C'est le titre du second ouvrage de la collection Patrimoine en poche. Sa parution est annoncée pour le début de 2004. JI retracera l'histoire de Djem, prince déchu par son frère Bajazet, plus connu sous le nom de prince Zizim, dont la tour est le symbole emblématique de la ville de Bourganeuf. li s'intéressera surtout aux quatre années de la période limousine de sa captivité. Pour son illustration l'auteur, ingénieur au service archéologique de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), a rassemblé de très belles miniatures en couleurs et gravures sur bois des peintures des XV et XVIème siècle de la Bibliothèque Nationale de France. En attendant de nous approprier très bientôt cet épisode de notre histoire, l'auteur et son éditeur ont permis à IPNS de publier quelques bonnes feuilles.
Les mois d'errance de ce petit groupe de Turcs au cœur du pays limousin sont l'occasion pour les orientaux de découvrir une contrée aux coutumes et aux paysages exotiques. Deux mentions de la chronique des Vâki'at-i Sultân Cern comportent en effet des observations sur les pratiques agraires locales, du plus grand intérêt puisque nous n'en avons pas connaissance par les sources latines. Nous disposons ainsi d'un témoignage unique d'un compagnon de Djem Sultan sur la pisciculture et la culture des prairies dans la région de Bourganeuf à la fin du XVème siècle !
Le premier extrait concerne des pratiques relatives au creusement, à l'empoissonnement et à la pêche des étangs. On y apprend également les modalités de transport par charroi des poissons : "Voici l'origine de ce que nous appelons "lacs artificiels". Ils dressent un barrage entre deux collines. Dans la fosse ainsi formée ils font couler l'eau jusqu'à ce qu'elle l'ait remplie. Après quoi ils font venir par charges entières des poissons d'eau douce depuis des lieux distants de cinq à dix jours de route. Ils étendent dans des corbeilles successivement une couche de paille et une couche de poissons. Une fois les corbeilles remplies, ils les chargent sur les bêtes de somme de cette manière. Ils marchent du soir au matin, et s'arrêtant dans la journée, ils replacent les poissons dans l'eau. Puis à la nuit ils chargent de nouveau les poissons de cette manière et repartent. Ainsi se fait le voyage, jusqu'à ce qu'ils jettent ces poissons dans notre lac artificiel".
On constate que le commerce du poisson, aliment fondamental des jours maigres, est une activité très organisée, et source de profits notables : " .. . ils vident le lac de son eau une fois tous les quatre ou cinq ans ; .. .ils peuvent se saisir des poissons qui y ont proliféré, et vendre pour plusieurs milliers de pièces d'or de poisson. Cependant ils en gardent quelques uns qu'ils replacent dans l'eau pour la reproduction. Puis ils remettent le lac en eau. C'est ainsi qu'ils élèvent le poisson. Chaque fois qu'ils s'apprêtent à organiser un marché, ils l'annoncent aux pays alentours.
Une foule innombrable vient acheter du poisson de plusieurs jours de route à la ronde, car dans toutes les villes il y a dans les marchés des bassins et des petits récipients où ils engraissent pendant plusieurs mois les poissons vivants. Le chaland regarde, et on lui donne ce qui lui convient".
Le second extrait, plus court, concerne la mise en place des prairies ensemencées, qui semblent pouvoir être identifiées avec les prairies de fauche, semées d'un mélange de graminées et de légumineuses, qu'évoque Olivier de Serres à la fin du XVIème siècle. Cette technique agricole ne semblait pas aller de soi aux yeux de notre observateur turc : "Quant aux "prairies semées", voici leur origine : ils labourent les pentes des montagnes et les plaines, et y sèment des graines de prairie. Pendant trois ou quatre ans ils n'y font pas de façon, et l'arrosent comme on arrose le trèfle. Cette prairie prend tant de force, et de ce fait pousse si loin ses racines, que la charrue ne peut l'arracher. Après cela on obtient une prairie à qui on ne fait subir aucun dommage en y menant les bêtes ou en la fauchant".
Didier Delhoume