Je vais garder cet été pour la quatrième année au nord de la Corrèze, essentiellement sur la tourbière du Longeyroux. Il m’arrive de garder quelquefois au printemps et à l’automne, mais c’est rare. Ici les brebis sont plutôt dans des clôtures ou des bergeries à cette époque.
Autour de 600 brebis. Il s’agit de la réunion de quatre troupeaux appartenant à quatre exploitations qui mettent en commun leurs bêtes le temps de l’estive. Je suis là pour gérer la ressource, surveiller et déplacer le troupeau pour que les animaux mangent bien, « profitent ». Outre nourrir les animaux, comme les éleveurs s’y sont engagés dans le cadre de mesures environnementales, il s’agit aussi de mettre la pression sur des plantes invasives pour permettre la préservation de milieux qui, sans pâturage, disparaîtraient. Et puis il faut faire les soins sur les animaux qui le nécessitent, mais en l’occurrence, on me confie un troupeau qui est plutôt en très bon état.
Pas tant, il y a plein de bergers et de bergères qui gardent l’été plus de 1 500 bêtes, parfois 2 500, dans les Alpes par exemple.
En quelque sorte oui, mais la difficulté du métier tient à bien d’autres paramètres qui vont des intempéries à la topographie, des conditions de vie proposées par les éleveurs (confort et accessibilité des cabanes), de l’état sanitaire du troupeau, de la présence de prédateurs ou de touristes, des relations employeurs-employés, etc. Ça peut être plus facile de garder 2 000 bêtes avec des bonnes conditions salariales, des animaux en bon état, sur une montagne avec de l’herbe en abondance, etc., que garder un petit troupeau en mauvais état, une ressource déficiente, perpétuellement sous la pluie et avec des patrons cons... J’insiste sur cette dimension parce que l’imaginaire du berger est fait d’un tas de représentations bucoliques qui en font oublier que c’est un travail. Ce qui est indéniablement plus facile ici, c’est qu’il n’y a pas de dénivelé. Et puis je peux ne voir personne de la journée, même si ça n’est pas vrai pour tout le monde : j’ai une collègue, elle aussi sur le Plateau, qui garde une bonne partie de l’été au milieu des touristes. Pour nommer une difficulté propre au territoire : on garde dans un espace peu peuplé mais pas désert non plus. Les brebis ont vite fait de « sortir », s’échapper, tu ne peux pas te permettre de garder de loin à la jumelle et laisser partir un lot de brebis en te disant que tu vas les retrouver « là-bas » dans deux jours. « Là-bas » c’est dans 10 minutes et c’est sur une route, un pré de fauche, un jardin ou la place d’un village.
Cinq ou six... Là je parle bien de la condition de berger salarié. Sinon, il y a quelques éleveurs qui gardent parfois mais c’est rare tout de même ici. À ma connaissance, mais je n’ai pas étudié la question en profondeur, il n’y a pas cette culture dans le pays. Plusieurs personnes m’ont bien dit avoir gardé quand elles étaient gamines mais il ne s’agit pas pour moi d’une « culture de métier » avec ses mœurs, ses histoires, un vocabulaire et… la condition salariale. On gardait les quelques animaux de l’exploitation familiale, éventuellement de celles du village mais « à la journée » et tout le monde – animaux et « berger » - rentrait chez soi le soir et je ne pense pas qu’on payait quelqu’un pour faire ça. D’ailleurs s’il y a eu quelques groupements pastoraux ces dernières années et cinq ou six estives, je ne crois pas qu’il y ait de convention collective, d’association ou de syndicat de berger sur la Montagne limousine.
Il y a une dimension culturelle indéniable : il faut en avoir l’idée, savoir que c’est possible, constater que les voisins le font et que ça marche. J’ai travaillé il y a peu chez un jeune éleveur du pays sortant de l’école pour qui seule l’herbe poussée dans une prairie était une ressource, quelqu’un qui n’avait jamais entendu parler de pastoralisme. Il est notable que les néo-ruraux (j’entends ici des gens qui se sont installés en tant qu’éleveurs sans être héritiers d’une exploitation familiale) soient sur-représentés dans les groupement pastoraux. Il y a probablement des valeurs environnementales qui se déploient aussi dans l’élevage comme dans le reste de la société mais je crois que ce sont surtout des considérations économiques qui feront ou pas se développer le pastoralisme ici. Les étés plus secs amènent déjà les éleveurs à trouver des ressources alimentaires qui étaient négligées ces dernières décennies. Mais surtout, il ne faut pas oublier que l’agriculture est très dépendante des choix des pouvoirs publics en termes d’aménagement du territoire, d’environnement ou de productivité alimentaire. En l’occurrence, concernant précisément les estives, les éleveurs vont chercher de l’herbe mais aussi des subventions environnementales ! Et les salaires des bergers et bergères sont depuis peu (ça a été le travail de l’association pastorale de la montagne limousine, APML) largement subventionnés…