Marc Denis est débardeur. Son outil : le cheval. Il a créé son entreprise de travaux forestiers spécialisée en traction animale en 2003 en Limousin. Mais les déplacements nombreux auxquels il s’est vu contraint l’ont amené à une autre vision : une ferme intégrant la traction animale en diversifiant les activités avec sa compagne (poules pondeuses, maraîchage, débardage avec les chevaux). L’idée de créer une Amap bois de chauffage a germé lors d’une rencontre du Réseau d’alternative forestière, où a été exposé un exemple en Drôme. Entretien.
IPNS : Comment fonctionnerait une Amap bois de chauffage ?
MD : Les AMAP sont aujourd’hui bien connues dans le milieu agricole, elles assurent un soutien et un revenu au paysan, pourquoi ne pas transposer ce fonctionnement au milieu forestier ? Un propriétaire forestier souhaitant un travail de qualité dans ses bois fait appel au forestier utilisant la traction animale. Un réseau de consommateurs militants et sensibles au devenir des forêts limousines est constitué, afin d’assurer l’écoulement des produits. Le propriétaire assure une mise en valeur et une rentabilité de son patrimoine forestier. Ce mode de fonctionnement permet une meilleure gestion et valorisation des peuplements feuillus. En effet, l’AMAP offre une alternative à la gestion forestière classique (coupes rases, mécanisation à outrance, enrésinement). Ce schéma unique est évité car le forestier est soutenu par les deux autres parties : propriétaires et consommateurs. Ils lui assurent une sécurité financière, un engagement à long terme, une connaissance partagée des enjeux forestiers.
IPNS : Concrètement, comment organiseras-tu la distribution ?
MD : Je pense rayonner à une distance de 45 minutes maximum. Pour garder une cohérence écologique, les groupes s’organiseront autour de pôles rayonnant à 15 km maximum du lieu de stockage. Quelques consommateurs, voire une personne (suivant sa quantité de bois) suffiront pour créer un lieu de stockage qui peut être en forêt, dans un champ... 10 stères, c’est suffisant. Chaque année l’AMAP se réunira permettant ainsi aux trois parties (propriétaires, forestier, consommateurs) de se rencontrer, d’échanger leurs idées, pour faire un bilan de l’année, une réévaluation des tarifs, du mode de fonctionnement de l’association, du partenariat, des difficultés rencontrées, etc. D’autres moments de rencontres seront à envisager tels que des chantiers collectifs visant l’échange, le partage de savoir-faire.
IPNS : Les consommateurs pourront donc participer à un niveau ou un autre ?
MD : Les consommateurs auront la possibilité de prendre en charge une partie du travail (billonnage, fente, sciage, transport), permettant de bénéficier de tarifs avantageux. Une mise à disposition ou une location de matériel (fourgon, fendeuse, scie) par le forestier ou entre les autres acteurs sera possible, dans le but de proposer différents prix au stère pour le consommateur.
IPNS : Puisqu’on parle de prix...
MD : Mon coût journalier est de 200 € soit 28,5 €/heure.
Je pense que c’est une juste rémunération et je ne peux pas descendre plus bas. C’est un tarif ne me permettant pas de marge de manœuvre. Mais je dois être accessible. Mon prix au stère sera certainement au-dessus des autres tarifs en vigueur (professionnels et non professionnels) pour différentes raisons : pour les professionnels, le bois de chauffage vient en grande majorité de coupe rase. Certains forestiers sont dans une situation de forte concurrence et pour y faire face ils industrialisent leur outil de travail avec des conséquences préjudiciables pour l’environnement et la paupérisation de certaines classes sociales (bûcheron et débardeur). Pour les non professionnels, la provenance reste assez floue (coupe rase, entretien haies, éclaircie trop forte comme la gestion du taillis sous futaie). Ne payant pas de charges sociales et pas d’impôts, leur tarif est bas. Nous ne pouvons comparer ce qui est incomparable. Pour avoir un prix plus attractif, les solutions sont diverses : le travail au noir, la mécanisation (schéma classique de la filière forestière), ou un véritable engagement de la société civile. L’engagement financier pour le consommateur est conséquent, c’est pourquoi je vais proposer une dizaine de tarifs allant du bois préparé dans la forêt pour les personnes équipées jusqu’à la livraison. Différentes pistes sont à étudier pour minimiser le prix : côté consommateur, mutualiser les équipements pour des chantiers participatifs ou personnels, prendre en charge eux-mêmes une partie du travail (fente, découpe, livraison), bénéficier d’aides/soutiens pour les revenus modestes (CAF), ne prendre qu’une partie de sa consommation annuelle afin d’éviter que ça grève leur revenu. Côté forestier, mettre à disposition un fourgon ou une fendeuse moyennant une petite location, si le volume à traiter est conséquent, travailler en équipe avec des bûcherons (augmentation du rendement car synergie), trouver un partenaire mieux équipé pour certaines opérations, achat de matériel en commun avec d’autres forestiers pour diminuer l’investissement. Côté propriétaire : il existe déjà des aides du
PNR (100 €/ha pour le marquage et 300€/ha pour l’exploitation).
IPNS : Les partenaires prennent des engagements...
MD : Oui. Le propriétaire met sa parcelle à disposition moyennant un prix du stère comparable au prix de la pâte à papier en contrepartie d’un travail de qualité. Le forestier s’engage à pratiquer une sylviculture respectant les écosystèmes en place (diversité des essences, favoriser les différentes classes d’âges, pratiquer des éclaircies sélectives pures), à transmettre son savoir-faire : autant que possible il se sert des chantiers comme lieu d’échange sur la sylviculture pratiquée, sur le métier de bûcheron-débardeur et la traction animale, et il organise des temps spécifiques. Le consommateur, lui, paie la moitié du bois à la commande pour permettre une plus grande souplesse dans le fonctionnement de l’entreprise forestière, il achète un mélange des essences pour valoriser les bois locaux (chêne, hêtre, bouleau, etc.).
Tous s’impliquent dans la gestion, accompagnés par le forestier si besoin, et participent activement au fonctionnement de l’AMAP.
IPNS : Et pourquoi sur le plateau de Millevaches ?
MD : Je sens qu’ici des personnes ont une certaine attente sur la sylviculture des feuillus, et seraient peut-être prêtes à s’engager pour faire changer les choses. Ce projet d’AMAP ne verra le jour que si le territoire correspond et si des citoyens manifestent leur intérêt. Donc chacun est invité à y réfléchir. Je compte organiser une réunion publique au printemps, sans doute en avril. En attendant, on peut me contacter par mail pour commencer à échanger sur le principe.
Propos recueillis par Eliane Dervin
Crédit photo : Jean Léo Dugast- L’Amap, association pour le maintien d’une agriculture paysanne, est en France, un partenariat de proximité entre un groupe de consommateurs et une exploitation locale.