Quand on détruit le patrimoine emblématique du parc régional de Millevaches.
Pour les amoureux du patrimoine naturel identitaire, il n’y a pas de mot assez fort pour stigmatiser la sottise, l’incurie et l’insondable indifférence à l’esthétisme du paysage, de tous ceux qui ont ordonné le chantier d’abattage des hêtres sur la “route de Paris” entre Millevaches et le carrefour de Peyrelevade.
Ce sont pas moins de 560 géants quasi bicentenaires qui vont tombés comme de vulgaires quilles à l’orée de ce printemps 2006 ! Cinq cent soixante arbres emblématiques des peuplements forestiers et des anciennes voies du tout jeune Parc naturel régional de Millevaches.
Les premières dizaines étaient déjà au sol ce 7 mars 2006 et tout un chacun a pu constater la belle santé de ces feuillus dont le bois est compact et la sève montante généreuse.
Quand on sait que le vice-président du Syndicat mixte qui gère le PNR est aussi vice-président du Conseil général de la Corrèze chargé de l’environnement, on se demande à quel saint se vouer pour que cesse le massacre à la tronçonneuse.
Plus encore, quand il est de notoriété que ce même homme est très soucieux des chartes paysagères cantonales et très attaché aux symboles de l’identité du territoire du Parc. Quelle erreur Monsieur Pérol, quelle honte !
Ces arbres en voûte dont les basses branches posaient problème à la circulation des camions – heureusement encore peu nombreux sur cette voie – avaient été émondés avec beaucoup de soin il y a quelques années seulement. Ce travail de “jardinage” fort réussi avait simplement élancé un peu plus leurs imposantes silhouettes. On jurait alors qu’on ne les abattrait pas de sitôt ! Le double alignement formidable des piliers gris sous la haute voûte des frondaisons à l’ombre propice imposait un sentiment de respect mêlé d’une agréable émotion esthétique.
Cette voie, ainsi “murée”, avait du caractère, de la gueule. Poursuivez vers la Creuse, là où les hêtres ont déjà été abattus, vous trouverez une route banale aux abords insipides, encadrée de sapinières plus ou moins exploitées avec leurs andains chaotiques, de haies mal entretenues et de prairies agricoles engraissées. Une route triste, mal calibrée, au revêtement dégradé, qui file, morne et ondulante, sans même offrir de panoramas lointains…
Sous le choc de cette agression délibérée faite au patrimoine commun, on apprend que ces hêtres étaient devenus dangereux et qu’il en allait désormais de la responsabilité du département en terme de sécurité routière. Sachant que nous avons en Corrèze l’un des réseaux routiers les plus denses de France, gageons que les chantiers d’abattage vont aller bon train pendant des décennies ! A qui veut-on faire gober pareil alibi ? Décidément, au Pays de l’Arbre et l’Eau, ni l’un ni l’autre de ces éléments patrimoniaux ne sont à la fête !
Que n’a-t-on classé cette voie au titre des sites remarquables du Parc, messieurs les gestionnaires, mesdames et messieurs de la Direction régionale de l’environnement et de la commission des sites.
Que n’a-t-on établi, comme dans les Hauts de Seine en région parisienne, un inventaire des arbres et sites arborés remarquables, département où pas moins de 4000 sujets ont ainsi été répertoriés et protégés !
Que n’a-t-on consulté le Conseil de Valorisation du PNR où les usagers de la vieille voie et la société civile dans son ensemble sont solidement représentés !
Que n’a-t-on enfin mis en oeuvre un programme de jardinage et de suivi de ces bordures patrimoniales, même coûteux, pour préserver le bien commun, et rassurer les épiciers et les plaideurs qui nous administrent enfermés dans une conception étroite et tatillonne de la responsabilité !
J’avais 20 ans quand j’ai découvert cette route sous voûte de frondaisons. A ma connaissance ces hêtres “n’ont fait que très peu de victimes” selon la sinistre formule qui veut que l’arbre soit le tueur. J’espérais alors qu’on retracerait un jour une autre voie, ailleurs, plus large, plus roulante ; la place ne manque pas et le terrain n’est pas cher. J’espérais même qu’on arracherait le macadam pour offrir aux promeneurs du plateau quelques centaines de mètres de piste en sable d’arène sur lesquels auraient dansé les monnaies dorées du soleil, aux beaux jours ; ou bien un long tunnel à l’haleine verte et légère, toujours un peu brumeuse, dans lequel on aurait baguenaudé avec délice au printemps ; ou encore une de ces longues nefs mordorées de l’automne du plateau que l’on ne trouve plus que très rarement ailleurs.
Je ne vous salue pas, messieurs les administrateurs, et m’autorise même à vous traiter de sagouins malgré vos titres et vos fonctions très respectables.
Daniel Soularue