Comme la loi de 1992 le rappelle, l’eau est un bien commun et sa gestion est confiée aux communes. Au même titre que pour la restauration scolaire ou les ordures ménagères, les élus peuvent déléguer cette gestion à une entreprise privée. Un choix qui a donné lieu à des débats passionnés ! Des communes nous expliquent les atouts et les contraintes de la régie directe.
Royère de Vassivière : une décision politique
Après des années de gestion par la SAUR, la commune de Royère s’est posée la question du retour en régie. En effet, le contrat arrivait à expiration et le coût annuel (76 000 €) ne semblait pas être justifié par une qualité de service rendu. De plus, l’équilibrage du budget aurait nécessité une forte augmentation du prix du mètre cube. Pour faire son choix, la commune a commandé un diagnostic du réseau et une étude de faisabilité à la DAAF, où est apparu que le retour en régie était tout à fait possible mais ne présentait pas nécessairement d’avantage financier. Il s’agissait donc surtout d’une décision politique. Considérant qu’un tel service public ne devait pas être une source de profit, le retour en régie a été décidé en décembre 2006 et les mesures qui s’imposaient ont été mises en place : formation du personnel, investissements en équipement, organisation du travail entre les ouvriers municipaux. Certaines opérations, cependant, sont confiées à des intervenants extérieurs. Mais le résultat est positif car la régie permet de maîtriser le budget eau et, surtout, redonne toute sa place à la collectivité dans le contrôle de cet élément clef de l’aménagement du territoire.
Madelaine Lemeignan, ancienne conseillère municipale de Royère
Le Palais sur Vienne : un prix plus bas et plus équitable
Le grand intérêt du retour en gestion directe par la commune ou le syndicat intercommunal est la maîtrise du coût de l’eau. Une entreprise privée se doit de faire du bénéfice, pour les actionnaires et pour payer les sièges régionaux et nationaux, la publicité... Une régie n’a pas ces charges. Au Palais sur Vienne, où le retour en régie a été voté en 2001, le prix de l’eau a baissé de 30% et il est resté stable depuis, alors qu’il augmentait de 6 à 10 % par an dans le cadre de la gestion de la SAUR. Ce choix a également permis un débat sur l’abonnement, que nous avons décidé de supprimer. Ne correspondant à aucun service défini, c’est souvent le bénéfice que prend la société privée, et avec 6 mois d’avance. La nouvelle loi sur l’eau précise qu’il faut tendre à le rendre le plus faible possible car il est socialement injuste : le petit consommateur d’eau paie l’eau plus chère au m3 qu’un gros consommateur ! Les exemples que nous connaissons montrent que partout où il y a eu retour en régie, le prix a baissé et la qualité du service y a gagné.
Yvan Tricart, conseiller municipal du Palais sur Vienne et membre d’Attac 87
Felletin : le choix de l’indépendance
Le Syndicat intercommunal d’adduction d’eau de la Haute-vallée de la Creuse regroupe trois communes : Clairavaux, Croze et Felletin, qui comptent ensemble 1400 abonnés et commercialisent entre 100 à 120 000 m3 d’eau. En régie directe depuis sa création dans les années 1960, le syndicat est confronté à plusieurs difficultés :
- le faible débit des sources : parfois la production est inférieure à la consommation et il faut avoir recours à une alimentation de secours.
- l’acidité de l’eau : l’eau de source non traitée est très appréciée par les abonnés, mais son acidité qui va de pair avec une faible minéralisation et une excellente qualité bactérienne, la met quelquefois au-dessous du PH minimum de 6,5. Ce n’est pas dommageable pour la santé humaine, mais favorise la corrosion des vieilles canalisations en fonte. Heureusement il n’en existe pas en plomb qui présenteraient, elles, un danger.
- le coût des analyses : Les analyses de la DDASS deviennent de plus en plus nombreuses et sophistiquées donc plus onéreuses. Elles peuvent même conduire à des travaux très lourds (ex : installation d’unités de traitement contre l’arsenic suite à un durcissement de la norme).
- la diminution des subventions : Les aides de L’Etat et des agences de l’eau ont considérablement diminué, aussi les charges du syndicat s’alourdissent.
Pour pallier ces difficultés, les élus se sont donnés les moyens d’une véritable indépendance, en formant et en équipant une équipe technique. Cette performance a un coût qui se répercute sur le prix de vente. Actuellement un peu inférieur à la moyenne départementale, il devra certainement être réajusté à la hausse. La gestion en régie a eu une conséquence très favorable en ce qui concerne le refus de neutraliser (diminuer l’acidité par un traitement approprié) l’eau distribuée. Connaissant l’attachement de la population à l’eau de source non traitée du syndicat, les élus ont refusé de s’engager dans la voie indiquée par les autorités sanitaires. C’est un choix qu’une entreprise privée n’aurait pas pu faire car elle n’aurait pas eu la légitimité nécessaire pour prendre une telle décision.
Jean-François Pressicaud, ancien conseiller municipal de Felletin.
- Apparue au début des années 80, la délégation de service public au privé est une notion de droit français. Les communes restent propriétaires des infrastructures et l’entreprise privée assure le traitement, la distribution de l’eau et son assainissement, l’entretien des réseaux et la facturation. Trois entreprises se partagent le marché (sans réelle concurrence d’ailleurs car elles se sont mises d’accord implicitement sur des secteurs géographiques) : Véolia (40%), Suez (27%) et Saur-Bouygues (10%). En 2001, la gestion par délégation privée atteignait 77% mais, suite à de nombreuses critiques, on assiste à un retour de la régie directe, à l’instar de la ville de Paris. L’accent est souvent mis sur la diminution du prix de vente mais ce bénéfice ne doit pas être exagéré car il dépend de nombreux paramètres. En revanche, le bénéfice est immense en terme de maîtrise de l’intérêt général. Les entreprises privées assurent que, dans un système délégué, la puissance publique conserve toutes ses prérogatives au service de l’intérêt général, l’entreprise n’apportant que son efficacité technique et économique. Mais la réalité montre qu’il n’en est rien. Le petit village peut-il réellement contester des décisions prises par ces géants de l’eau ? Que vaut la supériorité technique dans un système automatisé où le moindre contact avec un technicien passe par un serveur vocal national ? Quant à la soi-disant meilleure efficacité économique, ne vient-elle pas d’une gestion du personnel privilégiant les actionnaires au détriment des salariés ?
Pour réussir sa gestion en régie, plusieurs conditions doivent toutefois être réunies :
- le bon moment : pour revenir en régie, il faut profiter de la fin d’un contrat avec la société privée car casser un contrat peut être onéreux. Si vous n’êtes pas encore prêt, prolongez le contrat d’un an, ne signez pas pour 10 ans de plus !
- la taille du réseau : le millier d’abonnés permet d’employer deux personnes à temps plein, le minimum. En dessous, la recherche de regroupements avec collectivités gestionnaires paraît souhaitable.
- l’équipe technique : elle doit être équipée, bien formée, et se sentir responsable.
- une vision stratégique : afin de pouvoir réaliser les investissements nécessaires et se préparer aux aléas, la gestion doit avoir pour objectif de pérenniser le réseau plutôt que de se targuer d’un faible prix de vente.
Yvan Tricart et Jean-François Préssicaud