Eymoutiers 2004 : l’association ressourcerie “Le monde allant vers...” s’installe dans un local à Eymoutiers pour accueillir le magasin d’expo-vente d’objets de réemploi et ses bureaux. Un an plus tard, elle se retrouve prise au piège de son succès, le local s’avère trop petit. C’est alors qu’entre en jeu ce pouvoir humain, cette volonté de partage, et donc de confiance en l’autre, qu’est l’idée de ne pas tout faire en “solitaire” (si tant est que l’on puisse nommer “solitaire” une action associative), mais de former une autre forme collective pour trouver un lieu adéquat au sein de laquelle “Le monde allant vers...” pourra s’exprimer pleinement.
Cette démarche est complètement revendiquée par l’association, même si des conséquences peuvent être délicates à accepter : dépossession partielle des pouvoirs de décision, consensus plus difficiles à obtenir en augmentant le nombre de personnes impliquées. Défi à risque ? En tous les cas défi osé puisque, si “Le monde allant vers...” reste “propriétaire” du contenu de son fonctionnement, le contenant (plutôt un des contenants, à savoir un nouveau bâtiment) fait l’objet d’une acquisition mutualisée, par l’intermédiaire de la constitution d’une forme administrative et juridique ad hoc : une société civile immobilière, la SCI “Chemin faisant...”
C’est une société dotée de la personnalité morale, à risque illimité (la responsabilité des associés est indéfinie mais non solidaire). Cela signifie que les associés sont responsables indéfiniment des dettes sociales, y compris sur leurs biens personnels (à concurrence de leur quotité de parts). Une SCI est aussi une société de personnes (par opposition à une société de capitaux), ce qui signifie que l’on n’y entre pas et que l’on n’en sort pas comme on veut. On y entre en achetant des parts sociales (sous réserve d’acceptation par l’assemblée générale) que l’on peut revendre pour en sortir, sous certaines conditions prévues dans les statuts.
L’objectif de la création d’une SCI peut être l’achat d’un bien plus important que celui que chacun des associés pourrait acheter séparément : c’est ici le cas pour Chemin faisant..., son objet social répondant au besoin d’acquisition d’un bâtiment en vue de sa location professionnelle. La fiscalité d’une SCI n’est pas celle applicable aux sociétés, mais tout simplement la fiscalité des ménages. Les revenus tirés de l’immeuble sont taxables au titre des revenus fonciers des associés, de même, un déficit de la société sera imputé au déficit foncier à déclarer par chaque associé toujours selon sa quotité de parts.
Le principe qui régit l’administration d’une SCI est celui d’une gestion des affaires courantes assurée par un gérant ou plusieurs co-gérants (deux pour Chemin faisant...) appuyée sur une prise de décisions collective des associés, lors des assemblées générales, sur des questions statutaires, de gestion financière et immobilière de la SCI (achat ou vente d’un bâtiment, emprunts,...). Enfin, la plupart des règles du code civil qui régissent le contrat de société, ne sont pas des règles d’ordre public (ou impératives). Il en résulte une grande liberté rédactionnelle des statuts d’une SCI (sources ADIL 87).
Ils sont exprimés tout entier dans les statuts de la société. Dès le préambule, le principe démocratique est posé : « une personne=une voix ». Il prévaut à toute décision de la SCI Chemin faisant.... Ainsi chaque sociétaire, qu’il soit possesseur d’une part ou bien de 100, a droit à la même considération.
Un autre choix a été de ne pas avoir de capital fixe pour la société, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’ouverture laissée à d’autres personnes de devenir sociétaires, augmentant le capital et ne limitant pas la SCI à un cercle d’adhérents, d’amis, de familiers. De plus, pour l’avenir et pour d’autres projets, il est possible d’accueillir de nouveaux sociétaires amenant des fonds nécessaires à leur réalisation. La SCI Chemin faisant est donc à capital variable.
Pour ce qui est des décisions à prendre quant aux orientations de la SCI, il a été décidé que celles qui relevaient d’une nature extraordinaire devaient obtenir l’aval des 3/4 des sociétaires, celles de nature ordinaire les 2/3 seulement. Ce système, exigeant et peut-être contraignant, montre clairement l’envie d’impliquer fortement chacun et d’arriver, par le débat contradictoire au besoin, à obtenir un accord, un consensus acceptable par chaque sociétaire.
On peut enfin remarquer la nature désintéressée de certains actes au sein de Chemin faisant..., d’abord par le fait que les sociétaires acceptent de verser tout ou partie du bénéfice éventuel et distribuable sur un ou plusieurs comptes de réserve, ensuite parce que les deux cogérants assurent toutes les tâches de gestion de manière volontairement bénévole.
Initiée par l’association “Le monde allant vers...”, la SCI Chemin faisant... a été créée officiellement le 12 avril 2006. Soixante quatorze sociétaires à ce moment-là ont apporté 54 000 euros (100 euros la part). Cette somme représentait environ la moitié du montant nécessaire à l’achat puis la rénovation et l’aménagement du bâtiment acquis. Après l’accord d’un prêt bancaire consenti par la NEF (société financière coopérative choisie pour ses engagements éthiques et solidaires), l’immeuble est devenu propriété de la SCI.
Le retard pris ensuite dans les différentes démarches administratives relatives au permis de construire (un vrai feuilleton) a retardé d’autant l’implantation du “Monde allant vers...” dans ses nouveaux locaux. C’est finalement la coopérative d’entrepreneurs- salariés Cesam-Oxalis qui est devenue le premier locataire en installant son bureau dans le bâtiment en décembre 2006, la réouverture des locaux du “Monde allant vers...” ayant eu lieu début février 2007. La dimension collective de la SCI se retrouve aussi dans l’hébergement possible d’autres structures locales. Il reste ainsi un dernier espace pouvant accueillir le bureau d’une association. Une salle de réunion de 20 places sera également accessible très rapidement (une fois les travaux de rénovation terminés) pour accueillir quiconque en aura besoin sur le territoire.
Il convient de noter que la présence active et bénévole des sociétaires disponibles a permis l’avancée régulière des travaux, sociétaires encadrés par des responsables de chantier salariés ou bénévoles. Cette démarche d’implication, visible physiquement, est un élément supplémentaire permettant aux sociétaires de “s’approprier” concrètement la SCI. Elle se retrouve encore énoncée dans le préambule aux statuts : l’objectif est « la mise en commun solidaire de moyens financiers, matériels et humains au service d’initiatives qui s’inscrivent dans un cadre d’utilité sociale, collective et/ou citoyenne ».
D’une idée associative, un projet collectif est né et des moyens concrets ont été mis en place et fonctionnent. Tel un navire lancé à l’aventure, mais avec un équipage et un cap définis, la SCI Chemin faisant... avance et avancera au rythme de ses envies, de ses projets (l’achat d’un seul bâtiment n’étant pas la finalité de la société) et de leurs possibilités et concrétisations, au sein et au service d’un projet de nature économique qui soit aussi réellement solidaire et humain.
Francis Dubon