En ces temps de désordres provoqués par la pandémie de Covid 19 et de ses « variants », il est difficile de se poser des questions qui risquent de vous faire accuser de « complotisme ». Malgré la foi universelle dans les miracles de la technoscience, on est pourtant bien obligé de constater aujourd’hui une situation inquiétante pour l’avenir de l’humanité... Cela est vrai pour la pandémie comme pour le réchauffement climatique. Faut-il d’ailleurs rappeler que ces deux questions, bien que distinctes apparemment, sont étroitement liées et qu’elles représentent à ce titre un défi que l’humanité n’a jamais connu depuis ses origines.
L’humanité doit faire face à ce que le « Progrès » semble lui avoir fait oublier : sa condition éternelle dépendante de la toute puissance de la nature. Il y a là un constat dérangeant pour notre culture historique héritée des Lumières qui a convaincu l’homme moderne qu’il avait définitivement vaincu la Nature grâce à la puissance des moyens inventés par la Révolution industrielle.
Quand je parle de nature, je pense autant à celle qui nous entoure avec ses cours d’eau et sa faune, qu’à notre condition terrestre animale exposée à la souffrance et à la mort. Il semble qu’on ait oublié la sagesse humaine proclamée jadis par le philosophe anglais Francis Bacon pour qui, avant de dominer la nature, il fallait d’abord apprendre à lui obéir. Une vérité aujourd’hui impossible à faire enregistrer par nos plus « grands esprits » ! La découverte récente des conséquences écologiques de nos activités illustre parfaitement cette vieille vérité née de l’expérience millénaire de notre relation à la nature dont malheureusement nous n’avons pas voulu tenir compte. L’irruption mondiale de l’épidémie de Covid a mis à mal notre croyance un peu folle dans la toute puissance de nos moyens d’intervention dont fait partie la médecine moderne.
C’est ainsi que nous vivons depuis un an en Europe un confinement des populations censé nous protéger les uns les autres de tout risque de contamination. Un choix politique censé faire reculer la maladie mais qui interdit toute forme de vie sociale et économique. Le paradoxe fait que pour survivre, on nous empêche de vivre ! Ce régime qu’on pourrait qualifier de dictature sanitaire repose sur le postulat de l’efficacité des mesures contraignantes. Après un an de ce régime, l’apparition des variants fait cependant naître un doute. On peut se demander si les progrès scientifiques épidémiologiques ne se heurtent pas à la complexité du réel organique et à l’absence de retour d’expérience relative à l’ampleur de cette pandémie. Il y a là un questionnement qui renvoie aux origines de la démarche scientifique, surtout si l’on pense aux causes environnementales de l’apparition du virus.
Ici se situe le lien avec les causes environnementales des désordres climatiques. Selon les spécialistes, ce sont les déboisements massifs sur la planète qui ont sans doute libéré de tels virus tout en limitant l’absorption du CO2 par les forêts. Il y a là un exemple particulièrement éclairant d’impuissance à maîtriser le réchauffement climatique malgré le flot de discours officiels tenus lors des sommets consacrés à la question. Tout le monde peut le constater : les engagements pris par les États les plus pollueurs lors des diverses COP n’empêchent nullement le réchauffement inexorable de la planète. L’impuissance politique est ici manifeste.
Cette impuissance est à mon avis un signe symbolique de la toute puissance de la nature dont le commun des mortels ne veut pas entendre parler ! Le deuxième facteur liant la pandémie au réchauffement climatique réside dans le fait paradoxal que toutes les mesures destinées à lutter contre la maladie contribuent largement à l’expansion du numérique qui favorise un « monde sans contact » où l’usage d’internet se généralise. Outre la déshumanisation radicale que cela crée, il est évident, comme le démontrent très bien Gérard Dubey et Alain Gras (dans La servitude électrique : du rêve de liberté à la prison numérique, éditions du Seuil, 2021) que cela contribue à la croissance de la consommation d’énergie qui est à l’origine du réchauffement climatique. Il n’y a même plus le souci de lutter contre ce dernier puisqu’au contraire on encourage les processus destructeurs en cours. Ceci étant dit, il faut aussi reconnaître que le grave impact économique du confinement a eu des conséquences sur le taux de croissance des pays les plus développés, ce qui ne peut que contribuer à faire baisser, au moins temporairement, le réchauffement. Comme quoi il existe une certaine ambivalence des liens existant entre les deux formes de désordre...
Si l’on réfléchit à ces deux formes d’impuissance anthropologique, on s’aperçoit qu’elle nous renvoient toutes les deux à nos responsabilités fondées sur ce que Günther Anders appelait l’esprit prométhéen de l’homme moderne qui est la vraie cause de la situation tragique à laquelle nous devons faire face. C’est pourquoi la seule réponse est celle d’une vraie révolution anthropologique destinée à faire comprendre que la direction à prendre, c’est de renoncer à notre aveuglement prométhéen.
Simon Charbonneau