Adresse d'un groupe de lycéens aux “responsables de rien du tout“
Peu disposés à se contenter de la construction du socialisme dans un seul canton, Zig et Puce n'ont pu s'empêcher de prendre leur part, avec leurs complices, aux événements du printemps 2018. Quand éclata la polémique autour du rôle de tel ou tel sbire élyséen dans l'écrasement du 1er Mai 2018 à Paris, ce furent évidemment des lycéens de leurs amis qui se virent accusés d'avoir ourdi le désormais fameux rendez-vous de la Contrescarpe. L'affaire prenant un tour à la fois démesuré et conjuratoire, les lycéens en question proposèrent au journal Le Monde une petite mise au point. Le “journal officiel de tous les pouvoirs“ les fit lambiner jusqu'à ce que l'affaire refroidisse, si bien qu'ils renoncèrent à une publication à contre-temps. Exceptionnellement, devant l'intérêt du texte, Zig et Puce cèdent la parole à de plus jeunes, mais non moins avisés. Après tout, on ne voit pas pourquoi le lecteur d'IPNS n'aurait pas droit à ce que l'on refuse à celui du Monde.
Il n’y a pas d’“affaire Benalla“, il y a un pouvoir en guerre contre les révoltes logiques
On nous passera, à nous qui avons relayé un certain nombre d’appels à manifester le 1er mai 2018 dernier, et plus particulièrement dans le quartier Latin, d’oser intervenir dans un débat public qui nous excède désormais si largement et où tant de gens plus éminents et plus autorisés que nous profèrent tant de profondes paroles. Pardonnez-nous de le dire crûment, mais de notre point de vue toute cette “affaire Benalla“ relève de l’exercice de déni national. Ce qu’il y a de proprement scandaleux dans la “vidéo Benalla“, ce n’est pas qu’un gendarme réserviste se permette de malmener des manifestants ; le scandale, c’est ce qu'elle fait voir de la nature du pouvoir d’État en France. Et voir cela, dans le “geste citoyen“ que revendique l'intéressé, est précisément humiliant pour le citoyen.
Tout le débat qui se déchaîne depuis dix jours, tous les appels à “sanctionner les responsables“, à punir les “dérives individuelles“, et jusqu’à l’intitulé d’“affaire Benalla“, ne visent qu’à revenir sur l’évidence que, pour une fois, on n’a pas pu ne pas voir. Évidence que “la souveraineté est puissance de donner et casser la loi“, que toute “République s’établit par la violence des plus forts“ (Jean Bodin, 1576), ainsi qu’on l’enseigne chaque jour à Science Po. Évidence à quoi s’adosse le monarque républicain lorsqu’il se proclame “le seul responsable“ et met au défi ses sujets de “venir le chercher“. Évidence, comme chacun le sait, que “la France reste, du sommet de l’État jusque dans les milieux qui professent le plus radicalement sa perte, une société de cour. Comme si l’Ancien Régime, comme système de mœurs, n’était jamais mort. Comme si la Révolution française n’avait été qu’une ruse retorse pour maintenir partout, derrière le changement de phraséologie, l’Ancien Régime et le dérober à toute attaque“.
Que l’Élysée dépêche ses hommes de main pour aller gérer directement la mutinerie des sujets indisciplinés, que l’appareil gouvernemental déploie avant et après le 1er Mai sa machine de propagande médiatique contre cette “ultra-ultra-gauche“ qui ose le défier, qu’il prenne en charge depuis ses “plus hautes sphères“ l’écrasement méthodique et millimétré de chacun des foyers de révolte qui se sera manifesté au printemps, voilà qui nous rappelle seulement que l’art de gouverner est bel et bien un art de la guerre, contre sa propre population. Seulement voilà, le citoyen, qui ne se laisse gouverner qu’au prix de l’illusion entretenue de sa “liberté“ et de ses “droits“, n’aime pas qu’on lui rappelle sa sujétion réelle. Il ne veut pas voir le pouvoir nu ; il entend que le pouvoir mette un peu les formes, qu’il se travestisse minimalement et le flatte de son importance fictive, qu’il ne déchaîne sa souveraine brutalité qu’au nom de l’ “intérêt général“, de l’ “ordre public“ ou de la “justice“. Le plus grand nombre des protestations que l’on entend depuis dix jours visent une rupture intolérable dans ce pacte d’hypocrisie sociale. La vidéo de la place de la Contrescarpe n’a d’ailleurs pas fait scandale en ce que des passants suspectés d’être d’ “ultra-gauche“ y subissent des violences gratuites, mais à partir du moment où l’on s’est avisé que Benalla et consorts n’étaient pas autorisés à “faire usage de la force“. On s’accommode sans mal, à l’année, que police et gendarmerie tabassent, humilient, éborgnent, amputent et tuent, tant que c’est pour maintenir l’ordre dont le citoyen est censé jouir. Jusqu’au beau jour où l’innocent citoyen des terrasses, si sûr de son bon droit derrière les vapeurs de son café dûment payé, se fait gazer comme une mouche sans raison valable… On connaît la suite.
Puisque le ministre de l’Intérieur se permet de nous mettre en cause publiquement depuis des mois au sujet du 1er Mai et de certains “appels à l’insurrection“, permettez-nous à notre tour d’exprimer notre façon de voir. Disons que nous sommes animés par un pressant sentiment d’urgence. La planète est en surchauffe avérée, les écosystèmes s’effondrent, les océans s’engorgent de plastique, les catastrophes “naturelles“ se multiplient, les misères – toutes les misères – galopent, des populations en panique se jettent à la mer pour peut-être survivre, le pouvoir politique, dans son ultime discrédit, échoit de plus en plus à des fous, et pendant ce temps les puissances capitalistes déchaînent leur rapacité de fin du monde plus sauvagement que jamais ; elles cherchent à gratter quelques années encore avant l’apocalypse annoncée, quelques années d’empoisonnement rentable de plus, quelques années de surexploitation supplémentaires. Nos gestes sont parfois maladroits, nos cris sont peut-être inaudibles, nos raisons généralement rendues incompréhensibles et bientôt, à coup sûr, répréhensibles. Mais si nous appelons au soulèvement, c’est que tout cela ne peut plus durer. C’est que nous avons l’impression que nos semblables se laissent endormir par les gouvernements d’un sommeil en forme de cercueil. C’est que toute cette façade gouvernementale faite de responsables de rien du tout n’est qu’un paravent de communication qui ne cherche qu’à gagner un peu de temps. C’est que lorsque chacun se décide à reprendre en main les conditions d’une survie de plus en plus menacée en cessant de déléguer à ceux qui nous ont menés au désastre l’organisation de leur existence, cela porte un nom : cela s’appelle l’insurrection, qui n’est ni le chaos ni la promesse toujours déçue d’un meilleur gouvernement. Il faut arrêter la machine, de toute urgence. L’organisation présente de la vie ne recèle à l’évidence aucun avenir. Un cauchemar climatisé reste un cauchemar. Personne ne fera notre salut pour nous.
Quant à nous, nous n’avons aucune solution, juste une perception aiguëe du “problème“. L’unique “solution“, c’est pour chacun, depuis là où il est, de prendre à bras le corps l’abîme de la situation. Il nous faut nous réveiller, regarder le désastre droit dans les yeux, mettre fin à nos dénis. Un pouvoir en guerre ne se laisse pas destituer par des moyens pacifiques. Il faudra bien aller chercher le monarque en son palais, et abattre les puissances dont il est le pantin. Il faudra bien réparer le monde. On nous présente comme hyper-violents pour masquer le fait moins avouable que nous sommes hyper-sensibles.
Juillet 2018
- Extrait d'un communiqué de presse lycéen suite à la manifestation du 1er mai 2018
“Nous connaissons les communiqués de la préfecture de police autant qu'ils nous connaissent, nous nous sommes finalement habitués à y apparaître, à y être cités de manière opportune. Les diffamations médiatiques et gouvernementales ne nous étonnent plus depuis longtemps, bien qu'elles ne puissent être laissées sans réponse. Mais que de la diffamation le ministre de l'intérieur en vienne aux menaces, cela exige une correction claire et immédiate. Voici donc, concernant le journée du 1er mai 2018, plusieurs corrections :
Le problème qui s'est posé en ce premier mai aux politiques comme aux policiers, ce n'est pas le rassemblement de 1200 émeutiers, mais les 14500 personnes qui les accompagnaient et sympathisent avec leurs pratiques. On ne spécule tant sur le “black bloc“ que pour masquer l'existence, autrement plus embarrassante, du cortège de tête. Cet embarras, il est perceptible jusque dans le chiffrage de la préfecture, qui doit désormais admettre qu'il y a presque autant de manifestants “hors du cortège déclaré“ que dedans. Déjà en 1968, la menace politique réelle, ce n'était pas les milliers d'émeutiers, mais la compréhension qui les entourait, et qui d'ailleurs les entoure toujours.(…)
Déclarer que ce qui s'est passé ce 1er mai 2018 est le résultat d'un quelconque appel n'est qu'un énième procédé visant à altérer la réalité : s'il y a un groupe d'incendiaires à l'oeuvre en ce moment en France, c'est bien le gouvernement lui-même. En matière de radicalité politique, le projet macroniste n'a pas d'équivalent. En matière de violence déchaînée, rien n'égale la brutalité du traitement policier réservé en ce moment à tout ce qui se lève. On n'avait pas vu un gouvernement aussi déterminé dans son désir d'affrontement avec la population depuis longtemps. Allumer dix foyers de révolte simultanément et se scandaliser que ça crame, c'est toute la pose hypocrite du pouvoir en place. Nous ne ferons pas au ministre de l'intérieur l'injure de lui rappeler qu'une constitution française, celle de l'an 1, stipule : “Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs“. Vous avez bien lu, monsieur le ministre : pour chaque portion du peuple“.
Mouvement inter luttes indépendant
-
ThèmeSociété
-
Paris | place Contrescarpe | black bloc | quartier Latin | affaire Benalla | violence | lycée | manifestation | police
IPNS - 23340 Faux-la-Montagne - ISSN 2110-5758 -
©2011 le journal IPNS - Journal d'information et de débat du plateau de Millevaches - Publication papier trimestrielle.
Accompagnement et hébergement : association info Limousin