Le dernier livre de Gilles Clément est un peu fou ! Répondant à l'invitation d'un éditeur qui dans une collection intitulée la Sagesse d'un métier a déjà publié les méditations du bibliothécaire, du médecin et du potier, le jardinier creusois réserve une bien divertissante lecture à ceux qui apprécient sa pensée et seront curieux de l'accompagner dans une période où il oeuvre à une charte paysagère pour le pays de Vassivière.
Comme le Manifeste du Tiers paysage paru chez un autre éditeur (Sujet/Objet, Paris, 2004), sur lequel IPNS reviendra à l'automne, La Sagesse du jardinier fait référence à Vassivière. Né de l'observation des franges intermédiaires, des zones de friches et des déprises agricoles autour du lac, le "Tiers paysage" est le "refuge de la biodiversité", le "territoire du futur", bref, une richesse pour le Limousin !
À l'heure où certains renoncent à voir dans le Plateau de Millevaches un possible modèle à Mille Plateaux , Gilles Clément vient dire à sa manière, élégante et généreuse, que les idées les plus fertiles reposent peut-être dans les terreaux inexplorés.
Ce livre tient aussi de l'exercice d'admiration. Parmi ceux auxquels il rend hommage, Gilles Clément salue le biologiste Henri Laborit, l'écologiste René Dumont ou encore le botaniste Francis Hallé et son radeau des cimes, ce laboratoire gonflable posé sur la canopée gabonaise, comme si René Daumal avait pu vivre le merveilleux récit de son Mont analogue.
Le commissaire du Jardin planétaire, cette exposition avec laquelle, à la demande de la Grande Halle de La Villette, la France inaugura à Paris les célébrations de l'an 2000, rend un hommage également inspiré au botaniste Lamarck dont il présente le "transformisme" (sic) comme un antidote efficace aux tentations "évolutionnistes" des partisans du "libéralisme ambiant" !
Car Gilles Clément a des stratégies d'insecte, de reptile : jardiner est sans doute un plaisir, un moyen de subsistance, mais c'est aussi à l'évidence un leurre, une carapace pour avancer en terrain périlleux. Celui qui dit avoir "longtemps refusé l'improbable mariage entre nature et politique" sait aussi se montrer incisif et, toujours au sujet du "Tiers paysage", cite Sièyes et son pamphlet de janvier l 789 : "Qu'est-ce que le tiers état ? - Tout. - Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? - Rien. - Que demande-t-il ? - À devenir quelque chose".
Ceux-là également qui connaissent "l'hydre administrative" se délecteront à la lecture de l'emploi du temps du "concepteur", "humain parmi les humains", qui "se partage entre les réunions : téléphoniques, informatiques ou physiques pour lesquelles il dresse à chaque fois un compte rendu qui dupliqué au nombre des participants vient grossir la masse des dossiers dont pas une feuille ne doit disparaître au cours des dix années qui suivent ... ".
Mais pour le lecteur, le plus grand plaisir est encore de chercher chez l'artiste le point où sa pensée opère une mutation. Gilles Clément nous avait enseigné qu'il fallait "faire le plus possible avec la nature et le moins possible contre". À présent, l'idée émerge que le mieux serait peut-être de ne rien faire du tout. C'est là sans doute un principe difficile.
Le nirvana dit-on s'atteindrait ainsi : "vouloir ne pas vouloir". Le principe est-il applicable à l'aménagement des territoires ? On a atteint parfois le "rien" voire le "presque rien" par négligence. Le livre de Gilles Clément semble timidement demander s'il serait possible de le cultiver désormais par volonté.
Guy Tortosa