UN ARTISTE, UNE OEUVRE, UNE ASSOCIATION
La meilleure manière de présenter l’artiste est de lui laisser la parole : « Si j’en crois ce que j’entends de moi, lorsqu’on qualifie mon travail d’artiste, je serais un type qui croit en ses ressentis sans chercher à les qualifier, porté par des aspirations qui le dépassent. C’est de l’ordre du subtil, d’avantage que du pragmatisme. Que l’on maîtrise ou non une technique, je pense qu’être artiste repose sur une façon de voir et de participer au monde. Un balayeur, que j’ai moi-même été à Paris, peut devenir un véritable virtuose du balai. Pratiquer avec art, c’est pratiquer avec amour. Une des raisons qui me faisait aimer le dessin est que pendant ce temps-là, on me foutait la paix. J’ai eu de bonnes raisons depuis toujours d’avoir envie de m’extirper de ce monde que je qualifiais de fou. Dès que je me suis rendu compte qu’un crayon pouvait faire des trucs, je me suis mis à en faire. Je pourrais aujourd’hui appeler ça du gribouillage. Et puis ma grand-mère m’a appris à dessiner Laurel & Hardy, l’un gros qui souriait et l’autre maigrichon qui chialait ; j’étais scotché et en plus que ça me faisait marrer. Aujourd’hui, après avoir vu naître et pratiquer les techniques digitales, je reviens à mes plumes, crayons et aquarelles. J’ai beaucoup de plaisir à ne pas être le seul à revenir aux fondamentaux. Beaucoup de jeunes artistes excellent et nous en mettent plein la vue. Les techniques de gravures m’intéressent aussi beaucoup ces derniers temps. »
« La bande dessinée m’a intéressé au début, mais quel boulot ! Quand je vois des potes y passer de 6 mois à un an, voire deux ans non-stop par album, cela me paraît incompatible avec certaines contraintes d’ordre matériel ; il aurait fallu que je cumule avec un gagne-pain. J’ai tenté, lors une brève période, l’animation, autre art narratif, en bossant sur le tableau, un film de Jean-François Laguionie. Mais pareil, quel boulot ! Niveau projets, je me focalise sur ce qui m’empêche justement d’en mener à bien. Je construis un hangar-atelier, non raccordé, au milieu d’un jardin qui me nourrira pour autant que j’aurai du plaisir à m’en occuper. Avant de poursuivre quoi que ce soit, il est important de faire le ménage et de bien s’installer. Plus de facture, plus de lien avec un quelconque réseau qui va me demander des comptes tous les quatre matins et m’imposer tout un tas de normes, ce qui m’obligerait à occuper mon temps à faire des boulots à la con payés 8 euros de l’heure pour payer mes factures mensuelles... S’adonner à l’art, vivre de l’art, c’est entrer dans un espace-temps totalement incompatible avec celui qu’on nous impose. Quand je serai dans mon cabanon, je ressortirai mes crayons. En attendant, je continue de répondre à des commandes pour me payer le reste de ce dont j’ai besoin pour quitter l’Internet et tout ce bazar. »
Celui que vous connaissez tous pour le découvrir à chaque détour de page d’IPNS est devenu une sorte d’emblème du journal. Il est né d’une phrase méprisante d’un (ancien) élu local pour qui l’insulte était une arme facile. Depuis 2014, l’image s’est retournée contre ce petit seigneur féodal. Le blaireau qu’il évoquait était celui « du Plateau », le plouc, le personnage antipathique, borné et mesquin. Pour IPNS, l’animal est aujourd’hui incontournable, comme une mascotte. Michel Bernard - notre graphiste - est son père (voilà, c’est dit), Philippe n’a fait que l’enfanter, non sans douleur, croyez-le (« plus jamais ça » lâche-t-il). Comme tous les deux sont un brin joueurs, ils ont joué et le blaireau est né. Philippe se trouve « parfois un peu feignasse » : pour la petite histoire, Blaireau est la transformation d’un personnage imaginé en 1978 par Philippe avec lequel il
« n’avait pas fait grand’chose ». À l’origine c’était une souris. De la souris, il ne reste finalement quasiment rien. Qu’il soit tracé par Michel Bernard, notre graphiste, qui eut l’idée de s’en saisir, ou par Philippe, le blaireau résume merveilleusement bien des situations, en quelques traits, par ses mimiques, ses attitudes, ses phrases. On attend les œuvres complètes avec impatience.
IPNS est une association dont tous les acteurs sont bénévoles. Le journal va fêter ses 20 ans et déjà pas mal de contributeurs y ont écrit, y sont passés, s’en sont éloignés de manière et pour des raisons diverses. Mais en fait, IPNS restera plutôt l’association de ses lecteurs (un certain nombre se manifestent régulièrement, souvent de façon sympathique mais pas toujours !). Philippe est une pièce maîtresse de ce château de cartes militant qu’est IPNS : « Je continuerai volontiers à participer à IPNS, mais d’avantage pour illustrer des fiches pratiques, plutôt que des articles politiques ou simplement d’opinion. J’avoue que ça me lasse un peu tout ça : les idéologies, la politique, que le boulanger soit cocu..., tous ces sujets dont on devrait se contenter de débattre, appuyé au comptoir d’un bar, en se payant des tournées jusqu’à plus d’heure ». Cela me fait penser à La Fontaine qui utilisait l’animal pour caricaturer les humains. Le blaireau, c’est un peu ça, non ? Les autres activités de Philippe restent généralement solitaires, et pas uniquement pour le plaisir (il dit ça pour les esprits mal placés). Philippe reconnaît ne pas avoir un caractère militant ou collectif, et « peut-être même pas très social (ble ?) quand j’y repense ». Sur les photos de colonie de vacances, il est toujours celui qui se cache derrière. Et ceci bien qu’ayant souvent rejoint des initiatives regroupant bon nombre de personnes. Cela vient sans doute du fait qu’il s’est toujours investi pour des projets communs, avant même de s’occuper de sa petite personne : « En vieillissant, je m’aperçois que ce serait bien si j’arrivais à avoir mon petit cabanon où je pourrais stocker mes nouilles sans que quelqu’un vienne me les briser, mes nouilles ». « Blaireau un jour, blaireau toujours » : ce sera le mot de la fin pour Philippe, et le nôtre aussi.
Michel Patinaud