Je me suis installé à Nedde en 2014 en élevage laitier, avec les aides DJA (Dotation jeune agriculteur). Pour obtenir ces aides, il est nécessaire de construire un « plan d’entreprise », une sorte de prévisionnel détaillé des 5 premières années de l’activité, qui est généralement fait avec (par ?) un.e conseiller.ère de la Chambre d’agriculture. Le travail sur les chiffres pour ce prévisionnel était une première étape pour me plonger dans la réalité économique de mon projet. J’ai plutôt choisi d’être accompagné par une intervenante qui travaillait avec l’ADEAR Limousin1. Au vu des échos que j’avais à l’époque, je suppose que si j’avais fait ce « plan d’entreprise » avec un.e conseiller.ère de la Chambre, mon projet de m’installer avec 8 vaches serait passé pour « peu crédible » ou « non professionnel ». Et surtout probablement que je n’aurais pas vraiment intégré l’impact de certains choix économiques (prix, volumes envisagés, investissements, charges potentielles…). C’était donc à moi de prouver qu’avec 8 vaches, la valeur ajoutée créée par la transformation fromagère rendait l’activité viable, et me permettait d’atteindre le « revenu disponible » (un revenu équivalent au Smic, tel que l’exige l’engagement DJA) au bout de 5 ans.
Cette idée de prise en main des chiffres de son activité économique, je l’ai retrouvée au sein de l’AFOCG Limousin (Association de formation collective à la gestion) à laquelle j’ai adhéré en rejoignant le groupe d’Eymoutiers. Concrètement, le cycle de formation « Comptabilité-gestion » se déroule de septembre à avril sur 5 journées de formation, au sein de groupes de 4 à 10 adhérent.es réuni.es sur un secteur géographique donné. De nouveaux groupes sont créés chaque année, afin que chacun.e puisse être formé.e à proximité de sa ferme. Les formations sont prises en charge par le fonds de formation VIVEA.
Nous reprenons les bases de la saisie, la déclaration de TVA, la clôture, sur ces temps de formation collective, animée par une animatrice-formatrice (elles sont 2 en Limousin), en alternance avec des temps de saisie individuelle à la maison. Le dernier jour du cycle est consacré à la gestion : une fois la clôture réalisée (vers janvier-février), nous faisons un travail d’analyses des résultats, avec des outils pédagogiques qui permettent de les comprendre et surtout grâce aux échanges avec les autres membres du groupe. C’est là que le groupe me paraît pertinent. Si on réussit à dépasser la crainte ou la pudeur d’exposer ses chiffres aux autres, c’est vraiment l’occasion que les autres nous renvoient des questionnements sur les choix stratégiques de notre ferme. Cela n’est possible qu’avec des personnes qu’on retrouve régulièrement pour qu’un minimum de confiance soit installé.
Selon moi, un des travers de notre métier est d’être très facilement la tête dans le guidon, d’avoir de la difficulté à s’arrêter et prendre du recul pour faire des choix d’orientations qui soient les plus justes, cohérents et en connexion avec ses aspirations personnelles. Le groupe de l’AFOCG est un espace pour faire ce pas de côté et en discuter en collectif. Partir des chiffres qui reflètent la réalité de la ferme, croiser avec ce qui est important pour chacun.e comme : « vivre de sa production », « avoir du temps pour moi », « donner du sens à ce que je fais » et s’appuyer sur un regard extérieur bienveillant ; notamment celui de nos pairs : ce sont les ingrédients des groupes AFOCG.
L’enjeu fort de l’AFOCG est donc d’acquérir pour les paysan.es de l’autonomie décisionnelle : nous avons tou.tes en tête des exemples de situation où un banquier, un comptable, un centre de gestion pousse un.e paysan.ne dans un choix d’investissement qui n’est pas le sien ! Et qui par la suite va s’avérer décalé, démesuré, bref pas juste. Un choix d’orientation doit venir d’abord du.de la paysan.ne lui.elle-même, car il.elle en assume les conséquences et il.elle les assumera d’autant mieux que le choix est en accord avec tous les autres aspects de son travail et de sa vie.
Cette initiative pourrait s’imaginer pour d’autres types de métiers, des indépendants, micro ou auto-entrepreneurs à une échelle locale, ayant le même type de besoins et de problématiques en termes de gestion.
Clément Pichot