Pour la quatrième fois, le Québec organisait son "université rurale" en août 2003 dans la région québécoise de Mauricie. Anne Germain, de Faux la Montagne, qui travaille à Ambiance Bois (scierie et constructions de maisons en bois) y était invitée pour parler de son entreprise et de la filière bois limousine. Elle y a découvert aussi une région qui a mal à sa forêt.
La forêt québécoise : l'amour à mort ?
Il y a 12 ans, quittant mon hexagone natal et traversant l'Atlantique pour la première fois, je pensais fort naïvement découvrir la merveilleuse forêt canadienne, gigantesque, généreuse, inépuisable.
J'y ai vu l'envers du décor : sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, la forêt a été coupée, rasée, décimée. Une fois le bois sorti, tout est resté tel quel : aucune remise en état des territoires, aucun souci de reboisement ; des paysages désolés, lunaires, ressemblant un peu à ceux que nous avons pu connaître après notre tempête de 1999, mais tellement plus vastes.
]'y ai visité un village créé par des "colons" au début du XXème siècle. A cette époque, le gouvernement cherchait à créer de nouveaux villages dans les régions du nord, presque inhabitées. Des jeunes, avec l'aide financière du gouvernement, partaient ainsi s'établir en vivant de l'exploitation de la forêt des alentours. lors de mon passage en 1991, les enfants de ces premiers bûcherons travaillaient à 600 km de leur village ; ce qui signifie que tout avait été coupé à 600 km à la ronde. 1999, justement. Richard Desjardin sort un film : "l'erreur boréale", qui fait l'effet d'une bombe. Les Québécois découvrent la surexploitation de leur forêt, et apprennent avec stupéfaction que cette formidable richesse est non seulement épuisable, mais qu'au rythme actuel, elle devrait être épuisée très vite.
Que dire de la situation actuelle ?
Qu'un de nos guides mauriciens nous a montré en riant des arbres devant lesquels nos douglas de 30 ans n'auraient pas à rougir, en nous expliquant que 2 siècles plus tôt, ils faisaient 2m de diamètre, mais que dans quelques années on pourra sans doute les récolter à la faux.
Que j'ai mis un ou deux jours à comprendre pourquoi mes interlocuteurs prenaient un air un peu choqué quand je leur expliquais qu'Ambiance Bois fait de la construction en bois. Autant en France c'est très écologiquement correct, autant au Québec, cela revient à piller un peu plus une ressource naturelle en danger. Il n'est d'ailleurs qu'à examiner de près les fameuses maisons canadiennes, si typiques avec leurs bardages, leurs terrasses en caillebotis et leurs escaliers extérieurs : on réalise vite que l'alu et le PVC ont largement supplanté le bois. Une fois élucidé le quiproquo, j'ai donc pris la peine d'expliquer comment la forêt française est gérée, et comment les prélèvements qui sont faits sont inférieurs à \'ac· croissement naturel, ce qui permet que le capital soit conservé, entretenu et renouvelé grâce aux coupes, mais sans être amputé.
L'atelier sur la forêt auquel j'ai participé lors de l'Université Rurale m'a paru très symptomatique de la situation québécoise:
Un premier intervenant, ingénieur et économiste forestier, a esquissé une analyse fort intéressante de la situation et de ses difficultés. Il voit 3 étapes dans l'évolution de la politique forestière des pays industrialisés :
- on se sert de la forêt pour subvenir aux besoins de l'Etat
- on se sert de la forêt pour faciliter le développement industriel
- on cherche à entretenir et à améliorer la ressource pour diversifier l'économie.
Pour lui, un pays comme la France en est à l'étape 3, alors que le Québec en serait toujours à la 2ème. Et tout l'enjeu québécois actuel serait de définir une méthode de calcul de la rente, admise par tous, c'est à dire une méthode permettant de définir le montant des prélèvements acceptables pour conserver et enrichir le capital forestier. Ce qui, et il insiste là-dessus, est une question éminemment politique, avant d'être mathématique ou biologique.
Le deuxième intervenant nous a montré comment la forêt publique (80% de la forêt en Mauricie), appauvrit les communes puisque l'Etat se permet de ne pas payer aux communes les taxes auxquelles sont soumis les propriétaires privés ; d'où un sous-développement socio-économique très marqué de ces communes forestières privées de cette ressource. Là encore, une prise de conscience se fait, qui passe par un système de compensation, mais encore bien insuffisant aujourd'hui.
Ensuite, ce fut le représentant d'une de ces méga-entreprises multinationales d'exploitation forestière (exploitation : dans tous les sens du terme), dont le but est purement économique et la logique totalement libérale : faire le plus d'argent possible en exploitant la forêt. Il a commencé son intervention en citant le fameux film de Desjardin, pour dire que, bien sûr, ce film avait eu du bon en révélant certains excès, mais qu'il fallait quand même dépasser cette vision qui avait eu l'inconvénient de caricaturer la situation ... Il nous a ensuite présenté tout l'impact économique de sa société, en concédant qu'un arbitrage semblait nécessaire entre les différentes fonctions de la forêt : production / conservation / autres usages (récréotourisme...).
Enfin, le représentant d'une ZEC, une de ces puissantes sociétés de chasseurs et pêcheurs, nous a expliqué ses difficultés à maintenir et sauvegarder les intérêts de ses affiliés, face aux exigences de la production massive.
En résumé, nous avons eu successivement 4 angles d'approche
- celui du sylviculteur qui veut protéger la ressource,
- celui de l'Etat, manifestement désengagé,
- celui de l'industriel, à la recherche du profit maximum,
- celui d'un lobby de chasseurs - pêcheurs.
Ils se sont exprimés l'un après l'autre, chacun concédant qu'il a des difficultés avec les autres, et qu'il faudrait arriver à les résoudre ; mais ils n'ont pas débattu ensemble, ne se sont ni questionnés ni répondus. Significatif ?
Anne Germain
Dans notre prochain numéro, Catherine Moulin, également de Faux la Montagne, qui participait avec Anne Germain à cette université rurale, nous fera part des enseignements qu'elle a tirés de ses rencontres sur le thème des jeunes.
- Université Rurale... Mais où sont donc les ruraux
La Mauricie, 85% de forêts, 10% de lacs et de rivières, les habitations et autres activités humaines occupant ce qu'il en reste. La Mauricie, cette région du Québec dont Trois-Rivières, située sur le Saint-Laurent entre Québec et Montréal, est la capitale. Elle s'étend ensuite vers le nord, le long du fleuve Saint-Maurice, jusqu'au 49ème parallèle.
Une région qui avait donc toute légitimité à accueillir la 4ème Université Rurale Québécoise, à la fin du mois d'août 2003.
Passées les premières retrouvailles avec un accent qui enchante nos oreilles, des noms de lieux aux sonorités si poétiques et des paysages à vous couper le souffle, on réalise vite que la problématique du monde rural làbas est bien semblable à la nôtre. Et non seulement, elle est semblable à la nôtre, mais on en parle de la même manière. Malheureusement, on ne reviendra pas de là-bas avec la recette miracle, mais un nouvel éclairage, une nouvelle façon de poser les problèmes, qui pourraient pu faire surgir quelques étincelles ici ou là.
Prenons pour exemple le public de cette Université Rurale. A la louche, je dirais, allez ... 80% d'agents de développement. D'origines très diverses, certes, MRC, SADC, CLD, CRD, les Québécois aiment les sigles autant que nous, mais quand on n'y est pas habitué, cela fait un peu "du pareil au même". Si on y ajoute un bon nombre d'universitaires et d'étudiants (qui ont parfois du mal à appeler le milieu rural autrement que : région non-métropolitaine !) venus épauler les travaux de leurs propres recherches, on peut concevoir que je me sois par moments sentie un peu seule de mon espèce. A la énième personne qui se présentait à moi comme : agent de développement dans telle structure, j'ai fini par me présenter comme actrice de développement ce qui a eu le mérite d'engager le débat assez vite.
Mais, soyons honnête, qui agriculteur ou forestier, salarié ou entrepreneur, élu ou simplement habitant, bref, quel rural peut se permettre de prendre une semaine sur son temps de travail ou sur ses vacances pour assister à un tel colloque (rappelons qu'au Québec, la durée légale des congés est de 2 semaines par an, surtout dans les petites entreprises), s'il n'a pas un organisme pour le missionner et le financer ?
Voilà donc une quadrature de cercle qu'il serait intéressant de chercher à résoudre, en France comme au Québec : comment et où parler du milieu rural avec les ruraux dans toute leur diversité ?
Outre les différents thèmes abordés, comme celui de la forêt (voir ci-contre), j'aimerais retenir de cette semaine une intervention remarquable d'un anthropologue, Serge Bouchard, sur la place de l'humain et de la culture dans les cultures particulières. Il assimile la mondialisation à une nouvelle forme de colonisation. Il s'agit, au nom de la suprématie de !'économisme, de nier les cultures, de les reléguer à une fonction de folklore et de travailler pour un monde uniformisé. Ce qui touche bien sûr de plein fouet toutes les cultures non "occidentalo-libérales". Mais aussi, les cultures rurales par opposition à un monde urbain qui deviendrait standardisé (aseptisé ?). A méditer...
Anne Germain