De toute évidence, la pauvreté en milieu rural présente un certain nombre de spécificités du fait de conditions socio-économiques particulières caractérisant ces espaces. Des individus vivant dans des zones défavorisées en services divers (éducation, logement, santé, culture, emploi…) ont un risque supérieur de tomber dans la pauvreté. Néanmoins, sans nier de tels risques, ce n’est pas la localisation géographique en soi de la pauvreté qui est importante. La pauvreté nécessite une analyse globale pour en comprendre les véritables déterminants.
Au delà de tous les discours idéologiques sur les capacités de nos sociétés à réaliser le bonheur du plus grand nombre, il faut bien se rendre à l’évidence : la pauvreté subsiste au niveau mondial, y compris dans les sociétés riches qui auraient pourtant largement les moyens de l’éliminer. C’est ce constat qu’il s’agit d’expliquer.
Trois questions méritent d’être posées : Pourquoi les définitions traditionnelles de la pauvreté ont-elles toutes débouchées sur un échec des politiques menées sur ces bases ? Pour lutter efficacement contre la pauvreté, ne faudrait-il pas la comprendre de l’intérieur et rentrer dans la culture de pauvreté ? Pourrait-il y avoir une société sans pauvres ?
Le minimum physiologique dans son sens le plus strict était entendu comme ce qui était juste nécessaire pour survivre physiquement. Ce type d’approche initiée dans les pays industrialisés subsiste toujours pour les pays du Sud où la Banque Mondiale utilise le seuil de 1,25$ par jour pour qualifier la misère. Au-delà de telles évidences, des propositions ont été faites pour élargir ces définitions, ce qui a donné naissance à la notion de minimum social.
Il s’agit d’évaluer les besoins considérés comme minima par la société et de déterminer le revenu correspondant nécessaire pour couvrir ces besoins. Ces seuils fixes de pauvreté présentant l’énorme inconvénient de ne pas refléter le caractère essentiel de relativité de la pauvreté, des propositions ont été faites pour définir la pauvreté selon une base relative : l’Union Européenne retient par exemple un seuil de 60% du revenu médian disponible dans un État soit 15% de la population européenne environ. On voit donc ici commencer à se dessiner tous les débats qui auront lieu sur les inégalités de revenus. Le problème est de déterminer la dose d’inégalité qu’une société est prête à tolérer en son sein : quel écart maximum entre les plus pauvres et les plus riches est tolérable pour correspondre à une certaine idée de la justice sociale avec éventuellement la nécessité pour certains de définir un revenu maximal autorisé.
Étudier la pauvreté selon la seule référence monétaire revient à se priver de l’explication de l’origine de ces flux qui est déterminante dans l’élaboration d’une politique de lutte efficace. C’est dans cette optique que depuis une trentaine d’années, un discours sur la réalisation de l’égalité des chances s’est progressivement imposé, y compris au niveau des organisations internationales. Il s’agit de déterminer le stock de capital humain (éducation, santé, qualification…) dont tout individu a besoin pour s’intégrer dans la société. Ces deux types de politiques reposant soit sur la redistribution de revenus soit sur l’égalité des chances échouent lamentablement à éradiquer la pauvreté.
Il est difficile d’envisager une action efficace auprès des plus pauvres en l’absence d’une connaissance de leurs valeurs, de leur culture, de leur vision du monde. Une telle connaissance bouleverserait pourtant les modalités des politiques d’éradication de la pauvreté.
La principale difficulté liée à la culture de pauvreté provient du fait de savoir et de mesurer avec quelle intensité certaines normes de conduite persisteraient si des opportunités économiques venaient à changer. L’approche de l’exclusion par la culture de pauvreté revient à essayer de découvrir deux données essentielles : premièrement la rapidité avec laquelle les pauvres vont changer leur conduite si on leur offre de nouvelles opportunités économiques (on peut toujours rêver !) et deuxièmement le type d’opportunités qu’il faudrait éventuellement proposer pour que les pauvres, compte tenu de leur culture, puissent en profiter.
La conclusion est claire : le non respect des valeurs culturelles spécifiques de certaines populations mène généralement à l’échec des politiques. Il est toujours hasardeux de vouloir faire le bonheur des gens malgré eux, par rapport à des normes qui leur sont extérieures et étrangères.
Ce débat revient aujourd’hui autour du thème très controversé de la décroissance. Pour Serge Latouche : “…Un tel projet implique précisément de rompre avec le paradigme économique et son dernier avatar, le développement durable, car notre mode de vie n’est ni soutenable ni équitable, pour s’orienter vers une véritable décroissance que rien n’interdit de présumer conviviale. De l’impossibilité d’une croissance illimitée ne résulte pas un programme de croissance nulle, mais celui d’une décroissance nécessaire. (…) Pour sauver la planète et assurer un futur acceptable à nos enfants, il ne faut pas seulement modérer les tendances actuelles, il faut carrément sortir du développement et de l’économicisme, comme il faut sortir de l’agriculture productiviste qui en est partie intégrante pour en finir avec les vaches folles et les aberrations transgéniques.(…) Il est aussi possible de développer le marché des biens relationnels éco-compatibles de telle sorte qu’à la décroissance des quantités physiques ne corresponde pas nécessairement une décroissance de la valeur de la production. (…) La décroissance devrait être organisée non seulement pour préserver l’environnement, mais aussi pour restaurer le minimum de justice sociale sans lequel la planète est condamnée à l’explosion“ 1 ?"
La nécessité de cette réorientation de nos modèles de production et de consommation fait quasiment l’unanimité des chercheurs mais malheureusement pas des décideurs qui n’ont pas encore compris que les nations du monde partagent maintenant une communauté de destin. C’est à cette seule condition de sortir de l’économisme, qu’on pourra envisager une éradication de la pauvreté qui, dans les systèmes économiques actuels est irréductible.