Le 30 avril 2025, le Conseil Régional de l’Ordre des Pharmaciens de Nouvelle Aquitaine (CROP-NA) a prononcé à notre encontre la sanction de 6 mois d’interdiction d’exercer dont 4 avec sursis, pour avoir pratiqué la dispensation à l’unité des médicaments hors cadre réglementaire. Cette décision intervient suite à la plainte du président du CROP-NA sur la seule base d’un article de presse et malgré un contexte de pénuries de médicaments, de scandales sanitaires récurrents et de crise écologique. Nous faisons appel de cette décision anachronique.
En 2019, nous mettons en place la dispensation à l’unité (DAU) dans notre officine pour faire face à la pénurie de dérivés de cortisone. Ces médicaments, fréquemment prescrits dans des pathologies bénignes, sont également essentiels dans la prise en charge de nombreuses pathologies graves (asthmes sévères, greffes, cancers...). Presque toujours, le nombre d’unités prescrites ne correspond pas au conditionnement industriel et nous mettons rigoureusement de côté les unités en trop pour les délivrer à d’autres patients sans les refacturer. À notre échelle, cette pratique permet d’éviter une rupture d’accès aux soins dans un territoire déjà sous tension. En 2020, nous participons à un projet de recherche-action autour de la mise en place de groupes de pratiques médecins-pharmaciens au sein de notre Maison de Santé Pluriprofessionnelle Universitaire. Cet outil introduit en Suisse en 1997, a pour objectif d’améliorer le bon usage du médicament au regard des recommandations internationales et des données actualisées de la science. A l’issue de ces travaux nous décidons collectivement de déployer la DAU des antibiotiques pour lutter contre l’antibiorésistance, une des plus grandes menaces sanitaires du XXIè siècle selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Nous élargissons ensuite la DAU à des médicaments à fort potentiel iatrogène, tels que les benzodiazépines (anxiolytiques et somnifères) et les antalgiques opioïdes, dont l’usage peut induire un phénomène de dépendance et qui sont également impliqués dans des scandales sanitaires majeurs, comme la crise des opioïdes ou les cas de soumission chimique.
Ce jugement nous paraît d’autant plus inique que les pratiques en question, bien que dépourvues de cadre légal à l’époque, trouvent aujourd’hui une légitimité croissante au regard des évolutions réglementaires, des orientations institutionnelles et de l’opinion publique. La sanction prononcée ne se contente pas d’être mal fondée : elle est aussi clairement disproportionnée au regard de la jurisprudence et de la faible gravité des faits reprochés. Il est fondamental de rappeler que le véritable danger ne réside pas dans la DAU elle-même mais, bien au contraire, dans les dérives qu’elle cherche à prévenir. Déjà mise en œuvre dans de nombreux pays, la DAU constitue une mesure de bon sens, à la croisée des enjeux de santé publique, d’écologie et de responsabilité économique. Nous sommes donc condamnés pour avoir mis en œuvre des pratiques de prévention en santé.
Plus la santé publique est dégradée, plus la santé financière des pharmacies prospère. En effet, dans ce système contre-productif, les maladies, la surconsommation et le gaspillage des médicaments sont profitables économiquement. Depuis que nous sommes étudiants, nous dénonçons ce paradoxe, symptôme d’une conception marchande de la santé héritée du siècle dernier. Ce constat provoque une véritable souffrance éthique et une perte de sens pour les travailleuses et les travailleurs de la pharmacie qui placent le soin au cœur du métier, et contribue à la crise d’attractivité que traverse nos professions : difficultés de recrutement, reconversions massives, démotivation des étudiants, fermetures de pharmacies. Globalement, nous estimons que le déni et l’inaction sont responsables de cette situation intolérable. Pour préserver notre dignité, nous avons refusé le statu quo et nous nous sommes engagés, en droit comme dans les faits, en faveur de la mise en œuvre d’innovations transformatrices ancrées dans un récit politique hétérodoxe.
Engagés pour l’accès aux soins sur la Montagne limousine, nous menons nos actions au sein du pôle de santé MilleSoins, où nous avons contribué à enrayer la désertification médicale et pharmaceutique. Bien qu’en sous-effectif, nous avons évité la fermeture de l’officine de Sornac et travaillons actuellement à la création d’une coopérative territoriale pharmaceutique. Ce projet vise à renforcer la résilience et la pérennité de notre organisation pluriprofessionnelle, en intégrant pleinement les apports de la pharmacie clinique dans la dynamique collective et le parcours de soin des patients. Grâce à l’accès sécurisé aux dossiers médicaux, nous optimisons la thérapeutique en coopération étroite avec les prescripteurs, partageant ainsi la responsabilité d’une prise en charge médicamenteuse plus pertinente, plus efficiente et mieux sécurisée. Par l’intermédiaire de notre association de recherche en soins primaires, P4pillon, nous explorons les transformations des pratiques de santé permises par l’innovation organisationnelle et un numérique responsable. Nous avons notamment prototypé un logiciel de gestion d’officine permettant de répartir de manière juste et transparente les produits de santé en fonction des besoins locaux. Parallèlement, nous portons des mandats au sein du mouvement AVECsanté, qui fédère les maisons de santé pluriprofessionnelles engagées pour une amélioration continue de la qualité des soins primaires, en lien étroit avec l’Assurance Maladie et France Assos Santé. Conscients de l’urgence écologique, nous contribuons également aux travaux du Shift Project et de l’Alliance Santé Planétaire, deux collectifs porteurs de prospectives soutenables dans le champ de la santé. En tant que pharmaciens “Gardiens des Poisons”, nous assumons pleinement notre responsabilité : œuvrer à la bifurcation du système de santé vers une économie sociale, solidaire et écologique, au service du bien commun et des populations les plus vulnérables. Notre pratique pionnière de la DAU s’est toujours inscrite dans cet engagement. C’est pourquoi nous allons faire appel de cette condamnation injuste et invitons toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans notre combat à nous soutenir en signant la pétition en ligne.