Comme le transport public est à l'honneur depuis quelque temps, prenons donc le bus. Sur la ligne Felletin-Limoges, une centaine de kilomètres, nous voilà à l'arrêt quasi en rase campagne de Courcelles, commune de St-Michel-de-Veisse, dans la Creuse. Il fait beau ce matin-là ; nous partons pour Limoges. Le car arrive pratiquement à l'heure. Avant d'attaquer le marchepied, une voix annonce que nous allons voyager avec la Région Nouvelle Aquitaine. Nous ne sommes donc plus dans l'ignorance. Dans les marches, se signale un imposant appareil de validation. Derrière le pare-brise trônent quatre appareils de vente. Le chauffeur sort du vide poche le boîtier à carte bancaire. La voix annonce le prochain arrêt : St-Georges-la-Pouge. Nous sommes partis pour 1 heure et 26 minutes de route. Derrière le volant, le personnage a quelque chose de rassurant, voici longtemps que nous le voyons. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on connait les liens qui relient la sérénité à la stabilité. La ligne existe depuis longtemps ; les points d'arrêt étaient plus nombreux autrefois. Depuis toujours on parle du “car de Felletin“. Nombre d'entre nous se souviennent du car vert avec des pneus sur le toit pour le garage à Sauviat-sur-Vige ou ailleurs, dans la soute à bagages des pièces de carrosserie laissées sur le trottoir à St-Léonard-de-Noblat et des colis pour Bourganeuf par exemple.
Il fut un temps où la SNCF gérait la ligne avec ses propres tarifs, le prix du voyage étant alors plus avantageux qu'aujourd'hui. Nous arrivons à Bourganeuf Gare Routière, qui bientôt n'aura plus de routière que le nom tant la surface réservée à l'évolution du véhicule se rétrécit petit à petit. Puis St-Léonard-de-Noblat ; après l'arrêt gendarmerie, jusqu'aux faubourgs de Limoges nous n'avançons plus ; les limitations de vitesses et les aménagements de la route doivent y être pour beaucoup. Arrivons avec un peu de retard à Limoges au Ciel (Centre intermodal d'échange de Limoges) dans la cour de la gare des Bénédictins. L'escalator pour monter au niveau du hall de la gare ne fonctionne plus depuis pas mal de temps ; nous avons le choix entre l'ascenseur ou l'escalier. Pour ceux qui sont intéressés, le car continue jusqu'à la place Winston Churchill, autre lieu de correspondance entre bus. Le lieu porte mal son nom, car si le Vieux Lion disait “No sport“, là c'est plutôt le contraire. Comme pour la fête où y aller ne pose pas de problème, l'inconvénient est d'en revenir... Pour repartir à midi ou le soir, ce n'est pas le petit coup bu de trop qui trouble la vue, c'est qu'il faut avoir l’œil pour savoir où attendre votre bus. Au milieu de la circulation, ces derniers abordent des trottoirs faisant office de quais. Il faut déambuler par les passages piéton et bien regarder les panneaux lumineux. Au retour, au passage à Bénédictins, à partir de midi les cars Macron, Ouibus, Flexibus, etc, paradent.
Cette fois ci nous devons faire un petit voyage jusqu'à Brive. Comme on ne compte pas trop les kilomètres au pays, et que l'attente à Limoges est trop importante si nous prenons le car, nous avons pris notre billet à l'avance de la gare d'Eymoutiers à Brive-la-Gaillarde.
Mais c'est jour de grève ; il faut se méfier, France 3 Limousin n'a rien dit, alors ! Eux, c'est du sérieux ; on ne badine pas avec l'information régionale. Qui plus est, le ciel est pénétré de conjonctions cosmiques favorables. A la gare d'Eymoutiers, comme partout, les places de parking sont rares ; par contre une aire de covoiturage conséquente trône à proximité, un brin arrogante. Le lieu a bien changé. Voici quelques dizaines d'années, c'était ouvert tôt le matin et tard le soir. Les damiers en tôle rouge et blanc qui réglaient la circulation, silhouettes d'un autre âge, ne fleurissent plus le bord des quais. Aujourd'hui, un agent est là en journée, en semaine seulement. Un automate, lorsqu'il n'est pas en panne, assure la continuité de la délivrance des billets. A l'utilisation, on comprend que seul le fabriquant a fait une affaire... Le train annoncé au programme minimum arrive à l'heure, 18h53. La voie ferrée longe la vallée de la Vienne, masse brune, monotone, qui fait surgir la mélancolie chez le voyageur, pour peu qu'il n'ait pas prévu d'occuper son esprit. Comme pour le bus, le nombre d'arrêts a diminué. La cabine de conduite de l'automoteur est ouverte, l'homme est en short – signe des temps.... ou du temps. Autrefois, le mot est bien commode, le trajet durait moins longtemps. Il y a peut être une explication : pour tous les véhicules, y compris le vélo, la réactivité pouvait être constante, plus naturelle, et la volonté de rattraper un retard par exemple, plus tenace, voire facilitée par l'obligation de réussir. Réussir à assurer la correspondance à l'arrivée, alors que dans notre monde d'aujourd'hui, si brillant d'automatisme, l'emploi du mot correspondance n'a plus la même importance.
Ceci étant dû évidement à la suppression de nombreuses lignes par la SNCF, encouragée par l'Etat. La voix hachée de la contrôleuse égraine le nom des gares. Quelques-uns de nous secouent en vain la poignée de porte des WC qui sont condamnés. Interpellée au passage, la contrôleuse énonce les attendus du tribunal : manque d'eau... C'est vrai que nous sommes en période de sécheresse. On ne peut pas être en grève et demander à ce que tout fonctionne normalement !
Questionnée sur les correspondances, l'agent nous informe, après avoir titillé son portable, que le train pour Brive a 20 minutes de retard. Au défilé des gares, nous voyons de gros tas de traverses, de cailloux, le tout séjournant là depuis longtemps. A l'arrêt St-Denis-des-Murs, le résident a apparemment colonisé la gare. Cela se rencontre de plus en plus souvent à travers la France. Lui, il la joue gentil pied à terre tolérant l'usager. Plus loin, nous longeons la gare de triage du Puy Imbert, inactive depuis longtemps. Arrivons en gare de Limoges. La voix annonce la correspondance pour Paris, les autres lignes comptent donc pour peu. La gare est plutôt déserte, si ce n'est quelques TER qui ont jugé opportun de laisser ronfler les gros moteurs diesel pendant des dizaines de minutes, histoire de dégager un peu de bruit et de chaleur. Il faut bien montrer que le train c'est écologique. Histoire aussi de faire la nique à quelques héroïques autocollants avec la cigarette barrée de rouge qui attirent le regard. Un agent est présent sur le quai. Polo en jupette par dessus le pantalon, radio dans la main gauche et entre les doigts de la droite, cigarette avec filtre jaune – enfin quelque chose de cohérent. A quelqu'un qui demande pour un billet, il répond que là haut (dans le hall) il n'y a personne. Le hall, nous nous y rendons justement pour étancher notre soif et dans le même temps faire du commerce. Effectivement, il n'y a personne. Cela veut dire que la grève est suivie, contrairement à ce que dit TF1. Sur la porte des guichets, un papier indique que la délivrance des billets est finie depuis 16 h. Heureusement les distributeurs de boissons de chez “Selecta“ sont toujours là, mais seule la chopine d'Oasis qui apparaît à l'ouverture du couvercle doit sa chance au fait qu'elle était à un prix abordable.
Le train pour Brive finit par arriver. Après le départ, un contrôleur passe rapidement, prestement interpellé par un quidam sans doute inquiet qui tente de lui montrer son billet. Il lui répond d'un mouvement du poignet projetant nonchalamment les doigts vers le haut, geste voulant dire let's go. Nous sommes rassurés par son attitude on ne peut plus cohérente. En gare de Brive, rien ne transpire d'anormal, c'est la grève... La gare du riant portail du midi est calme. Il résulte de tout cela qu'offrir un prix de transport accessible à tous n'est pas chose facile. Les entreprises sont en restructuration permanente. Au routier les géants avalent les petits sans augmenter les salaires pour autant. Pour les lignes régulières, dont nous parlons, les appels d'offre font la loi, toujours au moins disant bien sûr. Au ferroviaire, alors que voici 25 ans, le rapport Guillaumat préconisait le vide dans le grand Massif Central, les Régions ont tout de même taillé dans le vif. Voir, pour nous, comment se rendre à Clermont d'Eymoutiers ou de Lacelle. Seule embellie, la réouverture, à grand frais il est vrai, de la ligne Oloron-Ste-Marie à Bedous dans le Béarn. Mais on verra sûrement encore longtemps le car attaquer derrière le chasse neige la gentille route qui monte au col du Somport, comme voici bientôt 50 ans...
Jean Bussie