Il était une fois, l’histoire d’un phytopharmaceutique dont la toxicité était reconnue par l’ANSES1 et par un groupe de travail de la Commission Européenne mais dont l’usage était toujours autorisé en France !
C’est l’histoire de la Bromadiolone, rodenticide qui appartient à ces produits que l’on regroupe souvent sous le nom Mort-aux-rats et qui est notamment utilisé pour lutter contre le campagnol terrestre, Arvicola terrestris plus connu sous le nom de “rat taupier“. Ce rongeur est capable d’occasionner des dégâts considérables, se nourrissant des racines des plantes et provoquant des tumuli sur les parcelles, rendant le fourrage inexploitable. Pour conforter encore la lutte chimique contre cette espèce, on évoque également le fait qu’il est un réservoir de maladies et de parasites (Echinococcose alvéolaire, tularémie, toxoplasmose, etc.). Certaines de ces maladies sont également véhiculées par les chiens et les chats mais là on est moins enclin à mettre du poison.
Si les arguments pour légitimer l’utilisation de la Bromadiolone sont largement exposés, on évoque en revanche moins les conséquences effectives et possibles de ce produit. Produit qui pourtant s’avère inefficace alors qu’il existe une lutte alternative (piégeage et changement de pratiques agricoles) qui est largement inutilisée voire absente.
Produit à risque
La Bromadiolone est un anticoagulant qui provoque la mort par hémorragie au bout de quelques jours de qui l’a ingurgité. Si les granulés qui sont disséminés dans le sol (à l’aide d’une charrue ou d’une canne sonde) deviennent inactifs au bout de quelques jours (5 à 7 jours), le produit reste actif dans le cadavre du rongeur pendant plusieurs semaines. Le rongeur peut alors venir mourir en surface ou être déterré par des fouisseurs (sangliers, blaireaux, chats domestiques et forestiers, etc.) et être ingurgité... et avec lui le poison ! Ainsi, chats, chiens mais aussi l’ensemble de la faune sauvage se nourrissant de rongeurs (chat forestier, genette commune, belette, milans, pie-grièche grise, buse, sangliers, blaireaux, renards, etc) peut être contaminée directement ou indirectement.
Les conséquences quant à l’utilisation de la Bromadiolone sont pourtant connues depuis longtemps ! Dans un rapport de l’
ANSES1 édité en 2001, on peut lire : “Les analyses nationales réalisées entre 1996 et 2000 sur des animaux sauvages (sangliers, renards, buses, lièvres, milans, chevreuils et lapins) montrent que sur 1373 recherches d’anticoagulants, 822 se sont avérées positives (59,8%), la bromadiolone ayant été retrouvée dans 662 cas (80,5 % des analyses positives) ; la répartition géographique met en évidence une nette prédominance des départements de Franche-Comté (Doubs, Jura) et du Massif Central (Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme)“.
Malgré ça, ce produit est toujours utilisé dans nos campagnes et impacte directement la faune sauvage qui a le malheur d’en ingurgiter. Ce produit présente également un risque avéré pour l’environnement et possible pour l’Homme comme le démontre le rapport de l’ANSES
1 du 25 juillet 2001 : “Il ressort des examens effectués que les produits biocides utilisés comme rodenticides et contenant de la bromadiolone ne devraient pas présenter de risque pour l’homme, sauf en cas d’incidents fortuits concernant des enfants. Des risques ont été décelés pour les animaux non visés et l’environnement.“.
Répartition des 62 communes sur les 747 du Limousin où il est fait usage de la Bromadiolone par certains agriculteurs. SEPOL - GMHL 2013
Liste des communes contaminées par la Bromadiolone au printemps 2013 :
Corrèze : Mestes, St Etienne au clos, St Exupery les Roches, St Fréjoux, Valiergues, Ussel, Chaveroche, Lignareix, St Angel, St Pardoux le Vieux, Liginiac, Sérandon, Neuvic, Lamazière basse, St Hilaire Luc, Palisse, Altillac, Bassignac le Bas, Camps St Mathurin Léobazel, La Chapelle St Géraud, Goulles, Mercoeur, Sexcles, St Julien le Pèlerin, St Bonnet les Tours de Merles, Reygade.
Haute-Vienne : Eymoutiers, Augne, Bujaleuf, Beaumont du Lac, Cheissoux, Domps, Nedde, Peyrat le Château, Rempnat, St Anne St Priest, St Amand le Petit, St Julien le Petit.
Creuse : Basville, Crocq, Flayat, St Bard, La Mazière aux Bons Hommes, Mérinchal, Poncharraud, St Agnant près Crocq, La Villeneuve, La Villetelle, St Georges Nigremont, St Maurice près Crocq, St Pardoux d’Arnets, St Oradour près Crocq, Alleyrat, Aubusson, Blessac, Neoux, St Alpinien, St Amand, St Mexant, St Avit de Tardes, St Marc à Frongier, St Pardoux le Neuf.
La campagne automnale devrait voir un nombre similaire de communes.
La DRAAF pour la bromadiolone
Début 2012, le
GMHL2 associé à la
SEPOL3 a dénoncé la mise en place de 3 arrêtés préfectoraux autorisant l’usage de la Bromadiolone pour les 3 départements du Limousin. Cette dénonciation faisait directement suite à la découverte de 40 cadavres de rapaces (14 buses variables et de 26 milans royaux) dans le Puy-de-Dôme, lesquels avaient été empoisonnés à la Bromadiolone.
Suite à cette contestation, la
DRAAF4 Limousin a constitué un comité de pilotage régional sur la question réunissant les principaux acteurs. Les arrêtés encadrant l’utilisation de la Bromadiolone pris en décembre 2011 ont pris fin en décembre 2012. Un nouvel arrêté ministériel devait cadrer la question au niveau national début 2013 mais ce dernier ayant tardé, des arrêtés préfectoraux de transition ont été pris pour parer le vide laissé dans l’encadrement de cette pratique (il n’était pas imaginable que les agriculteurs n’aient pas de produits pour le printemps 2013 !) malgré les discussions entamées lors du comité de pilotage pour améliorer les pratiques et l’usage de la bromadiolone, la DRAAF Limousin n’a pas jugé opportun de retenir les demandes de nos associations, au sein des 3 arrêtés actuellement en vigueur et ce malgré la participation du GMHL au cours de la consultation publique (seule association à faire des remarques par ailleurs). La DRAFF se réfugie derrière la prochaine parution de l’arrêté ministériel (aucune date n’est annoncée pour le moment !) indiquant qu’il ne faudrait pas prendre de mesures au niveau régional qui aillent ensuite à l’encontre de celles prescrites dans le futur arrêté. Le projet d’arrêté ministériel est pourtant bien connu puisqu’il était en consultation publique au ministère de l’Écologie en novembre 2012 et certaines orientations se dégageaient largement. Il ne faudrait quand même pas que le Limousin soit précurseur en matière de protection de l’environnement et de limitation des rodenticides dans la nature !
Et pourtant, l’Etat français s’est engagé à stopper l’érosion de la biodiversité et a mis en place des Plans d’actions nationaux (déclinés à l’échelle régionale) en faveur du milan royal et de la pie-grièche Grise. Il finance des programmes et des mesures de protection sur ces espèces menacées alors même qu’il autorise l’utilisation de produits qui leur portent atteinte directement sur les zones où ces espèces sont signalées !
Les associations revendiquent
Pour rappel, il était demandé par les associations
- une garantie de contrôle sur l’application des mesures alternatives nécessaires avant tout traitement à la Bromadiolone, lequel ne doit arriver qu’en dernier recours ;
- La mise en place d’une fiche simple sur l’état des pratiques au sein de la parcelle, la gestion des périmètres de mise en défense (clôture, haie) et les moyens de luttes alternatives utilisées (poteau, piégeage, etc.) laquelle est renseignée par le demandeur au moment de la demande. Par ce biais, l’objectif est d’évaluer la bonne mise en place de la lutte alternative telle que préconisée dans l’article 1 de l’arrêté et le schéma de progression de l’agriculteur évoqué lors de cette même réunion ;
- Un déclassement des espèces dites “nuisibles“ qui contribuent largement à réduire les effectifs de campagnols ;
- Un seuil d’interdiction qui doit être : présence de tumuli sur 30% des intervalles de 5x5m comme pour le Puy-de-Dôme (actuellement ce seuil est de 50%). Cette demande est argumentée sur la base de la présence d’espèces protégées et sensibles (milan royal, milan noir, busard Saint-Martin, pie-grièche grise, chat forestier, genette commune, etc) et la présence d’une ZPS (zone de protection spéciale) visant à maintenir ces dernières (Le DOCOB - documents d’objectifs - rappelle d’ailleurs que l’utilisation de phytopharmaceutique n’est pas compatible avec la protection de ces espèces). Cette restriction de seuil permettra de diminuer les doses et le nombre de parcelles en traitement.
- Une révision des doses à l’hectare et caler à 10kg/ha (contre 20kg/ha actuellement) comme pour le Puy de Dôme et ce d’autant que lors du comité de pilotage il a été régulièrement avancé que les doses n’étaient pas atteintes.
En l’état actuel des choses les associations de protection de la nature limousines ne sont pas satisfaites des mesures engagées et remettent en question l’intérêt d’un groupe de travail sur la question. Elles ont essayé de travailler avec les structures en charge du suivi et de la délivrance de ces produits et de trouver des points d’ententes sans pour autant être écoutées. Trop d’énergie a été perdue dans ce dialogue à sens unique. Désormais, il va être nécessaire de consacrer notre énergie à faire interdire ce produit au plus vite à l’échelle nationale.
Il est clair que cette question est de portée nationale et que ce produit doit être interdit en France. On s’attaque ici aux géants de l’industrie de la chimie qui arrosent nos étals de produits toxiques sous l’égide de la productivité. Il est pourtant prouvé depuis longtemps que la Bromadiolone est très peu efficace contre le pullulement du Campagnol terrestre. Il serait plus efficace de remettre en question nos pratiques agricoles, mais la route semble longue et les politiques pas si enclins que ça à s’engager sur cette voie.
Julien Jemin
1 ANSES : Agence Nationale de SEcurité Sanitaire de l’alimentaire, de l’environnement et du travail
2 GMHL : Groupe Mammalogique et Herpétologique du Limousin
3 SEPOL : Société pour l’Étude et la Protection des Oiseaux en Limousin
4 DRAAF : Direction Régionale de l’Alimentation de l’Agriculture et de la Forêt- Soyez vigilant sur ces communes ! Si vous repérez des cadavres de rapaces, de mustélidés, de félidés ou autres n’hésitez pas à nous contacter au 05 55 32 43 73.