Dans sa seconde livraison IPNS racontait l'heureuse intégration d'une famille anglaise à La Villedieu : "C'est la plus belle chose que j'ai réussie dans ma vie". De son côté le premier numéro de la nouvelle série de La lettre du Limousin présente l'association "Welcome en Limousin". Elle propose aux anglophones un guide pratique d'informations sur le Limousin rédigé en anglais. C'est un constat : des anglais s'établissent en Limousin depuis quelques années.
Comme ils l'ont déjà fait en Périgord, depuis fort longtemps. Et plus fortement encore autour des années 1980- 1990 en Bretagne, Normandie ou Provence. Pour évaluer cette expansion anglaise en Limousin l'exemple des cantons de Gentioux-Pigerolles et Royère de Vassivière est très significatif. En l'espace de moins d'un an (2004-2005), 20 % des transactions immobilières (foncier bâti et foncier non bâti) enregistrées à la SAFER, ont été réalisées avec ou par des anglais. S'ils ne s'intéressent guère aux terres agricoles, à l'inverse ils se sont portés acquéreurs de plus de 64 % du patrimoine bâti.
Cette migration anglaise est encore trop récente pour être chiffrée et appréhendée à l'échelle régionale. Cependant elle représente pour toute la France, le plus fort contingent de résidents néo-ruraux d'installation récente. Alors tentons de jeter un œil curieux sur ce qui se passe ailleurs. Dans une étude publiée en 2000, Patrick Prado analyse les motivations de ces nouveaux arrivants dans les campagnes bretonnes et normandes : "Le rêve de village anglais en France". Pour les Britanniques urbanisés depuis le XVIème siècle et aujourd'hui à plus de 90 %, la campagne est un parc paysager, un lieu mythique pour renouer leur rapport à la terre et à la nature. Un espace idyllique pour trouver la paix des champs et la paix sociale, loin des violences et des "souillures" de la ville. Leur représentation de la campagne est très différente de la nôtre. En France depuis la Révolution la terre est progressivement devenue propriété du plus grand nombre. Tandis qu'outre-Manche elle devient progressivement la propriété du plus petit nombre. Au cours des siècles cette aristocratie de nouveaux riches poursuit son enrichissement, hier sur l'agriculture et l'industrie, aujourd'hui sur la banque et les assurances. Sans oublier de tirer un large profit de son patrimoine paysager qu'elle rentabilise par le plaisir et les jeux des loisirs urbains.
A l'opposé des résidents cossus du Périgord, la vague anglaise installée en Bretagne dans les années 90 se répartit sur un large éventail de classes sociales : "riches, pauvres, très pauvres, zonards, urbains, ouvriers - et même s'ils sont rares sur leur île - ruraux et paysans". Ils se partagent en trois groupes d'âge et de situations sociales. Les plus nombreux sont les retraités des classes moyennes avec parfois une activité secondaire. Viennent ensuite des actifs, classes moyennes aussi, de 40 à 55 ans qui sont souvent très mobiles. Et il y a les pauvres. Ils sont des déclassés, exclus par "l'horreur économique" du système Thatcher. Ils vivent dans une certaine précarité et on les retrouve souvent à la recherche d'un emploi.
En s'installant à la campagne le principal objectif des anglais semble être la reconstitution du noyau familial autour de la maison. C'est dire toute l'importance qu'ils accordent à la restauration et à l'ornementation de la maison. Ils aiment revaloriser les bâtiments ruraux et de caractère. Mais aussi les maisons des bourgs, alors que celles-ci sont généralement délaissées par les citadins français. Dans cette résidence, secondaire ou principale, ils recréent un "terroir familial" où l'on se plaît à rassembler ascendants et descendants, mais aussi collatéraux et amis de longue date.
Tant et si bien qu'ils se portent acquéreurs de maisons aux alentours ; très vite ils les transforment en gîtes ruraux et chambres d'hôtes afin d'y accueillir, en toutes saisons, familles et amis. Cet enracinement familial se mesure encore aux nombreux allers et retours qu'ils effectuent chaque année vers l'Angleterre.
Coupés ou frustrés de leur image bucolique et rêvée de la campagne ils sont souvent désarçonnés par notre indifférence au patrimoine naturel et paysager. Ils aimeraient nous faire partager leur héritage traditionnel et quelque peu nostalgique. Toutefois il ressort de cette incursion dans la campagne bretonne "à l'anglaise" que nos amis britanniques n'ont nulle intention d'y créer des îlots communautaires. Bien sûr ils restent retors au parler "français courant". Aussi regrettent-ils de ne pouvoir mener une conversation sur leurs sujets de prédilection : "les enfants, le jardin, la nature, la politique anglaise et l'Europe, dont ils se disent tous fanatiques".
Alain Carof