Parmi nos sommités littéraires, deux ont eu particulièrement la dent dure pour les Limousins. Rabelais tout d'abord. Quand Pantagruel rencontre un “escolier“ (étudiant) de Sorbonne, au jargon prétentieux, dont l'usage abusif du latin conduit à latiniser sa propre langue... et, en conséquence, à parler sans être compris :
"Par Dieu, dist Pantagruel, je vous apprendray à parler. Mais devant, responds moy : dont es tu ?" A quoy dist l'eschollier : "L'origine primève de mes aves et ataves fut indigène des régions lémovicques, où requiesce le corpore de l'agiotate sainct Martial.
- J'entends bien, dist Pantagruel. Tu es Lymousin, pour tout potaige. Et tu veulx icy contrefaire le Parisien... Tu escorches le latin : par sainct Jehan, je te feray escorcher le renard… ; car je te escorcheray tout vif."
Lors commença le pauvre Lymousin à dire : "Vée dicou, gentilastre ! Ho, sainct Marsault, adjouda my ! Hau, hau, laissas à quau, au nom de Dious, et ne me touquas grou !" A quoy dist Pantagruel : "A ceste heure parles tu naturellement..." Et ainsi le laissa : car le pauvre Lymousin se conchyoit toutes ses chausses.“
Cet écolier était donc limousin. Moi, Emile, ça me rappelle quelqu'un, parisien, qui descend régulièrement du Quartier latin pour goûter du fromage de chèvre de Viam.
Mais il y a plus amusant. On découvre dans le registre du receveur de l’évêque de Limoges à la date du 4 février 1471, soit 20 ans avant la naissance de Rabelais (!) un personnage dénommé Gargantua. Ce passage avait été repéré par un archiviste de Limoges, Alfred Leroux, à la fin du XXe siècle. Ce Gargantua donc “fit son entrée à cheval à Saint-Léonard, s’en alla droit au palais de l’évêque de Limoges et y prit son gîte pour deux jours aux frais de Monseigneur.“ Etonnant, non ? Ce qui me fait dire, ou croire, que beaucoup de gens veulent bien venir chez nous pour s'y faire inviter. Ou acheter des châteaux rénovés aux frais du contribuable, célébrer de brillants ancêtres, mais pas les autres, ou se lancer sur un tremplin électoral, tels les passionnés de squette-borde. Si, si !
Voyez ensuite le grand Molière. Dans une pièce très cruelle, Monsieur de Pourceaugnac (1699), Jean-Baptiste raconte la déchéance d’un homme bien naïf et d’un certain âge. Monsieur de Pourceaugnac, originaire de Limoges, qui vient à Paris pour épouser Julie. C’est un mariage arrangé qui ne ravit pas du tout la jeune femme. Elle aimerait faire annuler l'union, c'est toute l'intrigue dans laquelle Pourceaugnac connaîtra bien des mésaventures avec des personnages extravagants… Il finira complètement fou. Pour camper un homme autant grotesque que pathétique, Molière avait donc choisi un Limousin ! Pas besoin pour cela de venir crotter ses beaux escarpins sur nos chemins. Mais alors, qui avait bien pu lui souffler l'idée ? J'ai un vague soupçon : La Fontaine.
Notre grand fabuliste était lui venu sur place, mais cela n'était pas volontaire. Voici l'histoire. Ayant été pas mal éclaboussé par la disgrâce de son pote le surintendant Fouquet (1661), l'écrivain est en fait l'inventeur d'un limogeage qui ne disait pas son nom. En 1661, il doit s'exiler à Limoges, d'où il écrira à sa femme une série de lettres, rassemblées dans Le voyage de Paris en Limousin. Il vient de Poitiers, et il découvre que “passé Chavigni (Chauvigny), on ne parle quasi plus français.“ Ce qu'un autre contemporain, l'allemand Just Zinzerling, confirme alors : “leur langage [des Limousins] est grossier et barbare, il ne serait entendu en nulle part de France.“ Mais c'est plutôt un autre sens qui est désagréablement éveillé chez La Fontaine : l'odorat. Incommodé par “des aulx“, qui, avec les mauvais chemins, est une des “deux propriétés qui distinguent le Limosin des autres provinces du monde“ (remarquez bien le mot : monde !). Et re-Zinzerling : “les habitans ne sont pas si polis et civilisez comme ailleurs.“ Mais encore : le goût. La Fontaine se plaint d'avoir dû ingurgiter à Bellac, capitale de la Basse-Marche, un “vin à teindre les nappes, qu'on appelle la tromperie de Bellac.“ En fait de tromperie, l'écrivain était lui plagiaire d'Esope, c'est beaucoup plus glorieux.
C'est ainsi que naissent et persistent les légendes et mythes, ici carrément noirs. Et d'ailleurs, faudrait-il s'arrêter à ces tableaux insultants ? Voici ainsi quelques revanches. Robert de Hesseln, cartographe lorrain, né en 1733 : “L'air de ce pays est pur et sain, et les habitants y vivent fort vieux. » Le même, parlant d'Aubusson : “On (y) a établi depuis 60 ans une manufacture de tapisseries… qui continue d'être florissante, et emploie beaucoup de monde.“ Voilà qui va intéresser nos amis de Felletin, à propos d'ancienneté. Plus loin, Hesseln loue les habitants d'Ussel, “forts adroits à mettre en œuvre les diamants“, et pour la Creuse, il n'y a guère que la qualité de l'élevage et des paysages qui fasse l'unanimité. Voyez le célèbre Silhouette : “Le commerce des bestiaux, surtout bêtes à cornes et des chevaux, qui sont fort estimés.“ Mais aussi, ceci, sous la plume d'un Bourbonnais, devenu évêque de Limoges en 1627, François Motier de La Fayette : “N'allez pas vous figurer que le diocèse soit malheureux, ou disgrâcié du Ciel, comme on se le figure dans nos provinces. Je vous donne les gens du Limousin pour aussi fins et polis que le peuple de France : les hommes ont de l'esprit en ce pays-là. “Merci Monseigneur.
Si vous avez bien suivi mes chroniques, l'impression générale doit vous paraître très négative. Comme celle-ci, qui vise (seulement) les tullistes, il en faut bien pour tout le monde, accusés “d'estre des témoins à gages (payés pour témoigner)... D'avoir des femmes un peu facilles, ce qui leur a donné le nom de chausse-pieds, et d'estre quereleux“ (François-Savinien d'Alquier, 1670).
On peut retrouver bien d'autres récits ou avis chez Claude Petitfrère, auteur d'une passionnante analyse de tous ces récits de voyageurs, “En passant par le Limousin … le pays et son identité au regard des voyageurs“, dans Le Limousin, pays et identités (Pulim, 2006). On y découvre des jugements plus nuancés. Ceux à l'emporte-pièces pourraient certes être balayés d'un revers méprisant, s'ils n'étaient finalement à l'origine d'un complexe, bien réel, chez nos aïeux. Mais finalement, je m'en fiche, ces “messieurs qu'on nomme grands“ (merci Boris), je ne les aime pas non plus : parigots, têtes de... Mais j’exagère. Finalement, je verrais dans tout ça, une espèce de continuité historique, ayant pour racine l'intolérance. Pensez au débat actuel sur la place du “rural profond“ (pléonasme ?) dans les discours et les actes des autorités : intérêt sincère ? ou mépris ?
Emile Vache