L’analyse de résultats électoraux fait une large place à l’interprétation et constitue peu une science quoiqu’en disent nos professeurs de Sciences-po. Qu’en est-il sur notre plateau en ce qui concerne les récentes élections européennes ?
D’européennes à européennes
Comparons tout d’abord, selon la bonne règle, d’élections européennes à élections européennes.
On constate d’abord une baisse de 2,4 % des inscrits, reflet d’un déficit démographique naturel toujours pas compensé par un excédent migratoire. On constate également une hausse de 3 points de la participation et des suffrages exprimés, les votes blancs ou nuls étant quasi stables.
Le détail des suffrages exprimés montre de très fortes variations. Seuls les électorats Front de Gauche et Centre paraissent quasi stables. Mais en ce qui concerne le Centre, il est probable que le vote Modem de 2009 n’a pas du tout la même signification politique que le vote UDI-Modem de 2014, plutôt à gauche dans le premier cas et plutôt à droite dans le second.
On reviendra plus loin sur le “séisme“ que représente le vote FN. Les autres grandes variations sont les suivantes :
- L’effondrement du vote d’extrême-gauche ; il est tout simplement dû à l’absence de candidat NPA en 2014 ; on notera que cet électorat ne semble pas s’être reporté sur le FG et s’est probablement beaucoup abstenu.
- Le très fort recul des Verts, probable reflet du recul équivalent au niveau national ; se sont-ils également abstenus ou se sont-ils en partie reportés sur le PS ?
- La nette avancée du PS et DVG (Nouvelle donne), possiblement due à des reclassements à gauche, mais aussi à des restes de la présidentielle ; rappelons en effet que le PS fait 36,6 % des voix à la présidentielle de 2012 et recule donc de plus de 12 points en 2014.
- Le très fort recul de l’UMP et DVD ; il est en grande partie dû à un reclassement de l’électorat de droite en faveur du FN ; l’effondrement de la droite parlementaire aux présidentielles de 2012 à 23,4 % est toutefois plus que stoppé.
Vote Front National sur le Plateau (élections européennes du 25 mai 2014)
Le rapport gauche/droite
Le vote centriste perturbe la lecture du rapport gauche/droite. En 2009, le vote Modem est ambiguë et probablement en grande partie de gauche, alors que le vote UDI-Modem de 2014 est clairement de droite. Si il convient donc de comptabiliser à part le Modem de 2009, il n’est pas raisonnable de le faire en 2014 et il faut dans ce cas le comptabiliser avec la droite parlementaire.
En 2009, le total de la gauche atteint 49,3 % des voix. Il n’est plus que de 43,6 % en 2014, soit une baisse de presque 6 points. Cette baisse doit être considérée comme un minimum compte tenu du paragraphe ci-dessus. La gauche perd également 12 points par rapport à l’élection présidentielle de 2012 où elle faisait 55,4 % des suffrages (ajoutons que Bayrou faisait 7,5 %, toujours dans l’ambiguïté droite/gauche).
En 2009, le total de la droite parlementaire atteint 36 % des voix. Il est de 37,1 % en 2014, soit une légère progression de 1 point. Cette hausse doit être considérée comme un maximum compte tenu du paragraphe sur les ambiguïtés du vote centriste de 2009. C’est toutefois une très forte reprise par rapport à l’élection présidentielle de 2012 où elle faisait 23,4 % des suffrages.
Le “séisme“ FN
Comparé à 2009, le vote FN de 2014 est évidemment l’événement majeur. Un quadruplement du score, de 5 % à 19,2 % !
Certes, l’élection de 2009 est peu significative pour le FN. Elle suivait de près ce qu’on a appelé l’OPA de Sarkozy sur l’électorat du FN en 2007. Ce dernier était ainsi largement démobilisé. Ce n’est plus le cas en 2014 où “l’effet Marine“ joue à plein. Sur le plateau de Millevaches aussi. Le score record de 13,6 % en 2012 est très largement battu.
On peut certes opposer qu’en nombre de voix, le FN recule : 3397 voix en 2012 contre 2935 en 2014. Et il est vrai que son électorat s’est certainement nettement moins abstenu que les autres. Mais enfin, on passe d’une abstention de 15 % en 2012 à 46 % en 2014 ; il doit bien y avoir un certain nombre d’électeurs du FN parmi ces derniers.
Ajoutons que la hausse du FN est générale sur le plateau. Comparé à 2012, la hausse est de plus de 7 points (comme au niveau national) dans 37 % des communes du plateau. Le FN avance partout, sauf dans 10 communes où son recul est très faible. Dans l’ensemble, la progression recouvre géographiquement celle déjà constatée en 2012 (voir carte sur IPNS n° 39 de juin 2012). Sauf que les paliers ont augmenté de 5 % : là où il faisait plus de 20 %, il en fait plus de 25 %, voire plus de 30 %, et là où il faisait plus de 15 %, il en fait plus de 20 %. Et un grand nombre de communes nouvelles ont franchi le seuil de 15 % que nous avions fixé en 2012.
Mais où va-t-on ?
Pendant près d’un siècle, le plateau de Millevaches a constitué une exception politique et électorale avec l’hégémonie du communisme rural pendant un demi-siècle puis le partage de l’hégémonie entre le communisme et la Chiraquie. Cette situation a été d’une grande stabilité pendant tout le XXe siècle.
Cette grande stabilité est révolue. Le PCF bénéficie encore d’une tradition, totalement révolue au niveau national, mais qui disparaît avec le vieillissement et les décès des vieux militants. La Chiraquie semble bien disparaître avec son créateur et son remplacement par la Hollandie pourrait bien être superficielle. Certes, les résultats électoraux ne sont pas tout, mais ils sont l’une des bonnes possibilités d’appréciation de la situation politique et idéologique.
Peu à peu, les scrutins sur le plateau semblent ressembler de plus en plus aux scrutins nationaux avec ses “modes“ (tantôt pour les Verts, tantôt pour Bayrou, tantôt pour le FN…), reflétant les incertitudes, les inquiétudes et les ressentiments de la population. Le plateau vote simplement un peu plus FG (de 6 points), par tradition, et un peu plus PS (de 7points), par l’origine du Président. Il est vrai que ça change tout, mais pour combien de temps ?
Christian Vaillant
Note : les chiffres et la carte sont établis à partir des communes des cantons de Bugeat, d’Eygurande, de Meymac, de Sornac, de Treignac et d’Ussel-ouest en Corrèze, de Crocq, de Felletin, de Gentioux, de La Courtine et de Royère-de-Vassivière en Creuse, et d’Eymoutiers en Haute-Vienne.