Si la pratique agricole sur la Montagne se résume essentiellement, aujourd’hui, au drainage et à l’évacuation la plus rapide possible de l’eau, il en fut tout autrement pendant des siècles.
Captée dès l’amont des rivières et ruisseaux, voire dans les chemins et cours de fermes, pour être ensuite restituée aux flancs des vallons de manière régulée, l’eau était alors soigneusement gérée.
Des pêcheries (“las pescharias“) où elle était stockée, en passant par les rigoles (“las levadas“), c’était tout un système technique et des savoir-faire qui s’étaient mis en place pour permettre la culture de l’herbe et l’irrigation fertilisante des prairies. Au gré des saisons, les paysans de la Montagne “baignaient“ ainsi “le pré“ (“far banhar los prats“) afin d’améliorer la pousse ou, à l’inverse, pour protéger l’herbe des premiers gels.
Longues parfois de plusieurs kilomètres (pour l’une d’elles de 7 km), les rigoles constituaient donc une véritable richesse tant collective – en témoignent les phases d’entretien communautaire collectif (“l’arban“) - qu’individuelle. Certaines furent ainsi données en dot lors de mariages !
Il n’est dès lors pas étonnant qu’elles aient obéi à une gestion stricte, les droits d’eau (“lo terma d’aiga“) faisant par exemple l’objet d’un calendrier strict. Et, pour qui se souvient de Jean de Florette, il n’y a pas plus de surprise à savoir que cette gestion fut prétexte à de nombreux conflits, lorsque d’aucuns “enlevaient la motte“ (“las glevas“), détournant à leur profit le cours des canaux.
Survivances de pratiques paysannes, ces méthodes de gestion ont aujourd’hui quasiment disparu. Seules quelques exploitations agricoles (à Viam, Saint-Merd, La-Nouaille) entretiennent encore un système de rigoles et pratiquent une irrigation traditionnelle.
Pas sûr qu’il faille s’en réjouir car ce système jouait clairement un rôle de stabilisateur dans la distribution de la ressource en eau tout au long de l’année, contribuant à amortir les effets des crues ou des pénuries. Si l’on ajoute qu’il contribuait à une pousse régulière sans l’adjonction d’intrants chimiques dont on connaît les effets néfastes sur l’environnement des têtes de bassin, il y a lieu de s’interroger sur son abandon massif.
L’utilisation de l’énergie hydraulique est ancienne sur la Montagne. Sur ce territoire où l’abondance de la ressource en eau favorise les installations, des moulins à farine ou à huile sont attestés dès le Moyen Age dans les états de propriété. Rarement installés au fil de l’eau, ils sont plutôt alimentés via un étang ou par le biais d’un canal de dérivation, afin de pouvoir réguler les flux et gérer l’alimentation en eau. La vidange partielle d’un étang - “l’estanchada“ -, renouvelée après remplissage, permettait ainsi d’améliorer le rendement de ces équipements, qui pour certains tournaient jour et nuit selon les périodes.
Faisant fréquemment l’objet d’une gestion communautaire ou familiale, ils disposaient rarement d’un meunier attitré - chacun son tour était meunier - et ne comportaient donc généralement pas d’habitations. Frustres, de fort petite taille, ils n’en présentaient pas moins un astucieux mécanisme à roue horizontale encore appelée roue à cuillers (“lo rodet“), positionnée sous le bâtiment, surmontée de deux meules, l’une fixe et l’autre mobile, en granite. Ce n’est que tardivement, fin XIXème, que des innovations furent introduites : mécanismes à roue verticale à aubes ou meules en pierre de La-Ferté-sous-Jouarre.
Destinés à subvenir aux besoins locaux dans une logique d’autosubsistance et d’autarcie, ils servaient essentiellement à moudre le seigle. Quelques usages alternatifs sont toutefois mentionnés : broyage des faînes de hêtre pour la production d’huile servant à l’éclairage, pressage des pommes pour la production de cidre (Saint-Yrieix-a-Montagne).
S’ils ponctuèrent longtemps le paysage de la Montagne, leurs traces se sont aujourd’hui largement estompées et l’on estime que la quasi-totalité des quelques 800 moulins avérés au début du XIXème siècle ont disparu. Témoignages d’une société dont l’économie fonctionnait largement sur elle-même, les derniers d’entre eux cessèrent d’être utilisés dans les années 1960, remplacés par des concasseurs thermiques ou hydrauliques et par le développement de minoteries industrielles. Seules subsistent quelques exemples, à l’instar des trois beaux moulins de Razel sur le ruisseau de Bonne à Pérols-sur-Vézère.
Stéphane Grasser