Il faut croire à ce qui est tout à fait invraisemblable, en un changement radical des traditions, des comportements, des ambitions individuelles et collectives.
Ce qui doit impérativement changer ? Le rapport de l'homme à son semblable, d'une part, à son environnement, d'autre part. Mais ce double changement implique et induit des bouleversements dans tous les domaines. Et en particulier un bouleversement de la construction mondiale, avec une autre répartition des activités productives dans le monde, permettant d'autres rapports entre les peuples et assurant des conditions de vie décentes à ceux qui, aujourd'hui, crèvent de faim.
L'alternative ne pouvant être qu'un système sociopolitique et technico-économique différent de celui que représentent les systèmes capitaliste et socialiste qui se partagent le monde, toutes les nations participant soit à l'un soit à l'autre, sa mise en forme présuppose qu'une partie de l'humanité puisse se dissocier de ces deux systèmes et se soustraire aux pouvoirs qui les organisent ou les imposent. Ceux qui la veulent doivent donc revendiquer le droit de se constituer en société autonome, et de disposer d'une partie du territoire que se sont réparti les nations. Ce droit se confond avec le droit de vivre pour les victimes de l'évolution technico-économique, qui ne pourront trouver un emploi que dans un cadre différent de celui qu'offre la nation. Mais c'est aussi le droit, qui devrait être reconnu à chaque individu au sein de chaque nation, de vivre conformément à un système de valeurs universalisable, en affirmant concrètement sa solidarité avec tous ceux qui, de par le monde, refusent les objectifs insensés que poursuivent les nations.
Le grand mérite de Terres d'avenir est non seulement de mieux nous informer sur les ravages de l'agriculture, comme de l'élevage industriel, et sur les avantages de l'agriculture biologique. Il est de nous montrer que ce problème nous en ouvre d'autres en chaîne. Celui des filières internationalisées de l'alimentation qui font circuler les produits d'un continent à l'autre au prix de transports routiers et aériens consommant une très grande quantité de CO2. Celui d'une économie planétarisée, commandée par le seul profit, où les enrichissements produisent de nouveaux appauvrissements et de nouvelles prolétarisations. Où les progressions techniques et économiques provoquent de nouvelles régressions morales et psychiques. Où nous perdons en qualité ce que nous gagnons en quantité. Où une partielle rationalité économique provoque une irrationalité économique globale. Ainsi l'agneau de Nouvelle-Zélande acheminé par avion est vendu à sept euros le kilo dans les grandes surfaces, soit la moitié du prix de l'agneau élevé en France, mais transporté par avion sur plus de 18 000 kilomètres, il émet des quantités de CO2 qui totalisent plus de cinquante fois son poids.
Cette irrationalité conduit à l'asphyxie de l'humanité : il nous faudrait trois planètes Terre pour continuer notre mode de vie et plus encore pour que la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique puissent atteindre nos niveaux de vie. La planète est en danger et il nous faut concevoir que le vaisseau spatial Terre - propulsé par quatre moteurs déchaînés hors de tout contrôle : science, technique, économie, profit - court à la catastrophe.
Notre développement a créé non seulement de nouvelles fractures sociales, mais la fracture nature-culture. Il y a une fracture de civilisation, dans le sens où celle-ci provoque désormais plus de maux que de bienfaits et n'arrive pas à traiter nos problèmes vitaux, il y a une fracture de civilisation entre notre civilisation au faite de sa puissance, mais produisant sa propre mort, et une civilisation qui voudrait naître et s'élabore de façon encore embryonnaire et dispersée.
Il faut comprendre ce qu'a dit Raphaël Correa, cet économiste devenu président en Equateur : "Ce n'est pas une époque de changement, c'est un changement d'époque que nous vivons."
Il nous faut une nouvelle façon de pensée qui saisisse les liens entre les problèmes que nos experts et technocrates conçoivent toujours de façon compartimentée et séparée, et qu'hallucinés par leurs modèles quantitatifs, ils ne perçoivent pas comme problèmes de destin humain. Car, et c'est le mérite de Terres d'avenir de le montrer, les problèmes de l'alimentation, de la production, de la circulation, de l'énergie, de la croissance, du développement, de la planète sont inséparables. Il nous faut percevoir les voies encore éparpillées, disséminées de salut, et comme le dit excellemment ce livre, reconnaître les cellules souches de la régénération. Il faut considérer les expériences pilotes exemplaires en ville (comme le quartier Bedzel de Londres) ainsi que dans les campagnes. Il faut examiner avec attention les propositions tendant à favoriser en même temps l'alimentation de proximité, les polyactivités rurales, l'agriculture biologique combinant sagesses d'expérience et innovations créatrices, les productions fermières, dans la perspective du développement d'éco-régions. Il faut désormais concevoir une politique de civilisation qui comporterait entre autres la revitalisation des campagnes et l'humanisation des grandes villes. Tout cela nous invite, nous, Européens et Occidentaux, à réformer notre mode de vivre. Il nous faut chercher à mieux être plutôt qu'à plus avoir.
Partout, à la base, le vouloir vivre et l'esprit solidaire suscitent d'innombrables petites initiatives et inventions locales, qui demeurent ignorées parce qu'à l'échelle des nations, aucun organisme d'information ou d'encouragement ne les fait connaître. Parfois par chance, une initiative comme celle du micro-crédit, se propageant dans le Bengale, fait connaître son initiateur qui recevant le prix Nobel voit désormais son initiative essaimer sur la planète. Partout, de façon dispersée, l'économie plurielle s'engendre, comportant en elle l'économie solidaire des mutuelles et coopératives, le commerce équitable, une éthique de l'économie et dans laquelle coexisteraient un capitalisme planétaire et un tissu vivant d'économies territorialisées. Et, dans l'inséparabilité des domaines et des problèmes, l'agriculture, c'est à dire la terre, se trouve au coeur. Voici le message que, dans ce livre, trois terriens adressent aux terrestres.