L'écologie politique avait failli. Après une embellie dans les années 80, le mouvement avait été digéré, partout en Europe, par le système traditionnel des partis. Mieux encore, ou pire, les partis écologistes avaient réussi à réunir les défauts des groupuscules dont ils étaient issus, la bêtise, l'indécision, l'obsession démocratique, et ceux des grands appareils, les luttes intestines, la corruption, les ambitions déplacées. Les thèmes eux-mêmes, après avoir mobilisé les populations urbaines et une partie de la jeunesse, avaient lassé. L'humanité occidentale s'était rendu compte qu'elle n'était prête à rien pour s'acheter un avenir.
Les accords de Kyoto n'étaient jamais entrés en vigueur et les émissions de gaz polluants dans l'atmosphère avaient continué d'augmenter. Dans le même temps, tant par facilité que par vanité, les citadins avaient renié tout effort de recyclage. Ceux qui en avaient les moyens avaient acheté des 4 X 4 qui leur garantissaient une circulation aisée dans des villes de plus en plus violentes. Les municipalités abandonnèrent les conteneurs de couleur dédiés au tri sélectif et adoptèrent un discours qu'elles auraient qualifié, dix ans plus tôt, d'irresponsable.
"L'avenir de la planète ? elles disaient. Merde, mais qu'est-ce qu'on y peut ?"
L'Occident s'était rallié à la position américaine, formulée au début du siècle : la science nous sauverait... peut-être. Mais Dieu seul savait comment. Dans le pire des cas, les glaces se changeraient en eau et noieraient les terres exposées. Le pétrole viendrait à manquer. Nous en retournerions à la barbarie ou péririons dans des catastrophes naturelles de plus en plus nombreuses et spectaculaires. La terre tremblerait.
Des vagues géantes s'écraseraient jour après jour sur les côtes tranquilles. La chaleur serait intolérable. Et alors ? Inch'Allah. Chacun pour soi et tous pour personne. Le cynisme s'empara de l'opinion publique après le tsunami de décembre 2004, la destruction de La Nouvelle-Orléans, l'année suivante, celle d'Amsterdam en août 2009. L'équation était claire : Dieu reconnaîtrait les siens, ceux qui avaient payé les indulgences et pourraient se mettre à l'abri dans des zones géosécurisées du monde moderne, en altitude, à l'abri des eaux, des vents, des gaz et des feux de forêt. Dans les pays riches, les mouvements de population s'organisèrent en direction des zones neutres : campagnes, vallées de moyenne altitude, plateaux calcaires. Le Perche, la Bourgogne et le Massif central devinrent les nouveaux eldorados français.