Voilà un an que Jean Claude Frisque, à l'époque responsable de la chaîne Demain en limousin nous a contacté pour nous annoncer le souhait qu'il avait de créer une télévision locale à Koudougou au cœur du Burkina Faso.
Même si entre nos deux télés il existait de nombreux points communs, il était difficile d'imaginer à quoi pouvait ressembler notre petite sœur africaine. C'est réellement lorsque nous avons eu la chance pour deux d'entre nous de nous rendre sur place que nous avons saisi tout l'intérêt du travail de cette télévision pas comme les autres.
Entre Télé Millevaches et Télé Yaka un projet de partenariat a été retenu par la commission de la coopération décentralisée du Conseil régional et c'est donc dans ce cadre que nous avons eu la chance de vivre une aventure très forte.
En Moré, Télé Yaka signifie "voisin". Dans une région où cohabitent plusieurs ethnies : Mossi, Peuls et Gourounsi, cette télévision met en valeur les initiatives des habitants de la région et permet de partager des savoir faire et des compétences dans l'intérêt de la communauté. Les reportages sont diffusés en langues moré, lélé et foufouldé.
Ils sont actuellement six à faire vivre cette association, tous ou presque n'avaient jamais fait de la vidéo auparavant.
Dans un premier temps, nous avons fait connaissance puis visionné des sujets de nos télévisions respectives. Tous leurs sujets sont particulièrement bien réalisés, parfois un peu longs. A chaque fois le chef du village doit être interrogé même s'il n'est pas intéressant... D'autre part la plupart des gens ne sachant pas lire, chaque interlocuteur est obligé de se présenter devant la caméra "je m'appelle ... je suis le fils de ... fils de ... "et ça prend parfois du temps.
Des reportages sur une association qui fait de la formation, sur l'excision, sur l'entraide dans les campagnes ... ont déjà été réalisés. J'ai tout de suite compris l'importance de ce qu'ils faisaient en regardant leurs images.
Pendant deux semaines nous avons accompagné cette équipe entre reportages et diffusions en brousse. Nous avons partagé leur quotidien approchant ainsi ce pays de près.
Koudougou est une ville de 135 000 habitants qui ressemble davantage à un gros village qu'à une capitale régionale. Tout le monde ou presque se déplace ici en vélo ou en mobylette dans un trafic désordonné et ininterrompu.
Au sortir de la saison des pluies, la couleur ocre de la terre prenait le pas sur le vert des manguiers et des champs de mil, les températures avoisinaient souvent les 40 degrés.
Dans ce pays qui est un des plus pauvres de la planète, il existe une chaîne de télévision nationale qui diffuse essentiellement des programmes américains et des feuilletons brésiliens et qui touche surtout une population urbaine qui possède l'électricité.
La communication et les médias sont un peu les parents pauvres du développement au Burkina Faso. Il y a, à cela plusieurs raisons :
C'est dans ce contexte que Télé Yaka a choisi de s'adresser à tous en allant à la rencontre de son public, en diffusant ses reportages à une vingtaine de villages autour de Koudougou.
Durant notre séjour nous avons eu la chance de participer à une diffusion en brousse, à Salbisko, un petit village situé à une vingtaine de kilomètres de piste de Koudougou.
A peine arrivé le groupe électrogène est branché et la sono très vite diffuse de la musique invitant les villageois à sortir de chez eux. Installé sous un manguier qui fait office de salle des fêtes, l'écran est rapidement monté et les images commencent à s'animer sur la toile. De plus en plus de personnes arrivent des champs à pied ou à vélo des villages alentours. Des femmes avec leur enfant dans le dos, des hommes la houe sur l'épaule, des enfants s'installent au milieu des vélos posés sur le sol.
Tous s'installent autour de cet écran posé au milieu de cette place entourée de champs de mil.
La lumière du jour diminue progressivement, la chaleur tombe et de plus en plus d'enfants se pressent pour avoir les meilleures places. Jean Baptiste qui est animateur de diffusion à Télé Yaka prend son micro et s'adresse en moré à ses téléspectateurs. Il fait les remerciements d'usage au chef du village et explique le déroulement de la soirée. Tous sont invités à l'issue de chacun des reportages à prendre la parole pour débattre de ce qu'ils ont vu.
Les premières étoiles illuminent le ciel, les moustiques s'agglutinent autour de la lumière de l'écran, les gens continuent d'arriver de partout, ils sont déjà peut-être 500.
La lueur des images qui bougent sur l'écran éclaire les visages de ceux qui sont situés devant l'écran, les visages sont captivés par ce qui se passe.
Pour certains enfants c'est la première fois qu'ils voient des images s'animer sur grand écran.
Après chaque reportage chacun s'exprime et donne son point de vue. Après le sujet sur l'initiative d'un village qui a créé sa caisse de solidarité, certains souhaitent déjà mettre en place la même chose chez eux.
Même si je n'ai pas compris grand chose à ce qui s'est dit ce soir là j'en ai saisi toute la force. C'est à l'occasion de cette soirée que j'ai réellement compris le rôle d'une télévision comme celle là.
En repartant de cette diffusion , je n'ai pas dit un mot dans la voiture qui nous ramenait à Koudougou, sans doute ému par cette soirée. Je n'oublierai pas ces visages fascinés par les images, tous ces gens qui applaudissaient et qui remerciaient la télé de s'intéresser enfin à eux.
J'attends avec impatience la venue au printemps sur le plateau de nos amis de Télé Yaka.
Samuel Deleron