Des résultats difficiles à interpréter
La plupart des listes n’affichant pas de couleur politique, déterminer qui se cache derrière des titres comme “ensemble pour...“, “bien vivre à ...“, “solidaires et dynamiques“, “union et rassemblement“, ou “défense des intérêts communaux“, exige d’être très au fait des relations sociales (familiales, politiques, économiques, interpersonnelles) dans chaque commune.
Une grille d’interprétation qui ne prendrait en considération que l’appartenance politique serait donc inopérante dans les petites communes. Même dans le cas de listes bloquées (commune de plus de 1000 habitants), les enjeux locaux, les conflits de personnes brouillent souvent la compréhension des résultats. Ainsi en est-il en Creuse de Ste Feyre et de Felletin. À Felletin, la liste majoritaire a certes bénéficié des votes de la vieille droite felletinoise, mais sur les trois adjoints, deux sont nettement marqués à gauche et un conseiller est encarté au PS. Quant à la sénatrice Renée Nicoux, elle ne revendiquait pas pour sa liste l’étiquette de gauche, ni à fortiori PS, mais la qualifiait seulement “d’ouverte“. Et beaucoup de ses membres n’affichaient pas d’appartenance politique.
Ici comme ailleurs
Le premier constat n’est guère original. Il consiste à remarquer que les tendances observées au niveau national se retrouvent en Limousin :
- la désaffection vis-à-vis du gouvernement et du PS y est aussi marquée qu’ailleurs ; la défaite d’Alain Rodet à Limoges est emblématique et a eu un retentissement national. Mais Brive, Ussel, Argentat, Bellac sont également passées à droite, alors que Guéret et Tulle maintenaient leur ancrage à gauche (cf. lettre de Démerliat aux militants) ;
- le vote protestataire, avec notamment des scores inhabituels pour le Front National, traduit l’atmosphère pessimiste et agressive qui transpire un peu partout dans la société française (ex : les Bonnets rouges en Bretagne).
Néo – natifs : le retour
Mais, ce qui est plus surprenant, particulièrement dans la Montagne limousine, c’est le retour, avec une intensité inconnue jusqu’alors, du vieux conflit entre néo-ruraux et habitants de souche.
Dès les années 1970, cette opposition s’était développée avec des différences notables selon les communes (voir texte de Mike Evans). Il semblait pourtant que, depuis cette époque, les choses s’étaient largement calmées. Dans les années 1990, on avait assisté ça et là à l’entrée de néo-ruraux dans les conseils municipaux et, malgré la tendance à l’augmentation de leur nombre, il semblait que leur arrivée ne suscitait plus la même méfiance que dans les années antérieures. On aimait à penser que le caractère généralement plus préparé et mieux adapté au pays des nouvelles installations, ainsi que l’appréciation plus positive portée sur elles par la majorité des élus locaux, nous conduisait vers l’apaisement et la cohabitation sereine.
Las, il a suffi qu’en 2014 les néo-ruraux apparaissent comme une force qui s’organisait (cf. “Propositions pour une plate-forme commune de la Montagne limousine“, IPNS n° 46) pour que leur aspiration proclamée à la démocratie directe soit vécue comme une volonté de prise de pouvoir à laquelle il fallait s’opposer.
Selon les communes, les conflits n’ont pas pris la même forme, mais on retrouve à Gentioux, à Rempnat, à Eymoutiers, à St Frion et certainement ailleurs, une opposition entre habitants de souche et néo-ruraux.
Une approche plus fine montre que les deux catégories de populations ne sont pas homogènes ; alors qu’une partie des autochtones apprécie la présence des “jeunes“, une autre se gausse des “baboss“, et les plus virulents voudraient bien se débarrasser de ces “même pas propriétaires“. Du côté des néo-ruraux, si beaucoup s’intégrent en travaillant à la pérennisation de leur installation, certains choisissent un mode de vie plus marginal, tant sur le plan économique que dans le domaine culturel ou celui de la vie quotidienne, ce qui entretient les incompréhensions. La recherche d’un mode de vie collectif contribue à les éloigner d’un fonctionnement traditionnel. Il reste que la violence des réactions à l’encontre des néo-ruraux, qui a sans doute atteint son paroxysme à Gentioux, mais est aussi perceptible ailleurs, justifie une analyse approfondie.
Du dejà vu
Il nous semble qu’il y a des composantes habituelles, déjà existantes dans les années 1970, et des éléments plus récents qui expliquent la virulence des oppositions.
Dans les facteurs déjà connus, la première composante est résumée par l’inscription relevée à Gentioux en 2014 : “Laissez-nous mourir en paix“. On peut interpréter de la manière suivante cette prière, déjà entendue en 1978 dans une autre commune : “Nos enfants sont partis, nous les avons encouragés au départ car nous savions qu’il n’était pas possible de faire sa vie ici, et ce n’est pas vous, qui n’êtes même pas nés ici, qui allez nous prouver le contraire. Nous aspirons au calme et à la tranquillité, et votre agitation nous dérange“.
En second lieu, la question du travail peut être discriminante ; alors que dans la société traditionnelle, le travail est la première valeur (on respecte “ceux qui bossent“ et on méprise les “fainéants“), il n’a pas du tout la même place chez les néo-ruraux, même si beaucoup d’entre eux ont fait leurs preuves comme travailleurs compétents et courageux.
La troisième composante concerne les aspirations culturelles : les loisirs des uns, la chasse, la pêche, la belote, ne sont pas ceux des autres qui préfèrent la musique, le théâtre, le ciné ou l’ornithologie. Les occasions de rencontres sont en conséquence peu nombreuses. Un travail comme celui de Guy Alloucherie1 à Faux la Montagne prend ici tout son intérêt. La distance culturelle se cristallise aussi sur des thèmes comme le féminisme, la liberté sexuelle, les habitudes vestimentaires ou capillaires.
Le vrai visage du problème
Mais il nous semble que deux éléments ont pris ces derniers mois une importance primordiale dans le conflit actuel : ils concernent la propriété et le pouvoir.
Concernant la propriété, lorsqu’on lit dans la Plate-forme “s’accorder le pouvoir de contrôle sur l’avenir du foncier et du bâti en se dotant d’outils spécifiques (droit de préemption...)“, on ne peut s’étonner des réactions négatives, surtout si on se souvient que, dans les années 1990, Marcel Boucaud avait mobilisé beaucoup de monde autour de Royère de Vassivière, grâce à une association, l’Adir (Association de défense des intérêts ruraux), opposée à la création du parc naturel régional, suspecté d’attenter à la propriété privée et au droit de chasse. Sur le plateau, la propriété est toujours censée donner la liberté et faire les vrais hommes !
Pour ce qui est du pouvoir, on peut constater que les néo-ruraux ont eu une attitude volontariste au cours de ces élections municipales ; ils se sont présentés comme une force montante susceptible de bousculer les habitudes de résignation et de fatalisme. Certains locaux ont interprété cette attitude comme un appétit de pouvoir qu’il fallait contrecarrer.
Cohabitation impossible ?
Les meilleurs exemples de cohabitation fructueuse entre néo et autochtones concernent les communes où les néo ont attendu qu’on vienne les solliciter pour entrer dans les conseils municipaux au milieu de gens du cru (Faux la Montagne) ou ont fait un long travail en amont pour aboutir à des candidatures mélant nouveaux et anciens habitants (Tarnac). L’exemple du maire du Chefresne, dans la Manche, qui a créé un comité de village dans sa commune (cf. IPNS n° 45) va aussi dans ce sens : non candidat, il a néanmoins été élu au conseil municipal, et on lui a proposé le poste de maire ! Il s’est donc retrouvé en position de force pour avancer son fonctionnement alternatif.
D’autres réactions, sans doute plus minoritaires, peuvent avoir contribué à accentuer la fracture ; il en est ainsi de l’attitude vis-à-vis de la règle, du droit ; il semble que quelques nouveaux installés aient proclamé haut et fort qu’ils ne se préoccupaient pas de la légalité, que seule comptait la légitimité, c’est-à-dire la cohérence avec les objectifs que se donnait le groupe. Il y a là de quoi effrayer bien des conformismes !
Cette tentative d’analyse, certainement incomplète, maladroite, et à nuancer selon les réalités locales, voudrait placer le débat sur un terrain rationnel et dépassionné ; il ne s’agit pas de chercher des coupables, de désigner les bons et les mauvais, mais de tenter de dépasser des conflits dont l’intensité a outrepassé quelquefois les limites du raisonnable.
L’avenir de notre territoire passe par la recherche patiente de synergies entre les différentes catégories de population et non dans leur affrontement stérile et paralysant.
Jean-François Pressicaud
1- Guy Alloucherie, est intervenu à Faux la Montagne la première semaine de décembre 2013 et a présenté son travail le 7 décembre (film et photos des habitants de Faux).