IPNS : Pour ce qui est des jeunes, la problématique québécoise vous a-t-elle parue différente de celle que nous pouvons connaître sur le plateau ?
Catherine Moulin : Certainement pas ! En fait, toutes les zones rurales un peu éloignées des centres urbains connaissent à peu près les mêmes problèmes, que ce soit de ce côté-ci de l'Atlantique, ou de l'autre. Les campagnes québécoises n'échappent donc pas au problème de ce que deviennent les jeunes qui y habitent et qui, au moment des études ou du premier emploi quittent souvent leur village d'origine.
Une équipe d'universitaires d'Abitibi Témiscamingue, une des provinces les plus reculées du Québec, s'est penchée sur cette question. Le but pour ce groupe de recherches sur les jeunes ruraux était à la fois de mieux connaître les comportements migratoires des jeunes, et, dans un second temps de proposer des pistes d'actions pour que ce phénomène puisse être vécu autrement que comme un échec irréversible, du style : les jeunes sont partis, il n'y a plus rien à faire.
IPNS : Quel est donc le résultat de leurs enquêtes ?
C.M. : L'étude qu'ils ont menée repose sur une centaine d'entretiens approfondis avec des jeunes et sur un sondage effectué auprès de 5 500 jeunes dont un peu plus de 1 400 ruraux. De la masse de données sortie de cette vaste enquête il ressort que les ruraux sont effectivement plus mobiles que les urbains. On constate donc dans les communes de moins de 2 500 habitants un creux dans la population des 20-29 ans, et que seulement la moitié des jeunes est demeurée dans son village d'origine (et ce sont davantage les jeunes hommes qui restent que les jeunes femmes). Bref, pour répondre à votre précédente question, vous voyez que nous ne sommes pas sur le plateau aux antipodes de ce qui se passe au Québec !
Mais ce qui est le plus intéressant dans la suite de l'enquête, c'est ce que répondent les jeunes qui ont quitté leur village, à la question : Si vous en aviez la possibilité, souhaiteriez- vous revenir dans votre village d'origine ? Ils sont 59% à répondre oui (contre 38% qui n'a pas envie de revenir). Evidemment cette réponse est conditionnée au fait qu'ils puissent trouver un emploi sur place. Leurs motivations pour justifier ce désir de retour est de se rapprocher de leur famille et de retrouver une qualité de vie qu'ils n'estiment pas avoir en ville. Et effectivement, dans les faits, on constate que 34% des jeunes reviennent dans leur région d'origine, et que 23% reviennent même dans leur propre village. C'est loin d'être marginal !
IPNS : A l'origine quelles sont les motivations du départ ?
C.M. : Outre la question des études et de l'emploi, il y a souvent à l'âge où l'on devient un jeune adulte, le ras le bol du village, le désir de partir voir ailleurs. En ce sens les universitaires qui ont mené ce travail, insistent pour dire que la migration des jeunes marque une prise d'autonomie, que c'est pour beaucoup une manière de marquer le passage à l'âge adulte. Dans le même temps, ils constatent qu'il n'y a pas de rupture radicale et que la migration ne constitue que rarement un départ définitif ou un rejet du village d'origine.
Du coup, ils concluent que la migration ne doit pas être vue comme un échec ou un mal, mais, au contraire, comme quelque chose de positif et de formateur. Le fait que les jeunes aillent voir ailleurs est une bonne chose. Il faut positiver la migration.
IPNS : "Positiver la migration", n'est-ce pas faire de nécessité vertu et accepter un phénomène qui tout de même est préjudiciable aux campagnes ?
C.M. : Tout dépend comment on la vit, comment on l'accompagne. Et c'est là que l'expérience qui a été menée au Québec est porteuse d'enseignements. Prenant acte de la réalité de la migration, changeant de point de vue sur elle pour la considérer comme un acte positif, les responsables ruraux québécois ont développé toute une série de mesures destinées à faciliter le retour. Ce qui est intéressant, c'est qu'il ne s'agit pas uniquement d'actions en direction des jeunes qui sont partis. Elles prennent en compte les trois temps de la migration : avant (lorsque le jeune est encore au village), pendant (lorsqu'il est parti), et après (lorsqu'il est revenu).
Avant l'âge du départ, il s'agit, pour reprendre leur formule, de "développer l'appartenance". Des activités de fin de semaines (vous savez que les québécois ne disent jamais "week-ends" !) sont organisées pour les enfants et les adolescents, des reportages sont réalisés avec eux sur ce qui se passe dans leur région, des "portraits de villages" sont faits dès l'école primaire. Un autre projet s'appelle "L'aventure des collines". Il s'agit de différents parcours en canoë effectués avec un historien qui fait ainsi découvrir le territoire, ses paysages et son histoire aux jeunes du pays. Outre de générer un sentiment d'appartenance, cette initiative développe aussi des liens très riches entre les générations. De même une expérience théâtrale a été menée. Le titre de la pièce était "La malle". C'est l'histoire d'un jeune qui veut quitter sa région. La pièce était destinée autant aux jeunes qu'aux parents qui ont souvent du mal à laisser partir leurs enfants. Cette pièce de théâtre était une véritable préparation à la migration.
IPNS : Et lorsque les jeunes sont partis ?
C.M. : Tout est fait pour garder le lien avec eux. On organise des retrouvailles estivales qui sont de vrais évènements festifs. On tient à jour des répertoires et des listes qui permettent de savoir ce que deviennent les jeunes de la commune. On a créé un site Internet des "accros des régions" sur lequel sont diffusées chaque semaine des informations sur la région d'origine, ainsi que les perspectives d'emplois ou d'activités. Bref, tout est fait pour que le lien avec le pays ne soit pas coupé définitivement, ou ne soit pas seulement entretenu par les réseaux familiaux.
Par ailleurs, des campagnes de publicité tentent de montrer qu'une vie à la campagne est de meilleure qualité et qu'on peut y trouver beaucoup de points positifs. Des programmes d'immersion en région sont mêmes proposés aux jeunes urbains qui sont invités à séjourner un an à la campagne, leur hébergement étant pris en charge par la collectivité !
IPNS : Cette politique est-elle payante en terme de retour ?
C.M. : Comme je le disais, presque un quart des jeunes reviennent dans leur village (et un tiers si on compte les retours dans la même région). Mais un retour n'est jamais gagné d'avance et c'est pourquoi un effort particulier est fait vis à vis de ces jeunes migrants en terme d'insertion professionnelle et résidentielle. Certaines communes consentent des rabais sur les taxes d'habitation, les caisses d'épargne proposent des aides financières spécifiques, des entreprises labellisées "spécial jeunes" sont mises en place et un "support au conjoint" est proposé. Des formations à la vie municipale et des comités “jeune d'aujourd'hui, citoyen de demain" sont mis en place dans cette perspective. Bref des actions très nombreuses et qui prises individuellement demeurent modestes, tentent de créer les conditions les plus favorables aux retours des jeunes. D'autres initiatives, pas spécialement destinées aux jeunes migrants, y contribuent aussi. Ainsi certains comtés travaillent à mobiliser leurs diasporas en sollicitant des capitaux pour investir au pays ou en filant des coups de main en fonction de leurs savoir faire.
Bref, en partant de l'idée que la migration fait partie de la vie des jeunes ruraux et leur permet de s'engager dans une démarche de choix, toute une série d'actions est possible et prend du sens. Il ne s'agit plus de diaboliser le départ, mais de travailler sur ce qu'il a de positif et d'éventuellement transitoire. Lorsque j'entends des témoignages comme celui-ci, je me sens confortée dans l'idée que faire un Conseil municipal des jeunes dans un village du plateau, s'investir dans la vie associative, développer des activités culturelles, sont des manières de travailler sur le long terme pour ceux qui aujourd'hui ont dix ans sur le plateau.
Plus globalement je pense que ce serait là un véritable chantier qui devrait être prioritaire pour le futur parc naturel régional, en cohérence avec les actions que mènent ou pourraient encore mener la région Limousin. Il y a là un enjeu important, sur lequel la réflexion et l'énergie de ces structures devraient se concentrer.
Pour en savoir plus sur l'étude québécoise sur les jeunes ruraux : www.obsjeunes.qc.ca photos Association Métamorphose (Ussel)