Les monnaies locales complémentaires aux monnaies nationales ne sont pas une idée neuve. On les voir fleurir au cours de l’histoire des hommes depuis la plus haute antiquité, en passant par le milieu du moyen âge jusqu’aux années 1930 en Suisse, en France et ailleurs en Europe. De nos jours, elles sont plus de 5000 dans le monde, sur le continent américain du sud au nord, au Japon mais également en Europe dont une trentaine en Allemagne et à peu près autant en France.
Si leur développement a souvent correspondu, pour ce qui concerne l’époque moderne, à des temps où le contexte économique était difficile, on peut en revanche affirmer qu’elles ont toujours été porteuses d’un certain progrès social. Elles contribuent à renforcer la cohésion des populations et à stabiliser les échanges à des moments où les monnaies nationales sont défaillantes quant à leurs capacités d’irrigation du corps social ; la monnaie est comme le sang dans le corps humain, son rôle consiste à porter l’oxygène à chacune des cellules afin que l’ensemble puisse fonctionner harmonieusement. Voilà précisément ce que les grandes monnaies mondiales ont fini par oublier.
Aujourd’hui, plus de 95% de la masse monétaire mondiale est consacrée à l’industrie de la finance, concentrant les flux vers la spéculation, laissant des pans entiers de la population en panne de liquidités, la condamnant à la misère avec une indifférence indigne de l’espèce humaine. N’ayant que peu de prise sur ces grands déséquilibres, ne pouvant que constater les problèmes qui s’accumulent et semblent insurmontables, de nombreux citoyens ont baissé les bras, certains allant même jusqu’à céder aux sirènes qui désignent des boucs émissaires pour porter la responsabilité de l’ensemble de nos difficultés. Cette énergie mortifère ne détient bien évidemment ni les ressorts ni les clés permettant de construire le monde qui cherche à naître et qui impose aux humains de se dépasser dans un élan vital de coopération et d’entraide.
Les monnaies locales complémentaires font partie de cet élan qui existe mais dont on parle peu, pour le moment, car il contribue, par ses propositions concrètes, à cette transition de civilisation ; elles sonnent le glas de la grande compétition transnationale. Elles s’inscrivent dans une perspective de long terme par laquelle chaque acteur de chaque territoire fait ses choix stratégiques en se préoccupant des conséquences pour les générations qui suivront. En France, le code monétaire les oblige à circuler au sein d’un réseau défini dans le cadre d’une association regroupant les utilisateurs et les prestataires. Chaque unité de monnaie vaut un euro. Cette dernière règle de parité permet de faciliter les comptes des entreprises adhérentes et de comptabiliser les entrées de monnaie locale dans la caisse, à l’actif du bilan. Localement, elles s’appuient sur une charte éthique qui définit les règles d’admissions des entreprises prestataires. Cet élément de l’architecture des monnaies complémentaires est essentiel : c’est l’âme de la monnaie, c’est grâce à l’édiction de ces règles que l’on va définir le champ économique dans lequel on se situe. On va y privilégier des entreprises pratiquant ou souhaitant pratiquer des activités écologiquement, économiquement, culturellement et socialement responsables et orientées sur le long terme. La plupart du temps, les prestataires adhérents se situent dans le champ des très petites, petites et moyennes entreprises, de dimension locale et inscrites dans des circuits économiques courts (producteurs, transformateurs, artisans, commerçants, professions libérales, associations). Grâce à cette charte, la monnaie devient un marqueur des entreprises inscrites dans une démarche d’authenticité et de transparence. Le consommateur souhaitant agir au travers de ses achats peut ainsi les repérer, les “dénoncer“ et surtout lier connaissance en apportant son soutien à une économie plus juste et de proximité.
Bien entendu, on peut faire la même chose avec l’euro mais avec une monnaie locale, on se reconnaît mieux, on sait précisément à quoi chacun s’engage et on peut aussi budgétiser ses dépenses éthiques et locales chaque mois. Chaque achat représente un engagement formel. Autre effet direct de la mise en place de cet outil citoyen, les entreprises ayant reçu de la monnaie locale vont être encouragées à la dépenser localement dans le réseau plutôt qu’à retourner la changer en euros ; par conséquent les échanges locaux entre les entreprises du territoire vont se développer, créant ainsi de nouveaux liens de coopération et de développement mutuel, en lieu et place de la compétition qui nous est vendue comme modèle immuable et incontournable. Par ailleurs, puisqu’on achète sa monnaie locale en euros, toute la masse monétaire en circulation sous forme de monnaie locale a son double en euros dans une banque (si possible bien choisie) : cela signifie qu’une partie de cet argent placée peut être orientée pour financer des projets locaux (financement de création ou de développement d’entreprises locales, de projets à caractère social et/ou écologique et/ou culturel). Enfin, c’est le territoire qui tirera les derniers marrons du feu puisque la monnaie apparaissant également comme un marqueur à ce niveau-là, il renforcera son attractivité vis-à-vis de projets de l’économie à venir, améliorant sa démographie et, plus globalement, son dynamisme. Une citoyenneté renforcée au travers des liens créés par des actes d’achats choisis et assumés, une nouvelle dynamique de territoire, une véritable consolidation et un développement des activités économiques et culturelles, un levier de financement participatif pour des projets locaux, les monnaies complémentaires locales ont bien des atouts pour nous permettre de reprendre en main nos destinées collectives.
C’est ce à quoi s’est attelé le collectif “Ici Ensemble“ dans le secteur de St-Germain-les-Belles depuis bientôt deux ans. Dernièrement, ce collectif vient de passer le cap de la prim’information en créant l’association qui portera la première monnaie locale limousine. L’assemblée générale constitutive de Changeons d’Echanges en Limousin aura lieu fin janvier 2014. La monnaie qui sera créée portera le nom de Lou Pelou, car la bogue de la châtaigne pique les doigts et change ainsi de main plus rapidement : avec Lou Pelou, on ne risque pas d’accumuler, on échange ! Elle démarrera dans le sud de la Haute-Vienne et essaimera sûrement, très rapidement, dans tout le Limousin car c’est bien l’âme de notre belle région que d’être à la pointe du progrès social.