Ce livre est un éclair, un éclair qui déchire le ciel avec la particularité de ne pas disparaître ! Alors pourquoi cette comparaison avec un éclair ? C’est la zébrure qui renvoie à la flèche, à la flèche du temps... Fresque historique de la condition féminine, de - 400 000 ans à aujourd’hui. C’est la lumière qui rend évident, limpide, lumineux, sans pour autant éblouir ou aveugler. Comprendre et donner sens, dessiller, porter un nouveau regard.
Marylène Patou-Mathis n’est pas une amatrice, c’est une spécialiste, une pro. La préhistoire, c’est son domaine, elle y excelle. Mais n’ayez pas peur, cet ouvrage n’est pas une thèse, ce n’est pas un document de chercheuse, avec son lot de termes incompréhensibles pour qui n’est pas de la partie. Sa lecture est aisée, fluide, accessible, riche mais sans complications, nuancée et sans simplisme.
Que nous dit-elle ? Spécialiste de la préhistoire, elle pointe un siècle et demi de préjugés de recherches dans son domaine. La vision patriarcale, la force des conditionnements ne tiennent plus la route face aux faits, aux travaux récents. Cet homme préhistorique, musclé, chasseur, protecteur, inventeur, tel que nous l’appréhendons au travers de nos lectures, des histoires, des enseignements, est bien plus souvent qu’on ne le croit, une femme préhistorique ! Rahan serait une fille, la fille des âges farouches...
Forte de ces faits indiscutables, elle fait monter la moitié de notre humanité, le genre féminin, dans un train qui balaie le temps. À cette locomotive qui part du fond des âges, s’accrochent au fur et à mesure les wagons de l’histoire pour arriver en gare du XXIe siècle. Montent dans le train nos mamies les Néandertaliennes qui ne faisaient pas que balayer devant la grotte, les Amazones, guerrières de tous les temps et continents, sans filtre les femmes vikings et les Gauloises, bonjour Hildegarde de Bingen, bienvenue Louise Michel, Marie Curie (Nobel oblige), quant aux Simones de Beauvoir et Veil, elles sont en première. Les wagons sont bondés de cette féminité.
Quant à Proudhon, on lui botterait bien les fesses, ainsi qu’aux évêques, imams, rabbins et autres qui se sont servis et se servent encore de Dieu ou de la science pour asseoir leur autorité, professeurs de tout poils, prêcheurs d’interdits, justificateurs de politiques imbéciles, bourreaux et tortionnaires, fabricants d’un monde de cyclope qui ne plaît à personne.
Ce n’est pas un pamphlet, mais un récapitulatif. Ce n’est pas un brûlot contre les hommes mais la tranquille nécessité de dire « ça suffit ! », rendons justice, réinterrogeons nos genres, construisons autrement, ensemble...
Le travail de chercheuse fait ici pleinement sens : en labourant sa spécialité avec toute la rigueur scientifique, elle replace son savoir dans une démarche politique au sens large qui rend toutes ses lettre de noblesse au mot science. Si « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », « Science en toute conscience élève notre humanité ». Son travail ouvre de nombreuses questions qui appellent des réponses, avec une humilité qui s’accompagne d’une exigence de justesse, à ne pas nier les incertitudes, les zones d’ombres, les flous, les contradictions et controverses. Pour les très curieux-curieuses, en plus des notes de bas de pages, il y a des annexes contenant une biographie générale, les grandes étapes de l’évolution humaine et 86 pages de notes en petits caractères (quand on est chercheuse, on ne se refait pas...) !
Cette mise en perspective, cet apport scientifique est donc plus que bienvenu, il nous bouscule. Ce livre est remarquable et indispensable, c’est une référence ; sa lecture devrait figurer aux programmes scolaires, dès le collège, au lycée, à Sciences-Po et à l’ENA, en fac de théologie, quelque soit la religion, en préambule des cours universitaires d’histoire et des sciences d’une façon générale... Et enfin, ne pas oublier de laisser un exemplaire en libre service à l’Assemblée nationale et surtout au Sénat... Qui sait ?
Olivier Davigo