Depuis 1979, on observe un déclin de l'activité agricole ; selon les chiffres des recensements de la DDAF1, l'activité agricole du plateau de Millevaches s'est significativement réduite depuis quelques dizaines d'années. Le nombre de paysans a fortement chuté et la surface agricole utilisée (SAU) a beaucoup diminué, essentiellement au profit des plantations de conifères. De 1988 à 2000, alors que sur le département de la Creuse, la surface agricole a diminué de 2,4 %, sur le canton de Royère elle a reculé de 11 % (et 22 % entre 1979 et 2000). La diminution du nombre d'exploitation est encore plus flagrante : il y avait 206 exploitations en 1979, 144 en 1988 et 99 en 2000, soit une diminution de 32 % en 21 ans !
Sous le joug du contexte politique agricole (très "encadrant") depuis la première PAC (Politique agricole commune), l'agriculture du plateau de Millevaches a beaucoup changé.
Dans un contexte de baisse permanente des prix agricoles, la faible qualité des terres du plateau a provoqué l'abandon des cultures et une extensification des systèmes de production. Cette extensification a logiquement entraîné un fort agrandissement des surfaces moyennes et une spécialisation dans l'élevage bovin et caprin. En 1979, l'agriculture du canton de Royère était relativement diversifiée et la taille moyenne des fermes était seulement de 28 Ha. 1213 Ha de terres étaient destinées aux cultures pour nourrir autant de vaches que de volailles, de moutons ou de porcs. En 2000, la spécialisation est flagrante : on compte 2 fois moins de terres cultivées, 4 fois moins de volailles de moutons et de porcs. Seuls le nombre de bovins et de caprins a augmenté. Les systèmes de production agricole s'appuient presque uniquement sur l'élevage de bovins en extensif avec d'importantes surfaces de prairies permanentes. La taille des exploitations professionnelles2 a logiquement augmenté en passant de 46 Ha en moyenne en 1979 contre plus de 90 Ha aujourd'hui.
Afin de souligner les particularités actuelles du territoire de Millevaches, je me suis appuyé sur un état des lieux des transactions foncières (achat-vente) des cantons de Royère et Gentioux, du mois d'avril 2004 au mois de février 20053. Ces transactions concernent aussi bien le bâti que des terres seules.
Les chiffres sont très parlants et montrent sans grande surprise que l'agriculture n'est plus l'activité rurale principale : une petite moitié seulement des surfaces non bâties ont été échangées dans le milieu paysan et durant la période étudiée, 14 % des surfaces échangées sont sorties de l'activité agricole. Une autre donnée importante nous indique qu'aucun agriculteur n'a acheté de foncier bâti, ce qui nous permet de supposer que les transactions foncières continuent d'alimenter l'agrandissement des fermes décrit précédemment.
Cette petite étude fait surtout ressortir un élément relativement nouveau qui marque particulièrement les problématiques territoriales du plateau aujourd'hui : sur la période étudiée, 20 % des transactions ont bénéficié à des personnes extérieures au monde paysan et domiciliées à l'étranger. Cette nouvelle concurrence apparaît uniquement sur le foncier bâti, puisque 7 habitations (sur 11 vendues au total) ont été acquises par des anglais. Cette nouvelle donnée a un impact non négligeable sur le prix des bâtiments et participe fortement à la spéculation du foncier. La hausse des prix touche particulièrement les maisons mais s'étend plus largement aux (anciens) bâtiments agricoles et aux terres en général.
La spéculation des bâtiments limite fortement les installations. Leur prix rend les fermes presque inaccessibles aux jeunes porteurs de projets agricoles qui doivent soutenir un budget d'installation de plus en plus colossal. Et lorsque le bâti est séparé d'une ancienne ferme, le reste des terres est vendu plus facilement à l'agrandissement. Sans bâti, il reste encore la solution de construire ses propres bâtiments, mais il est aussi difficile d'obtenir quelques hectares pour s'installer face aux personnes extérieures à l'agriculture ou à des voisins paysans "hectarivores", malheureusement très soutenus par le contexte politique départemental.
Et si toutes ces barrières sont franchies, il reste au jeune installé à faire le pari de pratiquer une agriculture moins gourmande en surface mais rentable, à "contre courant" de la PAC.
Il existe pourtant des outils étatiques, mis en place pour contrôler les transactions foncières. Les SAFER sont des sociétés anonymes à but non lucratif destinées au contrôle des transactions foncières. Chaque transaction foncière est étudiée par un comité technique pluri-représentatif chargé de donner un avis sur chaque dossier. La SAFER a pour mission d'éviter que les terres sortent abusivement du domaine agricole. Elle possède pour cela un droit de préemption qui lui permet de devenir automatiquement acquéreur de terre pour la redistribuer à un paysan qui en fait la demande.
Chaque transaction foncière donne lieu à une notification notariale de vente qui doit être diffusée pendant deux mois avant la signature définitive de la transaction pour permettre à un tiers de se porter concurrent à l'acquisition.
C'est malheureusement à cette étape qu'apparaissent les lacunes du système car force est de constater que la diffusion de ces informations est objectivement insuffisante (quand elle n'est pas inexistante).
Les locations sont quant à elles contrôlées par la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA). Créées en 1995, elles se réunissent tous les mois à la DDAF. Elles ont pour rôle de donner un avis sur chaque location de terre agricole faisant passer une exploitation à plus de 90 Ha de surface. Les CDOA réunissent des représentants de l'Etat, des représentants du monde agricole et des représentants d'associations. Chaque demande de location concernée donne lieu à une demande préalable d'exploiter (DPE), qui doit être diffusée pour permettre à une tierce personne de poser une éventuelle candidature concurrente.
Une fois de plus, on ne peut que regretter le manque d'effort de communication sur ces DPE qui limite fortement la concurrence.
La Confédération Paysanne de la Creuse s'intéresse depuis toujours au problème de la distribution des terres entre les paysans et avec le monde rural. Militant pour que chacun puisse accéder équitablement au foncier, elle souhaite aujourd'hui être plus efficace au sein des organisations départementales de gestion des structures. Il semble important de pallier les lacunes du système au niveau de la distribution des informations. Le travail syndical a débuté par la mise en place d'un réseau départemental de paysans et paysannes chargé de diffuser les informations sur les transactions foncières. Ce réseau d'interlocuteurs permet de diffuser les notifications notariales de vente et les DPE mais aussi de recueillir les informations de terrain afin de défendre au mieux les projets considérés comme intéressants dans les comités techniques SAFER et en CDOA. Si ce réseau fonctionne actuellement à l'échelle cantonale, il semble intéressant aujourd'hui de créer un maillage d'interlocuteurs locaux plus dense et particulièrement sensibilisés aux problèmes du foncier.
Une première réunion sur le plateau devrait réunir beaucoup de forces rurales sensibilisées aux problèmes d'accession à la terre et au bâti afin de partager les différentes visions du territoire. Il s'agit de créer un réseau de diffusion d'information et de créer un éventuel groupe de pression capable de faire pencher la balance en faveur des projets que chacun souhaite voir se développer sur son territoire. A n'en point douter, d'autres perspectives seront envisagées mais cela dépendra de la dynamique dont ce travail fera écho.
Guillaume Challet