La forêt n’a cessé de croître sur le plateau, avalant prairies et landes, s’arrêtant aux portes des villages et au bord des cours d’eau. Les horizons se sont fait rares et l’ombre s’est propagée.
La fermeture des paysages s’est imposée comme le point central de notre réflexion lors de la résidence. Nous en avons pris conscience par les discussions que nous avons eues, lorsque des anciens nous ont raconté comment la forêt avait progressé, et que sa nature avait changé, faisant disparaître les horizons.
Le terme géologique qui désigne la morphologie de ces paysages est «alvéoles». Un alvéole et non une alvéole. Un paysage constitué d’une multitude de petites cellules, closes mais ouvertes les unes sur les autres par les voies taillées par l’eau.
Malgré cette structure en alvéoles, on pouvait tout de même apercevoir depuis un hameau une maison, un village construit sur un point haut. Il existait une certaine co-visibilité entre les différentes zones d’habitat. Avec la croissance de la forêt et l’enrésinement du paysage, ces liens visuels se sont perdus, et les lieux d’habitats se sont retrouvés cloisonnés.
“En vérité, c’est tout un paysage qui nous est devenu plus lisible. Là où le lobby forestier a tendance à ne voir que des arbres plantés dans un désert humain, et où nous autres habitants avons tendance à envisager notre vie comme se déroulant sur le fond d’une « nature » immuable, nous avons découvert que l’état de la forêt, au fil de l’histoire, ne faisait qu’exprimer la façon dont le plateau était habité. L’état de la forêt est le reflet fidèle de notre rapport au territoire.“ Extrait du “Rapport sur l’état de nos forêts, par quelques habitants du plateau de Millevaches“.
La forêt “industrielle“ d’aujourd’hui pose une série de problèmes qui suscite de la colère, de l’indignation et une certaine opposition de la population pour des raisons politiques, économiques, écologiques et paysagères. Nous avons ressenti dans certains lieux un égarement, une difficulté à saisir le territoire et le sentiment que certains lieux avaient été engloutis, que quelque chose d’inexorable, de presque surnaturel était en marche.
Plutôt que de nous inscrire dans une critique frontale du fonctionnement du système d’exploitation forestière dominant nous proposons de célébrer des espaces ouverts. Les espaces ouverts sont la condition du paysage, de l’horizon : lutter contre l’isolement, pouvoir voir le ciel, pouvoir respirer.
Nous proposons de célébrer le bien commun qu’est l’espace ouvert, d’y faire attention et d’y goûter, de faire prendre conscience de sa préciosité, de partager une qualité du paysage et de mettre en valeur des lieux riches.
Après un temps d’arpentage vint le temps des échanges. Après une rencontre avec une partie de l’équipe municipale, nous nous retrouvons pour une balade avec plusieurs membres de l’association Eclats de Rives, qui ont mis en place à travers de nombreux chantiers participatifs, le sentier de découverte de la vallée de la Maulde. L’association oeuvre à la découverte et à la mise en valeur d’un patrimoine qui constitue l’expression d’un rapport riche et fécond entre les membres d’une communauté et les paysages qu’ils habitent et façonnent : ponts, système de haie, de prairie, de murets et gestion de l’eau en tirant partie de la morphologie et du système hydrographique de la vallée. Ce sentier donne à voir des paysages vernaculaires, ainsi que d’autres qui disparaissent, progressivement remplacés par de nouveaux.
Au cours de cette balade est née l’envie de penser notre intervention en résonance avec leurs actions et l’énergie qu’ils déploient : écouter le récit des chantiers passés, connaître les actions qu’ils envisagent de mener dans l’avenir et inventer ainsi une œuvre qui soit cohérente avec leur projet.
La clairière qui borde l’étang de Verrières, dans laquelle on s’arrête un moment lors de la balade avec l’association Eclats de Rives retient notre attention. Elle fait partie en effet des sectionnaux du village de Pont. Les sectionnaux sont des biens communs villageois, qui ont toujours permis aux habitants de faire paître leurs animaux.
L’idée de travailler sur une parcelle relevant d’une propriété villageoise nous intéresse. “Au fil des générations l’enrésinement a entériné la fin des communaux et des sectionnaux, et avec eux, de toute la vie sociale paysanne qui faisait leur raison d’être. La “désertification“ rurale a fait le reste, dissociant de plus en plus propriété foncière et habitants.“ Extrait du “Rapport sur l’état de nos forêts et leurs devenirs possibles, novembre 2013“.
Depuis quelques années, la commune et l’association ont mis en place un pâturage de la clairière une fois l’an, par le troupeau de Stéphane Momboisse. Il s’agit de ne pas laisser cet espace ouvert, chose si rare au milieu des plantations de douglas et des terrains qui s’enfrichent et se referment.
Se dessine plus clairement alors l’idée d’une intervention qui aide à conforter le statut de clairière de cet espace, qui parle de l’action des bêtes sur le paysage à travers la création d’une oeuvre revisitant le motif de la clôture et de l’enclos.
L’enclos c’est la limite à l’intérieur de laquelle la forêt ne s’installera pas.
L’enclos permet de dessiner l’espace ouvert.
L’enclos protège le troupeau et permet au berger de se reposer
La clôture est un motif linéaire que l’on répète. Chaque culture a construit ses systèmes de clôture, diversifiant les motifs selon les ressources à sa disposition.
La fauche est l’autre action qui pérennise l’espace ouvert, empêchant la prairie de devenir prairie armée, forêt en puissance.
Après concertation avec les usagers du lieux (habitants, berger, promeneurs occasionnels) nous nous lançons dans l’action de conforter la clairière pâturée près de l’étang de Verrières en défrichant la lisière nord. Cela nous permet d’obtenir une ressource abondante et diversifiée pour la construction de l’enclos.
Le chantier devient une performance collective où le défrichage, le rangement et l’assemblage de ces différents matériaux se donne à voir : perches de saules, troncs entiers, troncs débités, bois usiné issu de la scierie locale, piquets de châtaigner, pierres glanées, tiges de bourdaines...
Au fil des jours nous développons des assemblages simples qui sont mis en oeuvre collectivement avec les habitants L’idée étant de créer un motif élémentaire que l’on peut reproduire ou répéter. Un motif qui s’augmente et croît avec l’énergie collective. Cette structure, enclos en devenir, est une œuvre ouverte. Elle peut chaque année être renforcée, réalimentée par les forces locales volontaires avec les ressources issues des nouveaux chantiers de défrichage de la lisière nord. Pour finaliser l’installation, une ligne de piquets blanc est installée pour mémoriser le tracé de l’ancienne lisière avant défrichage, faire-valoir du travail accompli ensemble à la gloire de l’espace ouvert sur le ciel.
Un grand merci aux habitants, aux membres de l’association Eclats de Rives, à l’équipe municipale, à nos amis paysagistes creusois Marjorie Masseglia et Yoann Bit-Monnot, venus nous prêter main forte lors du chantier, ainsi qu’à toute l’équipe du Centre international d’art et du paysage de Vassivière.
Atelier Bivouac