Madame Destinel s’était réveillée ce matin de très bonne humeur. Le temps était au beau et elle envisageait avec plaisir la longue promenade qu’elle allait pouvoir faire avant de se livrer à ses différentes activités de la journée. En prenant son café matinal, elle pensait aussi à tous les problèmes qui se posaient aux personnes autour d’elle qui n’avaient pas la chance d’être à la retraite. Elle se réjouissait d’avoir pu reprendre ses différentes activités associatives. Ce n’était pas la panacée mais ça permettait de filer des coups de mains et de faire montre de solidarité vis-à-vis des situations les plus critiques. Décidément, la période de confinement d’il y a 8 mois2 avait créé une situation vraiment grave. Entre les faillites des petites structures que les banques, comme à l’habitude, refusaient d’aider, les violences familiales que l’on avait découvertes à la sortie du confinement il y a trois mois, et les centaines de milliers de mises au chômage non indemnisées, l’avenir n’était pas rose. Heureusement que la solidarité ne se démentait pas et qu’elle était au contraire en train de se développer. La pandémie semblait à peu près maîtrisée et ne faisait plus la une des journaux télévisés, sauf pour signaler des clusters ici ou là. Madame Destinel était plongée dans ses réflexions lorsque soudain son portable se mit à sonner.
Tiens, un numéro masqué, pfuhh, j’aime pas ça ! Bon allez, je réponds quand même, mais si c’est une pub je l’envoie bouler vite fait !
- Madame Destinel ?
- Elle-même, qui la demande ?
- Sylvestre Montdragon, je travaille au sein de la cellule de lutte contre le covid-19.
- Oui, en quoi cela me concerne-t-il ?
- Madame, vous avez été signalée comme ayant côtoyé une personne qui s’est avérée infectée par le coronavirus.
- Qui ça ? Quand ça ?
- Je ne peux pas vous dire de qui il s’agit, cette information est confidentielle. En revanche, je vous invite à contacter rapidement le service de santé le plus proche pour vous faire tester, et en attendant, à ne plus sortir de chez vous.
- Quoi ? Ne plus sortir de chez moi ? Vous rigolez. J’ai plein d’obligations et de rendez-vous à gérer cette semaine. Je peux pas tout lâcher ainsi !
- Et bien, si madame, vous êtes désormais déclarée dans la catégorie des personnes suspectées d’être porteuse du coronavirus. Il vous est désormais interdit de circuler et vous êtes tenue de rester à votre domicile et de vous isoler des autres membres de votre famille. En cas d’infraction, une première amende de 123 € vous sera infligée. Si vous récidivez, une privation de liberté immédiate sera mise en œuvre pour protéger la société.
- Mais, je pourrais pas au moins sortir pour faire mes courses, en utilisant un maque FFP2 au lieu de mon masque en tissu habituel ?
- Non, madame, les masques FFP2 sont uniquement réservés au personnel soignant et aux personnes ayant développées l’infection, nous sommes toujours en pénurie. Il vous est interdit d’en porter. Soyez responsable !
- Mais je suis responsable ! Je n’arrête pas de faire attention et je veille sans cesse, dans l’association où je travaille, au bon respect des gestes barrières.
- Vous faites bien de me parler de vos activités parce que je vais maintenant vous demander de me décrire dans le détail l’ensemble des activités que vous avez eues à l’extérieur en me précisant le nom et les coordonnées de chacune des personnes que vous avez côtoyées ces deux dernières semaines.
- Quoi ?
- Oui, il faut que vous dressiez la liste la plus complète possible de vos contacts afin que nous puissions les prévenir à leur tour.
- Que je vous donne le nom et l’adresse des personnes que j’ai rencontrées ? Mais c’est privé ! Cela ne vous regarde pas !
- Ce sont des données stratégiques pour une lutte efficace contre le coronavirus et pour mieux comprendre comment il circule. Refuser de les donner relève d’une infraction caractérisée qui pourra être passible de sanctions pénales. De toute façon, ces données resteront confidentielles et les fichiers seront détruits dès la fin officielle de la pandémie. Vous le voyez, tout est prévu pour une protection maximale de la vie privée.
- Et si je refuse ?
- Non seulement vous vous rendrez complice de la diffusion du virus mais encore, vous pourrez avoir la mort de l’un de vos amis sur la conscience. C’est à vous de voir...
Tiens, monsieur Del Bozzo ! Que lui voulait-il, si tôt ? Elle décrocha, curieuse.
- Allô, Armande ?
- Oui, salut Pietro, je t’écoute.
- Désolé de t’appeler si tôt, je sors de chez le Dr Marcuse et j’ai des mauvaises nouvelles.
- Aïe ! Dis-moi de quoi il s’agit.
- Ben, il s’avère que je suis positif au coronavirus.
- Oh, mon pauvre, c’est terrible !
- Bah non, pour l’instant ça reste du niveau de la grippe et comme c’est pris à temps, il va me faire suivre le traitement de base. Tu sais celui qui marche à 80 %. Et puis après, si des fois ça s’aggrave, les services hospitaliers sont au top vu qu’il y a eu une embauche massive après la fin du confinement, et il y a largement de la place, donc je ne me fais pas trop de soucis.
- Oui, tu as raison. Mais fais gaffe à toi. On pourra continuer à se voir ?
- Oui et non, c’est pour cela que je t’appelle d’ailleurs. Le Dr Marcuse m’a donné des masques FFP2 mais m’a conseillé de rester chez moi et de joindre toutes les personnes que j’ai côtoyées un peu longuement ces jours-ci pour les prévenir qu’elles fassent très attention. Le mieux est que tu vois avec ton médecin. Et on va peut-être attendre un peu pour se voir physiquement.
- Oui, tu as raison, je vais faire ça. Heureusement que les médecins de notre village sont disponibles. C’est super que l’assemblée nationale provisoire ait tout de suite réagi pour permettre aux médecins réfugiés de reprendre leur activité sans attendre d’avoir d’équivalence. Entre eux et les infirmières et infirmiers qui viennent d’un peu partout dans le monde, on a pu se retrouver avec un niveau de prise en charge génial.
- Tout ça, c’est grâce aux assemblées populaires locales dont le rôle a été enfin reconnu. Elles ont su faire remonter les préoccupations de terrain avec rapidité. C’est vrai que le débarquement de l’équipe de bras cassés qui nous a menés à cette situation lors des élections anticipées et l’élection d’une chambre provisoire en attendant l’élaboration de la nouvelle constitution a largement facilité les choses.
- Bon, ok je vais téléphoner tout de suite à Mme Eycurel, elle est très sympa et je verrai avec elle ce que je dois faire. En attendant, n’hésite pas à m’appeler si tu as besoin de quoi que ce soit.
- Super, tu verras bien ce qu’elle te dira. Peut-être qu’après t’avoir testée, si le résultat est négatif, elle te fournira tout de même des FFP2 par précaution, ça te changera de tes magnifiques masques en tissu ! Là aussi, c’est super la reconversion rapide de l’usine à papier. Je te laisse, j’ai encore pas mal de personnes à prévenir si je veux être responsable, et je le suis ! (rires) Ciao.