"Le mouvement anti-CPE était déjà bien lancé à la fac de lettres et les étudiants en grève ont fait passer par une copine de Renoir des tracts qui expliquaient leur position. On est allé les voir et avec un copain de ma classe, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose. On voulait faire bouger Valadon, et pour commencer informer tous les lycéens, leur expliquer que CPE ça ne voulait pas dire conseiller principal d'éducation, mais contrat première embauche. Valadon, c'est dur à faire bouger, car il y a une trop grande part de j'men-foustisme et trop de sécheurs. Dans les autres lycées il y a des meneurs qui sont à la LCR ou au MJS, mais ce n'est pas le cas ici.
On a décidé qu'il fallait faire une AG pour donner de l'information sur le sujet et nous sommes allés tous les deux rencontrer le principal pour lui demander de mettre une salle à notre disposition pour organiser une conférence débat. C'était le jeudi 9 mars. Le lendemain on a eu l'accord de la direction et l'après midi on a rédigé un tract qui appelait à une AG le lundi suivant.
Le lundi 13 mars, de 12h à 14h a eu lieu cette conférence débat. On était une centaine. C'est nous qui animions. Il y avait déjà quelques lycéens qui parlaient de bloquer le lycée et on a fait passer une liste pour que ceux qui étaient prêts à nous aider pour de futures actions de sensibilisation et éventuellement un blocage, s'inscrivent. Il y avait une quarantaine de noms. En fin d'après midi on s'est retrouvé une douzaine pour rédiger un tract. Les terminales arts plastiques ont fait des caricatures et un copain a passé la nuit à les scanner et à maquetter le tract qui a été tiré à 1500 exemplaires. Ceux qui avaient donné leurs coordonnées les ont ensuite distribués.
Les premières occupations ont commencé dès le jeudi. Le soir ils sont allés squatter Renoir et ont dormi dans le hall d'entrée avec des sacs de couchage"
"Les blocages, on les décide en Assemblée Générale. Au début on faisait les AG dehors devant le lycée, puis ensuite dans le hall. Ca a lieu le matin à 8 heures, c'est-à-dire quand tout le monde arrive. C'est le meilleur moment pour capter l'attention des lycéens.
Dans le hall il y a comme une estrade, ceux qui prennent la parole montent dessus pour que tout le monde les voit et puisse les entendre. On a un mégaphone et chaque personne qui veut s'exprimer parle dans le mégaphone. C'est un peu compliqué mais on y arrive.
Une AG ça se déroule en trois temps. D'abord on fait le bilan du mouvement, au niveau national, puis au niveau local. Ensuite il y a débat. Chacun dit ce qu'il en pense, ce qu'il propose, les opinions sont respectées même si elles divergent. Ensuite, troisième temps, on recense les propositions et on vote. En général on a le choix entre blocage total, blocage partiel (c'est-à-dire qu'on ne bloque le lycée que les jours de manifestations) ou arrêt du blocage. Au début le vote avait lieu à main levée. Ensuite on l'a fait à bulletin secret.
En AG on est jusqu'à 800 et le vote dure longtemps. Chacun met son bulletin et on fait une croix au marqueur sur la main de ceux qui ont voté, histoire que les mêmes ne votent pas deux fois. J'aime autant te dire que le dépouillement est encore plus long. Lorsqu'on a décidé du blocage après un vote à bulletin secret, il y avait 51% pour le blocage total, 38% pour le blocage partiel et 10% contre. Le blocage est reconductible tous les deux jours et est donc remis au vote à une nouvelle AG".
"Moi je ne dors plus à l'internat depuis le début du mouvement. C'est une copine qui habite Limoges qui m'héberge. Il y a une solidarité entre les bloqueurs malgré des divergences d'opinion parfois. On se lève vers 4h30 du matin pour être devant le lycée vers 5h, 5h et quart. On est une dizaine et on se sépare pour bloquer chacune des trois entrées de Valadon : l'entrée principale par où passent les élèves, l'entrée du parking des profs et celle par où arrivent d'autres personnels de service.
On met les poubelles en barricade devant les grilles, ou des bancs pour empêcher de passer et on se poste devant pour expliquer ce qu'on fait et donner les raisons de notre opposition au CPE.
Les premiers agents d'entretien arrivent vers 6h. En général ils sont compréhensifs et nous soutiennent plutôt. Il y en a même qui nous apportent du café et des croissants. Le chef des agents gueule, il prévient la direction, mais, comme on reste à bloquer, le personnel ne peut que retourner chez lui. Une fois il y en a eu un qui a forcé le passage, on n'a pas pu l'empêcher de passer mais on est resté fermes. Parfois il y a des profs qui essaient de passer par derrière ou qui s'énervent.
En général on explique et on parlemente et ils sont plutôt coopératifs. On est plutôt soutenus. A Valadon on essaie toujours de discuter avec les professeurs, d'expliquer nos actions et d'être à l'écoute d'autres propositions.
A 7h30 les équipes de bloqueurs s'étoffent et on se retrouve une quarantaine. Et à 8h on fait les AG. On est de mieux en mieux organisés. Mais on en a un peu marre que ce soit toujours les mêmes qui s'y collent. En AG on est 800 et puis dès que l'AG est terminée il n'y a plus personne. La majorité rentre chez elle et c'est les trente ou quarante mêmes qui restent pour assurer le blocage. Il n'y a même pas de roulement malgré le tableau de présence qu'on a établi. Le blocage se déroule comme ça toute la journée jusqu'à 18h.
Jeudi 6 avril on a dit que si il y avait moins de 70 lycéens qui étaient prêts à venir participer aux blocages, on ne ferait plus que des blocages partiels. Et comme c'est ce qui s'est passé, on a donc décidé de ne plus faire que des blocages partiels. Ca faisait un mois que le lycée était occupé et que les cours ne pouvaient plus avoir lieu. Mais ça ne veut pas dire que le mouvement s'arrête.
Bloquer un lycée ce n'est pas évident : c'est pas pareil qu'une fac. Nous ne sommes pas majeurs, il peut y avoir des sanctions et les examens ne peuvent pas être repoussés.
On revendique toujours la même chose : la suppression du CPE, du CNE et de la "loi pour l'égalité des chances" qui porte pourtant un beau titre !".
Propos recueillis le dimanche 9 avril 2006 auprès de Clémence Davigo.