En juillet 2022, les incendies qui ont ravagé les forêts de la Nouvelle Aquitaine, en particulier à La Teste-de-Buch, ont permis à la presse de raviver un terme, celui de « forêt usagère » ; dénomination qui recouvre des droits populaires régulièrement remis en cause par ceux qui se sont appropriés certains espaces forestiers. La forêt usagère permet en effet de jouir d’avantages, tels que le droit de pâturage, le droit au bois de chauffage, de même qu’au bois de construction. Sans doute, il n’y aurait qu’un pas à franchir pour reconnaître dans ce vieil usage comme des vestiges largement oubliés : en Angleterre, une Charte des forêts adoptée en 1225, formalisait le droit coutumier des paysans sans terres à l’accès aux forêts communales pour assurer la couverture de leurs besoins ; il s’agissait des commons.
« ‘‘Les communs’’ et leurs impasses », c’est un chapitre du livre de Charles Reeve : Le Socialisme sauvage qui rappelle qu’aux origines du capitalisme, en Angleterre, « à partir du XVIIe siècle, les commons, les terres et autres biens fonciers communs, ont subi l’accaparement des propiétaires privés par leur mise en clôture : le mouvement des enclosures ». « Aujourd’hui, pour certains auteurs et activistes, le concept de communs réunit, bien au-delà des traces extrêmement minces d’un passé communal qui subsiste, toutes sortes d’activités et de solidarité alternatives, de règles d’organisation et d’exploitation de ces ‘‘ressources communes’’, allant des coopératives de production et de consommation à la sphère des logiciels libres et aux jardins partagés, initiatives qui, installées dans les interstices du système capitaliste, cherchent à échapper à la cruauté de l’économie néolibérale. » Si ces pratiques « font un contrepoids au discours prônant l’insurrection », « elles représentent peu et ne dérangent en rien l’économie du profit », écrit Charles Reeve.
Les communs existent depuis la nuit des temps. C’est ce que nous expose Édouard Jourdain dans son petit livre, Les Communs, qui a l’ambition de cerner en ses multiples configurations une démarche sociale d’une grande complexité. C’est ainsi qu’au début de son travail il cite :
Avec l’introduction d’un droit administratif, la capture des communs par l’État s’aggrave. Et, « parce qu’elle est propriétaire, l’administration peut procéder au déclassement de ce bien [commun] et le désaffecter pour l’aliéner, d’où la possibilité des privatisations ». Quant au droit social qui s’amorce, « il s’agit, d’une part, de concevoir le droit comme émanation de collectifs qui se différencient du législateur et, d’autre part, de montrer de manière empirique le droit en train de se faire à l’ombre de l’État et du marché ». Un droit qui dirait que les biens communs – écosystèmes, milieux de vie, zones écologiquement sensibles, mers, etc. – doivent « être protégés exactement comme le sont les sujets de droit ».
« Le droit, du fait de sa dimension relationnelle, se pose alors contre toute forme d’absolutisme propriétaire ou étatique... », ce qui débouche sur un droit des communs avec ses règles permettant de concevoir une « démocratie davantage participative ». « De nombreuses règles ne sont pas écrites et de nombreuses ‘‘lois’’ écrites ne sont pas suivies. » Et si l’on en revient à la coutume ouvrière, on constate que les Bourses du travail, les syndicats, les coopératives et les mutuelles, plus que des organismes destinés à améliorer le sort des travailleurs, constituent des « écoles de coopération et d’autogestion qui préfigurent le monde à venir ».
Pour le libertaire Landauer (Gustav Landauer, un anarchiste de l’envers), « l’anarchie n’appartient pas à l’avenir, mais au présent ; elle n’est pas affaire de revendications, mais affaire de vie ». Il s’agissait pour lui de mettre en œuvre, « présentement, des espaces de vie », des « espaces soustraits au pouvoir et dans lesquels il soit possible de créer une réalité tendant vers l’anarchie, et de vivre le présent au plus près des valeurs anarchistes ». Tout simplement, au quotidien, Landauer souhaitait « ardemment que l’on se rassemble, que l’on œuvre en faveur du socialisme municipal, en faveur de colonies coopératives, de coopératives de consommation ou d’habitation ; que l’on crée des jardins et des bibliothèques publics, que l’on quitte les villes, que l’on travaille avec des bêches et des pelles, que l’on réduise sa vie matérielle à l’essentiel afin de gagner de l’espace pour le luxe de l’esprit » ; à l’exemple de l’expérience de Monte Verità dans le Tessin, en Suisse. Sans doute ce programme négligeait-il la force de récupération et du capitalisme et de l’État. Landauer écrivait encore : « Seul le présent est réel, et ce que les hommes ne font pas maintenant, ne commencent pas à faire dans l’instant, ils ne le font jamais, de toute éternité. » (« La colonie », Der Sozialist, 1910.).
L’actualité a répondu à cet encouragement ; il y a peu lors du combat de Notre-Dame-des-Landes. Aujourd’hui, des mouvements sociaux ont entrepris de mener des actions offensives de désobéissance civile et de sabotage. Les Soulèvements de la terre appellent à reprendre des terres contre l’artificialisation, l’accaparement et l’extension de l’agro-industrie qui épuisent les sols et les ressources, tandis que l’Atelier paysan revendique des mesures pour freiner la compétition destructrice sur les prix avec la volonté de socialiser l’alimentation.
André Bernard