Il en est un tombé dans la marmite quand il était petit. Pierre Paul aussi, mais la sienne était remplie de notes de musique. Le gaillard – il est costaud, ses chansons aussi – est né en 1976 dans le Nord. Son CV est riche d’expériences artistiques diverses. La musique d’abord, comme son frangin-complice Alex. PPD joue de la clarinette et du saxo, Alex de la guitare. Un peu de fanfares dans le Nord, des cours de musique, puis à 20 ans, l’aventure musicale d’un tour de France. De concerts en spectacles se forme déjà un style bien à lui. Pierre Paul dit s’inspirer de Léo Ferré, dont l’album La mémoire et la mer l’influence fortement. En 2002, c’est un premier CD Histoire russe, puis deux autres avec ses complices parisiens du groupe Pierrot et les Taktiks. À le suivre sur les scènes ou les bistrots limousins, on pourrait croire que le gaillard est solitaire. Il a pourtant des participations marquantes à des œuvres collectives, comme le conte musical Pantin Pantine d’Alain Leprest, « le plus connu des inconnus de la chanson française », et Romain Didier. Il y a en effet beaucoup du comédien et du conteur chez PPD, il suffit d’écouter les intermèdes qu’il distille en spectacle. Et en effet, comédien il le fut dans quelques épisodes de la série Le village français ou le court-métrage La braconnière diffusé sur Arte. Sa facette « animateur culturel » a conduit notre artiste à proposer à un EHPAD tout un programme adapté aux pathologies de nos aînés. Une vraie tendresse, qu’on retrouvera, un peu moqués tout de même (du moins, une certaine sorte) dans Le tango des ridés. Au début des années 2010, il fera de nombreuses premières parties, dont celles de Tri Yann ou encore de La Rue Kétanou, sans oublier les festivals. Et puis vint le Limousin, je n’ai pas osé lui demander pourquoi. Nous avons donc la chance de pouvoir l’entendre souvent. C’est ici qu’est né le spectacle Danzibar, créé pour l’ambiance particulière des bistrots, puis Charivaris avec le groupe Les Hurlements de Léo. Tout ceci n’est qu’un résumé, on retrouvera plus de références sur internet, sur sa page facebook, ou sous la plume de Danièle Sala dans Le blog du doigt dans l’œil.
Tout aussi mordant que Brassens sans en avoir l’air, PPD est un costaud, au sens propre et figuré. Il chante, écrit, compose et conte, sa voix rocailleuse s’efface juste quand il souffle dans sa clarinette. C’est beau, c’est tendre, c’est fort. Pas besoin de se torturer les méninges, ni sortir son dico pour comprendre. Les mots simples suffisent à l’émotion. En spectacle, il ne quitte guère sa casquette façon Gavroche – sur le fond, il en est un aussi. Son dernier album est le résultat de l’envie et des demandes, qui ont conduit PPD à réunir des airs et textes réservés jusque là à la scène. Ses 14 chansons distillent une atmosphère assez sombre mais ô combien poétique. On y suit tout d’abord des femmes, l’enfant qui vient à la vie : « Faut bien admettre, quelle merveille quand tu souris à la fenêtre… Tes parents viennent de naître aussi. » Un autre sourire tiens, celui de celle qui le suit dans ses virées en camionnette (Un sourire se dessiner) : « Ce qui le plus me touche, c’est d’ivoire et revoir sur ta bouche, un sourire. » Une autre femme mystérieuse et maléfique : « Depuis, quand je pousse la grille de l’agence qui trouve pas d’emploi, je regarde bien dans la file, pour voir si elle s’y trouve pas. » Plus loin, celle qui « a vendu des bouquets sur les terrasses, sur les quais » promenant sa Mano de pepe. « La » femme occuperait donc la première place chez PPD ? Ce serait faire fi du reste : la nature tiens, avec ses hirondelles, ses cigognes, dont les ailes effleurent ou écorchent le monde des hommes, PPD serait-il écolo ? C’est à croire, écoutez son Mal de terre : « Mal à la peau de phoque, la corne du rhino, et j’accuse l’époque de tuer les moineaux. » Le voyage enfin : « Vogue donc Caravelle, l’Indien est océan, l’Afrique en est plus belle. » Pierre Paul est souvent doux-amer mais pas vraiment méchant. Sauf quand il ajoute à sa palette un cri, comme dans Allô ici Satan, qu’il reconnaît dans « l’humiliation quotidienne des gosses de la Palestine », ou dans Maintenant : « Les enfants qui naîtront penseront en rebelles. » Engagé notre ami, qui vit tout près du village d’un célèbre maçon de la Creuse. Martin Nadaud serait fier de toi, Pierre Paul. Ces chansons forment un beau cortège, en fait une leçon de vie : « La vie, c’est l’épine de rose, la petite ecchymose juste au creux de la main. Ce rien d’hémoglobine, au goût de grenadine, le parfum du jasmin. » Tous ces mots en guirlande prennent vie sous les notes de l’auteur lui-même, bien secondé par le frangin pour huit morceaux à la guitare : Alex, le si discret.
L’engagement, dans le sens, « je prends position sans ambiguïté », affleure dans la plupart des textes : ainsi l’hommage à Pépé Mujica, dans la chanson la mano de Pépé, l’ex président révolutionnaire uruguayen, à la fois guérillero, puis prisonnier, paysan–président. Le titre « Mal de Terre » a aussi un double sens : ces oiseaux, ce sont aussi les migrants, et leur douloureux périple. Évoquant ensuite une autre figure, symbolisant la dépression, mystérieuse et maléfique, Pierre-Paul égratigne sans en avoir l’air, le (Paul)-emploi : « Depuis, quand je pousse la grille de l’agenc’ qui trouve pas d’emploi, je regarde bien dans la file, pour voir si elle s’y trouve pas. »
Soyons clair, je n’ai jamais vu PPD en scène avec un gilet jaune, en dehors non plus. La chanson que je souhaite évoquer ici ne se trouve pas sur l’album, elle a été écrite après. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai eu longtemps du mal à me faire une idée juste sur ce phénomène social dit « des gilets jaunes ». Eh bien la petite chansonnette intitulée simplement Les beaux slogans des gilets jaunes m’a réconcilié avec cette image un peu brouillée. Encore une fois, des mots simples suffisent à mieux comprendre ce mouvement révolutionnaire (n’est-ce pas PPD ?) plein de paradoxes. Une nouvelle utopie, douchée, rincée, raillée, méprisée, et pourtant, écoutez donc ce titre : « Maintenant stop on n’en peut plus, de la valse des corrompus, de leurs rollex, de leurs couronnes. C’est samedi, et ça nous dit de braver enfin l’interdit. » « Du très bon ce Danzin, je vous l’assure ! », signait un journaliste culturel présentant l’album. J’ai oublié son nom, je me souviens juste qu’il n’était pas de Télérama.