La Cimade (Comité Inter Mouvements Auprès Des Evacués) est née en 1939, en soutien aux Alsaciens et Lorrains évacués et déplacés dans le sud-ouest de la France du fait des menaces d’invasion. Après l’armistice, les étrangers « indésirables » (dont ceux qui avaient fui les nazis), sont internés dans des camps dans des conditions épouvantables. La Cimade s’installe à leurs côtés, en commençant par s’imposer dans le camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) initialement destiné aux Républicains espagnols. D’autres camps suivront.
Cette décision résulte d’une réflexion qui agitait les églises protestantes allemandes depuis 1934 quand un certain nombre de pasteurs, autour de Martin Niemöller, Karl Barth ou Dietrich Bonhoeffer, ont refusé de prêter allégeance au Reich. Ils créent l’« Église confessante » contre la décision d’Hitler de fusionner les églises protestantes dans une grande Église protestante du Reich sous contrôle nazi. La déclaration de Barnem qu’ils publient, affirme l’obligation de s’opposer à l’idéologie nazie et l’antisémitisme, et pose la priorité de se situer auprès des « souffrants, des menacés et des méprisés ». Les membres de l’Église confessante seront persécutés et Niemöller passera 8 ans en camp de concentration.
L’internement des étrangers et les lois antijuives amènent les protestants français à prendre position en s’inspirant de la déclaration de Barnem. En 1941 une quinzaine de personnalités rédigent les « thèses de Pomeyrol ». Ce texte, de résistance à toute influence totalitaire, pose les rapports de l’Église et de l’État, les limites de l’obéissance à ce dernier, la dénonciation de l’antisémitisme et la condamnation de la collaboration. Parmi les personnalités ayant rédigé ce texte : Madeleine Barot et Geneviève de Dietrich, fondatrices de la Cimade.
En 1942 avec l’invasion de la zone dite libre débutent l’internement et la déportation des juifs. La Cimade va dépasser la simple présence auprès des internés et entrer en résistance, pour faire évader les juifs, les cacher, les faire passer en Suisse. Elle s’honore de ces actes de désobéissance civile !
Parmi les grandes heures de la Cimade, sa présence pendant la guerre d’Algérie tant auprès des populations civiles déplacées de force et démunies en Algérie, que des populations immigrées persécutées en France, sa dénonciation de la torture et ses prises de position contre le colonialisme.
Jusqu’à ce jour la Cimade défend les droits et l’accès aux droits des personnes étrangères. Elle témoigne et agit contre les discriminations qu’elles subissent, est présente dans les lieux d’enfermement : prison et centres de rétention et témoigne de ce qui s’y passe. Elle est également présente auprès des sans-papiers, des refoulés aux frontières et lutte contre les abus subis par les personnes étrangères. Elle intervient dans l’espace public par des déclarations, des manifestes, des plaidoyers, mais aussi des actions de rue. Elle collabore avec des associations à l’étranger qui partagent ses valeurs. Devenue au fil des ans une association laïque, la Cimade reste marquée par ses prémices et revendique toujours le primat des droits humains sur la raison d’État, au prix si nécessaire de la désobéissance civile (à l’exclusion de la violence).
Au-delà des graves questions posées par la criminalisation du « séparatisme », avec la loi confortant les principes républicains et le contrôle des associations par la signature d’un « contrat d’engagement républicain », il faut s’interroger sur la compatibilité de cette loi avec les thèses de Pomeyrol. La signature d’un tel contrat rappelle l’obligation d’allégeance imposée aux églises allemandes en 1934. Si les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine, indépendamment de sa religion, sa nationalité, ses opinions, etc., sont bien évidemment défendus par la Cimade, la notion de respect de l’ordre public est floue et ambiguë. À partir de quand une action revendicative menace-t-elle l’ordre public ? La Cimade, cette vieille dame indigne au passé prestigieux, sera-t-elle un jour accusée de séparatisme ?
Dominique Weber-Alasseur