Il en ressort une liste à la Prévert aussi poétique qu'essentielle et finalement cohérente : tout à la fois une part de rêve, de paillettes, de chez-soi, de projet politique, de possibilité de concilier artistique, festif et social, un espoir de transformation sur laquelle on aurait prise, un outil pour les habitants du territoire... qui disparaît. Nous ressentons communément que ce projet n’a pas d’équivalent, que son identité était à bien des égards unique en son genre.
Nous savons bien que partout déjà surgissent des nouvelles pousses de folies, des envies de s’ensauvager à long terme, des idées pour s’encanailler loin des sentiers battus. Et nous nous en réjouissons.
Les raisons qui nous ont poussés à arrêter sont bien sûr multiples, bien des histoires s’enchevêtrent aux niveaux local et national, des histoires interpersonnelles et des manques d’énergie, des difficultés à enraciner de nouveaux membres sur le long terme, une crise Covid et des partenariats qui s’effritent… Difficile d’énoncer « les raisons » de notre arrêt. Des décisions très politiques toutefois nous ont mis des gros bâtons dans les roues…
2017 et l’arrivée du nouveau président de la république a été un coup dur pour nous : la fin des emplois aidés nous a coupées dans notre élan de préfiguration de centre social. Malgré le soutien indéfectible de la CAF de la Creuse, l’association, alors en plein essor, a dû renoncer à renouveler les contrats de ses deux salariées. Recherche d’un nouveau fonctionnement interne, tentative d’ouvrir le CA... une période de « flottement » jusqu’à l’arrivée du Covid qui n’a bien sûr rien arrangé. Puis l’entrée en vigueur de la loi séparatisme avec son « contrat d’engagement républicain » gravé dans le marbre a rendu visible le mécanisme jusqu'alors souterrain qui vise le monde associatif comme un espace de contre-pouvoir dangereux. Au même titre que plusieurs autres associations locales, la relation devient ubuesque avec les institutions, menant au blocage. Comme l’impression que de vouloir vivre, construire et penser en dehors de la macronie était désormais un délit.
Manifestement, promouvoir le rapprochement social, des pensées complexes et une pluralité de modèles de vie hors des sentiers de la marche libérale n'est plus au goût du jour. Lorsque la troisième résidence longue, soutenue par la DRAC, sur le thème « Faire ressurgir le beau » est bloquée en préfecture de Région, c'est le pompon et le dernier coût de poignard. Tout est dit. Et tout se confirme depuis... Faire ressurgir le beau n'est pas dans les lignes du projet national.
Le temps d'une recherche pour un vivre ensemble plus malin est loin. L'ingéniosité devra se travailler ailleurs, hors des protocoles consentis. Retour en anormalité pour chacun·e d'entre nous.
Le Constance social club c'était bien sûr les deux grands rendez-vous annuels de la fabrique du 1er mai et du Carnaval sauvage, un travail de réseau et de soutien social souterrain bien moins connu, et surtout des idées farfelues et atypiques qui resteront dans l'histoire comme pourvoyeuses de sourires et d'estime de soi : le Jovial Coiffure, le club de rire, les majorettes, les soirées chansons autour du piano, des animations d'une ingéniosité rare : le scrabble géant où chaque personne du public était porteuse d'une lettre de l'alphabet (palme de la meilleure animation d'intégration lors d'une soirée co-organisée avec les CADA), sans oublier en vrac : la construction de bacs à fleurs qui peuplent encore le village, le débroussaillage sans fin du jardin mis à disposition par l'Arban près de Tom Pousse où un verger, des poules et de nombreuses animations et représentations ont fleuri, de nombreuses expositions chez Constance, au Brin de zinc, à la Mairie, dans les médiathèques ou aux fenêtres des habitants et des commerces du bourg, des ateliers à destination des enfants et des familles à l'école, avec Cadet Roussel ou au Constance, des lotos fleuris, des karaokés géants, un dimanche à l'accordéon dans la salle des fêtes, une lecture poétique accompagnée de musique improvisée dans le hall de l'école, des battles de DJ, des concerts de très très jeunes talents, un cabaret débat politique avec Bernard Friot, des banquets gigantesques dans la cour de l'école, des soirées pop-corn-tchache ou soirées film débat, des marchés du livre de Noël parfois couplés avec des compétitions nationales de lancer de bûche, des matchs de blagues drôles, des concours de pull moche, l'accueil du réseau des Cafés culturels et associatifs et la participation à l'impulsion d'un réseau Limousin, des ateliers tango, du théâtre d'ombres, la distribution de Pass Culture et de Pass associatif, de l'information courante sur les bons plans, des ateliers de fabrication de badges, des performances poétiques, par exemple dans le cadre de Folie les mots, des tables rondes radiophoniques, des bibliothèques à thèmes à de multiples occasions, des concerts de chantiers, les « goguettes » écrites et interprétées localement, « à poil les papas » pour inciter à aller à la piscine ! Des ateliers de découverte de la sérigraphie, de la vannerie, de l'impression en typo, de gravure, de création de masques et de costumes, de couture, de dessin, de chanson, d'écriture poétique, d'improvisation musicale, de fabrication de bière, de cuisine végane, de fabrication de biscuits, de photographie et de développement, de réparation de vélos, de batucada, tampon en gomme, collages pour carte postale, pompon fleuri en papiers, loopers, mandala, des siestes musicotées, une programmation culturelle et musicale dont il est impossible de faire état : des résidences de musique à l'occasion du carnaval sauvage en partenariat avec Toutazimut, l'accueil du Vlad tour, du projet « des arts, des ânes et des hommes » et d'arts plastiques comme celle de Pascale Ben, d'Anna Gianferrari avec les célébrations de pleine lune, celle de Julie Jardel autour de l'enterrement du patriarcat, comme celle de Géraldine Stringer pour « Faire ressurgir le beau »…
Mais aussi l'aide à la structuration et le soutien à des initiatives portées par des tiers : le théâtre pour les enfants et les ados, l'école de la forêt, l'éveil musical pour les tout petits, les ateliers beat box, etc... Une banque de matériel de prêt pour soutenir les initiatives des copaines : gobelets écocup, tables, chaises, batterie de cuisines et de service…
Nous avons souhaité incarner une manière de vivre ensemble autant que faire se peut joyeuse et décalée, une usine à anecdotes loufoques qui ont enraciné l'esprit du social club : la distribution de graines de fleurs dans les boîtes aux lettres, l'attribution de costumes variés au pouti de la Fontaine de Faux-la-Montagne, Le punch "Béton" mythique au gingembre avec ou sans alcool... parfois servi à la bétonnière, des toboggans sans fin à balles de golf, la customisation du mur d'affichage sauvage de l'autre côté de la rue, notamment avec les coloriages géants (marque de fabrique des affiches du 1er mai), les barbeuks géants du 1er mai, un rendez-vous toujours loufoque et féministe pour la Saint Valentin ou la journée de la lutte des femmes... (atelier typographie, fée carabine, émission radiophonique de dédicaces et de conseils émotionnels...), une commission rhum arrangé qui a expérimenté pendant des années les meilleures recettes traditionnelles ou locales, des cartes postales du carnaval sauvage qui encore aujourd'hui s'exportent… L'ouvrage magnifique de Portraits réalisé à l'initiative de Lætitia Carton et avec le concours d’Edmond Baudouin, réunissant des portraits d'habitants de Faux-la-Montagne.
Et donc la partie invisible de l'iceberg, un travail de fond de coordination sur les questions sociales et familiales : un groupe de parole sur les burn out dans les structures non hiérarchiques avec l'ARACT, groupe de travail sur les questions employeuses, le portage d'une référente famille avec un travail de fond sur une réflexion globale et une coordination des actions familles sur le territoire. Des projections pour enfants en parallèle de projections pour adultes en direction des familles, le safari des familles, de nombreux évènements autour des questions féministes au sens très large : une soirée sur le thème des nullipares, un atelier de création d'affiches à destination des lieux organisateurs de soirées concernant la prévention des risques sexistes avec Alouette Machine, un groupe de travail inter-structures autour de ces questions, un week-end à soi avec des arpentages, projections et des badges à destination des serveuses et serveurs. Une commission bistrot d'échange de pratiques sur la fonction de barman-maid ! des formations internes et en direction de nos partenaires réguliers, et beaucoup beaucoup beaucoup de frites et de repas délicieux…
Ça nous attriste de fermer la boutique, mais ça nous soulage aussi. Nous retrouverons alors de l’énergie pour réinventer ou participer individuellement à toutes sortes de propositions qui sauront donner vie à de la bordélisation joyeuse, de la créativité sans bornes, des soulèvements salvateurs, de l’organisation collective pour la réappropriation de nos modes de vie.
C’était con, c’était intense, c’était Constance.