Dans sa thèse, soutenue en janvier 2004, Yannick Miras, ingénieur de recherche au CNRS, aborde l’occupation humaine du Plateau de Millevaches, du Néolithique, aux temps modernes1.
Étude basée sur l’analyse pollinique des tourbières, sur 11 sites limousins et 2 sites “fenêtres“ auvergnats, l’auteur met en œuvre une approche nouvelle et multidisciplinaire sur la base de cette véritable science “carrefour“, et souhaite caractériser de manière précise la gestion sociale et technique de ce territoire rural, au travers de l’Histoire.
Synthèse des études palynologiques réalisées, nouvelles prospections et adaptation des indicateurs jusqu’alors utilisés, archéologie, géochimie, histoire, sont autant de domaines appréhendés qui mettent en lumière de manière transversale les particularismes réels de cet espace géographique, souvent caricaturé et soumis à ellipse.
carte archéologique schématique des âges du fer sur le plateau de Millevaches
Si Millevaches est, une “Haute terre vide“ tel que le propose le linguiste Albert Dauzat, quelles sont en réalité les grandes phases de cette anthropisation ?2
Cette étude montre que le Plateau de Millevaches possède une dynamique de végétation particulière. Dès la fin de l’époque boréale, (-7000 av J.C), cet espace de moyenne montagne se différencie par un fort développement du noisetier, accompagné du chêne, puis de l’orme. Il faut encore attendre un millénaire, vers une transition climatique “atlantique“, pour voir une nette régression des noisetiers et l’arrivée du tilleul. Le frêne et l’érable restent minoritaires.
Peu avant la fin du Néolithique (vers -3500 av JC) apparaissent les premières traces d’anthropisation.
Les hêtres se développent seulement vers le début du 3ème millénaire. Les analyses montrent que ce développement est lent et diaphane sur le territoire, avec près de 700 ans de retard comparée à la zone voisine, auvergnate et s’implémente, en sus, d’une non représentation du sapin. Le peuplement mixte “chênaie-hêtraie“ ne se constitue réellement que vers le milieu du 2ème millénaire avant notre ère.
L’hypothèse d’un particularisme climatique est avancée, mais ces nouvelles analyses montrent le rôle important des premières colonisations humaines.
En effet, les premiers sédentaires agriculteurs à la fin du Néolithique et au début de l’âge du bronze, ont un impact non négligeable sur le milieu forestier. Confrontés aux travaux archéologiques menés par Marius Vazeilles, à la présence de mégalithes (Bonnefond, Pérol sur Vézère), et aux travaux déjà effectués (P. Guenet, 1993), notamment sur Peyrelevade, (plus vieux système agro-pastoral caractérisé en Limousin), et en les spécifiant, l’auteur affirme cette période comme le début d’une implantation humaine qui va aller croissante.
Les âges du fer successifs, et notamment la période dite de “La Tène“ (6ème et 5ème siècles av. J.C), montrent en effet une très forte période d’occupation et d’activités. Ces peuples “celtiques“, qui se caractériseront en tant que Lémovices, engagent une ouverture importante du milieu, qui se poursuivra jusqu’à l‘époque gallo romaine.
Le Plateau de Millevaches est marqué par cette période. Si les recherches se sont focalisées sur les 1er et 2ème siècles de notre ère, les “pouges“, les lignes de crêtes sont littéralement parsemées de tumulus de cette époque. Truffy (Faux la Montagne) ou Tarnac, possèdent en effet une densité remarquable de ces structures funéraires pouvant parfois dépasser 10m par 20m et 1,30m de hauteur.
Chose surprenante, il apparaît que la Montagne limousine a été plus peuplée à cette période que les bas plateaux limousins ou les causses et gorges de Corrèze. La dégradation de l’arène granitique permettait en effet le travail d’un sol plus “léger“.
Si l’époque gallo-romaine voit la mise en place certaine de la culture du sarrasin et du seigle, le 3ème siècle de notre ère subit une rupture de ce processus et une déprise agricole. La régression de l’Empire Romain et l’infiltration des peuplades germaniques a un impact majeur. Il faut attendre un réel établissement des Francs mérovingiens pour voir une dynamique agricole se remettre en marche (Sites de Drouillat (Peyrelevade) et récemment, la découverte d’un sarcophage mérovingien à Faux la Montagne.).
Le début du Moyen âge subit la plus forte pression agro-pastorale que le Plateau de Millevaches ai connu jusqu’alors. Un système de “Curtis“, de grandes propriétés terriennes se développe. De nombreux silos enterrés, évoluant en véritables souterrains de stockage de denrées se multiplient et on en trouve encore de nombreuses traces. De même le poids croissant des communautés religieuses au 12ème siècle, grands propriétaires et exploitants (Abbayes, ordre des Hospitaliers, etc..) contribue à appauvrir le sol et à permettre le premier développement réellement significatif de la lande.
Le Moyen âge, malgré ses guerres successives et des épidémies qui ont profondément marquée la démographie, verra néanmoins le maintien d’une production agricole.
La véritable “révolution“ a lieu sous l’intendant Turgot, au 18ème siècle. La création de sociétés d’agriculture, l’introduction de la pomme de terre, la mise en place d’ovins favorisent une augmentation des rendements agricoles. Au 19ème siècle une résurgence significative de la callune montre un net réappauvrissement des sols dû à des logiques intensives.
Se met alors en place l’utilisation des surfaces de l’alvéole granitique telle que nous la connaissons.
Ainsi loin d’être limitée au seul passé récent et folklorique, la thèse de Yannick Miras dénote une histoire aux éléments parfois étonnants. Loin d’être vérité absolue. Les travaux restant à accomplir notamment d’un point de vue archéologique, sont réels et conséquents.
Plus largement, la connaissance de ces données permet de remettre en perspective les phénomènes sociologiques, économiques et environnementaux actuels.
Si les changements sont inéluctables, il est, en conclusion de cette thèse, passionnante, souligné que la mutation sociale et spatiale qu’a subi le Plateau de Millevaches au XXème siècle est la plus importante jamais caractérisée.
La question est alors de savoir si, en connaissance de cause, nous pourrons ou non prendre une place dans cette histoire.
Fouilles du site des Cars en 1954 par Marius Vazeilles