Le paysage de la Montagne limousine est un paysage isolé et boisé de moyenne montagne, à l'écart des pôles urbains du Massif central, les ressources de la Montagne Limousine sont relativement convoitées. Le pays riche en eau, en minerais et en grands espaces se retrouve frappé par un exode rural considérable. Sa population a drastiquement chuté avant même la première Guerre Mondiale.
Conjointement à cette perte massive d’habitants, de grands projets d’aménagement du territoire sont menés dans les années 1950 : on voit fleurir barrages hydroélectriques, reboisements monospécifiques résineux, ainsi que mines d'uranium sur l’ensemble du Limousin.
Pourtant, malgré ce constat, certaines petites communes voient leur population s’accroître depuis quelques années grâce au solde migratoire positif et aux politiques d'accueil mises en œuvre par les élus.
Le plateau dispose d'une certaine autonomie et ouverture d'esprit de ses habitants, loin des clichés qui opposent la ville à la campagne. Le nombre important d'associations est significatif de cette dynamique rurale.
Aujourd'hui le plateau est le fruit de plusieurs épisodes et conjonctures humaines marquantes.
A la période gallo-romaine, les populations pratiquaient l'élevage extensif et la culture de céréales, le paysage était déboisé et ouvert. Ces traditions agricoles se sont poursuivies jusqu'à la fin du XIXe siècle. Chaque village possédait des terres gérées collectivement, appelées “biens sectionnaux“, pour pouvoir faire pâturer leurs bêtes.
La pression sur les terres, par nature assez pauvres sur ce socle granitique, était telle que les habitants n'arrivaient plus à cultiver suffisamment pour subsister dans un climat rude, entraînant une migration saisonnière vers les grandes villes pour pratiquer d'autres travaux (maçons, scieurs de long, fiacres et cochers).
Cette tradition migratoire a basculé de saisonnière à définitive à partir de 1860, entraînant une désertification des campagnes massive.
Dans les années 1930, le projet éminemment politique de reboisement de la Montagne Limousine, porté par l’élu communiste Marius Vazeilles, a voulu mettre un frein à l'exode. Dans son ouvrage Mise en valeur du Plateau de Millevaches (1932), Vazeilles proposait “d'installer une ‘forêt paysanne’ qui permettrait aux paysans de la Montagne Limousine d'exercer une double activité tout en mettant en valeur des terrains improductifs ou abandonnés. Cette forêt fournirait un revenu, jouerait le rôle de Caisse d'Epargne et in fine stopperait l'exode“.
L'ambition de forêt paysanne de Vazeilles n’a pas fonctionné longtemps... Depuis cinquante ans, l'approche sylvicole est technique. Les reboisements sont fortement subventionnés par le Fond National Forestier (l’État) dans les années 1950, essentiellement résineux, en futaie régulière. Arrosés de pesticides et d'engrais pour booster la rentabilité des champs d'arbres, ils nuisent gravement à la qualité des sols et des eaux et accentuent la monotonie et la fermeture des paysages. Le taux de boisement atteint jusqu’à 80 % dans certaines communes qui n’excédaient pas 5 % de boisement au début du XXe siècle : c’est une véritable «inversion paysagère» (C.Labrue, 2009).
On assiste à la même période à une évolution des profils de propriétaires forestiers sous l'effet de deux facteurs : le changement de générations (héritage foncier revendu) et l'adaptation au nouveau monde capitaliste et aux nouvelles techniques mécanisées. Une partie des propriétaires reboiseurs (qu'ils soient paysans, résidents ou déracinés) ont laissé place aux propriétaires gestionnaires et opportunistes, qui voient la forêt comme une aubaine financière (exonération d’impôt à hauteur de 70%) et de rentabilité à moyen terme.
Face aux transformations radicales des paysages et à la négation de l'organisation ancestrale rurale, collective et pastorale du terroir, l'appropriation des paysages est de plus en plus difficile par les habitants. Certains n'acceptent plus que leurs horizons soient obstrués par des sapins Douglas, de voir des grumiers sillonner et abîmer les petites routes du plateau, que les acteurs de la filière bois ne prennent pas mieux en compte les enjeux socio-écologiques des forêts et leur rôle multi-fonctionnel. Ils n’acceptent plus la gestion simpliste en coupe rase et reboisement monospécifique devenue souvent systématique.
Si l’on ajoute à cela les problèmes écologiques que la forêt industrielle implique, à savoir l’érosion des sols, la pollution des cours d'eau et la perte de biodiversité, une prise de conscience des intérêts écosystémiques des forêts et des paysages en général est amorcée. Depuis plusieurs années, des associations environnementales, certains gestionnaires et propriétaires se saisissent de la question épineuse de la forêt. La filière bois se retrouve confrontée à l'intrusion de la société dans les questions de gestion et de politique forestière.
Dès lors, comment imaginer la forêt comme outil d'apaisement social, en mobilisant les acteurs de la filière et les habitants ? Peut-on espérer un retour à la forêt paysanne, utopie originelle de Marius Vazeilles ? Comment remettre en question 50 ans de gestion industrielle face aux enjeux climatiques de demain ?
Peut-on espérer un nouvel équilibre des écosystèmes socio-forestiers, une symbiose entre l'homme et l'arbre pour la Montagne Limousine ?
Ninon Bonzom