne de financement permet de réunir la somme nécessaire, l’Arban pourra acquérir le lieu et deviendra le bailleur de La Courte Échelle. L’argent collecté sera complété par un emprunt bancaire et permettra de réaliser des travaux de rénovation et d’isolation ainsi que l’installation d’une indispensable chaudière. Pour l’heure, un chauffage performant fait cruellement défaut dans cette bâtisse, ce qui représente un désagrément important pour les salariés et un vrai frein pour les activités quand vient le temps de l’hiver limousin. Plusieurs projets construits avec l’Arban ont déjà été menés avec succès, notamment à Gentioux, en Creuse, où la Renouée, lieu de vie ouvert, chaleureux et foisonnant a pu voir se développer durablement de nombreuses activités. L’achat et la rénovation de cette maison permettra de pérenniser l’implantation de La Courte Échelle dans la commune d’Eymoutiers, de continuer les actions en place, d’en développer de nouvelles, d’ouvrir de nouveaux espaces et d’accueillir le public dans des conditions de bien-être optimales.
Après des débuts timides, la campagne de finalement a peu à peu pris son essor. Une contribution plus importante est venue faire pencher la balance du bon côté et permettre d’entrevoir une issue favorable. Les petits ruisseaux font les grande rivières et chaque participation compte, sans oublier que les dons peuvent être déduits des impôts. Du montant final réuni dépendra la quantité et la qualité des travaux qui pourront être faits et donc des activités qui pourront être déployées. Vous pouvez permettre d’enrichir durablement la vie quotidienne sur notre territoire en créant un lieu de vie et de partage, ouvert à votre participation et vos envies. Pour nos enfants, pour nous, pour construire ensemble un futur meilleur.
Amandine Boucher
A l’origine, des associations (Les Plateaux Limousins, Solidarité Millevaches, Contrechamps), mais aussi des entreprises (GAEC Champs Libres, Ambiance Bois), décident de mettre en commun leur énergie et leur expérience, pour développer dans un réseau plus large ce que chacune pratiquait depuis longtemps de façon plus ou moins formalisée : la rencontre, l’accueil, l’accompagnement ou le partenariat avec de nouveaux arrivants, dans leur projet d’installation ou d’activité dans la région.
Le 27 avril 2002, une première rencontre élargie réunissait au Villard une quarantaine d’habitants du plateau arrivés dans les 20 dernières années… et déjà quelques nouveaux ou futurs arrivants. Au cœur des échanges : les “histoires d’installations” A travers la diversité des situations et des parcours personnels, des coups de cœur et des coups de blues exprimés dans les témoignages, se révèle une motivation partagée par beaucoup, souvent déterminante dans leur choix de s’installer ici : la dimension humaine de l’accueil et des relations nouées avec des personnes de la région, la vitalité de certains réseaux d’habitants actifs sur le territoire. Cette dynamique sociale permet souvent de dépasser les obstacles rencontrés : isolement géographique, réticences de certains habitants ou élus locaux, difficultés d’accès à un logement ou à du terrain, etc…
La dynamique d’échanges était donc amorcée, dans la convivialité de ces rencontres où les relations informelles, la dimension festive et culturelle ont aussi toute leur place, et où chaque rendez-vous est une occasion de croiser de nouvelles personnes. Par exemple, lors de la journée organisée par Solidarité Millevaches sur le thème “vivre ensemble en milieu rural”.
Une nouvelle étape est franchie pendant l’été : 45 personnes se retrouvent à l’une ou l’autre des rencontres proposées en juillet et septembre, pour partager leurs questions, leurs idées ou leurs projets dans des domaines très divers, et se donner des moyens en commun pour avancer, s’interpeller, concrétiser. Certains d’entre nous viennent de loin pour préciser, au contact des réalités locales, leur motivation à venir vivre peut-être un jour dans la région. Certains habitent ici, depuis longtemps ou depuis quelques mois, et envisagent des changements dans leur vie ; souvent (mais pas nécessairement) avec un projet qui se dessine.
Spontanément, des liens se créent, depuis les échanges de bons tuyaux jusqu’à certaines envies de faire des choses ensemble : “Je connais une association qui pourrait être intéressée par les animations pédagogiques que tu proposes” - “Est-ce que votre recyclerie pourrait fournir des vêtements pour ton dépôt-vente?” - “Il y aura de la place pour d’autres projets dans les bâtiments agricoles que nous allons reprendre” - “Et si on créait un point de vente en commun de nos produits artisanaux !”
Pour permettre à chacun d'avancer concrètement sur ses projets, le travail en commun peut se poursuivre dans divers domaines : rencontre d'autres expériences ou d'intervenants spécialisés ; travail sur les statuts juridiques, l'accès au logement, au foncier, aux financements ; chantiers d'auto construction ; expérimentation des activités, etc.
Cette aventure dépasse aujourd’hui largement l’initiative de celles et ceux qui l’ont suscitée, le groupe étant porteur de sa propre dynamique. Le réseau d’habitants impliqués se tisse de lui-même : déjà près d’une centaine de personnes ont participé à l’une ou l’autre des rencontres organisées depuis quelques mois. Toute personne peut s’y associer, la démarche n’étant pas réservée aux seuls “porteurs de projets” d’activité économique, mais plutôt centrée sur le “projet de vie” de chacun sur notre territoire.
Un territoire sur lequel l’accueil de nouvelles populations est devenu un objectif affiché des collectivités locales. Consciente de l’importance des contacts de proximité pour faciliter ces installations, la direction de l’accueil et de la promotion du Limousin au Conseil Régional cherche à promouvoir des pôles locaux d’accueil. Des moyens considérables sont engagés par le Syndicat Mixte de Millevaches en Limousin, dans le cadre du nouveau programme “Leader +”, pour dynamiser l’accueil et soutenir la création d’activités. Une rencontre organisée en avril par le collectif associatif du pôle d’accueil a permis à ces collectivités, aux élus et techniciens de plusieurs communautés de communes, et aux associations d’échanger sur leurs pratiques, leurs projets,…ou leur manque de projets... Certains agents de développement trouvaient là une première occasion de travailler ensemble sur ces questions. Le Secrétariat d’Etat à l’Economie Solidaire et la Communauté de Communes du Plateau de Gentioux ont décidé de financer l’action du pôle d’accueil.
On peut donc espérer que les dispositifs importants mis en œuvre par nos collectivités sauront soutenir et s’adapter, avec la souplesse nécessaire, à la diversité des projets qui s'expriment au sein de la dynamique citoyenne et inter-associative. Tout en contribuant à l’activité économique locale, ils sont porteurs d’une autre dimension essentielle : la richesse et la multiplicité des échanges et des relations sociales qui font vivre nos montagnes.
Jean-François Jacquet
Mettre les débats au cœur de la fête était cette année un choix délibéré des participants. Cette fête se veut en effet autant studieuse que plaisante, autant politique que ludique. Débattre des enjeux du territoire est en effet la raison première de cette fête. Cette année quatre fils rouges étaient tirés : l’agriculture (voir page 9), la forêt, l’accueil, en particulier des réfugiés, et la manière dont chacun, au niveau de sa commune ou plus globalement de l’ensemble de la Montagne, pouvait devenir partie prenante des décisions qui la et les concernent. La plénière de fin a débouché en ce sens sur un projet de “Syndicat de la Montagne“ sur lequel planchent depuis quelques mois une douzaine de personnes. Pour celles et ceux qui l’ont ratée, elle est visionnable intégralement sur le site de Télé Millevaches (http://telemillevaches.net/videos/vers-une-libre-administration-de-la-montagne-limousine).
Un des mots qui pourrait le mieux résumer cette fête, c’est Viviane Dantony, la maire de Lacelle, qui l’a trouvé : “biodiversité“. “À titre personnel et en tant qu’élue, je tiens à vous dire combien je suis sensible à votre enthousiasme à vivre ici pleinement et en conscience, solidaire de votre infatigable questionnement sur la préservation de notre biodiversité dont l’homme est au cœur, interrogative sur vos débats lorsqu’ils font la part trop belle à la polémique et à la violence, respectueuse de ceux-ci lorsqu’ils mettent toute votre intelligence, et il y en a, au service du mieux vivre ensemble et du bien commun. Vous nous avez généreusement donné lors de ce week-end de fête un bel exemple d’espérance collective.“ C’est bien cela que tente depuis quatre ans cette fête : construire collectivement l’avenir d’une Montagne limousine soucieuse de préserver ses ressources, soucieuse de solidarité et à la recherche de biens qui soient communs à tous les habitants de la Montagne. Ce n’est évidemment pas un chemin facile et toujours consensuel (on le voit bien avec l’exemple du projet discuté de l’usine CIBV à Viam), même si sur certains sujets l’attitude est plus homogène. L’accueil de nouveaux habitants (quels que soient la couleur de leur peau, leur itinéraire antérieur ou leur situation actuelle) fait ainsi l’objet d’une position plutôt bienveillante, renouant du reste avec des épisodes antérieurs de l’histoire de la Montagne. Le réalisateur Martial Roche qui promenait sa caméra sur la fête reliait tout cela avec un “esprit de résistance“ que beaucoup, ici, ne renieraient pas (voir son article page 10).
Plus de 80 stands et discussions, 30 événements, 11 concerts, des ateliers, deux balades, etc. ont complété ce week-end ensoleillé. Et puis, peut-être le plus important : les rencontres. “On ne se voit qu’une fois par an, raconte cette agricultrice creusoise en retrouvant un ami : c’est pendant la fête de la Montagne !“ Enfin, n’était-ce pas la première fois qu’on pouvait rejoindre la fête de la Montagne avec un train qui débarquait ses voyageurs au cœur même de celle-ci ? Pour combien de temps encore ? Image paradoxale de l’avenir de la Montagne : une ligne SNCF en sursis qui croise un rassemblement festif renaissant chaque année. Tout un symbole !
Michel Lulek
Philippe Simon agriculteur installé à Saint-Moreil depuis 17 ans nous fait part de ses commentaires.
Mi-octobre 2001 : 3 associations locales se rencontrent dans une petite ferme creusoise pour organiser une manifestation culturelle sur le thème des chants du monde. Tous les présents sont des “migrants”.
Sur un bout de table, daté du 28 septembre 2001, le journal présent dans quasiment toutes les fermes :
La Creuse agricole et rurale est ouvert à la page : “actualités”. Un article de Philippe Chazette, traite de la crise bovine. Alléchant…
Je jette un œil distrait à cette littérature : ce fameux paragraphe me saute aux yeux… Ambiance xénophobe… sans grand rapport avec le titre.
Le reste est à l’avenant : sans occulter le grave problème voire l’impasse dans lequel est plongée l’agriculture, le discours est corporatiste - représentation agricole oblige - les “bons et vrais” agriculteurs sont face aux multiples méchants, les risques d’une réaction violente incontrôlée sont perceptibles, la faute c’est les autres !...
Article révoltant ? Ecœurant ? Plutôt triste, voire tragique !…
Réagir ? Oui bien sûr!... mais que faire ? Je me sens souvent démuni devant des actes, paroles ou écrits dont j’ai du mal à croire qu’ils peuvent exister tant ils me paraissent étrangers aux valeurs d’une société évoluée.
Tout d’abord résister à la facilité de ne pas vouloir connaître l’autre. L’incompréhension mutuelle amènent ceux qui brûlent des pneus devant des préfectures à dénigrer ceux qui brûlent des voitures en banlieue, elle amène ceux qui n’arrivent plus à vivre des fruits de leur travail à ne pas accepter chez d’autres des aspirations différentes.
Ensuite, comprendre les impasses actuelles et dénoncer leurs solutions dérisoires : pour sauver l’agriculture les consommateurs doivent manger plus et notament de la viande mais aussi plus de vin quand les viticulteurs ont des stocks, plus de tomates avant qu’elles ne finissent sur les autoroutes !… (Extrait de l’article de M. Chazette : “…regagner des volumes de consommation est la solution la plus efficace, la plus indolore et la moins coûteuse pour régler une partie de nos problèmes…”).
Enfin, chez nous en Limousin comprendre notre histoire pour rebondir aujourd’hui :
N’en reste-t-il plus rien ? Le tout économique et la pensée unique ont-ils tout rasé ?
Aujourd’hui, une nouvelle génération de migrants “en retour” vient s’installer sur la montagne limousine et recréer un brassage, un métissage avec les forces vives du pays qui permettront après un combat contre l’inertie ambiante de construire ensemble une nouvelle ruralité.
L’enjeu : “Limousin terre d’accueil” est bien porté :
Alors mettons au placard l’intolérance, le radicalisme et biens d’autres valeurs désuètes et rêvons :
Monsieur Chazette, je vous souhaite bonne route et peut-être qu’un jour, au cours d’une rencontre dans une ferme pour étudier comment sortir de la crise bovine, vous jetterez vous aussi un oeil distrait à la littérature posée au coin de la table, et un paragraphe d’IPNS vous sautera aux yeux : “…amitié, solidarité, responsabilité et réalisme nous permettront de sortir de l’impasse et de progresser ensemble pour gérer notre planète autrement et de manière viable, en nous appuyant sur l’unité qui nous rassemble et la diversité qui nous enrichit. Nous devons apprendre à évoluer et nous organiser dans un cadre complexe. L’enjeu est aujourd’hui de rendre la complexité amicale, de l’apprivoiser avec patience, pas à pas.” (Plate-forme pour un monde solidaire et responsable).
Philippe Simon, agriculteur
Lorsqu’elle est arrivée en février 2008 sur le Plateau de Millevaches, Claudine n’avait pas de réseau de connaissance, donc pas de pied à terre pour se poser et effectuer les premières recherches pour son projet. C’est en débutant ses recherches qu’elle a fait connaissance avec l’association De Fil En Réseaux, qui accueille les nouveaux arrivants, et qu’elle a découvert le principe des logements passerelles.“Cela m’a permis de me loger facilement pour la durée que je voulais et m’a aussi permis de faire des rencontres, de discuter de mon projet...“. En effet, l’objectif du logement passerelle est de faciliter la découverte du territoire et l’arrivée des nouveaux habitants sans qu’ils aient à se précipiter dans la recherche d’un logement. Ils y restent le temps (1, 2, 3 jours, 1 semaine, 1 mois...) qu’ils puissent se faire une idée de la vie sur le plateau, trouver un logement intéressant ou effectuer des démarches pour valider la cohérence de leur projet avec les réalités locales. La présence en logement passerelle s’accompagne d’un accueil et d’un suivi des projets de la personne par l’association De Fil En Réseaux. En effet, un hébergement seul, sans la mise en lien avec les habitants perdrait de sa pertinence.
Frédéric Thomas
A l’origine du projet, une rencontre. Celle de deux habitants d’un même village, confrontés chacun à la question de l’évolution du monde rural et de l’installation de nouveaux habitants. Dominique Dorme tout d’abord, qui, héritant d’un ensemble immobilier à Meyrignac-l’Eglise (19), se dit qu’un tel bien constitue peut-être une opportunité pour contribuer à la renaissance de la commune. Olivier Toutain ensuite, qui, dans le cadre de ses travaux de recherche sur le thème de l’entrepreneuriat rural, pointe le rôle clé de l’habitat dans les processus de création d’activité. Partagée par d’autres habitants, cette conviction débouche sur la création en mai 2007 de l’association Résider pour entreprendre. Tournée vers des porteurs de projet qui s’interrogent encore sur leur lieu final d’installation, elle a vocation à leur proposer des solutions d’hébergement temporaires adossées à un service local d’accompagnement, le temps de bâtir un réseau d’interlocuteurs leur permettant de créer ou reprendre leur entreprise. Bref, de leur offrir “le luxe du temps et de la proximité“. Un projet original, mêlant initiative privée et ambition de service public mais qui, peut-être à cause de cette dimension singulière, rencontre pour l’heure quelques réserves auprès de certains acteurs publics...
Stéphane GrasserLes communes sont souvent les premiers interlocuteurs des porteurs de projets et des futurs habitants. L’attrait du Plateau de Millevaches se confirme quotidiennement dans les mairies et la volonté d’accueil est indéniable. Sur plusieurs communes sont ainsi proposés des logements loués temporairement à ces nouveaux arrivants.
Exemple avec Pierre Coutaud, Maire de Peyrelevade.
IPNS : Quels sont vos pratiques et votre vision de l’accueil sur la commune de Peyrelevade ?
Pierre Coutaud : Nous recevons régulièrement des demandes de porteurs de projets qui cherchent à s’installer sur le Plateau en général et à Peyrelevade en particulier. Compte tenu de la démographie de la commune, accueillir de nouveaux arrivants est vital pour notre avenir. Il faut d’abord donner envie de s’installer : par la mise en valeur de notre cadre de vie, par la pérennisation de services publics, de commerces et de professions médicales et par le soutien et le développement d’une vie associative. Ensuite, il faut proposer des logements, en mettant les personnes en relation avec les propriétaires et, par exemple, en servant d’intermédiaire avec la SAFER.
IPNS : Comment accueillez-vous ces porteurs de projets ?
PC : En tant qu’élu, il est important de rencontrer rapidement ces personnes afin de bien définir leurs besoins et d’établir une relation personnelle avec eux. Cela leur permet de s’assurer de la volonté d’accueil du territoire et de trouver un premier soutien moral à leur projet. Ensuite, on avise en fonction de nos possibilités. Malheureusement, nous n’avons pas toujours les solutions et les réponses à leurs demandes. Concrètement, hors période estivale, nous mettons à disposition les gîtes et chalets communaux pour un loyer mensuel de 180 à 200€ par mois avec l’obligation de le libérer fin juin.
IPNS : Comment pensez vous pouvoir, au long terme, développer cet accueil sur la commune?
PC : Les projets avancent souvent de manière informelle. Une institutionnalisation des pratiques pourrait avoir des effets pervers en terme de lourdeur si elles sont portées par les seules communes… Par contre il est nécessaire de créer des passerelles entre les réseaux associatifs et les élus locaux. La pratique de ce que nous pouvons appeler les “logements passerelles“ s’effectue donc déjà de manière informelle sur certaines communes du Parc Naturel. Une politique d’accueil va cependant de pair avec une politique logement efficace qui, malheureusement, ne permet toujours pas de satisfaire une demande importante de la population établie. Accueillir, loger, sont au centre des politiques territoriales actuelles.
IPNS : A ce titre, on peut citer l’exemple de la commune de La-Nouaille...
PC : Cette commune de 254 habitants possède 11 logements communaux loués sans discontinuités depuis leur réalisation. De plus, un couple souhaite s’établir en auto-construction sur un terrain qu’il a acquis. Plusieurs projets de construction voient le jour, un lotissement de 3 lots, dont un possède déjà un certificat d’urbanisme. D’autres possibilités pourraient être étudiées, notamment dans la réhabilitation, mais la Communauté de communes du Plateaux de Gentioux, dont fait partie La-Nouaille se confronte au problème majeur de nos collectivités rurales... celui du manque de ressources financières. Et donc de réalisations forcément limitées.
Propos recueillis par Jérémy Veyret
La prestigieuse et très universitaire revue de sociologie Études rurales consacre son n°208 (2021) aux migrations internationales dans les campagnes. L’angle est particulièrement tourné vers l’accueil des migrants et réfugiés avec des exemples en Bretagne, dans le Loudunais, en Provence ou en Ariège. Le maître d’oeuvre de ce numéro, le géographe Pierre Pistre, relève que ces articles « mettent tous en lumière la place centrale de l’informalité dans l’installation et l’accompagnement des personnes en migration dans les campagnes. Elle apparaît d’abord essentielle au fonctionnement de dispositifs établis : c’est le “bricolage“ entre acteurs afin de mettre en place une pluralité de solutions pour le suivi de santé des demandeurs d’asile ou pour leur “faire accepter le rural“ après orientation “par l’État et ses agents“. Dans ces deux cas, le rôle des particuliers et des associations dans le fonctionnement effectif de l’accueil souligne comment “l’hospitalité en actes“ a grandement contribué à la prise en charge des exilés après 2015, à partir de sociabilités rurales préexistantes ou en en créant de nouvelles. » On connaît cela vers chez nous, non ?
Numéro accessible sur le site www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2021-2.htm
C’est en janvier qu’a lieu à Clermond Ferrand la première rencontre.
Ils sont une dizaine à s’être déplacés du Limousin, de l’Aveyron, du Gard, de Paris, d’Alsace ou d’Auvergne. Ils ont une envie de faire en rural, une idée de projet, plus ou moins précise, plus ou moins concrète. Quelques uns savent où faire, d’autres ont des préférences, certains imaginent. Ils ont tous commencé des investigations diverses, regardé des annonces, ouvert internet (puisqu’il est dit qu’on y trouve tout !), poussé des portes de chambres consulaires, d’administrations ou d’associations et ont souvent été confrontés à la difficulté de communiquer sur le projet à ce stade de la réflexion.
Ils sont sept animateurs CIVAM, d’Auvergne, du Limousin, d’Aveyron, à leur proposer de les accompagner dans cette phase au cours de laquelle l’idée devient projet.
Deux temps différents sont prévus. Un temps de formation-regroupement organisé en sessions de trois jours, au cours des mois de février, mars, avril, mai, centrés sur la méthodologie de projet, le développement personnel et le diagnostic de territoire, prenant appui systématiquement sur les idées de chacun, aboutissant à une présentation du projet devant des élus, des financiers ou des agents de développement au mois de septembre. Vient ensuite une session “à la carte” que chacun se choisit en fonction de ses besoins. Dans ce temps d’accompagnement individuel chaque “stagiaire” a un référent pour le suivre tout au long de la construction de son projet, jusqu’au delà des sessions de formation. L’idée, soutenue par la DATAR dont l’objectif est de faire se rencontrer territoires d’accueil et porteurs de projets, est bien d’accompagner dans ce moment délicat où tout est imprécis, “ J’ai une idée, mais je ne sais pas…si…”.
C’est en définitive treize personnes qui se sont engagées. Chacune des sessions a eu lieu sur un territoire différent : La vallée de l’Ance en Haute Loire, le Ségala dans le Lot, la communauté de communes de Tulle, la communauté de commune du Plateau de Gentioux sur le plateau de Millevaches. Changer de territoire a imposé des contraintes fortes de déplacement et d’organisation, mais cela a évité de “prendre des habitudes”, a conduit à multiplier les rencontres, à écouter des discours, chaque fois différents, à “voir des territoires qui se mobilisent”, à prendre l’habitude de parler de son projet et de la formation-accompagnement. Espacer les sessions a “permis de se donner des étapes, du temps pour réfléchir sur son projet”, et aussi du temps pour adapter au mieux les contenus à l’évolution des projets. Les temps collectifs ont toujours été riches en échanges “on travaille sur les projets des autres, et on prend en même temps le recul pour soi”, “tout ce qu’on aborde pour l’un sert à tous”. L’éloignement du cadre quotidien “permet de ne penser qu’à son projet”.
L’accompagnement individuel, s’il n’a pas toujours été facile en raison des distances, a été l’occasion de retours sur les projets par un regard plus extérieur que celui auquel est souvent confronté le porteur d’idées. Pour les animateurs, tout ce temps a été riche en découverte de projets, d’évolution, de rencontre et d’échange avec l’autre, de connaissance des territoires dans leur diversité.
La formation se poursuit encore quelques temps, certains sont prêts pour la réalisation, d’autres construisent encore. Tous sont convaincus de l’importance de ce temps initial de réflexion, où chacun définit son projet et se nourrit de l’expérience des autres et des territoires. Tous sont convaincus qu’il faut aussi réfléchir l’installation dans toutes ses dimensions : “créer son activité, c’est également bouger dans sa vie. On a rencontré beaucoup de monde sur les territoires, et l’accueil quand on arrive est essentiel”.
Les CIVAM (Centres d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural) sont des associations fédérées au niveau national et régional, issues du mouvement d’éducation populaire dans les années cinquante. Le réseau est fortement mobilisé autour de la volonté de promouvoir un réel développement durable, en insistant particulièrement sur la dimension sociale trop souvent occultée. Les projets soutenus sont très variés et liés aux territoires sur lesquels ils naissent, mais ils sont marqués par la volonté de recherche d’autonomie des acteurs dans la prise de décision, et la recherches d’alternatives à un modèle dominant aux effets souvent dévastateurs.
Marie-Laure Petit
Nouveaux arrivants : le défi de l'accueil
Originaires ou pas du milieu rural, ils y vivent ou ont le projet de s'y installer, ils sont jeunes ou moins jeunes, en couple, en famille, en collectifs ou seuls, vivent un moment charnière, le subissent ou s'en régalent, en tout cas sont dans une envie ou une nécessité de faire bouger des choses dans leur vie, de resituer les priorités. Ils souhaitent faire ce qu'ils aiment et espèrent en vivre, là où ils l'ont choisi et à peu prés comme ils l'entendent. Avec cette exigence en tête, la création de leur propre emploi est souvent la solution la plus évidente : pour certains "faire leur propre truc" est une condition incontournable. Pour d'autres c'est une contrainte qu'ils devront assumer. Cela passe parfois par la combinaison de plusieurs activités pour que l'ensemble soit viable, et aussi parce que c'est parfois frustrant de ne pas tout faire…
Alors pourquoi s'en priver ?
Ils n'ont pas l'âme du chef d'entreprise mais ont par contre le profond désir d'entreprendre (étymologiquement : action de commencer / se mettre à faire quelque chose). Une majorité d'entre eux entretient un rapport distancié à l'économique : la rentabilité immédiate de leur activité n'est pas la principale motivation. Ils ne font pas franchement la différence entre le travail et le reste de la vie, ou souhaiteraient la faire moins. Ils veulent aller vers ce qui fait sens pour eux, être le plus cohérent possible entre les valeurs qu'ils portent et la vie qu'ils mènent, plutôt qu'écartelés par les pressions d'un système capitaliste dont ils ne partagent pas les enjeux. Ils veulent trouver leur place quelque part, mais pas n'importe où, et s'impliquer dans ce coin là, créer des liens, faire des ponts. Pour le reste ils verront...
Ils ont des projets en lien avec l'environnement, ou la culture, sont artisans ou agriculteurs, font du social, du tourisme, proposent des services de proximité, font de l'informatique, ou sont artistes. Souvent un mélange…
Ils croient en un milieu rural vivant et y participent de fait.
Depuis plusieurs années des associations et des individus se sentent concernés par la démarche d'accueil sur le plateau de Millevaches. De nombreuses actions ont été menées dans ce sens en particulier par Le Réseau d'Acteurs de la Montagne Limousine. La qualité de l'accueil proposé aux personnes souhaitant s'installer sur ce territoire est aujourd'hui évidente. Cependant, certaines d'entre elles cheminent plus aisément vers la réalisation de leur projet en étant accompagnées durant cette période, ou au moins aiguillées de temps à autre, et souhaitent un accompagnement adapté à la nature de leurs projets.
L'expérience démontre que les motivations des personnes, leurs parcours personnels et professionnels exigent une approche particulière de leur projet de création d'activités, d'autant plus que la difficulté à ranger ces projets d'installation dans les cases de la création d'activité classique ajoute une difficulté supplémentaire au parcours d'installation qui tient souvent plutôt du parcours du combattant ! C'est pour accompagner ces projets qui ne sont pas "dans les clous" qu'a été créée Pivoine.
Pivoine est une association loi 1901 qui s'est donné pour objectif principal l'accompagnement à la création d'activité en milieu rural sur le Plateau de Millevaches et la Montagne Limousine. Elle s'est dotée de plusieurs outils :
Pour Pivoine, la notion de "formation" est utilisée au sens de "donner de la forme à quelque chose", poser l'ossature, le cadre qui donne de la marge de manoeuvre, de la liberté.
Lucie Rivers Moore et Mélanie Boyer
L’expérience de Riace a été saluée par le Haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU, louée par la presse internationale et obtenu plusieurs prix. Elle a inspiré le réseau des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA). Une personne a été à l’initiative de cette action depuis 1998 : Domenico, « Mimmo », Lucano qui a été le maire du village de Riace de 2004 à 2018, ce qui montre l’adhésion du village à l’action menée. L’école a été sauvée, des bâtiments vides ont été réhabilités, des artisans locaux ont été formés, la vie de village a repris, un peu plus colorée peut-être… L’accueil des personnes exilées à Riace allait au-delà d’un objectif purement humanitaire. En l’organisant, Domenico Lucano a voulu démontrer qu’il était tout à fait possible de construire un modèle de cohabitation viable dans un contexte socio-économique difficile, à l’opposé de la vision étatique qui ne conçoit cet accueil qu’au prisme de l’assistance et de l’exclusion, minimisant voire ignorant l’autonomie des personnes migrantes.
Cela n’a pas plu à tout le monde : ni à la mafia très présente en Calabre, ni à l’extrême droite. Le 1er octobre 2018, sous le gouvernement de Matéo Salvini, Domenico Lucano est arrêté et inculpé d’ « association de malfaiteurs visant à aider et encourager l’immigration clandestine, escroquerie, détournement de fonds et abus de fonction », et d’irrégularités dans l’octroi des financements pour le ramassage des ordures de son village. Il est également accusé d’avoir organisé des mariages blancs entre des habitants de Riace et des migrants pour leur obtenir un titre de séjour. Le 30 septembre 2021, Domenico Lucano a été condamné à treize ans de prison et à 500 000 euros d’amende, une sentence qui est presque le double des réquisitions demandées par le parquet. Aucune des fautes qu’il a commises n’a pourtant été source d’enrichissement personnel. Elles relèvent exclusivement du droit administratif, comme le fait de ne pas avoir réalisé un appel d’offres public pour la gestion des déchets de la commune... Si le détail de la décision du tribunal n’a pas encore été rendue publique, on sait qu’aucune accusation liée à l’aide à l’immigration irrégulière n’a été retenue comme Mimmo Lucano.
Derrière ce jugement, il faut lire la volonté de faire prévaloir une politique orientée vers la gestion d’urgence, négligeant le parcours d’intégration des personnes migrantes rendu possible avec le modèle alternatif et inclusif que proposait le maire de Riace. Il est possible que Lucano soit responsable de failles dans la gestion administrative du dispositif qu’il a mis en place, en essayant d’adapter les contraintes du système national d’accueil à une réalité locale spécifique dans une situation socio-économique particulière. Mais, lorsque le procureur le traite de « bandit idéaliste de western », allant jusqu’à faire référence à la mafia, non seulement il place ces irrégularités au même plan que de graves infractions criminelles mais, en plus, laisse entendre que le maire de Riace serait un ennemi de l’État, au seul motif qu’il contestait la politique de non-accueil mise en place par les gouvernements italiens successifs. Depuis sa condamnation, les manifestations de soutien en faveur de l’ ancien maire de Riace se multiplient en Italie et ailleurs. Alors que la politique d’accueil menée par « Mimmo » Lucano avait fait de Riace et de son maire les symboles d’un projet de société alternative, fondé sur l’entraide, sa condamnation est largement perçue comme une énième attaque contre la solidarité avec les personnes migrantes.
La condamnation de Mimmo Lucano est bel et bien un jugement politique. Parce qu’elle sanctionne, au-delà de ce qui est imaginable, une expérience alternative de société, de communauté, qui va à l’encontre de celle que voudrait imposer une droite xénophobe et souverainiste et d’une politique européenne qui repousse les migrants hors de ses frontières et criminalise la solidarité.
Face au signal alarmant envoyé par la justice italienne, qui voudrait faire croire qu’on ne peut penser la migration qu’en termes de contrôle et de sécurité, de nombreuses associations invitent à agir auprès des élu.e.s locaux pour poursuivre l’action de Mimmo Lucano afin de créer de véritables « villes accueillantes », remparts contre les politiques d’inhospitalité de l’Union européenne et de ses États membres.
Dominique Weber
Que dire de la notion de développement durable si ce n'est qu'elle est trop souvent mal définie et que très peu de gens en comprenne le sens. Il semble, après lecture de l'article de Jean-François Pressicaud dans le dernier numéro d'IPNS, que ce soit malheureusement le cas de Georges Pérol. Cela m'attriste fortement, d'autant plus au vu des fonctions occupées par ce Monsieur. Il est évident que le développement durable ne peut s'assimiler à une "économie durable". Un territoire ne peut se résumer à sa simple composante économique. Bien qu'il soit certain qu'il doit être viable économiquement pour pouvoir fonctionner correctement, il n'en reste pas moins qu'il existe essentiellement parce que ses habitants se l'approprient. Et ce phénomène d'appropriation passe avant tout par un dynamisme social et culturel avéré, ainsi que par une véritable sensibilité environnementale. Il me parait insensé que le Vice Président du Conseil Général de la Corrèze et du Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin n'en ait pas pris conscience.
La suite de l'article est édifiante. Cet homme d'expérience, possédant une influence conséquente du fait de ses fonctions, en vient à opérer, à l'échelle du département de la Corrèze, une distinction territoriale digne d'intérêt. Selon lui, seuls les territoires qui, à l'heure actuelle, disposent d'un potentiel de croissance économique à court terme, vont être amenés à se développer. D'emblée, deux questions me sont venues à l'esprit : quel avenir réserve-t-il pour les autres territoires, et notamment celui du Plateau de Millevaches ? En outre, en quoi peut-on appliquer l'adjectif durable à ce type de développement, ou plutôt à ce type d'économie, pour reprendre l'expression de l'intéressé ?
M. Pressicaud semble s'être posé les mêmes questions que moi, ce qui me rassure fortement. Je ne suis pas seule à rester perplexe devant l'avenir que nous proposent de telles personnes. Le fatalisme évident dont Monsieur Pérol fait preuve à l'égard du Plateau de Millevaches ne risque pas de servir son territoire. Ce genre d'attitude freine, justement, un certain développement qui, comme le précisait J.-F. Pressicaud, n'apparaît pas encore dans les statistiques. Quoique cela ne soit pas si sûr.
Des études ont été récemment menées sur un phénomène grandissant : l'arrivée de nouvelles populations dans les milieux ruraux profonds. La question de l'habiter est, pour nos sociétés modernes, une problématique essentielle. En effet le lieu, le cadre de vie ont sensiblement pris de l'importance dans les mentalités actuelles. C'est son lieu de vie qui, de plus en plus, détermine le bien-être d'une famille. Elle prend soin de bien le choisir selon ses aspirations. Actuellement, une tendance générale voudrait que ce soit vers lemilieu rural que se tournent principalement les désirs résidentiels : à distance de la ville, il semble offrir des espaces vides, quasiment vierges, infinis.
L'ampleur de ce "retour à la terre", comme on l'appelle parfois, dépasse dans bien des régions le niveau d'un simple phénomène épisodique. Une enquête IPSOS réalisée en juin 2003 et se basant sur la définition statistique de l'INSEE (est considérée comme néo-rurale toute personne habitant la commune depuis moins de 5 ans et dont le précédent lieu de résidence se situait à plus de 50 kilomètres) a dénombré plus de deux millions de néo-ruraux. Des estimations plus anciennes ont montré que dans la période intercensitaire 1982-1990, environ deux millions de personnes s'étaient aussi installées en milieu rural. Il est bien entendu très difficile d'obtenir des chiffres concrets, précis, sur l'ampleur de la mouvance néorurale. Mais nous ne pouvons, sous ce prétexte, faire abstraction de cette réalité : le néo-ruralisme est un phénomène de société de plus en plus marqué et marquant. Il alimente de nombreux articles de journaux. Il révèle notre changement de regard sur la campagne, sur le monde rural. Il est le témoin du rêve entretenu par beaucoup de se "mettre au vert".
L'arrivée de populations nouvelles sur le Plateau de Millevaches, et dans la région, n'est pas un phénomène nouveau, mais son accentuation est récente. Ce phénomène permet, depuis peu, de combler un tant soit peu le déficit démographique que l'on observe en Limousin. Ces nouveaux arrivants sont d'autant plus intéressants qu'ils sont jeunes : jeunes parents, jeunes actifs, etc. Bernard Kayser, grand spécialiste des milieux ruraux et de la mouvance néo-rurale, écrivait déjà en 1989 : "Ce qui est sûr, c'est que la concomitance, au moins approximative, du renversement démographique dans la plupart des pays industriels oblige à y voir bien plus qu'un phénomène superficiel ou passager. Ce qui est sûr, de la même façon, c'est que l'inclusion, dans l'ensemble touché par ce processus, de zones et lieux très dispersés et différenciés fait de ce qui pourrait apparaître localement comme accidentel un véritable phénomène sociétal" .
Du fait de son importance, le phénomène néo-rural ne reste donc pas sans impact sur les territoires concernés par de nombreuses installations. Il présente l'intérêt de contribuer à la revitalisation de régions rurales souvent vidées de leur substance par un exode rural séculaire et, progressivement, transforme assez profondément les mentalités et les conditions de vie dans ces régions dont certaines semblaient jusqu'à maintenant vouées à une désertification sans recours. Néanmoins, il a trop longtemps été considéré comme marginal, notamment par l'Etat, les régions, les communes. Encore maintenant, beaucoup d'hommes politiques, de tous niveaux et de tous bords, ont du mal à en saisir l'importance.
L'arrivée de nouvelles populations et activités constitue un réel enjeu pour l'avenir de ces territoires. Or, il est nécessaire d'appuyer sur le fait que plusieurs problèmes globaux subsistent quant à la mise en place d'une politique d'accueil globale et efficace. Selon moi, le rôle des collectivités territoriales est majeur. Sans elles, seules quelques actions à petite échelle, provenant d'initiatives locales, peuvent être entreprises. Il faut donc qu'elles se sentent de plus en plus impliquées dans ces problématiques d'accueil et qu'elles surmontent plusieurs écueils. Un engagement volontaire et dynamique de la part des collectivités territoriales semble indispensable. Il faut lutter contre l'immobilisme, et le fatalisme, des administrations et des élus. La situation même du territoire lui impose de se donner les moyens de mener une action déterminée et efficace. Pour cela, il faut que les administrations croient en un bel avenir possible pour le Plateau de Millevaches, en un potentiel de développement de la région qui mérite d'être exploité. Sans cette croyance, il y a peude chance que les acteurs se sentent concernés par l'avenir de leur territoire.
En outre, il me semble utile de revenir sur le fait que ce potentiel de développement ne doit pas être perçu comme un développement économique. Au contraire, il serait préférable de miser sur un développement social et culturel du territoire, fondé sur une démarche de préservation de l'environnement et ce, pour deux raisons : les espaces naturels constituent un capital non négligeable, qui peut constituer une solide base dans la construction d'un développement économique respectueux des milieux environnants ; de plus, c'est en misant sur l'accueil de nouveaux habitants, la consolidation de la solidarité entre personnes, l'extension du tissu associatif et la valorisation du patrimoine culturel, qu'il sera possible de renforcer le sentiment de bien-être des habitants. Et c'est bien ce sentiment qui, conditionnant la sensation d'appartenance à un territoire, permet de faire vivre ce même espace, que l'on peut alors qualifier d'"espace vécu", selon l'expression d'Armand Frémont, géographe émérite. Comment qualifier un territoire qui vit si ce n'est de développé ? Et je mets au défi M. Pérol de m'affirmer que le Plateau de Millevaches n'est pas un territoire plein de vie.
Oser se détacher de l'idéologie capitaliste prégnante afin d'imaginer un développement centré sur le bien-être des populations et intégrant, de fait, trois dimensions : sociale, environnementale et économique, c'est cela le développement durable, et certainement pas, comme voudraient nous faire croire certaines personnes, l'application de la logique capitaliste accompagnée de quelques actions à visée pseudo environnementaliste qui aboutissent bien plus souvent à figer les paysages plutôt qu'à les préserver.
Sylvie Méray
Ils sont plusieurs à la recherche d'un toit sur le plateau, avec un peu ou pas mal de terrain autour. Voici, brut de décoffrage, leurs témoignages qui disent bien les difficultés rencontrées. La recherche d'un logement ou de terrains ? Un véritable parcours du combattant.
Nous nous promenons à pied sur la route à la sortie d'un hameau de la commune d'Ars (à 15 kilomètres à l'ouest d'Aubusson). Une Polo noire arrive à vive allure et s'arrête à notre hauteur. Son chauffeur, au sourire soucieux d'efficacité, baisse la vitre automatique et demande sans autre détour : "Bonjour, je travaille pour une agence immobilière. Je cherche des maisons à vendre. Savez-vous s'il y en a par ici ?". Nous nous regardons, un peu estomaqués. L'un d'entre nous lui demande sa carte :
M. XXX Agence Marcon Immobilier (Century 21) Aubusson
On nous a dit qu'il fallait appeler les mairies car ce sont des carrefours d'information dans les communes. Nous établissons la liste des mairies situées sur le PNR et les appelons systématiquement, en commençant par le Nord-ouest. Nous demandons large : locations, ventes, maisons vides en attente de clarification (rénovation, mise en vente, habitation par les petits enfants, etc.) dont on pourrait contacter les propriétaires pour leur proposer une location courte…
Extraits de conversations :
"Les anglais achètent beaucoup… Il y a bien une maison à 40 000 € dans le bourg mais ce n'est pas très grand… Je vous donne les numéros de deux agences immobilières à Peyrat et à Eymoutiers".
"Il n'y a pas de location sur la commune... Quant aux ventes, les transactions ont lieu avant qu'on sache qu'il y avait mise en vente… Appelez le pôle local d'accueil de la communauté de commune de Royère-Bourganeuf".
"Je prends vos coordonnées… J'ai entendu dire que la vente d'une maison à des anglais aurait échouée. Peut-être qu'en attendant…"
"Je prends vos coordonnées au cas où… C'est rare ces choses-là que vous demandez…"
"Allez voir Century 21 à Bourganeuf, ils vendent une maison, je vous donne le numéro…"
"Il n'y a rien à louer… Je regarde pour les ventes mais c'est très vite acheté par les anglais…"
"Il y a très peu de logements vacants, ce sont surtout des maisons secondaires …
Aujourd'hui on ne sait même plus quand les maisons sont à vendre.
Le temps de le savoir elles sont déjà vendues… Il y a une maison à louer : meublée, 4 chambres et un bureau, 400 €"
"Il n'y a rien… Attendez, je demande derrière… Non rien"
"Ici, aussi bien en privé qu'en communal, il n'y a rien. Peut-être y a-t-il des possibilités sur X ou Y"
"Au niveau communal, il n'y a rien. Je me renseigne dans le privé et s'il y a quelque chose je vous appelle"
"Dès qu'une maison est à louer, elle est prise d'assaut, sans même passer par nous… Je note votre demande, mais sans grand espoir…"
"Nous avons un logement HLM… Sinon, essayez par les notaires si vous avez des offres à faire pour des maisons à vendre ou vacantes"
"Au niveau des ventes, il y a la clientèle anglaise… On a de la demande, il y a une OPAH, on espère que ça va faire bouger les gens… Je vous donne les numéros de trois agences à Saint Léonard"
Sur les 53 communes repérées, nous en avons joint une vingtaine. Toutes ont pris nos coordonnées, aucune ne nous a rappelés.
Nous sommes retournés à la SAFER. C'était plus positif que la première fois, où nous avions été à peine accueillis : on avait dû demander pour qu'ils prennent par écrit nos coordonnées et notre demande. Ils avaient l'air de s'en foutre alors que nous sommes l'archétype du public prioritaire : des jeunes cherchant à s'installer. Ils nous avaient dit que c'était bien de revenir régulièrement. On a vu plus de monde : comme on cherche sur une zone à la frontière entre quatre zones SAFER, on a rencontré quatre personnes différentes. Ils n'avaient rien à proposer car ils avaient tout soldé ce qu'ils avaient en 2004. Ils repartent maintenant sur 2005.
La SAFER reçoit les propositions pourvu qu'on se donne la peine d'écrire un projet d'installation. Ils n'ont pas tant de demandes que cela, donc ils ne sont pas mécontents d'avoir des dossiers à instruire. Passer par la SAFER permet de faire des économies : pas de frais de notaire et leur rôle est d'éviter la hausse du prix des terres. Le problème est qu'ils ont peu d'offres. Ils nous ont dit n'avoir que deux fois tous les trois ans des grandes surfaces avec du bâti. Et c'est souvent très cher. Le truc aussi est qu'il faut les appeler tous les jours pour qu'ils bougent (se rappellent de ton dossier, sachent où il est, puis le trouvent…).
Nous avons appelé le PNR (le chargé de mission accueil et développement économique) par curiosité, pour leur demander ce qu'ils pensaient faire sur la question du logement et du foncier. Deux choses principalement : L'opération programmé d'amélioration de l'habitat (OPAH), soit une aide financière aux propriétaires souhaitant rénover leur résidence principale ou du bâti à louer comme logement, et un projet de sensibilisation des propriétaires qui laissent des bâtiments à l'abandon, via une plaquette et un article dans le journal du PNR. Sur la question de la multiplication des maisons secondaires, il se disent impuissants car cela relève du secteur privé. Aucune loi n'empêche de vendre. C'est du ressort des mairies qui ont un pouvoir de préemption.
Nous avons aussi contacté le pôle d'accueil limousin en expliquant notre situation et nos démarches. Réponse : "Vous avez tout fait ce qu'il fallait faire, on ne peut rien faire de plus".
Nous avons appelé France bleue Creuse pour qu'ils passent une annonce. Aucun retour sur cette annonce pour le moment…
Quant aux maires, ils nous disent qu'il y a plein d'opérations vente achat sur leur commune dont ils ne sont pas au courant.
Nous avons aussi été parler dans les villages. Une fois j'ai passé une heure avec un vieux qui m'a dit que peut-être là-bas, une maison… Nous avons été vérifier au cadastre.
Finalement, dans ce genre de plan, la terre est soit réservée à un neveu, soit elle est exploitée et les bâtiments sont abandonnés. Il y a tout de même des vieux qui veulent barrer la route à l'agrandissement de leur voisin. Il faut y retourner plusieurs fois.
Dans un village, un jour, on m'a dit qu'il n'y avait rien. Le deuxième jour, peut-être une maison, le troisième peut-être des terres avec et le quatrième c'était 6 ha. Il y a aussi le cas, dans les bourgs, d'un voisin qui ne veut pas de nouveaux voisins et donc rachète les maisons voisines de la sienne. "
Nous avons aussi envoyé une version abrégée de notre projet à 130 maires. Un sur dix nous a répondu. Depuis c'est par ces quelques maires (Tarnac, Bugeat, Peyrelevade) que nous avons eu des touches. Nous utilisons alors la SAFER pour faire baisser les prix. Il y a des mairies qui se bougent, d'autres non.
Il y a aussi l'agent immobilier d'une agence immobilière d'Ussel. Il joue l'affectif avec les vieux et réussit à négocier des maisons pas très chères avec quelques hectares autour (souvent 1 ou 2, parfois plus). Sinon, on a été voir tous les notaires et toutes les agences, c'est déprimant. Ils n'ont que des trucs pour les anglais. On a vu dans une agence un truc à 285 000 € que nous avions vu partir à 105 000 € dans une vente aux enchères (vente des domaines).
Témoignages de plusieurs groupes de personnes recueillis par Loïc Bielmann
Sandrine Derville, conseillère municipale à Anglet (Pyrénées-Atlantiques... c’est pas tout près), vice présidente de la région et présidente du Lac de Vassivière, avec Yves Buisson, directeur du Lac de Vassivière (il a auparavant occupé des postes de directeur de station, de Pornichet à Vassivière en passant par la vallée de la Dordogne et les Gorges du Verdon) nous ont concocté un redéploiement du pôle touristique.
À partir du 1er avril, fini l’accueil à Auphelle, trop facile, fini les permanences dans les communes, comme à Royère-de-Vassivière : on recentre tout sur l’île de Vassivière ! Est-ce un effet Covid ? Seuls les clients en bonne forme physique arriveront dans l’île pour récupérer les dépliants touristiques...
En se référant au texte mentionné sur le site du lac (« Mettre à votre disposition un espace d’accueil et d’information facilement accessible ») on se demande si le petit train ne va pas devoir être gratuit pour transporter la clientèle. De plus, les pêcheurs payant un emplacement dans un des ports du lac devront retirer leur embarcation fin octobre. Terminé la pêche en automne et en hiver avec son bateau sur le lac. Après les présidences successives où nous avons tout eu, des études plus savantes les unes que les autres, des investissements les plus fous à la Cambou, on revient à la situation des années 1970 où tout était concentré sur l’île de Vassivière. Un bond en avant !
Michel Bernard
Mimmo Lucano, maire de Riace en Italie, a été condamné à 13 ans de prison pour délit de solidarité. La cause ? Avoir accueilli 200 naufragés kurdes puis avoir fait revivre son village avec la participation des réfugiés (voir IPNS n°77). 38 auteurs et 19 graphistes ont formé un chœur d’artistes pour faire un livre : Terre d’humanité, un chœur pour Mimmo, préfacé par Edwy Plenel et édité par le Merle moqueur et Manifestes ! Un livre de combat avec les armes de la poésie, du récit, de la fiction, du manifeste, des images...
Le groupe Exilé·es du Syndicat de la Montagne limousine se crée en novembre 2020 et met en lien une dizaine de structures d'accueil d'exilé.es sur le territoire. Il se réunit régulièrement afin de mettre en commun ses réflexions sur l'accueil et les difficultés rencontrées comme l'obtention de titres de séjour, l'isolement des personnes accueillies par leur interdiction d'accès au travail, la nécessité d'une autonomie financière et leur envie pour la plupart d'activités régulières. Émerge alors l'idée de monter une structure à l’échelle du territoire pour fédérer ce qui existe déjà en partie de manière informelle mais aussi pour consolider l’accueil, répondre aux difficultés rencontrées et permettre une protection aux exilé.es. En mai 2022, une quinzaine de membres du groupe Exilé·es du Syndicat font un voyage d'étude à la rencontre de différentes structures d’accueil en France qui ont l'agrément Oacas pour mieux comprendre en quoi consiste cet agrément et ce qu'il pourrait nous apporter. Cela mène le groupe jusque dans la vallée de la Roya (où une ferme des Alpes-Maritimes a rejoint le réseau Emmaüs), avec notamment des étapes aux Restos du cœur Vogue la galère (à Aubagne), au Mas de Granier (une coopérative Longo Maï des Bouches-du-Rhône) et à l’Après M (un ancien Mc Do récupéré par ses salarié·es à Marseille). Suite à ce voyage, la quinzaine de personnes actives dans le groupe Exilé.es décide de devenir un groupe pilote et de travailler au montage et à la réalisation d'une structure d'accueil commune disposant de l'agrément Oacas.
Proposer aux personnes exilé.e.s de faire partie d’un Oacas/Emmaüs permet de leur offrir un cadre sécure au sein duquel elles pourront bénéficier à la fois d’activités régulières formant à un ou des métiers, d’un accompagnement administratif et juridique (obligatoire au sein d’un Oacas), de cours de français, d’une vie et d’un réseau communautaires.
En plus de cela, trois ans passés au sein d’un Oacas peuvent constituer un atout majeur dans la demande de régularisation effectuée à l’issue de cette période, même si l’obtention d’un titre n’est pas automatique.
En 2022, nous décidons de rejoindre les communautés Emmaüs parce qu’on partage les valeurs de ce mouvement international et que notre projet est en adéquation avec celles-ci : lutte contre l’exclusion et la pauvreté, solidarité, accueil inconditionnel. Des valeurs que nous portons sur notre territoire depuis la création de nos associations et parce que nous sommes déjà en contact avec d’autres communautés Emmaüs qui ont des projets similaires et que nous avons envie de pouvoir co-construire avec elles. Mais on ne devient pas Emmaüs par une simple adhésion. Avant cela, il y a une période probatoire qui dure deux ans avant d'être officiellement reconnu comme une communauté Emmaüs.
Les communautés Emmaüs ne sont subordonnées à aucune autorité spirituelle, religieuse ou autre, même si son fondateur était d’obédience chrétienne. Il s’agit avant tout d’un mouvement laïque dont l’accueil se veut inconditionnel, pour que toute personne puisse trouver une place dans la communauté quelque soit son parcours, son origine, sa situation administrative, ou sa religion.
Il est important de savoir que chacune des 122 communautés Emmaüs qui existent en France actuellement est indépendante dans ses choix de gestion économique et sociale. Pour notre part nous désapprouvons les pratiques contraires aux valeurs du mouvement Emmaüs qui sont appliquées dans certaines communautés mises en lumière récemment. Le statut Oacas est un agrément qui est censé protéger les personnes et non les rendre esclaves d’un système. Les compagnes et compagnons d’Emmaüs participent à des activités solidaires et à la vie des communautés, non à un travail salarié. Nos réflexions concernant la participation aux activités des personnes accueillies ne sont pas encore finalisées dans les formes, mais nous sommes d'avis que l'objectif premier réside dans le fait de mettre en place un accompagnement personnalisé de chaque personne en fonction de ses besoins. D'ores et déjà, nous sommes particulièrement attentif.ve.s à la qualité des liens entre ceux et celles qui accueillent et qui sont accueillies. Nous avons le souhait d'élaborer le cadre de notre structure avec les personnes accueillies, de le penser ensemble. Un groupe de soutien psychologique qui existe déjà en lien avec des professionnel.le.s du soin au niveau local pourrait par ailleurs créer une cellule d'écoute et de suivi psychologique auprès des personnes accueillies et nous prévoyons d'embaucher un ou une psychologue.
Il s'agira d'une communauté agricole destinée à accueillir dignement et durablement des personnes exilé.es sans papiers. Ce sera une structure à l'image de notre territoire à la dynamique forte et à la géographie éclatée, une entité qui réunira trois lieux d’hébergements (à Tarnac, Faux-la-Montagne et Felletin) où se dérouleront des activités solidaires agricoles : une conserverie (en création avec des apports alimentaire des producteurs locaux), une cantine solidaire (en réflexion), du maraîchage (sur des terres cultivées en sol vivant depuis 15 ans et vendant en circuit court) et d’autres activités comme une pépinière (en cours de création), une boulangerie (pain au levain dans un fournil en marche depuis plus de 15 ans), de la menuiserie, des activités dans le bâtiment (rénovation en chantier solidaire encadré par des professionnels), des activités avec la ressourcerie Court-Circuit de Felletin, etc. Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous, il y aura des liens constants entre ces trois lieux et leurs activités.
Nous souhaitons accueillir 5 personnes au début, puis monter jusqu’à 15. Nous sommes actuellement en train d'acquérir une maison à Tarnac qui sera à la fois un lieu d'hébergement, lieu des activités de conserverie et de cantine solidaire, et un lieu d'événements communautaires.
Des productions locales de légumes mais aussi des récoltes issues du glanage, une fois transformées, permettront de proposer un certain nombre de produits (jus, confitures, tartinades, chutneys, etc) au profit de l’association. Des entretiens sont en cours avec les producteurs et productrices de la Montagne limousine pour connaître leurs besoins et l’utilité que présenterait la conserverie pour leur activité. En effet, pour les artisan.e.s qui le souhaitent, un service de transformation personnalisé sera proposé.
Nous sommes dans la phase de mise en œuvre du projet. Suite à un accompagnement du DLA (Dispositif Local d’Accompagnement), nous avons consolidé les budgets de fonctionnement et réalisé la charte et règlement intérieur de la structure. La prochaine étape, en janvier 2024, est l'achat de la maison communautaire à Tarnac. Nous y ferons ensuite des travaux pour pouvoir accueillir en septembre 2024 les premiers compas et mettre réellement en place la communauté. Aujourd'hui, notre priorité est de finaliser le financement de l'achat de la maison pour un montant de 180 000 € environ (frais de notaire et d'agence inclus) et pour cela nous avons lancé un appel à dons qui est toujours ouvert ! Des fondations nous soutiennent mais nous avons encore besoin d'apports pour boucler le budget en particulier pour financer les travaux qui suivront l'achat.