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  • Antoine Paucard, maçon et artiste

    antoine paucard 1La Corrèze a aussi son facteur Cheval. Il était maçon, s’appelait Antoine Paucard, vivait à Saint-Salvadour. Nettement moins connu que son homologue drômois, il mérite cependant d’être mieux connu. Son œuvre, en particulier ses 120 carnets d’écrits, reste encore à découvrir et explorer, ce sur quoi travaille le Centre Régional des Musiques Traditionnelles en Limousin. En attendant, une visite à Saint-Salvadour est d’ores et déjà possible !

     

    Antoine Paucard, né en 1886 et mort en 1980 à Saint-Salvadour, est à l’origine d’une œuvre littéraire et sculptée remarquable que conserve aujourd’hui sa petite commune corrézienne. Garante de la sauvegarde d’un patrimoine unique, elle est aujourd’hui initiatrice d’un projet de valorisation à long terme qui va au-delà du petit musée né en 2008 afin de préserver l’œuvre et la mémoire de l’auteur inclassable du cru : autodidacte aux multiples talents, écrivain et philosophe spontané, auteur de chansons « limousinantes », fils de meuniers, maçon de son état, ancien Résistant, et sculpteur naïf de premier ordre… 

     

    Un anticonformiste

    Paucard appartient au patrimoine local : fils de meunier et maçon, il a marqué son temps par sa manière d’être anticonformiste, ses velléités philosophiques et artistiques. Aujourd’hui encore si présent dans les mémoires du pays, il a laissé de son passage et de ses convictions une trace quasi-indélébile : un ensemble imposant de sculptures en granite, une trentaine de statues et bustes à échelle humaine, le plus souvent revêtus de textes de sa main (en prose ou rimés), poétiques, philosophiques, moraux, voire un soupçon hermétiques. Dans un sarcophage de bois lui aussi couvert de messages, Paucard a enfermé pour la postérité 120 carnets de notes sur des décennies, faites de récits, d’aphorismes, d’observations politiques ou philosophiques, de chansons, souvent en occitan. Cette matière littéraire surabondante, mystérieuse, reste à traduire, étudier et décrypter. 

    antoine paucard 3

    L’ensemble sculpté, monumental, retient d’emblée l’attention de ceux qui le croisent - des connaisseurs les plus savants aux simples curieux de passage ou voisins du site ; sa qualité et son intérêt ne sont plus à prouver. Quant à l’œuvre littéraire, elle constitue une découverte récente qui a surpris la commune de Saint-Salvadour par son ampleur et sa qualité ; outre les statues, l’étude de valorisation de l’ensemble de l’œuvre, confiée au Centre Régional des Musiques Traditionnelles en Limousin (CRMTL), accorde une attention toute particulière à l’examen des carnets. On s’anime d’avance à l’idée que ces carnets pourraient permettre d’entrer dans une langue renouvelée, une authentique littérature naïve.

     

    Art naïf, brut ou populaire

    antoine paucard 4Pour les habitants du pays, « le musée Paucard » offre une opportunité de sortie, une curiosité à partager. Mais Paucard, c’est aussi une pépite pour initiés : on se passe le mot entre amateurs d’environnements visionnaires, naïfs ou bruts, d’art populaire remarquable, de création non-professionnelle mais inspirée… « Vas voir le musée Paucard à Saint-Salvadour, cela vaut le détour ». Cette commune conserve l’œuvre intégrale de Paucard - une chance incroyable, quand on sait combien de créations hors-les-normes disparaissent avec la mort de leur auteur, qui se trouve être aussi leur gardien. Une recherche rapide sur internet témoigne de l’attention dont l’œuvre sculptée d’Antoine Paucard est l’objet ; un florilège de photographies extraites de la presse et des organes de tourisme locaux – et de quelques sources privées - illustre le site, « le musée Paucard » mis en place par la commune en 2008 après la donation des œuvres par son fils : des alignements de statues imposantes et graves, présentant des qualités plastiques évidentes, un style personnel marqué qui interpelle. Bruno Montpied, infatigable découvreur d’œuvres et de créateurs qui portent haut la culture populaire aux quatre coins de la France, est passé par ici : il donne du site une description enthousiaste, stimulant la curiosité et le désir de partir en quête.

    On contourne en hésitant l’église de Saint-Salvadour, à la recherche du musée discrètement indiqué. Dans la cour de l’ancienne école se trouve un préau de bois, fermé par ce qui ressemble à un sarcophage de verre dévoilant partiellement une foule immobile de sculptures.

    Trapue mais efficace, la verrière sans grâce protège des intempéries des œuvres vulnérables.

     

    Magnétisme

    On y entre librement, sous réserve de « penser à fermer la porte en repartant ». La facilité avec laquelle on accède à ce mausolée engage le respect. À l’intérieur, le regard embrasse d’un coup toutes les sculptures, comprend leur cohérence d’ensemble, la continuité visuelle parfaite qui nie à première vue toute chronologie de réalisation. Puis il commence à saisir la manière propre à Paucard, son originalité. Les statues, silencieuses mais toutes habillées de textes, exercent leur magnétisme sur le visiteur, lui aussi silencieux désormais. 

    Pénétrer dans le Musée Paucard renvoie à l’imaginaire des tombes de l’Égypte antique, où les statues anthropomorphes nous entourent sans nous voir, perdues dans une stase mystique, enveloppées de caractères indéchiffrables dont on se sent avide de comprendre le sens. À pas comptés, saisi d’une forme de recueillement devant le sérieux indéniable de l’affaire, l’on approche peu à peu la subtilité des statues, au plus près de la matière sculptée. C’est là que se révèle la force de l’œuvre, la profondeur des intentions du créateur et il faut l’affirmer aussi : la beauté des formes créées.

     

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    Grands hommes et anonymes glorieux

    « Aux grands hommes Antoine Paucard reconnaissant » : l’inspection du lieu permet de distinguer deux types de portraits, les « grands hommes » d’une part, les anonymes glorieux de l’autre. À l’évidence, chaque sculpture est un monument au sens premier du terme, un mémorial « édifié pour transmettre à la postérité le souvenir d’une personne ou d’un événement ». La galerie de portraits historiques réunit côte à côte le gaulois Sédulix (sorte de Vercingétorix limousin, rarement représenté et auquel Paucard attache un intérêt particulier, comme modèle de figure héroïque du territoire), un roi de France, le Cardinal Richelieu, Napoléon Premier et Napoléon III, deux généraux de la Première Guerre Mondiale (Nivelle et Margueritte). Ces héros sont pour la plupart issus du « roman national français », diffusé par l’école de la République depuis la fin du XIXe siècle. L’élève Antoine Paucard, diplômé du certificat d’études, a intégré cette leçon, mais la liberté de ses convictions personnelles s’illustre à travers la représentation de Sédulix, ainsi que de Confucius ou d’Ève.

     

    En créant son audacieux panthéon, Antoine Paucard rêvait d’éternité ; il nous lègue un programme artistique édifiant, unique et singulier.

     

    De l’autre côté du musée, des anonymes glorieux : le père de Paucard « Mon père sévère, juste et fort » ; sa grand-mère, assise de profil dans une tentative d’animation de l’attitude, une pelle de meunerie à la main ; la « femme de l’avenir ». Parmi eux, deux soldats juchés sur des piédestaux dans une attitude de tension qui semble arrachée à l’inertie de la pierre, forment un couple de caryatides particulièrement impressionnant ; plus bas se trouve le buste du déserteur géorgien Datiko Verouachvili, abattu en 1944 au camp de la Servantie avec le groupe de Résistants corréziens qu’il avait rejoints. Bouleversé par le sort tragique du très jeune Datiko, Paucard a également réalisé à son intention une pierre tombale placée dans le cimetière du village. 

    Plus bas encore, à même le sol, le regard est attiré par une forme angoissante : tirant profit d’un imposant débris de pierre biscornu, Paucard réalise un buste de soldat recroquevillé, tordu et incomplet, comme absorbé par le sol sur lequel il repose. « La fin des haricots », titre prophétique, est indiqué en lettre noires en travers de la poitrine. Drôle et tragique, d’une efficacité visuelle redoutable, terriblement poignant. Une sculpture que l’on n’oublie pas aisément.

     

    Le musée Paucard

    Depuis quelques années, le musée Paucard existe sous ce préau d’école mais son mystère semble encore entier. Pas de panneaux explicatifs, de cartels, ni de mise en contexte. Juste les œuvres alignées, reposant par terre, et au fond deux têtes schématiques posées sur des billes de bois dans une mise en scène étrangement contemporaine.

    Un musée Paucard a précédé celui que je décris ; l’auteur lui-même l’installa à côté de son domicile pour organiser la présentation d’ensemble de son œuvre au public. Le nouveau musée a vu le jour lorsque la commune a pris la responsabilité du devenir de l’œuvre ; il ne reproduit cependant pas l’organisation du premier site, lui-même sans doute remanié et « amélioré » par le fils de l’artiste qui continuait à le faire visiter après la mort de son père.

    Le maçon philosophe, qui a voyagé en Russie en 1933, a attendu l’âge de la retraite dans les années 1950 pour oser s’assumer sculpteur. Auparavant, il s’est livré au moins par deux fois au corps à corps avec la pierre, pour accomplir la mission mémorielle qui l’habite depuis longtemps. En 1927, il tente de dresser dans Saint-Salvadour un monument à la mémoire du Gaulois Sédulix ; la pierre, véritable mégalithe qu’il a choisi dans le fond d’un vallon, n’atteindra jamais le village : elle repose toujours sur le bord d’une route à mi-pente, menhir allongé orné d’une plaque de marbre sur laquelle est gravé un poème d’Antoine Paucard. Un peu plus tard, c’est un caveau de famille hors-norme et épigraphié qu’il crée dans le cimetière communal…

     

    « Entrez comme chez vous »

    Paucard a façonné chez lui, dans son atelier, ses sculptures imposantes. Je l’imagine les placer ostensiblement dans son jardin, espérant l’admiration, la reconnaissance générale, une invitation à investir l’espace public. Le bruit de la taille ne manque pas de perturber les voisins. On ne peut ignorer l’activité créatrice de Paucard, mais elle suscite de l’ignorance de la part de son entourage qui ne la comprend pas. Isolé, non-considéré, Antoine Paucard offre lui-même un cadre digne à ses œuvres, à la portée symbolique qu’il leur confère : naît ainsi le musée Paucard, grand appentis adossé à sa maison, auquel il laisse libre accès par un panneau placé à l’entrée de son jardin : « Entrez comme chez vous, un conseil toutefois, fermez le quidou [le portillon] en partant ».

    Briguant sans doute l’éternité pour son œuvre, le maçon Paucard a choisi le granite qu’il connaît bien, pierre résistante au temps, prodigieusement difficile à travailler en sculpture. Disposant de faibles revenus et avec une famille à charge, on conçoit mal qu’il puisse acheter la pierre qu’il travaille ; il se procure vraisemblablement sa matière première au gré de ses chantiers. L’observation des corps sculptés révèle rapidement un caractère composite que Paucard ne cherche pas à dissimuler : les statues sont formées par des assemblages de blocs de granite taillés et sculptés (fragments certainement récupérés car inutilisables pour la maçonnerie), mais aussi d’éléments de ciment et de plâtre. La stylisation constante des formes, et le placement couvrant des écritures, concourent ensemble à l’harmonisation du tout.

     

    Sérénité et dignité

    Cette facture étrange, libre et assumée, fait l’originalité et le charme de sa création. Chaque œuvre présente un caractère de frontalité assez stricte ; Paucard favorise à l’évidence un point de vue unique sur le personnage qu’il traite : face, profil ou trois-quarts. Il ne cherche pas à développer cet art du sculpteur qui consiste à penser l’objet sous toutes ses coutures ; non, on devine qu’il a choisi le volume pour sa monumentalité et sa durabilité, sa force suggestive, sa dimension mémorielle. Les lignes strictes du bloc initial transparaissent à travers les sculptures achevées : elles doivent à cette lame de granite, assez fine, leur silhouette longiligne et plate, leur raideur. Un mouvement léger de la tête, une torsion des épaules s’esquissent parfois mais à peine, prisonniers consentants du bloc de pierre. Paucard n’en a cure ; son intention est solennelle, édifiante et mémorielle : sa sculpture ne se donne pas en spectacle dans une débauche de gestes désordonnés et baroques. Au contraire, elle inspire le respect par la sérénité et la dignité des postures. La matière grenue du granite l’empêche d’ornementer, de restituer le modelé moelleux, variable de la chair ; mais simuler la réalité n’intéresse pas l’auteur, qui poursuit un but symbolique. L’économie de moyens que lui impose la pierre convient parfaitement à ses intentions. 

    Les visages sont travaillés dans le creux : les yeux, les lèvres, le nez long et droit se placent « à l’intérieur » du volume de la tête ; le front, les pommettes et le menton légèrement bombés forment les seules saillies de la face. En dépit de la raideur du matériau et de la rudesse du coup de ciseau, les visages apparaissent délicats. Les yeux fendus en amande, ouverts sur un lointain bien au-delà de nous, sont finement ourlés. Les paupières, les pupilles, les iris sont rehaussés de traits de crayon ou de pinceau qui redoublent et parfois remplacent le travail du ciseau. On retrouve à nouveau ces rehauts graphiques précis au niveau des sourcils, des moustaches et barbiches, sur le contour des lèvres. Sur des œuvres si planes, ces traits de plume compensant l’absence de relief ramènent un peu plus encore la sculpture au dessin, à l’œuvre bi-dimensionnelle.

    Les détails dessinés soulignent la volonté de Paucard d’individuer ses sculptures. De fait, Paucard insiste également sur les attributs des figures : chevelures soignées, notamment celles des femmes mais aussi d’hommes sous l’Ancien Régime, costumes militaires aux boutons et épaulettes sculptés en relief, détails des encolures, couvre-chefs divers et variés… Les corps massifs, fermement ancrés au sol, portent des vêtements épais travaillés tout en rondeur. La plupart sont chaussés de bottes très particulières, surdimensionnées, en forme de navette… ses écrits révèlent d’ailleurs l’importance qu’il accorde aux bottes, un texte entier, énigmatique, leur étant consacré. 

     

    Des sculptures qui « parlent »

    La sculpture chez Paucard remémore, commémore et guide/donne à penser ; pour ce faire, elle doit « parler ». Mais les textes qui complètent et accompagnent chaque sculpture, les lettres taillées en léger creux et teintées de peinture noire, ont subi plus que les corps les ravages du temps : les surfaces lessivées sont souvent devenues illisibles ; le décalquage par frottement de la surface permettra de retrouver cette facette de l’œuvre aujourd’hui invisible. La question se posera à terme de restaurer les textes sur les sculptures, ou de se contenter de les documenter en parallèle. En créant à Saint-Salvadour un audacieux panthéon livrant au monde ses messages spirituels, Antoine Paucard rêvait d’éternité ; il nous lègue un programme artistique édifiant, unique et singulier.

     

    Stéphanie Birembaut, Directrice des Musée et Jardins Cécile Sabourdy, Vicq-sur Breuilh

    Le musée Paucard se trouve dans le bourg de Saint-Salvadour (19700) et est ouvert tous les jours à partir de 8h. Tél. : 05 55 21 63 94.
  • Artémis en Creuse - Graveurs du Monde

    origines pierre duclouL'association Artémis en Creuse a été créée par un groupe d'amis motivés pour remettre en mouvement une ferme endormie depuis plusieurs décennies, sans toutefois y reprendre une activité agricole.

    Artémis, du nom de la déesse grecque, c'était le signe d'un goût pour la culture, en l'occurrence les arts plastiques. Nous avons fait des expositions de peinture, puis de gravure d'art, avec un succès réel. Pourquoi ce succès ? Parce que les murs de pierre, les volumes des bâtiments, sans oublier le paysage, amplifiaient la force et la beauté des œuvres exposées, œuvres amenées d'horizons divers et mêlées à des œuvres locales.

    Cette rencontre du présent et du passé, de l'ailleurs et de l'ici, a fait parler l'émotion et la mémoire, a réveillé la vigueur culturelle que ces lieux avaient eue en leur temps d'activité.

    Nous avions commencé en 1996 dans une grange. En 2000, la commune de Crocq nous a attribué une salle d'exposition remarquable : le grenier de l'école primaire, et nous nous sommes spécialisés dans la gravure d'art contemporaine. Ce n'est pas un choix de hasard. Certes, il y a eu des rencontres, mais surtout une découverte esthétique émouvante : le pays sud creusois est en lui-même une gravure d'art. En hiver, au printemps, dans le lacis des routes, des chemins, c'est un travelling permanent sur des gravures, fortes et douces à la fois, d'une richesse inouïe de traits et de couleurs. On pense aux hommes qui ont tracé les routes, bordé les champs, planté les essences variées. L'héritage est superbe. "Ici, la nature nous prend dans ses bras", selon l'expression d'une personne venue s'installer chez nous.

    Alors, si l'exposition "Graveurs du Monde" est belle, c'est par les gravures certes, mais aussi par la résonance avec les lieux et le paysage.

    Nous sommes maintenant connus. Nous allons ouvrir un atelier artistique de gravure et développer nos activités. Nous avons découvert que la gravure d'art est en miroir avec le sud creusois et qu'en même temps, elle ouvre notre horizon vers les ailleurs contemporains du monde. Nous tirons beaucoup de plaisir de notre activité et nos visiteurs aussi sont heureux de découvrir notre exposition.

    Alors, à bientôt, à cet été...

     

    Pierrette Simonet

    http://www.graveurs-du-monde.fr/ 

     

    "Graveurs du Monde", édition 2004 Hommage aux graveurs polonais contemporains.

    Krysztof Skorczewski, Jacek Sroka, Tadeusz Siara exposeront leurs oeuvres aux côtés de Louis-René Berge, Thierry Buisson, Martin Christian, Dominique Neyrod, Charlotte Reine...
    Dates et heures : Du 18 juillet au 15 août 2004, tous les jours de 1 Sh à 19h. Lieu : Ecole primaire de Crocq. Entrée : 3 euros {gratuit jusqu'à 12 ans). Cette manifestation est organisée dans le cadre de l'année de la Pologne en France.
    Renseignements : Artémis en Creuse, 5, Laval, 23260 Crocq. Tel/Fax : 05 55 67 45 99
  • Boudin et pâtissons

    boudin4Boudin, c’est le peintre. Non pas Eugène Boudin (1824-1898) précurseur des impressionnistes qui fut parmi les premiers à peindre des paysages en extérieur. Non, Boudin ici, c’est Clément Boudin (né en 1991), peut-être l’un des premiers à peindre des pâtissons... Installé depuis quelques années à Lacelle, il y cumule les activités : associative au sein de l’Amicale Mille Feux, éditoriale avec les éditions Hourra qu’il a créées, citoyenne en siégeant au conseil municipal de sa commune, artistique enfin. Il a exposé cet automne à Treignac des peintures sous le titre très explicite de « Fleurs et Pâtissons ». En voici quelques images.

     

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    « L’univers de Boudin est intime et domestique, il s’enracine dans les moments quotidiens et leurs sensations. Comme le cliquetis des préparatifs de la cuisine entendu depuis le calme du salon ; ce sont des réflexions sensorielles qui se glissent entre les objets et les décors. 

    Les sensations, les sujets, les objets sont libérés et composent avec fluidité un espace compressé, parfois aussi fin qu’un coton imprimé, ou juste assez profond pour permettre les ombres. Cela me rappelle ce que Pierre Bonnard a dit à la fin de sa vie : « Toute ma vie, j’ai flotté entre l’intimité et la décoration ». L’espace de Boudin est un espace de vie où le masculin s’ouvre au féminin, la cuisine à la chambre, les objets aux sensations. Et où l’intime doit devenir public. »

     

    Sam Basu
  • Cartes sur table

    Le travail que nous vous présentons dans les pages suivantes a été réalisé en 2004 par deux artistes réunis dans le collectif "Bureau d'Etudes".

    De quoi s'agit-il ? De deux cartes consacrées aux "micro luttes" en Limousin.

    La première (reproduite page 8 et 9) présente une transcription visuelle des "micro rébellions autour de Rochechouart" - en fait : en Limousin, puisqu'on y trouvera des références aussi diverses que la mutinerie du camp de La Courtine en 1917, les émeutes de la faim à Eymoutiers en 1846, les manifestations ouvrières et anarchistes de Limoges et St Junien de 1905 ou encore les multiples actes de résistance de Guingouin et ses maquis sur le plateau et ses abords.

     

    micro rebellions autour de rochechouart

     

    La seconde carte (page 10) est consacrée aux actuelles "micro résistances contre les mutants" en Limousin : sites contaminés par les déchets d'uranium, communes et zones qui s'étaient déclarées en 2004 "hors AGCS" ou "sans OGM".

     

    micro resistances contre les mutants

     

    Ce travail original devait être exposé en 2004 au Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart (Haute-Vienne) dans le cadre d'une exposition intitulée "Paysages invisibles". Mais c'était sans compter le veto qu'y a mis Madame Pérol-Dumont, Présidente du Conseil Général de la Haute-Vienne. Quelques semaines avant l'inauguration de l'exposition celle qui venait juste de prendre ses nouvelles fonctions, découvrait ces cartes et en particulier la deuxième. Irritée par ce qu'elle considéra sans doute comme une provocation ou un manifeste militant, elle refusa que les cartes pourtant déjà imprimées ne soient présentées et diffusées. Elle repoussa donc la date d'ouverture de l'exposition, pour avoir le temps de remplacer in extremis l'intervention de Bureau d'Etudes par autre chose. L'exposition fut donc présentée dans le musée départemental sans les fâcheuses cartes…

    Nous les publions donc ici, accompagnées d'un entretien avec Bureau d'Etudes qui nous explique le sens de ce travail. On lira également la philosophie de ce projet dans l'introduction aux cartes que les auteurs avaient rédigée et que nous publions ci-dessous sous le titre "Permanence des résistances". La "micro lutte"continue !

     

    Reconnecter autonomie artistique et autonomie politique

    IPNS : Qu'est-ce que Bureau d'études ? Quelles sont les raisons qui sont à l'origine de ce collectif d'artistes ?

    Bureau d'Etudes : Nous nous sommes créés comme groupe d'artistes parce que cela nous permettait une plus grande autodétermination que celle de l'artiste solitaire produisant pour le marché ou les officines de l'Etat culturel. Suite à la création d'un espace d'exposition nous avons vu assez vite comment un tel lieu devenait lui-même un appendice bénévole d'un système culturel dont nous critiquions le fonctionnement.

    C'est pourquoi nous avons commencé à circuler dans des lieux développant d'autres formes de vie et de fonctionnement. Nous sommes allés voir les Centres Sociaux en Italie et en Espagne, les squats, avec l'idée de reconnecter l'autonomie artistique (la production de sens ou d'expression déliée d'une demande sociale administrée ou d'une commande du pouvoir) à l'autonomie sociale et politique (auto organisation).

    A ces expériences et réflexions s'articule notre travail de cartographie des réseaux de pouvoir. Nous avons fait une première publication qui cartographie les systèmes de contrôle et de surveillance, diffusée lors du camp No Border de Strasbourg contre le système d'information de Schengen en 2002. Puis une autre sur l'Europe diffusée lors du Forum Social de Florence en 2002. Nous avons également réalisé plusieurs cartes exploratoires sur le gouvernement mondial, et travaillons actuellement sur un Atlas de l'Etat français.

     

    IPNS : En 2002, vous avez été invités en résidence par le musée départemental de Rochechouart (Haute-Vienne). Pouvez-vous nous raconter comment vous avez été amenés à travailler sur les cartes que nous publions ici ?

    Bureau d'Etudes : Pendant notre résidence à Rochechouart, invités par la conservatrice du musée départemental d'art contemporain de Rochechouart, nous avons travaillé à partir des archives historiques limousines sur les luttes dans le Limousin. Ce travail, présenté ici pour la première fois, a débouché sur une publication qui devait être diffusée pendant l'exposition "Paysages invisibles" au musée de Rochechouart en septembre 2004. La direction du Département n'a pas souhaité que ce travail soit présenté et diffusé. Elle a fait saisir l'ensemble du stock qu'elle avait financé et nous a exclu de l'exposition, nous accusant de ne pas avoir honoré notre contrat. Nous avons en effet développé notre réflexion sur les luttes limousines aujourd'hui et non jusqu'en 1945 tel qu'il était prévu, en y incluant une carte sur les luttes contemporaines (anti-nucléaires, anti-OGM, anti-AGCS).

     

    IPNS : Ces cartes sont consacrées à ce que vous appelez les "micro luttes". Qu'entendez-vous par cette expression ?

    Bureau d'Etudes : Les micro luttes sont ces histoires qui n'ont pas été écrites par les vainqueurs. Ce sont de petites histoires locales, des luttes singulières, disséminées, qui existent à la base et ne cherchent pas à entrer dans les appareils, formant ainsi, en quelque sorte, le négatif du grand Etat intégré avec ses appareils de co-gestion (syndicats, grands partis), son système public-privé, sa centralisation administrative ou normative, etc.

    Nous avons séparé deux cartes : les luttes à l'intérieur de l'Etat-nation, inventé en 1648 (Louis XIV) et disparaissant en 1945 (cela dit évidemment très rapidement).

    Et les balbutiements des nouvelles luttes dans le contexte de l'hégémonie américaine et de la reconfiguration du rapport local-global.

     

    Permanence des résistances

    Le territoire français a été conquis, morceau après morceau, par la bureaucratie de l'Etat. Les indigènes, en Limousin comme ailleurs, se sont insurgés année après année contre ce lent dressage. Contre-sociétés d'exclus, de malheureux, d'errants au XVIIème siècle, entrevoyant des devenirs nouveaux ou s'arc-boutant pour lancer dans le futur leur passé mémorable. Loup-garous conspirant au fond des bois contre l'ordre social. Taupes humaines construisant des habitations troglodytes, des forteresses souterraines, des lieux de cultes hérétiques ou païens au dessous des campagnes, des cabanes de feuillardiers, des villages.
    Sabbats et hérésies, coupables de crime de lèse-majesté ou de trahison envers Dieu, ont nourris les révoltes populaires, les jacqueries paysannes, les guerres civiles ou religieuses, les premières révolutions nationales.
    Les estomacs révoltés contre la faim ont pris d'assaut des réserves de farine. Les agents du fisc venus vampiriser les campagnes avec leurs impôts ont été chassés à coup de fourche. Puis, avec la disparition de la faim (1850), le prolétariat limougeaud s'est insurgé contre la nouvelle internationalisation de la production imposant les concentrations ouvrières et la massification de la production. Après 1950, l'ère des supermarchés, de l'électro-nucléaire et du tout-à-l'égout a suscité de nouvelles luttes…
    Le dernier loup de Haute-Vienne a été tué à Sussac, à l'orée de la forêt de Chateauneuf en 1923. Le dernier loup de France a été tué en Isère en 1954. Le développement durable d'une planète transformée en usine, se réalise aujourd'hui sous la volonté d'une puissance débarrassée de tous les alibis - patriotisme, raison d'Etat, service des hommes…
    Pour mettre en échec cette volonté de puissance qui les nie, des individus isolés et anonymes, s'insurgent avec les exigences immédiates de leur corps, de leur âme et de leur esprit. Ils refusent de manger des machines et entreprennent de détruire préventivement les mutants qui se répandent dans la nature. Des micro guerres civiles affrontent l'Etat entreprise. Ici, les fausses menaces à l'anthrax répondent à la militarisation des médias de masse. Là, le pillage des supermarchés répondent aux nouveaux servages et les suicides d'enfants sur les voies du TGV freinent pour quelques minutes l'indifférence du progrès. Ailleurs, des individus téléguidés font exploser des bus en réponse aux faux attentats
  • Claude Garel, un « New Topographic » sur le Plateau

    platerau de millevaches reveille toi bernard birsinger claude garelDeux photographes, Bernard Birsinger et Claude Garel, ont décidé en 2021 de documenter photographiquement le plateau de Millevaches. Nous vous avons fait découvrir le travail de Bernard Birsinger dans le n°85, nous poursuivons dans ce numéro avec celui de Claude Garel qui privilégie le noir et blanc.

     

    Pour mieux comprendre notre écriture photographique, nous vous invitons à entrer dans le concret. Nous allons nous essayer au « Jeu des 2 Adams ».
    C’est très simple si vous possédez un photo-téléphone ou un appareil photo numérique. Pourquoi les « 2 Adams » ?
    Ansel et Robert sont deux photographes Nord-Américains qui ont travaillé essentiellement en noir et blanc, pour le premier à partir de la première moitié du XXème siècle, pour le deuxième jusqu’à maintenant. Vous trouverez facilement sur la toile toutes les informations.
    Voici la règle du jeu.
    Vous décidez arbitrairement d’un point de départ et d’un point d’arrivée soit A et B situés sur un parcours de votre choix. Vous sortez de chez vous, marchez, regardez, photographiez dans un premier temps toutes les images qui retiennent votre attention, vous viennent à l’esprit spontanément, sans restriction de quantité. De retour chez vous, vous sélectionnez, sur la totalité, 10 images qui vous « tiennent à cœur ». Puis, quelques jours après, une seule. Le temps de maturation aura fait son œuvre. Ce sera votre « cliché Ansel ». Il est fait de votre conditionnement à l’image (voir bibliographie) depuis votre enfance, des livres d’école en passant par les journaux, magazines, musées, audiovisuel, iconographies murales…etc.
    Pour vous cette photo est BELLE ! Elle représente la quintessence de votre esthétique en mêlant tous vos désirs inconscients, frustrations à peine révélées.
    Après cette première étape, vous ressortez pour parcourir le même itinéraire. Mais, cette fois-ci, votre regard doit être totalement différent. Oubliez tout critère esthétique et recherchez maintenant « un sens » à votre prise de vue. Avez-vous quelque chose de différent à dire, à montrer qui ne soit pas seulement et uniquement dans la « beauté » ? C’est ainsi que votre expression sera personnelle et non pas conventionnelle (vous saurez aussi outrepasser le « politiquement correct »), empreinte de clichés rebattus et tellement banals. Vous procédez à l’identique pour les sélections de cette série. Ce sera votre photo « Robert » !
    Maintenant, vous disposez de deux visions différentes pour un même parcours. Il ne vous reste plus qu’à choisir celle qui sera collée dans le cadre, page 12. Vous conserverez le numéro 87 de ce trimestriel IPNS toute votre vie. Vous saurez ainsi si vous êtes plus Ansel ou plus Robert !
    Dans les pages 10 et 11 Claude Garel vous donne 4 exemples, en noir et blanc, de son écriture photographique, tous puisés dans son travail sur le Plateau et plus précisément sur le parc naturel régional de Millevaches, comme ce fut le cas pour Bernard Birsinger dans le n° 85.
    Par exemple celle intitulée : « Felletin. Gare » nous envoie en pleine figure une paire de rails. Quatre coupures accentuent l'idée d'ABANDON mais plus encore, certains peuvent y voir « un cul de jatte », une amputation irréparable. Le fauteuil roulant n'est pas loin... bien plus près que le ferroutage tant espéré par la planète… Cette photo documentaire répond parfaitement à notre injonction : « Plateau réveille-toi ! ». Cette photo à un sens.
    C’est en 1975 que la photographie s’est détachée définitivement de la peinture grâce à la persévérance des « New Topographics » même si Eugène Atget a été le pionnier mondial dans l’écriture documentaire de 1877 à 1927.

     

     

    Bernard Birsinger - Claude Garel


    Bibliographie
    - Adams Robert, Essai sur le beau en photographie.
    - Bazin Philippe, Pour une photographie documentaire critique.
    - Benjamin Walter, Sur l’art et la photographie.
    - Cartier-Bresson Henri, L’imaginaire d’après nature.
    - Danto Arthur, La transfiguration du banal.
    - Evans Walker, Le secret de la photographie.
    - Fresnault-Deruelle Pierre, L’éloquence des images.
    - Lugon Olivier, Le style documentaire, d’August Sander à Walker Evans.
    - Mora Gilles, Walker Evans en 15 questions.
    - Pouivet Roger, Le réalisme esthétique.
    - Roubert Jean-Louis, L’image sans qualité.
    - Rouille André, La photo numérique une force néo-libérale.
    - Tisseron Serge, Le bonheur dans l’image.
    - Vigouroux Roger, La fabrique du beau.
  • L'homme aux gants

    Cet été, dans le cadre du festival "Folie les mots" de Faux la Montagne, l'artiste Gérard Villain a exposé une série de peintures consacrées aux... gants de travail. Il explique ici sa démarche et comment s'est imposée cette obsession.

     

    gerard villain 01

     

    Je vis à Saint-Nazaire.

    gerard villain 02J'ai eu un atelier et habité pendant plusieurs années sur le port, dans une "friche industrielle" au plus près de la zone industrieuse où se fabriquent les paquebots de croisière.

    J'arpentais à pied, lors de divagations aléatoires quasi quotidiennes, les quelques dizaines d'hectares que constituent cette zone où plus de 5000 personnes travaillent chaque jour.

    Ceux qui ont eu la chance de traverser un chantier naval savent ce que veut dire la démesure des formes et des masses, la brutalité apprivoisée de l'acier, le fourmillement des humains à la tâche, les accumulations de matières magnifiées ou laissées pour compte.

    Fasciné également par les lumières de l'estuaire sur ce festin pantagruélique et ses reliefs…

     

    Bref, je faisais des photos.

     

    Avec un appétit féroce.
    Boulimique et sans retenue.
    Comme on prend des notes.
    Avant que demain ne change le paysage.
    Ne déplace son petit million de tonnes et ce mètre-ruban hors d'usage.
    Je ramenais chaque jour chez mon Mac une pêche de plusieurs dizaines de photos qui venaient s'ébattre avec leurs semblables une fois relâchées dans la cour du disque dur.
    De quoi nourrir mon éléphant rose.

    Avec le temps, va, les images se regroupent entre elles, se découvrent des affinités. Un lointain catalogue commun qui raconte la même histoire renouvelée : Un angle plus obtus que la moyenne, un cousinage sur l'infini nuancier de la rouille, l'outrage du temps sur la peau du béton permettant de dater et de regrouper murs, pylônes, abrupts de quai et blocs de cale par classes d'âge…

    C'est ainsi qu'à mon insu, une petite clique de photos de gants au comportement particulièrement grégaire se mit à se tutoyer dans un murmure grandissant. L'air détaché, je les saluais poliment à leur approche, débonnaire et matois dans ce léger mépris. Puis, détournant le regard vers les grandes tours Eiffel, j'assistais, béat, dans une posture d'artiste, aux noces incendiées du ciel orange et des grues, du levant sur l'eau de fuel, des monstres d'inox embrassant à pleine bouche les candélabres au tungstène.

    J'éludais les reliques de cuir, ganses et polyamides : Les modestes images de ces mues dérisoires s'évanouissaient au profit de quatorze juillet en majesté. C'était mal connaître le gant qu'a touché au travail !

    gerard villain 03Le gant de travail t'agrippe par la manche du regard. Te demande quelle heure qu'il est. T'invite à s'en jeter un p'tit, vite fait, après le boulot. T'offre une clope en te montrant la photo de ses mômes et son emplacement à l'île d'Oléron. Te raconte la vie au Cap Vert et le naufrage d'une barcasse bondée à quelques encablures d'un port maltais. Te montre sa Clio Campus avec ses lumières de culasse ré-alésées. Rigole de tous ses doigts en rejouant le jour où la presse lui a mangé trois phalanges. Te balade six jours, le temps d'aller à Gdansk en bus et retour. Te singe la nervosité du petit chef dans les quinze jours qui précèdent la livraison… Les matins givrants sur la tôle et la soudure à l'arc dans un caisson étanche… La binouze en maraude derrière le container, et le pot de départ de ce veinard de Nono…

    J'avais trouvé à qui parler et je ne faisais plus trois pas sans me faire alpaguer par un gant dans la débine m'enjoignant d'écouter son histoire… Le bruit se répandit comme une traînée de poudre dans leur petite communauté : un humain les recueillait tous, sans distinction de taille, de couleur, d'attribution sexuée ou de classification fonctionnelle, les rapportait chez lui pour les disposer confortablement sur une table… dans le seul but de regarder le récit de leur vie! Leur accumulation, dans une cohabitation aussi resserrée, eu pour effet de les singulariser, de les individualiser encore un peu plus et de m'aider à maîtriser quelque peu mes angoisses (rôle premier de la collection, tout le monde sait ça).

    Du croquis négligeant pendant un coup de fil qui s'attarde, à l'exercice d'observation avec une obsession quasi hyperréaliste, je m'engouffrais, de la peinture plein les doigts, dans la constitution d'une galerie de portraits sur fonds de comptabilité douanière scribouillarde d'avant l'Excelomania Microsoftique.

    La boucle fut bouclée le jour où, mon ami l'Imprimeur me légua ses casses, mises au rencard par les megapixels, mais dont le vocabulaire est autrement plus poétique : Caractère à pleine chasse, approche, fonte, marbre, graisse, ligature, épreuve, truelle, labeur… Voilà le résultat.

     

    Gerard Villain
  • L’épicerie d’Art - Collectif d’Artisans et de créateurs du Plateau de Millevaches

    Vous aurez peut-être remarqué une nouvelle boutique à Eymoutiers, au contenu hétéroclite allant du bol en céramique à la table de bois brut en passant par les bijoux, paniers, chapeaux, lampes, tableaux, et autres productions originales. Et si vous y êtes entrés vous avez probablement remarqué une autre étrangeté : l’endroit est chaque jour tenu par une personne différente... Et pour cause ! Il s’agit d’un espace associatif, animé et géré par un groupe d’une trentaine de créateurs locaux, dynamiques et motivés.

     

    epicerie d art eymoutiersL’épicerie d’Art, une association

    A l’origine de ce projet, une dizaine de personnes réunies à l’initiative du Réseau d’Acteurs de la Montagne Limousine autour de la question de la commercialisation des productions artisanales, rapidement élargie à celle plus globale “être artisan ou artiste et vivre de son activité sur le Plateau de Millevaches”.

    Un choix de vie assumé, mais pas toujours facile. En milieu rural, le constat est clair : la plupart des artisans travaillent seuls, à leur domicile, et vendent une partie de leur production chez eux. Et bien qu’ils se déplacent énormément pour assurer la vente en dehors certains d’entre eux souffrent de l’isolement et de la méconnaissance de leur activité par les habitants et les autres créateurs.

    Localement, il n’existe pas de lieu permanent destiné à la vente de ce type de productions, et le temps passé en déplacements, sur les marchés ou bien à assumer les tâches administratives se fait toujours au détriment de celui passé à la création.

    De plus, tous constatent qu’il est difficile d’évaluer et valoriser son travail, fixer les prix, communiquer, vendre...

    Créée en février 2007, l’association L’épicerie d’Art s’est donnée pour objectifs ;

    • de mettre en place un Collectif d’Artisans Créateurs sur le territoire du Plateau de Millevaches et ses alentours.
    • permettre la pérennisation et la création d’activités artisanales artistiques ou créatives
    • développer des activités favorisant la commercialisation, la mutualisation de moyens, et la valorisation des savoir-faire et des spécificités des artisans.

    Nous ne souhaitons pas limiter les mots “artistes” et “artisans” aux seuls statuts administratifs qu’ils désignent. La frontière entre les deux activités étant la plupart du temps arbitraire. Par l’expression “artisans créateurs” nous entendons tous ceux qui fabriquent des objets avec leurs mains, qui pratiquent un savoir-faire neuf ou ancestral et qui valorisent celui-ci par leur créativité personnelle.

     

    Une boutique

    Ouverte depuis le 14 Avril 2007 au 7 avenue de la Paix à Eymoutiers, l’Epicerie d’Art est un lieu polyvalent, destiné aux créateurs du Plateau de Millevaches et de ses alentours, un espace convivial de rencontre, permettant l’entraide, la mutualisation d’informations, de déplacements, de matériels.

    Au rez-de-chaussée, un espace boutique, fonctionnant sur le principe du dépôt-vente et dont les objectifs sont de permettre aux créateurs d’accéder à un lieu de vente pratiquant des marges raisonnables, mais avant tout de faire connaître à la population la variété et la qualité des savoir-faire et des productions existants sur le territoire.

    Au 1er étage, l’extension de la boutique avec un espace destiné plus spécialement à l’exposition, le bureau de l’association, ainsi que les prémices d’un centre de ressources portant sur les différents statuts juridiques, les prix et aides aux projets artistiques ou artisanaux, les dates de foires et marchés, les points de vente potentiels.

    Aux 2ème et 3ème étages, des ateliers actuellement occupés par Florian, sérigraphiste et Cécile qui fait des bijoux en bois.

    Le fonctionnement est participatif et collégial. Tous les créateurs sont adhérents (à ce jour 34), participent aux décisions et au fonctionnement, assument les permanences (minimum demandé : une journée tous les deux mois), l’aménagement de l’espace, la comptabilité. Mais comme malgré tout le projet reste de soulager les créateurs d’une partie du temps passé à autre chose que la production, il est envisagé d’embaucher quelqu’un avant l’été.

     

    Et plein de projets !

    Cette boutique n’est que la partie visible de l’ensemble des projets portés par l’association du même nom. Il est important de préciser que nous ne souhaitons pas centraliser l’activité de l’association à Eymoutiers. Nous cherchons à mutualiser certains aspects SANS centraliser les activités propres à chacun. Il nous paraît important de conserver cet aspect disséminé sur un territoire, qui en fait sa richesse et sa particularité, tout en cherchant à en contourner les difficultés.

    Nous souhaitons développer, étoffer et mettre en ligne le centre de ressources, proposer un soutien administratif en particulier en proposant la mise en place de formations comptabilité, informatique ou autre selon les besoins, ainsi qu’aider les créateurs dans leurs actions de communications individuelles ou collectives (réalisations de plaquettes, mise à disposition de matériel, site Internet...).

    Le projet comporte également un important volet d’animation et de sensibilisation qui reste entièrement à mettre en place : stages d’initiations, animations scolaires, marché artisanal, circuit “route des métiers” pour inciter à aller à la rencontre des artisans dans leurs ateliers et éduquer à une certaine forme de consommation privilégiant proximité et créativité plutôt que productivité et exploitation de la main d’oeuvre.

    Nous souhaitons également aider les créateurs qui en ont besoin à trouver un atelier en les mettant en contact avec d’autres artisans de leur secteur, ou en prospectant au nom de l’association.

    Concernant toujours la question épineuse de la commercialisation, la boutique n’apporte qu’une part de réponse au niveau local. Nous voulons y ajouter des partenariats avec des associations et boutiques existantes en Limousin et ailleurs en France, la participation collective à des foires spécialisées (et souvent hors de prix), la vente par Internet.

    Vaste programme, n’est-ce pas ? On prendra le temps qu’il faudra. Mais d’ici là n’hésitez pas à passer faire un tour à la boutique si vous avez un cadeau à faire ou si vous avez envie d’un bel objet. Venez découvrir la variété d’objets utilitaires ou décoratifs qui sont fabriqués près de chez vous. Ou tout simplement, venez rencontrer les créateurs, artisans et artistes engagés dans ce projet collectif.

     

    Marion Michau
  • L’oeil de Roger Vulliez sur le Plateau

    roger vulliezRoger Vulliez photographe limougeaud enseigne la photographie à l’école des beaux arts de Limoges. Il a réalisé par ailleurs différentes séries de photographies, dont en 1988 une sur les bords de Vienne. Il est retourné cet été sur quatre lieux du plateau qu'il avait photographiés il y a 17 ans. Dans le même cadre, à la même distance, il les a re-photographiés sans savoir à l'avance ce qu'ils seraient devenus, comment ils auraient évolué. Voici le résultat de cette promenade photographique à presque 20 ans de distance.

     

    IPNS : A la fin des années 80 vous avez entrepris un travail consistant à photographier les bords de Vienne de sa source jusqu'à sa sortie du Limousin à Saillat. Comment s'est déclenché ce projet ?

    Roger Vulliez : C'est avec l'envie d'un nouveau projet, la certitude de rester en Limousin, et l'idée de m'approcher des productions de photographes californiens tels que Edward Weston ou Ansel Adams que je décidais de m'équiper en conséquence et trouvais l'idée de suivre un axe naturel : la vallée de la Vienne.

     

    bords de vienneIPNS : Vous dédiez le livre qui est issu de ce travail (Bords de Vienne publié en 1990 aux éditions Souny) à un photographe américain : Edward Weston. Pourquoi ?

    R.V. Je peux aujourd'hui dévoiler l'anonymat des initiales de cette dédicace. Edward Weston est un photographe américain, vivant sur la côte ouest. Au début je n'aimais pas trop sa production, trop classique, puis j'ai eu l'occasion de lire en 1972, ses "Daybooks", sorte de journaux intimes mélant réflexions artistiques et sentimentales. Sa vie me parut intéressante et j'y trouvais la source de sa façon de travailler. Weston utilise une chambre photographique qui produit des négatifs 20X25cm qui donnent par contact sur papier photo un positif, en évitant l'"agrandissement". Et puis, il y a ses choix d'existence, des principes de vie, végétarien et un bain tous les jours dans l'océan Pacifique et ensuite des sujets et des photographies. C'est à partir des années 30 qu'il faut regarder ses images.

     

    IPNS : Qu'est-ce qui vous intéressait dans l'idée de faire de la photographie de paysage ?

    R.V. Je peux répondre au présent. C'est avant tout le côté "naturel" du sujet, bien que je me batte souvent avec les fils électriques, les pylones, et tout ce qui barre le paysage idéal. La sensation que ce "paysage naturel" peut sembler immuable. Mon expérience d’août 2005 prouve le contraire. C'est aussi prendre la route, avoir une vision panoramique de la réalité, comme devant un film, et à un certain moment un arrêt, une mise en place et une prise de vue. Il n'y a pas de règle autre que ma propre décision qui n'est pas toujours mue par les mêmes raisons. De l'envie de voir ce que "ça" peut donner en image noir et blanc, de la correspondance avec une image déjà vue dans l'histoire de la photographie, de l'excitation à un moment météorologique particulier et d'un sentiment précis au moment de la prise de vue.

     

    IPNS : Aujourd'hui vous avez entrepris un travail de longue haleine sur le paysage vu des plus petites routes de France. Vous pouvez nous expliquer ce projet et nous dire ce que vous avez vu et photographié ?

    R.V. Les mêmes raisons que précédemment avec un projet sans doute plus long, où je ne prévois pas le contenu exact, la finalité précise et qui conçerne la France entière. Après plusieurs tentatives je n'ai pas encore trouvé l'outil idéal et la façon de m'organiser. J'ai tracé sur une carte de France deux grandes "diagonales" qui passent "en travers", Brest-Nice et Bayonne-Strasbourg dans les deux sens, en empruntant les plus petites routes possibles le long de ces axes. Après les photographies prises depuis août 2000, j'en ai déduis que j'ai plus besoin de grands espaces, de lignes, de droites et de grands ciels. C'est aussi partir le matin dans le sens est-ouest pour avoir le soleil dans le dos. A suivre...

     

    IPNS : En nous proposant de re-photographier 17 ans plus tard certains des lieux que vous aviez déjà photographiés en 1988, vous donnez à la photo un statut documentaire sur l'évolution du paysage. Que vous inspirent les paysages que vous avez redécouverts ?

    R.V. J'ai retrouvé facilement les points de prises de vue avec une copie de chaque photographie en mains. Je me suis surtout occupé à documenter ce qu'était devenu le paysage, de copier la photographie déjà faite. J'y vois la marche normale du monde, les arbres poussent et les arbres sont coupés. On rend les choses plus visibles, plus rentables.

     

    photographie sri lanka

     

    IPNS : Vous allez exposer en novembre des photos du Sri Lanka. Ce ne sont pas du tout les photos idylliques des plages de l'océan indien mais au contraire des photos assez inquiétantes qui montrent un pays dévasté par la guerre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

    R.V. En 2000, en terminant une commande publique sur l'architecture contemporaine en Limousin, je me suis aperçu que j'avais atteint le type d'image que je voulais au départ de "Bords de Vienne". Je décidais alors de faire des choix opposés, qui allaient forcement me faire trouver un autre type de matériel et une autre façon de travailler. Je dénichais par internet un appareil de presse des années 50 (Edward Weston faisait des portraits et des nus avec cet appareil) avec un objectif de la même époque. Je voulais retourner au Sri Lanka après un premier séjour en 2003 et une rencontre importante sur place, un photographe-éditeur français Philippe Fabry (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.). Les notions de "territoires traumatisés", de "frontières", d' "espaces limites" m'ont amené dans la région de Jaffna, au nord de l'île. Une ville en résurrection, en reconstruction après vingt ans de guerre et un tout récent cessez-le-feu. J'y retrouve là ce qui m'anime depuis un certain temps, des lieux voués à une disparition certaine (Usine Haviland à Limoges), en construction (la nouvelle mosquée), en modification radicale (Musée National Adrien Dubouché), en destination finale (centre de détention d’Uzerche avant l'arrivée des détenus). Donner à la photographie sa vocation première, documenter le réel, sans en pervertir cette finalité par une trop grande sophistication de l'image. Pour Jaffna, je suis parti avec l'idée en tête d'images légères, vides, et une grande proportion de ciel blanc. Sur place les champs de mines m'ont imposé une certaine "distance" au sujet. Au retour, une longue période de tests de papiers photographiques, de révélateurs, de méthodes de tirage et même de solution numérique ( qui a été adoptée pour les grands formats) m'a permis d'atteindre l'image révée du départ.

  • La gare SNCF de Felletin transfigurée, Quartier Rouge à Felletin

    Créée depuis mars 2006, Quartier Rouge est une association de développement culturel dont le nom fait référence à l'un des anciens quartiers de Felletin : le quartier de la maison rouge, qui se situait derrière le bâtiment de la gare SNCF où l'association est aujourd'hui installée.

     

    A l'origine de cette initiative, la présence d'une forte identité culturelle liée aux savoir-faire et aux métiers d'art, l'installation récente de jeunes entreprises dans le secteur de la création et la volonté de soutenir activement cette dynamique par l'ouverture et le croisement avec de nouvelles pratiques.

     

    quartier rouge

     

    Quartier Rouge se propose donc d'accueillir des artistes et des projets dans une optique d'échange, de rencontre et de coopération. Cette invitation, autant tournée vers les artistes que vers la population et les acteurs locaux, cherche à produire les conditions nécessaires à un enrichissement mutuel.

    L'objectif est d'accompagner, par le biais d'initiatives artistiques et culturelles, la dynamique de développement présente sur le territoire et de proposer à ses habitants une offre culturelle ouverte de qualité.

    Autour de chaque projet s'articulent des phases de réflexion, de production et de diffusion.

     

    Recherche et réflexion

    La vocation de Quartier Rouge est d'être un outil de développement culturel dont l'action se situe sur le plan de l'intégration de projets dans une réalité locale, qu'elle soit culturelle, sociale, géographique ou économique.

    Envisagé comme le point de départ nécessaire à toute action, cet axe s'appuie sur les expériences et les réflexions menées dans ces différentes directions par les acteurs locaux (collectivités locales, associations, entreprises, artisans, habitants …) tout en invitant des intervenants extérieurs spécialisés à participer à ces réflexions. (Thèmes de réflexion : Mutualisation et mise en réseau - Richesses et identités locales - Valorisation du patrimoine - Développement du territoire - Processus artistique et contexte de production - L'art et ses lieux de représentation,…)

     

    Résidences et production

    En lien avec le volet de recherche, Quartier Rouge active son engagement en faveur des artistes contemporains à travers la production et la coproduction d’œuvres pouvant toucher à des domaines artistiques variés.

    Deux axes sont envisagés :

    • l'accueil d'artistes en résidence et la mise en place d'outils de production en lien avec les richesses et savoir-faire locaux. Il s'agit de mettre en place, par exemple dans le secteur du textile et du bois, un réseau de partenariat avec les entreprises ou les artisans présents sur le territoire, et avec lesquels les artistes pourront collaborer pour la réalisation de leurs œuvres.
    • le lancement d'appels à projet sur des sujets spécifiques mis en évidence par des besoins énoncés localement. Il s'agit dans ce cadre de projets pouvant toucher à la valorisation du patrimoine. Par exemple dans le cadre du projet de réhabilitation de l'ancienne Coopérative Diamantaire de Felletin, un artiste est sollicité pour la réalisation d'une création autour de l'histoire, de la mémoire et de l'imaginaire qui se dégagent de cette activité et de cette pierre.

    L'objectif dans les deux cas est de proposer un contexte dynamique de création et de susciter l'échange et l'ouverture par le croisement des pratiques et de l'environnement de chacun, qu'il s'agisse du public, des acteurs locaux, ou des artistes invités.

     

    Diffusion artistique

    En écho aux deux axes précédents, il s'agit de mettre en oeuvre pour chaque projet un dispositif de diffusion cohérent et adapté permettant de proposer à la fois :

    • une restitution des réflexions menées,
    • une diffusion des œuvres produites dans le cadre des résidences et appels à projets,
    • une diffusion artistique plus large.

    Cette programmation donne ainsi lieu à différents types d'événements : débats, colloques, expositions, concerts, spectacles, projections,…

    Du 28 juillet au 28 août 2007, l'exposition "de passage…" pensée comme les pages d'un livre à venir, présentait les photographies et les textes de Benjamin Dubourg. A travers ses photographies et ses mots Benjamin nous invitait à partager un regard humaniste sur tout ce qui fait notre quotidien ici et ailleurs.

     

    Pomme Boucher

    Pour tout renseignement ou adhésion : http://www.quartierrouge.org
  • Le regard clandestin de Roger Bichard

    Parmi l'heureuse diversité de ses activités, la médiathèque de Felletin présente tout au long de l'année de nombreuses et excellentes expositions. Du 13 septembre au 6 novembre 2019, l'une d'elles était consacrée à Roger Bichard. Sur toutes les cimaises disponibles de la médiathèque, le visiteur était invité à découvrir une prodigieuse et prolifique collection de dessins au crayon noir colorés à la gouache. Des dessins d'enfants, expression d'un art naïf, d'un art brut ou d'un art singulier ? Laissons ce débat aux spécialistes et dévoilons au travers de cette extraordinaire profusion de plus de 3 500 dessins, l'exceptionnel récit de la vie de Roger Bichard dans la seconde moitié du XXe siècle, un « simple » au pays d'Emile Guillaumin.

     

    bichard roger

     

    Le petit Kremlin

    Roger Bichard est né à Hérisson (Allier) en 1937, où ses parents se sont mariés en 1935. Son père, Octave Bichard, est né à Saint-Aubin-le-Monéal en 1896 dans une famille d'agriculteurs et il est puisatier. Son épouse, Louise Cognet, naît à Hérisson en 1908. Son père est entrepreneur de maçonnerie, elle est couturière. 

    C'est à Louroux-Bourbonnais, une petite commune rurale du Bourbonnais (aujourd'hui 230 habitants), que le couple s'établit, dans le hameau des Moullières où Octave acquiert une carrière créée en 1900 qu'il exploite comme artisan carrier-puisatier. Au pied de cette carrière, il construit au fil des ans une demeure atypique et hors du commun. Comme d'autres habitants de la commune et des environs, il est membre du parti communiste et sûrement militant, comme il le manifeste jusque dans la construction de sa maison. Celle-ci est entourée d'un muret en pierre qu'il surmonte d'une frise où il sculpte les emblèmes du marxisme-léninisme : la faucille et le marteau et l'étoile à cinq branches. Pour les habitants du village et pour ses clients, c'est le « petit Kremlin » ou « radio Moscou ». On est au cœur du Bourbonnais, ce territoire rural que le parti communiste a investi depuis 1925 jusqu'à aujourd'hui.

     

    Bibiche, carrier et dessinateur

    C'est dans ce cadre singulier que grandit Roger, entouré de l'affection de ses parents, diligence d'autant plus pressante qu'à sa naissance Roger est frappé par un grave handicap. Un bec-de-lièvre et un trou dans le palais le privent de moyen d'élocution et d'échange. L'attention prévenante et permanente de sa mère lui permet de cependant de prendre sa place dans la vie sociale du village. Il fréquentera un peu l'école mais, comme il est de constitution robuste, son père l'engage avec lui dans les travaux de sa carrière, dans ses activités de puisatier et sur divers chantiers sollicitant les engins mécaniques de la carrière.

     

    On peut suivre à travers les dessins de Roger Bichard les étapes de la mécanisation des travaux agricoles pendant les trente glorieuses

     

    bichard2Avec sa mère, Bibiche, tel était son surnom, fréquente aussi les très nombreuses manifestations communales : les innombrables fêtes, les meetings du parti, les voyages organisés par l'amicale laïque, etc. Lorsque son père prend sa retraite, il a le souci d'assurer la sécurité de Robert et fait toutes les démarches pour obtenir sa reconnaissance, en 1965, comme entrepreneur individuel et propriétaire du patrimoine de sa carrière de pierres ornementales pour la construction. Malgré son handicap, après la mort de son père, il sera fréquemment sollicité par les uns ou les autres pour divers dépannages avec les moyens de traction et de transport de son entreprise, des engins mécaniques qui le fascinent et qu'il manie avec compétence. En 1992, sa mère âgée est contrainte de trouver refuge à l'EHPAD de Cosne-d'Allier. Tributaire des dépendances de son infirmité, Roger est contraint de l'y rejoindre. Il bénéficie dans cet établissement d'un statut  particulier, y contribue aux tâches quotidiennes et consacre le reste de son temps à ses talents de dessinateur. La directrice de l'établissement a su reconnaître cette aptitude artistique et l'incite à la développer en décorant le hall de la maison de retraite. C'est la seule reconnaissance publique de son exceptionnel talent.

     

    Un témoignage sur le monde agricole

    L'année précédant son décès en 2006, François et Elisabeth Boissière, artistes parisiens, prennent possession de sa maison qu'ils lui ont achetée en 2005 sur un coup de cœur pour cette bâtisse hors du commun. Dans le désordre d'une propriété inhabitée depuis quinze ans, ils font la découverte exceptionnelle d'un nombre inimaginable de dessins rassemblés dans des « carnets de dessins Lavis » ou dans des cahiers ordinaires, voire sur des feuilles volantes, le tout entassé dans des coffres. Bon nombre d'entre eux sont datés et titrés, relatant quelque événement marquant de sa vie et de ses relations à partir d'un événement de la sociabilité villageoise à laquelle il a participé. Par l'étonnante qualité et précision de son dessin, il compense son infirmité et développe une stupéfiante capacité d'observation et de mémoire. Il y a les découvertes faites au cours des voyages organisés où, par exemple, il recopie des œuvres d'art d'un musée visité. Mais les plus intéressants relatent les différentes phases de l'exercice de son métier d'exploitant de carrière et ceux qui se rapportent à tel ou tel chantier pour lequel on sollicite ses moyens de traction et de transport, notamment chez ses voisins agriculteurs. Tant et si bien que l'on peut suivre à travers ses dessins les étapes de la mécanisation des travaux agricoles pendant les trente glorieuses.

     

    Figure du communisme rural

    L'engagement militant d'Octave et de sa famille au parti communiste se retrouve dans de nombreux  dessins attestant du rôle prépondérant du parti communiste dans la sociabilité bourbonnaise. Cette trace aujourd'hui oubliée nous est rappelée dans un numéro des études Rurales paru en 2006 où Rose-Marie Lagrave, directrice d'études à l'école des hautes études en sciences sociales, avec une cohorte d'historiens, sociologues et économistes, a présenté ce qu'étaient « les petites Russies dans les campagnes françaises » durant le XXe siècle. Le département de l'Allier y tient une place importante en raison du croisement de courants socialistes, tant chez les paysans que dans le monde ouvrier, dès les dernières décennies du XIXe siècle. C'est émile Guillaumin, le paysan écrivain, qui apporta son talent et son expérience à la révolte des petits métayers contre les grands propriétaires fonciers. En 1923, à la naissance du parti socialiste départemental, les trois-quarts des militants étaient des paysans. Pour la classe ouvrière en 1880, la ville de Commentry est la première ville européenne gérée par les socialistes. En 1885, Jean Dormoy le maire de Montluçon, la seconde ville industrielle du Bourbonnais, crée la fête chômée du premier mai pour célébrer le travail ouvrier. Pour autant, la revue présente aussi les nombreuses formes de ce communisme rural dans de nombreux cantons des trois départements du Limousin, en Dordogne et dans quelques départements de l'arrière pays méditerranéen.

     

    Alain Carof

     

    Art naïf à Vicq-sur-Breuilh

    Les dessins de Roger Bichard sont conservés au Musée et Jardins Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh, en Haute-Vienne. Ce musée présente la collection d'Henri de la Celle, un fonds d'œuvres naïves que le collectionneur et mécène originaire du Limousin avait constitué. Peintes par Cécile Sabourdy, qui habita toute sa vie à Saint-Priest-Ligoure (village situé à 9 km de Vicq), cet ensemble de toiles raconte la ruralité limousine. La collection naïve du musée dévoile aussi le talent d'autres peintres limousins : Existence, Robert Masduraud et Clarisse Roudaud, qui traduisent chacun une vision singulière de leur contrée natale, ses paysages et ses habitants.

     

    Vie et mort d'un maçon

    Roger Bichard a des racines creusoises. Sa grand-mère, Philomène Adeline Prady, lors de son mariage avec Pierre-Philippe Cognet à Hérisson, était domestique à Moulins mais native de Dontreix en Creuse, dans le village de Valleron où sa famille était enracinée depuis des lustres. Elle appartient à une fratrie de sept enfants. Son père est, au gré des dénombrements, tantôt cultivateur, tantôt maçon. Il est donc maçon migrant et c'est au cours de sa dernière migration, le 10 septembre 1897, qu'il meurt à Badevel dans le Doubs. Mort accidentelle ? C'est le directeur de l'usine Japy qui en fait la déclaration à la mairie et qui a constaté le décès en se rendant au domicile du maçon.
  • Les peintures “in situ” d’Olivier Masmonteil

    C’est entre Sornac et Saint Setiers, aux environs de “La Pommerie”, qu’Olivier Masmonteil a trouvé les endroits propices à ses expériences, des endroits où la vue était souvent bouchée par l’abondance des arbres et des broussailles, où l’épaisseur des frondaisons retenait la lumière tout en la démultipliant, mais où s’ouvraient aussi de bien curieuses perspectives.

     

    olivier masmonteilJe ne l’ai pas vu peindre – il est vrai que s’il a élu cette région sauvage pour travailler sur le vif c’est en raison de la tranquillité que l’on y trouve -, mais je l’ai accompagné sur les lieux où il avait prévu de le faire, lui donnant même un coup de main pour attacher ses châssis aux arbres ou à de vieux piquets de clôture car ses tableaux devaient demeurer sur place pendant toute la durée de son travail, exposés tour à tour au soleil et à la pluie, à la chaleur parfois caniculaire puis à la fraîcheur de la nuit. Avant le vernissage de son exposition je n’avais donc pu apercevoir, réparties sur une distance d’environ deux kilomètres, qu’une vingtaine de toiles vierges. Vierges ? Pas tout à fait, car quelques minutes à peine après leur installation toutes sortes d’insectes : scarabées, criquets, éphippigères, punaises, etc., probablement curieux de l’art contemporain ou attirés par ces vastes pistes d’atterrissage, vinrent s’y poser, s’y promener, y agiter leurs antennes, ajoutant ainsi des reliefs colorés, furtifs, cocasses, aux dessins mouvants tracés par les ombres des branches et des feuilles. Bref, comme s’il avait un sens inné de l’anticipation, l’environnement projetait de lui-même ses motifs sur les toiles avant même que le peintre eût commencé d’intervenir. C’était une préfiguration en quelque sorte, une mise en branle discrète, voulue telle sans doute par l’artiste, de ce qui se produirait ultérieurement à son initiative. Olivier Masmonteil table en effet sur la collaboration de la nature pour préparer son terrain puisqu’il a choisi avec une rigueur et une précision extrêmes l’endroit le plus favorable pour disposer chacun de ses réceptacles.

     

    Son travail est donc tendu entre deux directions apparemment peu conciliables. D’une part, le peintre s’est donné un cadre, si j’ose dire, presque un carcan, en cela qu’il a déterminé une fois pour toutes, non seulement le nombre et le format de ses toiles mais leur emplacement ainsi que le rituel d’exécution, suivant un cahier des charges très strict. Mais, d’autre part, il accueille avec une sorte de jubilation tout événement imprévu : chute d’une feuille ou d’une brindille qui vient se coller sur la peinture fraîche, chiure d’un oiseau qui modifie soudain le rythme des couleurs, coup de vent brutal qui gonfle la toile et dévie le trajet du pinceau, coup de tonnerre qui ébranle l’organisme et fait trembler la main. Bref, il réagit sur le champ à ce qui se passe tout autour de lui.

     

    Les troncs majestueux et les sous-bois pittoresques ne suffisent pas à expliquer le séjour d’Olivier Masmonteil sur le Plateau de Millevaches, il y aussi – le nom du lieu l’indique – les cours d’eau innombrables et poissonneux. A la tombée du jour, dès que les couleurs ont tendance à se confondre et à se diluer, il rangeait ses pots de peinture, ses pinceaux, et sortait son matériel de pêche. Il quittait la peinture à l’huile, sa viscosité, son épaisseur, pour quelque chose de plus fluide, de plus évanescent ; en troquant la courte hampe du pinceau pour celle, plus longue, plus flexible, plus discrète de la canne à mouche, il louchait peut-être en direction de l’aquarelle. C’était une autre forme d’immersion, une autre branche de son activité d’artiste. La surface de l’eau n’est pas si différente de la toile, sur elle aussi le peintre envoie ses leurres – des trompe-l’œil minuscules et chatoyants confectionnés par lui pendant la morte saison avec des hackles de coq et de la soie.

     

    L’originalité du travail d’Olivier Masmonteil ne tient pas seulement à sa volonté d’être au plus près du milieu qu’il a choisi de peindre car, une fois terminés, ses tableaux demeurent quelques jours in situ. Certes, il voulait laisser aux peintures le temps de sécher et de perdre un peu de leur odeur, mais il souhaitait surtout qu’elles continuent de vivre toutes seules dans l’atmosphère qui les avait vues naître, de s’en imprégner, de la conserver aussi, peut-être, par d’autres voies que strictement picturales ; d’ailleurs, telle un souvenir concret de cette manifestation, l’une des toiles est restée en place – il est vrai que peu à peu elle s’effilochera, se décomposera, qu’elle se mêlera au paysage - dont elle renvoyait comme un écho à la fois proche et distancié - puis qu’elle disparaîtra en lui.

     

    Gilbert Pons

     

    Olivier Masmonsteil est corrézien et vit à Brive. Ce jeune artiste est peintre de paysages. Il a effectué la “campagne picturale” racontée ici en août 1999, au hameau de “La Pommerie” sur la commune de Saint Setiers. Il y était invité par les associations Appelboom et Mouvance.
    L’aboutissement de cette performance s’est avéré très positive pour la mémoire des gens du village. Chaque jour ils allaient surveiller l’évolution de son travail en empruntant des chemins délaissés ou oubliés. Pour clôturer cette manifestation, pendant une journée entière, tel un vernissage, les visiteurs ont arpenté l’itinéraire balisé par les œuvres en pique-niquant ça et là, comme une procession.
    Pour en savoir plus on peut regarder le petit reportage que Télé Millevaches y a consacré dans le n°64 du Magazine du Plateau ou lire l’article de Gilbert Pons “Les peintures in situ d’Olivier Masmonteil”, paru dans la revue Turbulences vidéo, n°28, juillet 2000, BP 50, 63002 Clermont-Ferrand cedex 1, dont ce texte est extrait.
    Cet artiste peint les arbres et accroche à leurs branches ses tableaux.
  • Lu et approuvé

    Depuis 2005 les éditeurs limousins ont désormais leur annuaire. Ce petit ouvrage publié par le Centre régional du livre, association limousine de coopération pour le livre (ALCOL), recense pas moins de 80 éditeurs dans la région. Certains ont plusieurs centaines d'ouvrages à leur catalogue mais la plupart, plus modestes, éditent seulement quelques livres chaque année. On est surpris de la diversité et de la qualité des productions régionales et en feuilletant ce répertoire on ne manquera pas de relever l'originalité de quelques éditeurs spécialisés.

     

    Seigneuries et Chateaux forts en Limousinrecettes pour donner aux produits d ici un gout venu d ailleurs

     

    Parmi les éditeurs régionaux nous avons déjà beaucoup parlé de la très belle production de l'association Culture et Patrimoine en Limousin qui nous a offert à la fin de l'année trois nouveaux ouvrages.

    "Seigneuries et Châteaux-forts en Limousin" présente les châteaux limousins du XIVème au XVIIème siècle. Ce volume largement illustré constitue le second tome d'une histoire des châteaux forts limousins dont le premier tome consacré aux châteaux des origines jusqu'au XIVème siècle paraîtra en 2006.

    Dans la collection "Patrimoine en poche", un volume signé Jean Marc Ferrer et Véronique Notin retrace l'histoire de l'émail limousin, depuis l'oeuvre de Limoges au XIIème siècle jusqu'aux créations les plus contemporaines. C'est du reste le grand mérite de ce livre, lui aussi abondamment illustré, que de relier au cours des siècles une production millénaire qui a toujours été, avec des hauts et des bas, une spécificité limousine et même limougeaude. Les plus grands musées du monde s'arrachent ces joyaux aujourd'hui dispersés un peu partout. La lecture de "L'art de l'émail à Limoges" vous donnera sans doute envie d'aller voir de plus près quelques unes de ces créations. Un petit tour au musée de l'évêché à Limoges (entrée gratuite) s'impose. Sur le plateau, on vous conseille une visite dans l'église de Chamberet où vous pourrez admirer la châsse de Saint Dulcet, caractéristique de l'émail limousin médiéval. Un chef d'oeuvre ! Pendant que nous sommes dans les églises, signalons la parution de la brochure "Les richesses artistiques des églises du canton de Gentioux Pigerolles" qui présente le mobilier, les sculptures et les objets d'orfèvrerie renfermés dans les églises de ce canton. Il s'agit là d'une initiative de la Conservation départementale du Patrimoine de la Creuse qui, à terme, couvrira l'ensemble des autres cantons creusois.

     

    Les richesses artistiques des eglises du canton de Gentioux PigerollesL art de l email a Limoges

     

    Le troisième ouvrage de Culture et Patrimoine est tout différent et part d'une idée originale. C'est un livre de cuisine rassemblant des "recettes pour donner aux produits d'ici un goût venu d'ailleurs". Les auteurs ont demandé à des cuisinières (il y a tout de même quatre hommes parmi elles) vivant en Limousin mais venant d'ailleurs (Afrique, Asie, Amériques ou Europe) de proposer une recette qui allie tradition culinaire de leur pays d'origine avec produits de leur terroir d'adoption. Cela donne par exemple une salade de betteraves à la truite du Limousin (Russie), un tajine d'agneau du Limousin aux pruneaux de Saint Léonard (Maroc) ou un maboké de poisson (Congo). Pour nos lecteurs alléchés nous donnons ci-dessous la recette de Perlita qui vient des Philippines et propose un adobo de porc cul noir.

     

    Editeurs en Limousin, Répertoire 2005, 10 euros - www.crl-limousin.org
    Christian Rémy : Seigneuries et châteaux forts en Limousin, collection Regards, 39 euros.
    Souscription pour le tome 1 à paraître en 2006 au prix de 30 euros (+ 5 euros de frais de port).
    Jean Marc Ferrer et Véronique Notin : L'art de l'émail à Limoges, 21 euros.
    Jean Marc Ferrer et Marie-Hélène Restoin-Evert : Cousins Cuisine, 15 euros.
    Les richesses artistiques des églises du canton de Gentioux Pigerolles, Conservation départementale du patrimoine, 14 av. Pierre Leroux, 23 000 Guéret. Tel : 05 44 30 27 33.
  • Nathalie Torselli

    Nathalie Torselli peintureNathalie Torselli peint. Elle a eu longtemps un pied à Nantes, un autre en Limousin, où elle est désormais installée à Eymoutiers, au pied de la Montagne et du Plateau. Nous vous présentons son travail et ses engagements.

     

    Du dessin à la peinture

    Dès l’enfance, Nathalie s’était inventé une vie imaginaire en Norvège, régulièrement nourrie de multiples dessins. L’amour du trait l’amena à vouloir intégrer de prestigieuses écoles d’art. Reçue au concours des Beaux-Arts, elle renonça, pour des raisons qu’elle ne s’explique pas aujourd’hui, la peur sans doute. De la région parisienne, puis nantaise, au Limousin, sa vie fut partagée entre famille, travail (du secrétariat, « sur les conseils de papa »), et dessin. C’est à Nantes qu’elle commença à peindre, où s’ouvrit une première période « fruits et légumes», des pommes, des oignons, des citrouilles, souvent et sous toutes les formes. Durant ces années, les vacances familiales se passaient en Limousin, du côté de Rempnat. Là, une rencontre orienta son activité et son inspiration. Brigitte Marvier, hôtelière à Nedde, fit comprendre à Nathalie qu’elle pouvait trouver un public. Des expositions régulières, furent organisées au « Verrou », elles eurent du succès, au point que toutes les œuvres trouvèrent un acquéreur. Dans cette expérience motivante, Nathalie trouva confiance et volonté d’oser. S’ouvrit alors une deuxième période picturale, dite « de la basse cour», inspirée par l’observation des volatiles – poules, coqs – d’une voisine de Chez Chapelle – « J’ai une affection particulière pour les poules qui, dans la vraie vie, vont, viennent, se promènent, se disputent, jouent, discutent, se racontent des histoires, … Dans mon monde à moi, elles sont beaucoup plus fantaisistes ». Ces bestioles gambadent sur de nombreux murs dans les environs d’Eymoutiers. 

     

    Les Princes Paumés 

    Nathalie TorselliNathalie Torselli inaugura une troisième vie artistique avec la réalisation de personnages, tous regroupés autour de ce thème générique : « les Petits Rois et les Princes Paumés». Des fruits et légumes aux poules et enfin aux humains, bonjour Darwin ! Au début, il s’agissait de personnages seuls, assez colorés, dont une caractéristique est de porter un joli chapeau, ou une couronne : « ils ont perdu leurs illusions ou se retrouvent chargés d’une couronne ou d’un royaume trop grands pour eux. » Jamais entiers, comme une photo mal cadrée, les personnages évoluent. Aujourd’hui, il ne reste plus que des hauts du corps. Les tableaux sont peints sur bois : la technique mélange collage et 0peinture acrylique, le tout appliqué sur un fond de base foncé, « le blanc me fait peur » dit Nathalie. C’est la Galerie De Arte qui, à Nantes, hébergera et vendra avec succès ces Princes Paumés. L’évolution de cette longue série de tableaux a été marquée, bousculée même, par l’irruption d’un dramatique événement, en l’occurrence la mutilation effroyable infligée à l’œil d’un fils de Nathalie, par un tir policier, affaire évoquée dans IPNS n° 47 (juin 2014). On connaît ça depuis quelques années, et – parait-il – les policiers ne ciblent jamais le visage ! À l’occasion de ce drame, Nathalie – comme Fred, son mari – sont entrés dans un autre monde. Dès lors, une rupture est visible dans l’oeuvre, je vous livre mon interprétation : les visages, devenus pluriels, reflètent un triple sentiment : inquiétude, incrédulité, ironie. Les couleurs changent, plus de couleurs vives, mais une atmosphère grise, visible sur les fonds, et les vêtements. Nous observons des duos ou des trios, comme celui-ci (image), intitulé : « les guetteurs ». Que peuvent comprendre ces regards inquiets, innocents et naïfs, à la violence de notre société ? Le travail de Nathalie s’emplit de gravité.

     

    Les victimes des violences policières Nous entrons là dans une autre dimension. Notre-Dame des Landes, Sivens, Gilets Jaunes... Une déjà longue liste de victimes d’une répression aveugle avait été affichée brièvement sur le monument aux morts pacifiste de Gentioux (IPNS n° 53), le 11 novembre 2014, quelques semaines après la mort de Rémi Fraisse. Depuis, la liste s’est allongée, il suffisait pour s’en convaincre de venir écouter le journaliste David Dufresne, présent aux premiers Ecrits d’Août à Eymoutiers. Nathalie Torselli a donc été touchée, comme la chair de son enfant, par un épisode de répression ignoble. Dès cet événement, générateur de beaucoup de souffrance et de colère, Nathalie a pris une part active dans la lutte contre les violences policières, la demande de justice et l’établissement des responsabilités. C’est dans ce contexte que sont apparus « les guetteurs ». 

    « L’Assemblées des Blessés », « Désarmons-les », « Face aux armes de la police » les initiatives sont multiples, d’autres familles dans nos coins sont concernées. Lors de l’audition de l’Assemblée des Blessés par la Commission d’Enquête Parlementaire sur le maintien de l’ordre en manifestation, diligentée par Noël Mamère en 2015, Nathalie a déclaré : « nous n’étions pas révoltés, nous le sommes devenus. » Il est facile de trouver son bilan, qui incline à se poser cette question : l’État veut-il la vérité ? 

    N’oublions pas de rester des guetteurs.

     

    Michel Patinaud

    Contacts et infos : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. site internet : nathalietorselli.com 

    Assemblée des Blessés – Désarmons-les 
    https://desarmons.net/index.php/tag/assemblee-des-blesses

    Face aux armes de la Police
    https://faceauxarmesdelapolice.wordpress.com

    Collectif 8 juillet
    https://collectif8juillet.wordpress.com

    Commission d’enquête parlementaire
    www2.assemblee-nationale.fr/14/autres-commissions/commissions-d-enquete/missions-et-modalites-du-maintien-de-l-ordre-republicain-dans-un-contexte-de-respect-des-libertes-publiques-et-du-droit-de-manifestation/(block)/10156 
  • Paul Rebeyrolle, poseur de bombes

    Paul Rebeyrolle« Rebeyrolle (Paul), peintre français, né à Eymoutiers en 1926. Il est passé d'un réalisme aux attaches terriennes à une expression semi-abstraite très colorée » (petit Larousse, 1985). On peut être dans le dictionnaire depuis de nombreuses années et demeuré cependant le plus vivant des créateurs. La preuve dans cet entretien.



    Marie Watine : Comment l’Espace Paul Rebeyrolle qui vous est consacré à Eymoutiers, a-t-il été reçu par les habitants de la région ?

    Paul Rebeyrolle : Les gens d’ici sont moins intéressés que des gens qui viennent de très loin, des étrangers, des gens de la région parisienne et de toutes les régions de France. Sur le Limousin, ça n’a pas beaucoup d’impact… Nos catalogues se vendent dans le monde entier, ils sont très recherchés dans les milieux culturels, il y a beaucoup de visiteurs allemands, anglais, hollandais qui passent ici. Par rapport aux habitants du Limousin, c’est infiniment plus visité par des gens qui sont très loin du Limousin.

     

    M W : Vous avez parfois des moments de découragement par rapport à ça ?

    P R : Non, jamais ! Quand j’entreprends quelque chose, je ne me décourage pas. Ca vous coûte du temps et des efforts, mais ou je dis oui pour faire quelque chose et je le fais à fond, ou je dis non et on n’en parle plus. Donc il n’y a aucun découragement de ma part, et au contraire, j’entraîne des gens autour de moi, qui sont des gens de valeur et qui comprennent la valeur et l’utilité d’un endroit comme ici. Même si ce ne sont pas des gens du Limousin !

     

    M W : Alors justement, vous êtes vous-mêmes du Limousin, est-ce que ces racines vous tiennent à cœur ? 

    P R : Quand on m’a proposé de créer un “Espace Rebeyrolle”, ça faisait trente ans que je n'étais pas revenu en Limousin, et j'ai commencé par refuser. Parce que moi, le fait que je sois né ici, l'attachement sentimental, tout ça, ça n'existe pas chez moi. Par contre, ce que j'ai beaucoup aimé quand j'étais jeune et que je continue d'aimer, c'est le caractère des gens. Des gens un peu frondeurs, suffisamment non conformistes pour me plaire. Il y a eu bien sûr la période de la Résistance que tout le monde connaît, mais il y en a eu d'autres avant : les premières grèves ouvrières se sont faites à Limoges ; c'est à Limoges qu'ont été créés les principaux mouvements syndicaux. Tout cela fait que, depuis l'époque des maçons qui allaient travailler dans toute l'Europe, le Limousin a connu une évolution des mentalités qui est très spéciale à ce coin-ci : Millevaches, Eymoutiers, etc… Alors je suis revenu pour me rendre compte si les gens avaient changé, s'ils étaient devenus le contraire de ce que j'avais aimé, c'est à dire des conformistes, des béni oui oui… Je me suis rendu compte que, bon leur anticonformisme était certes un peu moins violent qu'il y a une quarantaine d'années, mais qu'il existait toujours. Qu'il y avait ce que j'appelle une “élite”, des gens de toutes sortes, qui étaient encore suffisamment pétardiers pour que j'essaie de faire quelque chose ici. C'est pour cela que je suis là, c'est à cause du caractère, je dirais libertaire des gens de ce pays.

     

    M W : Vous avez encore à faire pour achever votre œuvre ?

    P R : Je ne porte pas beaucoup d'attention à ce que j'ai déjà fait. J'ai encore, malgré mon âge, l'espoir de faire d'autres choses. C'est l'avenir qui m'intéresse, c'est pas ce que j'ai fait. Je sais, si je réfléchis, que mathématiquement j'ai fait plus de choses que je n'en ferai, mais ce qui me reste à faire est plus passionnant pour moi que ce que j'ai déjà fait.

     

    M W : Si vous n'aviez pas été peintre, vous auriez été poète, écrivain ?

    P R : Eh… J'aurais peut-être été poseur de bombes ! Non, la seule chose qui m'aurait plu ça aurait été l'architecture. Mais je n'en avais sûrement pas les capacités. Je ne vois pas ce que j'aurais pu faire en dehors de ça…

     

    M W : Poseur de bombes, pourquoi pas ? L'art c'est de la politique, non ?

    P R : Oui, bien sûr. Même ceux qui n'en sont pas conscients, qui s'en défendent, qui disent qu'il ne faut surtout pas mélanger l'art et la politique, même les peintres les plus éloignés des problèmes, sont quand même pétris, parce qu'ils y vivent, d'une certaine période historique. Il y a aussi le fait d'être dans un pays riche, en Occident : ça détermine des choses. Je ne dis pas que ça les détermine en bien, je n'en sais rien. Probablement quelquefois oui, quelquefois non, mais la condition de vie et d'existence d'un artiste – de même que, mettons, celle d'un ouvrier ou d'un instituteur – est liée au fait que nous vivons dans un pays riche, relativement libre (je dis bien relativement). Donc qu'on le veuille ou non, on est le produit de son époque, de son temps et de son lieu de vie.

     

    « je peins tous les jours et pourtant je me demande si je ne pense pas autant a la vie et aux conditions de vie des individus qu’a la peinture. je crois que les deux obsessions, obsession de la peinture et obsession de l’histoire contemporaine se chevauchent chez moi totalement »

     

    M W : Quel serait votre plus grand coup de gueule ?

    P R : Alors là, en ce moment il n'y a que l'embarras du choix ! Disons que le coup de gueule c'est le fait que tout est soumis au monétarisme. D'ailleurs, j'ai peint une grande série sur le monétarisme. A partir de là, nous sommes tous esclaves, et c'est une situation qui peut convenir, ou pas. Il y a des gens à qui ça convient, il y en a d'autres à qui ça ne convient pas du tout… C'est ça l'air de notre temps : le monétarisme. Mais je pense que c'est quelque chose qui passera. On est à mon avis dans une période de décadence comme tous les grands empires en ont connue. Il va venir des “barbares”, et c'est  ainsi que les choses se développent. L'empire romain s'est écroulé et avant lui il y en eut dix autres, et maintenant ça va être le tour du nôtre. C'est le balancier de l'histoire. C'est normal.

     

    M W : L'histoire comme un éternel recommencement ?

    P R : Non, parce que ce ne sont pas les mêmes gens, ce ne sont pas les mêmes circonstances qui amènent les mêmes souffrances et les mêmes décadences. Ce sur quoi je suis inquiet, c'est sur le destin des gens en général. Nous et le reste du monde. Nous, nous sommes des privilégiés, mais nous souffrirons dans quelques temps, au même titre que souffrent les gens qui ne sont pas des privilégiés.

     

    M W : Un artiste a-t-il une vision d'avant garde ?

    P R : Non, pas forcément. Un artiste parle de beaucoup de choses, mais pas forcément de celles qui sont bien pensantes. C'est pas le politiquement correct un artiste. Donc, s'il n'a pas des dons de “voyance”, il n'est pas engagé dans le concert de la médiocrité. Or, le concert de la médiocrité, on l'entretient avec délectation, tous les gouvernements en profitent, tous les efforts sont faits pour désinformer les gens, pour empêcher qu'ils aient accès à la vérité. Les artistes, même si sur ce plan sont dans le même bateau, n'ont pas les mêmes ennuis… Il faut qu'ils trouvent des solutions qui ne leur sont pas proposées de l'extérieur. Aucune solution pour un poète, un musicien ou un peintre n'est proposée de l'extérieur. Il faut que ce soit le poète, le musicien ou le peintre qui la trouve. Elle peut être importante, ou moins importante, elle peut être médiocre, mais on ne peut pas tenir le coude ou la main de quelqu'un qui fait ce genre de travail.

     

    Propos recueillis par Marie Watine
    Photo  : Gerard Rondeau
    Courtesy Espace Paul Rebeyrolle
  • Un artiste, une œuvre, une association : Iradj Emami, “En bras sages“

    Iradj Emami est un artiste plasticien d'origine iranienne, installé depuis 50 ans en France, qui partage son temps entre Rempnat et Paris. Fréquentant les milieux alternatifs de la Montagne limousine, il en connaît bien les associations. Dont Le Monde Allant Vers et les Jardins Partagés d'Eymoutiers, pour lesquels il a créé une sculpture en granit. Une énorme pierre, était là, enfouie, depuis une éternité. Iradj lui a donné vie.

     

    Un artiste protée

    iradj emamiIradj est iranien de naissance, et fier de l'être, comme de sa nationalité française aujourd'hui. Arrivé en France en mai 1968, il a fait ses études à Paris, d'abord à l’École nationale des Beaux-Arts, dont il est diplômé, puis à la Sorbonne où il a obtenu un doctorat d'arts plastiques. Ses œuvres vont du dessin à la peinture et à la sculpture, qu'il inscrit dans ce qu'il appelle “la poétique de l'espace“. Il travaille tant la pierre que le bois, mais aussi le métal et la porcelaine, qui nourrissent des expositions un peu partout : en France, du Grand Palais au Bateau-Lavoir, riche du souvenir de Picasso. On peut  aussi les découvrir en province (Normandie, Bretagne) et à l'étranger (Autriche, Espagne). Dans notre Limousin, on croisera ses sculptures monumentales à Saint-Léonard (Un colossal taureau de granit, 2003) ou encore à Meymac (À bas les avions qui tuent, 2002, granit) et plus récemment à Eymoutiers, avec En bras sages. Dans ses relations avec de nombreuses institutions, il souhaite un respect réciproque, qui implique de ne pas déplacer ou dénommer les œuvres sans l'accord de l'artiste. Iradj dit que le dessin est primordial, parce qu'il est un carrefour de la peinture et de la sculpture, rappelant ces mots d'Ingres : “Les trois quarts de la peinture, c'est du dessin.“ Rodin disait aussi : “Ma sculpture n'est que du dessin sous toutes les dimensions.“ L'artiste partage cet esprit et le résume en quelques mots : “Mettre la main à la pâte : j'aime la matière et mes mains aiment toucher tout, même les choses interdites.“ Enfin, sa peinture est très colorée, elle traduit ses “terribles passions“, selon l'expression de Van Gogh.

     

    En bras sages, En brassage, Embrassages

    L'origine de l’œuvre vaut la peine d'être rappelée. Le terrain où elle est exposée se situe en bord de Vienne, rive droite, dans la direction Peyrat-le-Château (un panneau à gauche après le pont). Il y avait là une énorme pierre, en grande partie enfouie, modelée, poussée et déplacée sans doute par des siècles de crues successives. Elle fut un jour repérée par Iradj lui-même, alors qu'il étalait du fumier. Il a proposé de la sculpter. Il n'était pas question de déplacer la pierre, arrondie comme un œuf, car trop lourde. Pourtant il y avait là des gars solides et solidaires, “dans l'esprit des Jardins“ ajoute Iradj. Pour l'artiste, l'allure très arrondie ne pouvait que rappeler certaines formes féminines, ici un dos et une position accroupie. L'érotisme est en effet une des caractéristiques du travail d'Iradj. Un peu trop disent certains. Un philosophe pourrait voir ici, en bord de Vienne, une allusion à la fécondité, celle de la femme, celle de la terre. Il y avait ainsi pour Iradj l'idée de représenter la mère protectrice et l'enfant. “Étrange surprise : celui représenté ici a presque la même posture que le petit garçon découvert mort, sur une plage en Turquie, qui a fait la une des journaux il y a quelques temps, Iradj est attaché à l'idée d'humanité, sans frontières“. Il y eut aussi quelques problèmes techniques : sans électricité, il a fallu à Iradj utiliser des outils pour la taille directe, comme un marteau bouchard, qu'on connaît dans le bâtiment. “Heureusement, la pierre était très tendre sous les outils, j'ai obtenu une belle texture“, d'une couleur qui s'assombrit sous l'humidité et la pluie. “Ceci n'est pas contrôlable par qui que ce soit, c'est la nature“ dit Iradj. L'allure générale avec des formes non-dégagées rappelle un style que Rodin a utilisé magnifiquement : “le non-finito“, terme emprunté à Michel-Ange.

     

    Les jardins partagés

    Créés sous le patronage de l'association Le Monde Allant Vers, on y retrouve tous les ingrédients d'une collaboration fructueuse entre beaucoup de bonnes volontés. La mairie a bien voulu fournir un terrain qui a permis l'utilisation du contenu des bacs de compost du centre-bourg. Ici, en bord de Vienne, on peut découvrir l'œuvre d'une poignée d'amateurs de jardinage, qui se retrouvent près d'une cabane adéquate réalisée par les compagnons du réseau Repas. Et ce n'est pas seulement un jardin. Là, on peut rencontrer, autour et dans le potager, des personnes très diverses : du coin ou de plus loin, des archéo et des néo, dont des pensionnaires du CADA, de toutes les générations. Une manière de s'enraciner sans doute. Endroit parfaitement reposant où chacun peut se promener librement, au milieu des choux, des carottes, des plantes aromatiques et de très belles couleurs à certains moments de l'année évidemment. Depuis un an, des plants de vigne se sont ajoutés au paysage, qui ont chacun son propriétaire. Les gelées tardives ont été très néfastes, et beaucoup de ceps auront du mal à repartir. Heureusement, La dame à l'enfant d'Iradj pourra les protéger dans ses bras sages.

     

    Michel Patinaud

    Remerciements à Iradj Emami et Violette, Jean-Jacques Peyrissaguet, au collectif Zélie et son site “Néocampagne“.
  • Un haut-viennois qui perse

    Une vie bien sculptée

    Un atelier à Paris dans le XXe arrondissement près du cimetière du Père-Lachaise, une grange aux sculptures Chez Chapelle sur la commune de Rempnat à la limite des 3 départements limousins, Iradj Emami est de ceux qui apprécient la diversité.

    Iradj pratique la pluridisciplinarité dans son activité artistique : le dessin, qu'il considère essentiel, la sculpture sur bois, sur pierre ou en bronze font partie du quotidien de cet iranien implanté sur le Plateau de Millevaches.

     

    iradj 1

     

    Iradj expose ses œuvres en France comme à l'étranger. Il participe à des symposiums, propose des stages d'initiation à la sculpture chez lui en Haute-Vienne, à Meymac ou encore au village de Masgot où la taille ancestrale du granite par les maçons de la Creuse est une source d'enrichissement pour cet homme toujours curieux.



    iradj 2L'homme qui voulait faire échouer la grève 

    Rêvant de l'Italie et de la France, pays des richesses artistiques, en contrepoids à une civilisation, la sienne, où l'image est peu soutenue voire bannie, Iradj décide de quitter Téhéran pour Paris.

    Pour sa première venue à Paname, notre homme choisit l'année 1968 et son joli mois de mai. De la capitale iranienne à Istanbul en car, Iradj monte dans l'Orient-Express à destination de l'hexagone. Conséquence de la période, mais cela notre sculpteur l'ignore, le train est bloqué à la frontière, côté helvétique. Seule explication de ses compagnons de voyage : "C'est la grève". Puisque ayant dûment acquitté le montant de son billet l'on arrive forcément à destination, surtout dans un pays rationnel et organisé comme la France, un arrêt de travail ne peut bloquer sine die un train. Iradj s'en remet donc à son dictionnaire (le petit dans le sac qui est coincé sous la valise enfournée dans le filet à bagages au dessus des têtes) et conclut suite à la lecture de la définition du mot "grève" que l'Orient-Express s'est échoué sur un banc de sable… En tout cas, il faudra payer de nouveau pour trouver un bus et atteindre enfin Paris.



    De révolution en Révolution (ou l'inverse)

    Après quelques années d'études et son diplôme des Beaux-Arts en poche, Iradj retourne en Iran. En 1980, c'est la révolution iranienne, le shah a quitté le pays l'année précédente, Khomeiny est au pouvoir législatif et spirituel. Iradj est aux commandes (sans rien y connaître) de la gestion du cinéma au sein du ministère  iranien de la culture. Il règne alors en Iran une omniprésente ambiance de suspicion propre aux périodes troubles. C'est le début de la guerre avec l'Irak. Iradj, sur qui ce climat lourd pèse fortement, décide de revenir en France pour retrouver sa force tranquille ; nous sommes en 1981. Un ami lui parle du village de Nedde qui s'intéresse à la sculpture. Avec sa compagne, ils se rend sur le Plateau de Millevaches pour des vacances, visite une maison, l'achète et s'y installe avec Violette en 1992. Depuis, Iradj partage sa vie entre Paris et le Plateau, un territoire qui ne cesse de le séduire : "J'avais entendu dire que le Limousin était la région la plus pauvre de France, et effectivement il n'y a pas, par exemple, de grandes entreprises. J'apprécie le calme. Le Plateau, lieu de résistance antifasciste, avec son monument pacifiste à Gentioux possède des facettes qui me séduisent".

     

    Rémy Cholat