Daniel Simbélie, 50 ans, installé depuis 26 ans à Felletin exprime son pessimisme sur la médecine en milieu rural. Il répond à la journaliste : «On travaille comme des ânes, …le médecin de campagne c’est terminé.. il n’y aura bientôt plus de proximité». Deux semaines plus tard, Pascal Tixier, 47 ans, nouvellement installé à Felletin depuis sept mois, et après 15 ans d’exercice dans la banlieue lyonnaise, expose une autre point de vue dans l’édition hebdomadaire du Pèlerin du 4 janvier 2007. «A Lyon j’avais un rythme de fou, .. 80 heures de travail par semaine …je voulais exercer une médecine plus humaine, avoir du temps pour écouter mes patients …et d’aller aux champignons». A travers ces deux constats l’un et l’autre rendent compte de la complexité de la situation démographique médicale en France.
Ce flash médiatique national sur la situation felletinoise intervient après toute une série de rapports plus ou moins alarmistes sur la fragilité de l’offre de soins à la campagne. Il est vrai que «la Mission régionale de Santé du Limousin» avait pointé du doigt en 2005 la région de Felletin et celle d’Uzerche en Corrèze comme zones déficitaires en médecine générale. Diagnostic normal en comparaison de la situation de 2002, il y avait alors quatre praticiens en exercice à Felletin. Depuis un nouvel équilibre s’est établi dans l’offre de soin médical. Car, outre Daniel Simbelie, Mohammed El Boundri, 41 ans, poursuit lui aussi depuis bientôt 10 ans le service vigilant d’une clientèle fidèle ; et de plus, à l’instar de Pascal Tixier, Mathieu Hess, 31 ans, s’est installé à Felletin il y a tout juste six mois comme étiopathe.
Cependant les propos alarmistes de Daniel Simbélie demeurent réels dès lors que dépassant l’horizon felletinois l’on se projette à l’échelle nationale. Outre un vieillissement rapide des généralistes ruraux, on constate une désaffection des jeunes médecins pour cette modalité d’exercice du métier.
Les nouvelles générations de médecins sont à l’image de celles et ceux de leurs classes d’âge, diplômés et dotés d’un fort quotient culturel. Comme les autres ils sont attirés vers l’héliotropisme du sud, le littoral atlantique ou les grandes métropoles. De même qu’ils n’acceptent plus un rapport au travail et donc au temps libre tellement différent des autres professions. La féminisation du métier s’accompagne aussi de revendications sur la qualité de vie et le refus de travailler en dehors des heures ouvrables.
Mais au-delà des problèmes de démographie médicale n’est il pas plus important de s’interroger sur une organisation équitable du système de santé à l’échelle nationale ? Demain quelles seront les priorités en matière de santé ? Les actions de prévention et de dépistage ne deviendront elles pas au moins aussi prégnantes que les soins thérapeutiques ? Le vieillissement de la population avec ses effets de chronicité pathologique n’entraînera-t-il pas une coordination entre de nombreux professionnels différents ? Dans l’espace rural ne pourrait- on envisager la création de maisons médicalisées de proximité où tous les professionnels de santé pourraient venir prendre leur part du service de santé publique ?
L’accès équitable à la santé de toutes populations sur l’ensemble du territoire relève de la définition d’une politique de santé publique. Celle-ci reste encore à inventer. Elle suppose une véritable articulation entre les multiples acteurs professionnels de santé et leur meilleure répartition sur le territoire.
Mais elle se heurte encore au solide ancrage des corporatismes particulièrement individualistes de notre univers hospitalier, médical et sanitaire.
Alain Carof