Les réactions des tiers aux travaux forestiers sont bien plus complexes et consternantes qu’on l’imagine, en tous cas bien plus loin de notre logique de forestiers que nous le pensons généralement. Convaincus de nos « bonnes manières » nous n’avons la plupart du temps aucune idée des sensations désagréables voire des réactions de rejets qu’induisent nos actions, aussi vertueuses soient elles.
En voici une illustration avec l’exploitation en quelques mois de 700 m3 issus de futaie irrégulière sur une dizaine d’hectares et du même volume sur trois parcelles non contiguës coupées à ras (2 hectares environ). Les coupes, bien préparées, ont été réalisées avec soin et même interrompues un temps pour éviter des dégâts qui n’auraient pas manqué de survenir avec la pluie. Toutes les particularités des chantiers et de l’environnement identifiées, ainsi que toutes les consignes y afférant ont été prises en compte et respectées : ruisseaux, tourbières, murets, fourmilières, taches de régénération, réserves (résineux ou feuillus), saignées d’évacuation d’eau, places de dépôts, voies publiques... Bref, des chantiers pleinement réussis pour le forestier... et le propriétaire que je suis. À tel point que je me suis fait un devoir de féliciter les opérateurs pour cela.
Or, désagréable surprise, une part (infime certes) des habitants et des habitués du lieu, « natifs » pour la plupart et même assez proches du milieu forestier pour certains, en ont éprouvé une forme de dépit. En effet, pour ceux-là, rien n’est plus comme avant car une partie du paysage est différent, sans compter que les impacts des machines ont modifié l’aspect et la consistance des chemins. Ces derniers, quoiqu’en bon état, c’est à dire sans ornière et accessible au passage à VTT ou en voiture se retrouvent un peu élargis et bien sûr dénudés. C’est à dire poussiéreux avec la sécheresse et glissants sous la pluie. Paradoxe de la situation, les déçus éprouvent des sentiments contradictoires. Ils reconnaissent à la fois la qualité globale des travaux et le professionnalisme des intervenants mais reconnaissent un certain dépit devant ces pistes nues et la transformation radicale de leurs sentiers de promenade... Ils confessent la perte d’envie d’emprunter ces itinéraires jusqu’à ce que la nature ait effacé les stigmates de l’exploitation et que l’action du renouvellement ait esquissé l’amorce de nouveaux peuplements sur les parcelles « à blanc ».
Devant ces réactions un peu inattendues et plutôt nouvelles dans un canton habitué aux travaux forestiers, on est bien obligé d’admettre que nos actions forestières, quelques soient leurs qualités techniques et le soin dont elles ont bénéficié, provoquent inévitablement des impacts que d’aucuns considèrent comme négatifs, alors que pour les professionnels, ils ne sont que les stigmates inévitables et éphémères de leur activité.
Ces impacts sont plus ou moins visibles et diversement perçus. Certes, conséquences et perceptions ne sont pas identiques entre des chemins défoncés et ceux simplement privés de leur végétation, entre une coupe rase et une coupe de jardinage, entre un prélèvement de gros bois et celui de sujets en devenir, mais il est vrai que quelques soient nos interventions techniques, nous modifions les milieux et la perception que les usagers en ont. Il faut se rendre compte qu’il existe, en dehors de toute logique rationnelle, un attachement sentimental et justement irrationnel envers ce qui touche le cadre de vie, et que nous ne savons pas, ou pas bien traiter ce type de problème.
C’est un fait qu’il faut avoir en tête et anticiper, peut être en l’expliquant préventivement ? Ce qui est certain, c’est qu’il est nécessaire de l’assumer humblement tout en mettant en œuvre les éléments qui nous reviennent pour un retour rapide à la normale.
Bernard Palluet