Depuis quelques décennies, agronomes, anthropologues et historiens défrichent et livrent peu à peu “L’histoire des agricultures du monde depuis le néolithique jusqu’à la crise contemporaine“ pour reprendre le titre de l’ouvrage de référence en la matière. Un corrézien, Roger Pouget, lui aussi agronome et directeur de recherches à l’Institut National de Recherche Agronomique se propose de retracer l’histoire de l’agriculture et des paysans limousins depuis 10 000 ans.
À partir des sources scientifiques et techniques de la recherche contemporaine Roger Pouget nous rappelle la longue durée de la grande misère des paysans limousins luttant sur des sols pauvres aux rendements faibles et aléatoires. Soulignant ainsi que jusqu’au XIXe siècle une très forte proportion de la population de la province se livre à l’agriculture pour retirer de cette terre rude et maigre la nourriture indispensable à sa survie. Cette longue stagnation de l’agriculture est à quelques rares exceptions près le lot de toute la paysannerie française même si le Limousin figure parmi les provinces les moins favorisées en raison de ses sols peu fertiles et de son isolement dû à l’absence de moyens de communication. À ces conditions difficiles s’ajoute la lourde charge des impositions, redevances et autres corvées que leur infligent la noblesse, la bourgeoisie et le clergé. Cette pression financière demeure un frein à la pénétration de l’innovation et du progrès dans les campagnes. Le chapitre sur l’introduction de la pomme de terre en Limousin au milieu du XVIIIe siècle illustre cette résistance que l’on retrouve constamment dans la lente évolution de notre agriculture. Elle explique aussi l’arrivée tardive du développement des cultures fourragères et de l’introduction des engrais qui favoriseront la naissance de l’élevage bovin limousin dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est toujours avec un certain retard que l’agriculture limousine rejoint le progrès technique. Et lorsque survient la grande mutation de l’agriculture française dans les années 1950 l’agriculture limousine peine à s’y engager tant elle ressent encore les effets de l’émigration de sa population rurale vers les villes depuis plus d’un siècle.
Tout au long de son argumentation, l’auteur s’efforce de nous défaire des clichés d’une agriculture “archaïque et rétrograde“ pour nous aider à mieux comprendre les difficultés que les paysans limousins ont surmontées pour accumuler connaissance et savoir-faire. Deux chapitres l’un sur le châtaignier, base de l’agriculture limousine et l’autre sur la vigne, principale culture de la basse Corrèze, apportent un éclairage singulier sur leur capacité d’adaptation face aux aléas auxquels ils ont été confrontés. Sans oublier de rapporter l’utilisation astucieuse des rigoles pour l’irrigation fertilisante des prairies, une maîtrise de l’eau datant peut-être de l’époque gallo-romaine. L’ouvrage est agrémenté d’une illustration abondante en planches de dessins et photographies remarquables.
Spécialiste de la vigne, Roger Pouget a dirigé la station de recherches sur la viticulture à Bordeaux. En clôturant son chapitre sur la vigne, il fait remarquer la renaissance du vignoble de Branceilles en 1990, l’arrivée en 2000 du vin paillé de Queyssac-les-vignes et plus récemment encore en 2007 Les coteaux de la Vézère à Voutezac et Allassac. Un petit clin d’oeil à la capacité d’innovation des agriculteurs d’aujourd’hui pour diversifier leur source de revenus et développer un tourisme rural.
Alain Carof