En construisant leur ouvrage sur le mode interrogatif les dix géographes de l'université de Limoges se doutaient bien qu'ils provoqueraient réactions et polémiques. Chacun des chapitres du livre reprend l'une des cinq questions en débat depuis des lustres en Limousin :
Telle est la première trame de cette étude de géographie physique et environnementale. Elle part du postulat de l'ancienneté des étangs dans le paysage et la vie des sociétés limousines. Elle en dénombre aujourd'hui près de 22 000 pour l'ensemble régional. Ce dénombrement stupéfiant fait du Limousin la première région française en nombre d'étangs, loin devant la Brenne ou les Dombes. Nos géographes reconnaissent toutefois que leur prolifération date du dernier tiers du XXème siècle. C'est à dire à partir de la période où les modes de production agricole se sont pour une part affranchis des techniques ancestrales de la maîtrise de l'eau. En outre la diminution du nombre des agriculteurs a contribué à un relatif abandon des terrains humides souvent difficiles à travailler. La multiplication des zones humides a favorisé la création d'étangs et de plans d'eau pour le développement du tourisme de loisirs dans les campagnes. En règle générale ces étangs sont exploités par des propriétaires non agriculteurs.
A travers leurs cinq chapitres très techniques, bien illustrés mais parfois arides, ils expliquent toutes les caractéristiques singulières des étangs limousins jusqu'alors assez mal connues. Quel rôle exercent-ils dans l'hydrosystème et l'écosystème du limousin ? Dans une seconde trame conclusive de l'ouvrage, ils ont démultiplié leurs cinq interrogations liminaires. En douze pages et 108 nouvelles questions à la fois pragmatiques et didactiques ils ont condensé leurs incertitudes et plus souvent leurs affirmations. Sans vouloir déterminer le caractère nuisible ou bénéfique de leur influence, au terme de ce bilan mitigé, ils accordent aux étangs une grande importance pour les paysages et la vie régionale du Limousin.
Les géographes n'ignoraient pas les controverses que susciteraient leurs analyses et leurs conclusions. Elles ont fait l'objet d'un communiqué de presse de la part de l'association Sources et Rivières du Limousin. Créée en 1982 par le groupement des pêcheurs sportifs, elle est aujourd'hui agréée pour la défense de l'environnement. A ce titre elle a déjà conduit de nombreuses actions positives en faveur de la protection et du respect de la valeur environnementale de notre espace. Dans le domaine de la pollution des rivières elle a maintes fois pris position contre l'extension des élevages industriels. Elle a surtout mis en accusation la COGEMA (devenue AREVA) avec laquelle elle est en procès. Elle dénonce le danger de sa gestion des déchets nucléaires pour la qualité des sources et rivières du bassin uranifère de la région de Limoges.
Dans son droit de réponse à l'ouvrage des universitaires, Sources et rivières du Limousin ne va pas par quatre chemins. D'entrée de jeu elle conteste la qualité scientifique de l'ouvrage. Les 22 000 étangs limousins parasitent les têtes de bassin et entraînent de fâcheuses conséquences en aval. Les vidanges rejettent des vases dans les rivières. L'évaporation des étangs diminue la ressource en eau. Ils réchauffent l'eau des rivières. Leurs pollutions interdisent aux salmonidés de circuler sur leurs lieux d'habitat, d'alimentation et de reproduction. Enfin ils introduisent des espèces nuisibles dans les cours d'eau. Un réquisitoire impitoyable et argumenté.Sources et rivières du Limousin en appelle aux pouvoirs publics pour la réalisation d'une solide étude d'impact relative aux étangs en Limousin. Elle souhaite l'application de la loi dans un sens favorable à l'intérêt général.
Dans son argumentaire Sources et Rivières du Limousin, met en doute à deux reprises le caractère historique des étangs et leur place dans la culture limousine. Ce débat n'est pas prêt de s'éteindre. Nos lecteurs (cf. IPNS n°6) se rappellent que dans son ouvrage sur "Le turc et le chevalier", Didier Delhoume rapporte le témoignage des compagnons du Sultan Djem sur la vie des campagnes dans la région de Bourganeuf. On était alors à la fin du XVème siècle. Ils ont observé les pratiques relatives au creusement, à l'empoissonnement et à la pêche des étangs. C'est avec admiration et minutie qu'ils racontaient l'organisation qualitative et lucrative de la commercialisation du poisson de ces étangs. On les vendait à prix d'or et le marché rassemblait une foule innombrable dans les campagnes autant que dans les villes.
Géographes et historiens s'accordent en effet sur le rôle des étangs pour la mise en valeur des campagnes limousines à l'époque médiévale. Ils avaient une triple fonction. Ils servaient à la production de poisson d'eau douce ; situés sur des replats ils régularisaient le ruissellement des rigoles sur toutes les pentes des pâturages ; enfin par leur force motrice ils actionnaient moulins, fouloirs, pressoirs ou forges. Leur gestion s'inscrivait dans l'organisation de la vie sociale des communautés villageoises. Ils répondaient à des usages collectifs. Alors qu'aujourd'hui la constellation des étangs créés au cours des trois dernières décennies est tournée quasi exclusivement vers le loisir et pour un usage privatif. On sait aussi que tout au long de l'histoire les étangs et les pêcheries ont été l'objet de conflits, tant pour leur possession que pour leur usage.
L'abondance de la ressource hydrographique du Limousin demeure une richesse à valoriser et à protéger. Aussi toutes les interrogations soulevées par Sources et Rivières du Limousin sur cette prolifération des étangs ne peuvent être éludées.
Car la multiplicité de ces retenues d'eau perturbe le débit et le fonctionnement du chevelu de nos ruisseaux et rivières A ces inconvénients ne conviendrait il pas de joindre le pullulement des piscines privées dans notre paysage limousin ?
Les unes et les autres, dans leur foisonnement anarchique peuvent être considérées comme un gaspillage et un détournement d'un bien public. L'eau n'est pas un bien marchand. Elle appartient au bien commun de l'humanité. Tout citoyen doit se mobiliser pour inventer de nouveaux modes de gestion et de partage de ce patrimoine. C'est une exigence de coopération planétaire pour que tout homme ait accès à l'eau. C'est là encore un des grands défis écologiques à relever pour notre siècle. Rappelons que l'eau est inégalement répartie sur la planète et qu'à ce jour plus d'un milliard de personnes n'ont pas d'accès direct à l'eau potable.
Alain Carof