Né à Domps en 1906, Jean Blanzat fréquente l'école primaire d'Eymoutiers et poursuit ses études secondaires à Bellac. Il entre à l'Ecole Normale d'instituteurs de Versailles en 1922 et publie, en 1930, son premier livre, Enfance, où s'exprime la nostalgie du pays natal. Ce récit autobiographique marque les débuts d'une production littéraire peu abondante - sept titres entre 1930 et 1966. Romancier de l'intériorité, conteur fasciné par l'au-delà ou poète du terroir, Blanzat laisse une œuvre sombre et forte, qui fut saluée en son temps par le Prix de l'Académie française (L'Orage du matin, 1942) et le Prix Fémina (Le Faussaire, 1964).
Ami de Jean Guéhenno, du peintre Lucien Coutaud, de Jean Paulhan et de François Mauriac (auquel il dédie en 1957 La Gartempe), et de bien d'autres écrivains, Blanzat fréquente le milieu de la NRF et s'engage dans l'aventure des Lettres françaises clandestines. Cet infatigable lecteur rend compte pendant quinze ans des "romans de la semaine" dans Le Figaro Littéraire. Directeur littéraire aux éditions Grasset, puis membre du comité de lecture des éditions Gallimard, il meurt en 1977 à Paris.
Pour mieux connaître cet auteur un peu oublié, l'université de Limoges a organisé les 3, 4 et 5 juin 2004 à Limoges (mais aussi à Domps où se déroulèrent des lectures de certains de ses textes), un colloque intitulé : Pour saluer Jean Blanzat. IPNS poursuit ici ce salut, en donnant à lire, sur proposition d'Olivier Thuillas, de !'Association limousine de coopération pour le livre (ALCOL), quelques extraits de l'œuvre de Jean Blanzat.
"Cet homme des villes passe à la campagne quelques semaines de l'été finissant et de l'automne. Il se promène autour de sa maison.
Le pays vallonné est peu à peu déserté, les chemins sont en pente, quelques-uns desservent encore des prés, des champs.
La marche, sur un étroit talus, surélevé entre la double ornière des roues, y est facile.
L'homme préfère ceux qui ne servent plus. Entre les haies qu'on ne taille pas, ils se rétrécissent. Ils sont boueux par places, à d'autres nus et rocailleux. Chaque chemin est composé de beaucoup d'autres, ajoutés bout à bout.
L'homme aime ces différences. Quand il arrive, vers la mi-été, il met des espadrilles.
Il reconnaît l'aspect général, mais les détails ont changé.
Un jeune sapin, coincé entre deux chênes, a pris un élan définitif.
Un cerisier, naguère plein de vigueur, s'étiole. Les familles végétales, ronces, ajoncs, fougères, sont déplacées. Des églantiers ont des baies encore vertes.
L'homme pense à leur splendeur d'avril et de mai.
Un mois, des mois qu'il n'a pas connus.
Il a vécu ailleurs un temps qu'il sait le même mais qui semble inutile. Le vrai était ici.
L'homme s'arrête dans les clairières. Le temps vrai est encore là, vertical, dans l'azur, jusqu'au soleil. La chaleur comme des mains légères se pose sur ses épaules.
Ensuite c'est un ravin presque nocturne sous les feuillages rejoints. Les merles fuient à peine plus noirs que l'ombre. Des pies et des geais l'insultent, et parfois deux ou trois corbeaux qui l'ont aperçu en passant.
L'esprit de l'homme est vide, vacant. Sa pensée se réduit à quelques chansonnettes ou vers : "Il pleut, il pleut, bergère ... "
- "Un jour sur ses longs pieds ... "
Septembre change les chemins. Les plantes ont fait leur temps. Les haies s'éclaircissent. Elles gardent l'haleine des nuits. mêlées à des odeurs corrompues.
Au fond de chaque perspective règne une brume bleue. Elle contient, latente, la suite des mauvais jours et, derrière, l'ennui, établi, durable, qui ruine l'esprit.
Ce sont là choses ordinaires."
"Il y a dans le dimanche un moment qui remplit l'enfant de bonheur. C'est vers dix heures du matin, l'instant où les hommes sortent de la maison. Leurs joues rasées sont luisantes, la blancheur des chemises éclate sur l'ocre de leur peau. Leurs mains rincées d'eau claire pendent, oisives. Les heures du repos s'ouvrent devant eux. Ils regardent au delà des champs auxquels ils sont attachés.
L'enfant aime se tenir près d'eux dans l'ombre de leur force détendue. Il sait qu'il peut en ces minutes obtenir d'eux une caresse, un geste gratuit.
Souvent son jeune oncle le prend par la main. Ils partent en promenade . L'enfant écoute comme une musique le rude frottement de l'étoffe, à côté de lui, dans chaque foulée large et régulière les cailloux tintent parfois.
La douceur du linge des dimanches est sur sa peau, cette douceur un peu étrangère d'abord mais que chaque geste incorpore à ses sensations intimes; il sent avec orgueil, à son poignet, la double pression qui l'unit à un être fort( ... ).
Vers le milieu de l'après-midi le dimanche révèle peu à peu qu'il n'est pas éternel. Les ombres s'allongent, la lumière se retire des fonds et monte sur la colline. Assis sur les marches du seuil, aux côtés de sa mère qui coud, l'enfant regarde se défaire le beau jour. Sa substance précieuse glisse entre ses doigts inutiles. Triste, l'âme inoccupée, il voit les rayons se retirer du feuillage où déjà il surprend un vulgaire frémissement. Les heures dorées s'écoulent. Un moment la grande fête se survit à l'horizon dans la pourpre et les ors du soleil. La maison derrière eux est pleine d'ombre. Les hommes entrent aux étables. C'est fini. L'enfant va poser ses beaux habits. La nuit informe est devant lui et elle cache à peine le pâle jour de demain qui sera plein de gestes multiples et impurs."
Jean Blanzat