Dorénavant tout se mesure à l’aune de la ville. Cette métropolisation urbaine est d’ailleurs un phénomène généralisé à l’échelle planétaire. Aujourd’hui plus de la moitié des habitants de la planète sont des urbains qui s’agglomèrent dans des mégapoles démentielles telles que Tokyo avec 35 millions d’habitants ! Et c’est quelques vingt autres métropoles mondiales qui en agglutinent plus de dix millions chacune ! Cette urbanisation galopante s’accompagne d’une désaffection territoriale de l’espace rural (littéralement du latin rus, ruris = campagne). La campagne se transforme en un gigantesque désert spatial avec des conséquences désastreuses pour toutes les formes de souveraineté alimentaire et pour l’avenir de la planète.
Depuis un peu plus d’un siècle la France s’est dotée d’un mode de gouvernance territoriale à l’échelle des quelques 36 000 communes, héritées des découpages paroissiaux de l’an mille. Cette organisation territoriale a préservé l’originalité de la gestion de nos territoires ruraux par des élus choisis au sein de sa population, même si celle-ci s’est transformée au fil du temps et notamment par la coopération intercommunale instaurée par les lois de décentralisation de la fin du siècle dernier. Il est à craindre que cette métropolisation entraîne irrémédiablement une déstructuration de la particularité de nos espaces ruraux. Très vite elle substituera une gouvernance managériale de techniciens et d’experts à notre traditionnelle gouvernance territoriale par des élus locaux. Elle contribuera alors dans nos campagnes limousines à la dégradation de nos structures agricoles et pastorales en même temps qu’elle ignorera les multiples ressources connues ou inconnues que recèlent ces espaces ainsi que les capacités d’innovations écologiques, économiques ou culturelles qui s’inventent sur ces territoires.
L’illustration réelle de ce péril nous a été fournie à Aubusson le 22 mars dernier à l’occasion de la visite du ministre de l’Intérieur Manuel Valls à son camarade de parti Michel Moine, maire d’Aubusson. Ce détour éclair de la suite ministérielle par le Sud creusois visait essentiellement à conforter le maire d’Aubusson dans sa folle ambition de créer l’agglomération du sud de la Creuse dont il rêve qu’elle atteigne 20 000 habitants ! Peut-être pour se positionner à concurrence ou à l’égal de son rival de parti Michel Vergnier qui, lui, s’est résolument engagé dans la communauté d’agglomération du Grand Guéret en attendant de promouvoir la métropole de la Creuse. Dans sa démonstration, le maire d’Aubusson, et de surcroît président de la communauté de communes Aubusson-Felletin, a parfaitement mis en lumière ses visées métropolisatrices. Avec projection de chiffres à l’appui, Michel Moine a présenté toutes les obligations et charges qui incombent aux communes en transférant leurs compétences à ce nouvel espace intercommunal. Avec cette addition de compétences pour mutualiser les moyens et assurer une ingénierie technicienne, il espère engager une révolution des esprits et décloisonner le mode de fonctionnement du territoire pour accompagner les projets des communes membres. À partir de son raisonnement, il tient à montrer que toutes ces complémentarités sont à même d’assurer le développement économique de son nouvel espace intercommunal. En conclusion, et dans sa logique métropolisatrice, il énumère ce qui à ses yeux sont les quatre projets prioritaires de la communauté de communes. Sans s’attarder sur le contenu de leur destination, il rappelle l’achat des deux gares désaffectées d’Aubusson et Felletin. Quand il évoque les nécessaires réserves foncières pour la création d’activités économiques il met en avant l’achat de la friche industrielle Sallandrouze à Aubusson, pour y installer une grande surface commerciale en cœur de ville ! Pour rester dans l’air du temps et satisfaire au développement durable il annonce triomphalement la construction toute prochaine de la piscine d’Aubusson avec son équipement aquarécréatif pharaonique1. Enfin, cerise sur le gâteau et à l’ébahissement des auditeurs, il fait valoir son boulodrome d’Aubusson (Voir encadré).
Après une telle énumération on comprend l’appel désespéré du président de la communauté de communes du plateau de Gentioux lui rappelant la nécessité de promouvoir et soutenir des projets de territoire. Les propos tenus ensuite par Manuel Valls ne pouvaient en rien le rassurer. On était en droit de s’attendre à quelque éclairage sur les projets gouvernementaux de réorganisation territoriale. Mais là n’était pas le but de cette escapade ministérielle. L’œil tourné vers les signaux de sa directrice de cabinet chargée de marquer la fin de la récréation, très rapidement le ministre a effleuré la question des régions mais sans en rien dire, tout en affirmant son attachement au département et aux communes lieux de la démocratie de proximité. Le débat fut aussi terne que le discours et se borna à réclamer le découpage du département en deux circonscriptions législatives, la démocratie ne pouvant se satisfaire d’un seul député creusois. Le représentant de l’état a fait valoir la règle de la représentation démographique et donc du privilège urbain prescrite uniformément sur tout le territoire. L’épilogue de ce faux débat est laissé à un éminent représentant de l’opposition de la droite. Celui-ci, dans une supplique à Madame le Préfet lui demande impérativement de procéder à un découpage du département en cinq unités territoriales. Fermez le ban !