L'étude qui vient d'être publiée, « Exode Urbain, un mythe, des réalités », tente de rendre compte de l'effet COVID en travaillant sur des indicateurs de court terme. Elle s'appuie sur des sources différentes de celles de l'Insee. Ces recherches se sont faites à partir de données de plates-formes numériques d'agences immobilières, plus spécifiquement avec « Le Bon coin » (ont été analysés les comportements des internautes en matière d'intention de changement de domicile), de l'analyse des transferts de courrier de la poste (données fournies par La Poste) et enfin d'études qualitatives menées sur le terrain.
Cinq phénomènes, largement préexistants à la crise COVID sont toujours là :
En terme de flux, c'est donc la métropolisation qui reste massivement le phénomène le plus remarquable.
La conclusion de l'étude est de dire qu'il n'y a pas de grosses ruptures dans les mouvements observés avant et après COVID, juste quelques points (pourcentage) de différences pouvant donner une petite impression de renforcement de tendance... comme certains territoires, dans le cœur du Massif Central ou de la Nouvelle Aquitaine qui connaissent ici, (tiens ! tiens !), une plus forte variation positive de leur solde migratoire après COVID. La tendance d'exode urbain se poursuit néanmoins, lentement.
Si l'exode rural a été chez nous une réalité sur plus de 100 ans, l'exode urbain lui, a commencé dès les années 1970. Ce sont des mouvements démographiques qui s'expriment sur le temps long.
Regardons de plus près.
Les extraits ci dessous du volet qualitatif de l'étude nous donne une idée de la grande diversité des profils, comme le souligne les auteurs.
Sous le soleil rien de nouveau : des retraités et pré-retraités toujours nombreux
Les retraités et pré-retraités sont présents comme nouveaux arrivants dans tous les territoires d’étude. Deux profils se dégagent : d’un côté, les retours au pays après une vie professionnelle en ville ; de l’autre, les personnes extérieures au territoire, en quête d’un cadre de vie de qualité et qui connaissent souvent la région pour y avoir passé des vacances. Ce type de territoire est marqué par une forte tension sur le marché du logement qui conduisent à un déficit de logements pour les résidents à l’année. La saisonnalité de leur présence induit aussi des difficultés à maintenir une offre de services continue. Cette catégorie de population est attentive à l’offre médicale et paramédicale (la présence de la pharmacie est cruciale), à l’accessibilité pour ses déplacements mais aussi dans la perspective de l’accueil des petits-enfants pendant les vacances scolaires. Nombreux, ils s’insèrent dans le tissu local et peuvent former des groupes mobilisés pour la défense de leur cadre de vie.
Ménages de professions intermédiaires et classes populaires stables.
Le moteur de la migration repose ici sur les prix du territoire de départ plus que sur le choix positif du territoire d’arrivée.
Néanmoins, la nature souvent contrainte du déménagement peut se retourner en sentiment d’amélioration des conditions de vie, lié notamment aux aménités des territoires d’accueil. La crise sanitaire a accéléré ces déménagements, même s’ils peuvent être d’abord liés à des crises familiales ou professionnelles (maladies, ruptures familiales, burn-outs, problèmes scolaires des enfants), ce qui invite à croiser trajectoires micro et contextes macro pour comprendre les mobilités résidentielles actuelles.
Une recrudescence de familles de diplômés alliant télétravail et reconversionprofessionnelle
Ces reconversions concernent des projets d’autoentreprise de service (consultant, coaching personnel, bien-être etc.), d’artisanat (bijouterie, menuiserie, boulangerie, etc.), de maraîchage ou de cultures à haute valeur ajoutée (plantes aromatiques par exemple). Ces profils ont pour particularité de passer l’essentiel de leur temps dans le territoire d’installation. Parfois très diplômés ils ont souvent des origines rurales et montrent de fortes préoccupations écologiques, qui peuvent les conduire à un fonctionnement en réseau (lieux d’approvisionnement, canaux institutionnels de soutien aux travaux ou aux activités professionnelles, réseaux sociaux plus ou moins militants…). Ils alimentent en même temps un imaginaire de « transition rurale » par leur présence, leurs pratiques écologiques en matière d’habitat, mais aussi par leurs projets professionnels et leur investissement multiforme dans le territoire (cafés associatifs, épiceries coopératives, offre culturelle, réseaux militants et/ou festifs, etc.)
Marginaux et population à la précarité plus ou moins choisie en quête d’un mode de vie alternatif
Pour certains, c’est la combinaison des conditions de (sur)vie dans les grandes métropoles (difficulté d’accès au logement et à l’emploi) et de la montée en puissance de la problématique de l’effondrement qui les pousse à choisir une forme de marginalité. Ils cherchent alors des formes d’autonomie dans une économie de survie : autonomie énergétique, alimentaire, en eau... D’où la
recherche de territoires non seulement structurés par des liens d’entraide, mais aussi relativement cachés, à l’écart des axes de communication, et dotés de ressources naturelles (cours d’eau, terres cultivables, fruitiers), où peuvent se développer des formes d’habitat léger (auto-construction, « tiny houses », voire yourtes ou camions). Leur nombre aurait augmenté depuis le confinement, d’après les acteurs locaux. Pour d’autres, il s’agit d’une marginalisation davantage subie (mais il existe un continuum), correspondant à une éviction de longue durée du marché du travail et du marché du logement.
Il y a une grande diversité de destinations et l'étude pointe du doigt la nécessité d'avoir une approche fine de ce qui se passe sur chaque territoire tant les situations sont multiples.
Mais l'échelle est trop réduite pour que nous ayons des résultats commune par commune. Il faudra attendre les résultats de l'INSEE, fin 2023, pour gratter plus finement.
Ce que l'on peut dire, c'est que la tendance se confirme, que même si les flux vers le monde rural peu dense restent faibles, ils progressent néanmoins, et ce phénomène date de bien avant COVID, ce dernier les accélère juste un tout petit peu. Car si la lecture du rapport dégonfle la baudruche médiatisée d'un exode urbain brusque et massif, elle suscite des questions. Par exemple, « petits flux, grands effets ? ». Dix mille habitants qui quittent une ville qui en compte cinq cent mille, a relativement peu d'impact sur cette dernière...dix familles qui arrivent sur une de nos communes de 200 habitants, ce n'est pas la même chose. Loin de moi l'idée d'agiter un chiffon rouge, de fantasmer sur un tsunami ou un grand remplacement délirant quelconque. Bien au contraire, cela fait suffisamment de temps qu'on se lamente sur la désertification de nos territoires pour se réjouir de ce renversement de tendance. L'objectif est donc d'anticiper pour mieux accueillir.
Par exemple, éviter la spéculation foncière ou immobilière, grâce à l'acquisition de réserves foncières communales... Réfléchir à l'état des réseaux (eaux, assainissement, électricité, fibre...), des services, intégrer le changement climatique et paysager, comprendre les évolutions sociétales en cours... en gros mesurer les défis à relever. Rien ne nous empêche donc, au sein des conseils municipaux, du PNR, dans nos instances de Com-com, du syndicat de la Montagne ou ailleurs encore, de nous interroger sur les questions que posent ces « signaux faibles » de mouvements de population pour imaginer sereinement les réponses à donner, les conduites à tenir.
Olivier Davigo